5) La GTMC, le massif de la Margeride
- Par Thierry LEDRU
- Le 05/08/2012
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Filmer avec la main droite et piloter uniquement avec la main gauche, c'est compliqué dans ce genre de terrain :))
On roule vers la Margeride. Il nous faudra un autre bivouac pour y arriver. On remonte la vallée de Malzieu et il s'agit vraiment de la "remonter" !!! Gros dénivelée !On va jusqu'à St Eulalie après avoir dépassé la réserve des bisons d'Europe. On s'installe sur le GR qui part en direction du col des trois soeurs.
http://www.bisoneurope.com/
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On aime infiniment ces montagnes et ces plateaux de la Margeride. On les avait déjà parcourus avec nos trois enfants, à vélo et à pied.
Il pleut toute la nuit, mauvais sommeil avec le vacarme sur la tente, tonnerre et vent. On sort le matin dans une nature trempée. Petit déjeuner avec les gants et le bonnet, la veste et la polaire. Une chute impressionnante de la température ! On plie la tente et on prend la piste. La brume est accrochée aux sommets des sapins. Ambiance feutrée, pas de chants d'oiseaux, le vent est tombé, l'horizon est bouché. Des flaques sur la piste, de la boue dans les ornières. Les forestiers sont passés avec leurs engins. Début d'étape difficile.
On arrive au col de la Baraque des Bouviers par des pistes de ski de fond puis au Col de la croix de Bor. La forêt a été dévastée par un insecte xylophage puis par la tempête de décembre 1999. A l'époque, le paysage était apocalyptique...
C'est effectivement une immense "trouée" dans la forêt, comme une tranchée qui aurait été creusée par de gigantesques engins de chantier...Des plantations ont été effectuées. La forêt reprend sa place peu à peu.
Malgré les températures assez basses, l'effort est suffisamment intense pour qu'on roule en tee-shirt.^^ Chemins étroits et techniques, pas beaucoup de place parfois pour le passage des sacoches, les bordures de champs sont fermées par des fils barbelés...Il faut être attentif et anticiper, garder juste assez de vitesse pour ne pas s'arrêter et pas trop pour ne pas finir accroché comme un poisson...
Voilà le petit panneau qui sert de guide visuel. Pas toujours facile à trouver, parfois effacé par les effets du temps, parfois caché par des buissons ou tombé au sol...
Le soleil revient doucement mais on ressent la fatigue de notre mauvaise nuit...Le lac Charpal arrive à point nommé.
Le bivouac.
On ne s'en lassera jamais. ( Dans la réalité, c'est parfaitement horizontal ^^)
Retrouver le lac Charpal était un bonheur immense. Incroyable comme en quinze ans, rien n'a changé. Le parking au niveau du barrage a été légèrement aménagé. Trois camping car, cinq voitures, en pleine journée, toujours ce silence et ces paysages de Laponie...La tente posée à quelques mètres de l'eau, une baignade le soir, la lumière du crépuscule, plus personne...Et puis le lever au matin avec huit degrés extérieur. Sortir du duvet, allumer le réchaud, se faire un café chaud, ranger le campement et reprendre la route.
Que du bonheur.
L'histoire du lac Charpal l'est tout autant :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Lac_de_Charpal
Histoire
À l'issue de la Première Guerre mondiale, les autorités militaires françaises auraient sélectionné les montagnes de la Margeride pour dissimuler un dépôt de munitions sous-lacustre. C'est ainsi que l'on explique la construction entre 1923 et 1929 d'une ligne de chemin de fer d'une quinzaine de kilomètres destinée à acheminer dans un premier temps les matériaux nécessaires à la construction du barrage et, dans un second temps, les munitions à immerger. L'absence de documents officiels concernant la construction de la ligne conforte l'hypothèse militaire ; néanmoins, le fait que la ligne ait été déferrée dès 1938 – une fois le barrage construit – laisse supposer l'abandon du projet. Desservant la rive sud du lac au moyen d'une bifurcation de la ligne transversale lozérienne à hauteur du hameau de Larzalier (commune d'Allenc), elle aurait été l'une des lignes les plus hautes de France. Une partie des emprises est aujourd'hui un point de passage du GR 43. Outre divers déblais et remblais, les principaux indices encore visibles de cette ligne sont le poste d'aiguillage de Larzalier et la maison de garde-barrière sur la N 88, à hauteur du col de la Pierre Plantée – deux bâtiments partiellement en ruine1,2.
