La vie au soleil : "Enlivrez-vous".
- Par Thierry LEDRU
- Le 20/08/2020
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Comme je l'avais précisé il y a quelques temps, Franck dit Bart a lu deux de mes romans : "Jusqu'au bout" et "Kundalini".
Il m'a contacté avec l'envie d'écrire un article sur ces deux romans puis de faire une interview.
L'ensemble de ce travail est paru dans le dernier numéro de la revue "La vie au soleil" .
Franck m'a prévenu qu'au regard de la taille de l'article, tout ne serait pas publié. Je poste ici l'ensemble de cet article. Et je le remercie une nouvelle fois ainsi que la directrice de publication. Je sais combien c'est rare d'obtenir une telle "vitrine".
Thierry Ledru, c’est du lourd et du tangible au fil des pages de ses deux invitations aux voyages, à travers ses deux romans « Jusqu’au bout » et « Kundalini ». Où les personnages se dépassent se surpassent jusqu’à atteindre d’une certaine façon l’extase de la petite mort en embuscade et embrasser les cimes. L’indifférence ne peut être de mise. Ça passe ou ça casse, histoire de prendre de la hauteur avec humilité et maturité, les corps en émoi et l’esprit éveillé à d’autres cieux plus cléments.
« Vous n’aurez pas ma fleur
Celle qui me pousse à l’intérieur
Fleur cérébrale et fleur de cœur
Ma fleur
Vous êtes les plus forts
Mais tous vous êtes morts
Et je vous emmerde »
« Vous n’aurez pas ma fleur » de François Béranger (extraits)1
A présent, intéressons-nous à deux romans de Thierry Ledru, un écrivain accompli, suivi, soutenu et encouragé par une éditrice attentive et complice de son travail d’écriture hors norme, depuis déjà sept publications aux éditions du 38. Saluons au passage, le courage de son éditrice, qui de son propre aveu, a toujours considéré le roman « Kundalini » comme « un ovni littéraire ».
Il anime un blog : http://la-haut.e-monsite.com/ depuis 2009. Il aime prendre de la hauteur, retracer son ressenti autour de l’actualité présente et de ses romans. Ses sujets d’intérêts sont multiples et sans œillères comme son œuvre littéraire. Il n’écrit pas au départ pour plaire2.
En ce qui concerne les deux romans qui nous occupent, il s’agit de deux pavés d’environ 450 pages chacun format livre, qui prouvent que l’auteur aime filer doux l’éloge de la lenteur à travers ses héros. Ils ne sont jamais pressés de s’accomplir mais s’alanguissent au rayonnement lumineux de la nature qui les accompagne et les éclaire. Thierry se fiche des catégories littéraires et chérit les mélanges des genres sans être bridé dans aucun carcan. Il écrit comme il respire, car pour lui : « ça répond à un besoin vital. Une nourriture spirituelle. (…) L’essentiel c’est de ne pas se trahir ». (in son interview)
Le naturisme ne représente pas l’élément principal mais y a sa place malgré tout. Ne vous attendez pas à croiser Thierry Ledru gambiller au sein de vos villégiatures naturistes préférées. Il est foncièrement allergique à la foule et aux lieux organisés dédiés au nu collectif. Il leur préfère les étendues sauvages en solitude et altitude mais pas seulement. A tel point d’ailleurs qu’il éprouve quelques difficultés à définir le naturisme qu’il conçoit et pratique « Je ne sais pas quel terme conviendrait à mon expérience. Nudisme ou naturisme ou spiritualisme dénudé ». (in son interview)
Une fois posée la quadrature de son univers, on comprend mieux que sa littérature ne s’alimente pas au simple acte gratuit de se nudifier pour s’exposer et y éprouver un certain plaisir.
De l’aveu même de Thierry lors de nos échanges féconds, il avoue que « Dans (son roman) « Jusqu’au bout », le personnage principal trouve dans un rapport à la nudité l’apaisement provisoire de ses douleurs existentielles ». Adios nos