Aspect touristique
Le pourtour du lac a été aménagé pour la balade touristique, offrant ainsi aux marcheurs une boucle de 9 kilomètres, où certaines portions se font sur des ponts en bois. Cet aménagement a été réalisé par la communauté de communes de la Haute Vallée d'Olt.
Mais la popularité du lac lui vient du fait qu'il est le plus grand lac de pêche au brochet no-kill de France3. Le site est également très dépaysant du fait des grandes étendues boisées qui entourent le lac et qui confèrent à l'ensemble une ambiance très canadienne.
Je connaissais depuis longtemps ce lac.Une étape dans ma vie.
Il apparaît dans un de mes romans :
"Jusqu'au bout".
"Direction « lac de Charpal. »
Il s’engagea sur la route étroite. Aucune habitation. Cinq kilomètres de longues courbes encadrées par des peuples de pins. La lumière matinale s’étendait comme une marée câline, sans vague, ni courant, juste une nappe gigantesque, tendue comme un tissu d’aquarelles. Elle rasait le sommet des épineux. Des paysages scandinaves. La palette de couleurs l’hypnotisait. Infiniment joueur, le soleil, comme un rouleau de peinture insatiable, nuançait les teintes, cendrait les crêtes, enflammait les fûts, des parcelles s’embrasaient, d’autres coulaient dans l’ombre. Ces changements incessants donnaient au paysage l’impression étrange de mouvance. Comme des risées sur l’océan.
Enfin, la pente s’atténua et il déboucha sur un immense parking. Un barrage à l’extrémité du lac. Des chemins suivaient le bord de l’eau. D’autres disparaissaient sous les arbres.
Il coupa le moteur mais dans son crâne l’écho mécanique perdura comme un écho qui s’épuise. Il balaya le paysage, lentement, avec délectation, hésitant presque à sortir. Mettre un terme à la complicité qui l’avait uni à la cabine, au volant, à l’odeur chaude du moteur, au ronflement des pièces. Il éveilla dans ses muscles des contractions libératrices, des volontés de mouvements. Il attrapa la poignée de la porte et il descendit.
Plongeon dans le silence. Comme s’il était entré dans un bain. La paix qui coule sur la peau de son visage, se mêle à ses cheveux, glisse sous ses habits. Respiration suspendue.
Il s’appuya contre le pare-chocs avant et reprit son souffle. Rien. Il n’y avait absolument aucun bruit.
Bruit.
Le mot lui-même ici semblait privé de sens.
La limpide tranquillité ruissela en lui comme une divine liqueur et nettoya son corps de la fatigue de la route.
Il marcha vers la surface chatoyante du lac. Le crissement de ses pas sur le goudron gravillonné remplit l’espace comme un affront. Il essaya de se faire léger. Il rejoignit l’herbe avec soulagement. Comme tout promeneur au bord de l’eau, il eut envie de lancer une pierre mais il pensa aussitôt que le lac se briserait comme un miroir. Ce silence incroyable n’était que la peur terrible du lieu, que le souffle retenu de chaque plante devant l’ennemi absolu. Il imagina autour de lui des regards inquiets. Il s’assit délicatement sur une grosse roche lisse et ronde, caressant doucement le poli de la pierre. Devant lui, la surface immobile de l’eau. Une image arrêtée, un plan fixe suspendu dans le temps. Une paix indéfinissable.
Un sanctuaire. Les hommes s’étaient égarés en donnant ce rôle suprême à leurs dieux et à leurs églises. Oubliant que tout était là devant leurs yeux salis. On apprenait aux enfants à respecter un crucifix et on les laissait cueillir des fleurs. Mais sur chaque fleur arrachée, le grand corps de la nature était cloué. Et personne ne le pleurait.
Le silence du monde comme une tristesse, la détresse de la trahison.
Il retourna au fourgon et le rangea le long des arbres. Face au lac. Les mains posées sur le volant.
Le chant solitaire d’un oiseau, dans le secret des branches. Aucune réponse, aucun échange, absence de partenaire. Et pourtant cette ritournelle pétillante, cet amour de la vie. Sans intention. Un bonheur qui déborde.
La chaleur dans son ventre, un sourire qui se dessine. Un flot d’émotions qui se déverse. Comme une joie partagée.
Il avait délaissé le bonheur. La vibration dans la poitrine, cet embrasement irraisonné. Il avait associé la vie à des missions assumées, le sens de son existence à des défis achevés. Comme si les actes humains offraient à la vie une raison d’être. L’oiseau n’avait pas ces tourments. Il chantait simplement.
7h30.
Quand il enleva les rideaux isothermes des vitres, il vit le fourgon vert. Il avait dû arriver pendant la nuit. Il n’avait rien entendu.
Il s’habilla et sortit. Un grand sourire dans l’âme. La température était fraîche mais le bleu limpide du ciel annonçait une belle journée. Il avança vers le lac. L’eau qui se reflétait dans la passivité immobile du ciel n’esquissait aucun mouvement. Les couleurs, selon l’intensité de la lumière, éclataient de jaune ou sombraient dans le vert. Les parties terreuses et les zones rocheuses qui tapissaient les fonds dispensaient à la surface les teintes qui leur convenaient.
En arrivant sur la rive, il regarda l’extrémité du lac et aperçut deux silhouettes, debout au bord de l’eau. Apparemment nues. Elles avancèrent et plongèrent sans aucune hésitation. Il trempa une main et put juger de la témérité des deux nageurs. Ils ne semblaient pas souffrir du froid en s’éloignant du bord.
Intrigué, il s’assit et les suivit des yeux. Leur baignade dura dix bonnes minutes. Ils sortirent enfin et s’essuyèrent mutuellement. Ils s’habillèrent et, en courant, disparurent dans les bois.
« Une sacrée santé. »
Il retourna au fourgon et prépara un café.
Dépité. Ils étaient deux. Il aurait pu être avec Nolwenn. Cette communion idéale à Pen Hir. Cette passion du sport, d’un corps aiguisé. Cette osmose de pensées.
Il avait tout brisé.
Le dégoût.
Puis la colère.
Pas ici. Il devait passer à autre chose, retrouver le bonheur de la vie. Il pensa à l’oiseau dans les frondaisons. Chanter pour soi et honorer l’existence.
Décrocher le vélo, enfiler le cuissard, gonfler les pneus, déplier la carte, chercher l’itinéraire.
Il s’engagea sur le sentier qui disparaissait à l’extrémité du lac. Sac à dos, un pique-nique, une serviette de bain et un livre. L’herbe grasse des clairières, les couleurs éclatantes des résineux, la transparence de l’air, les jeux d’équilibre sur les chemins bosselés ou caillouteux, les croisements qu’il fallait repérer sur la carte, les souffles puissants qui jaillissaient de ses poumons, le rythme endiablé de ses jambes, les battements rapides de son cœur, la chaleur dans ses muscles, le florilège incessant de sensations diverses. Il se surprit à rire en dévalant un sentier raviné. Il roula sans s’occuper du temps écoulé. Le corps en alerte. L’esprit suspendu.
La faim le fit s’arrêter au bord d’un ruisseau agité. L’eau cascadait sur des dalles usées, s’étalait dans des marmites érodées, bouillonnait et repartait de plus belle. L’appel était si fort qu’il se déshabilla et descendit dans le courant. Le froid, comme un étau gigantesque saisit son corps et l’enferma dans une contraction totale. Le souffle coupé, il s’élança au milieu d’un remous tourbillonnant, au pied d’une chute verticale. Il nagea en soufflant violemment, cherchant à libérer ses muscles de l’étreinte glacée et se glissa sous l’avalanche liquide. Il fut surpris du poids de l’eau tombant sur ses épaules et ressortit du flot. Il rejoignit le bord et s’effondra sur sa serviette.
Des picotements merveilleux déboulèrent de toutes parts, excitant les fibres musculaires.
Il s’abandonna avec délice à cette vie superbe et concentra ses pensées sur chaque partie de son corps, passant des pieds aux épaules, de la nuque aux cuisses. Ce désir de développer le contrôle de ses sensations et de ses pensées, de plonger plus profondément dans le secret du calice. Il sortit le livre de Nietzsche et y chercha des balises.
Les caresses du soleil l’entraînèrent peu à peu dans une somnolence apaisante. Il posa le livre. Il finit par ne plus sentir les mouches et les autres insectes qui le chatouillaient. Un étrange éloignement de lui-même s’installa, une perte de sensations physiques, remplacée par une légèreté de son esprit, une évanescence progressive qui le conduisit sans effort, sans y penser à une béatitude féerique. Il crut discerner, volant autour de lui, des lucioles insaisissables. Il s’aperçut alors qu’il avait déjà fermé les yeux et que ces papillons virevoltants s’animaient en lui. Il s’en amusa et essaya de les suivre mais sitôt que ses regards s’en approchaient, ils disparaissaient pour rejaillir plus loin. Impossible de les distinguer clairement. Il abandonna et les lucioles s’évanouirent. Immédiatement, une clarté absolue, une blancheur transparente gonfla, jusqu’à occuper tout l’espace intérieur. Comme une galaxie en extension. Une soudaine excitation l’enflamma et immédiatement la lueur métallique s’éloigna, vite remplacée par une ombre pesante. L’impression d’avoir perdu le contact …
Une mouche le piqua sur la cuisse. Il bougea la jambe et ouvrit les yeux. Aussitôt, il entendit le chant joyeux des cascatelles, il distingua dans la jungle des brins d’herbe des chevauchées d’insectes minuscules, il surprit sur sa peau le frôlement délicat d’une brise légère. L’écrasement de son corps, la lourdeur de cette masse inerte et la dictature de ce foisonnement d’impressions engloutirent définitivement la lumière aperçue. Une déception bien connue lui monta à la bouche. Toujours cette approche mystérieuse, cet évanouissement physique et cette montée en puissance d’une vision intérieure. Douloureusement interrompue. Cette fois, pourtant, il en avait senti les effluves, comme un parfum de clarté. Il essaya de retrouver à quel moment le contact s’était rompu. Il pensa que l’excitation en était responsable. Trop de précipitation. Cette découverte l’enthousiasma. C’était le premier progrès réel. Puisqu’il ne savait pas déclencher ces éblouissements, il pouvait au moins essayer d’y naviguer et de ne pas sortir du courant.
Il reprit son vélo. Un ravissement inhabituel l’accompagna jusqu’à la fin du parcours. Ce n’était pas simplement la joie d’éprouver ses forces, ce bonheur là, il le reconnaissait depuis longtemps, mais plutôt une félicité intérieure, une exaltation intime et modérée. Une sensation durable, quelque chose qui ne risquait pas de brûler follement, de se consumer sans retenue. Il pensa même qu’il pourrait maintenir un jour cette nouvelle conscience. Mais il abandonna rapidement cette prétention. L’humilité était la source d’où jailliraient un jour la découverte et l’équilibre. Une certitude."
Commentaires
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- 1. Chris Le 06/08/2012
Que dire de plus? Juste bravo
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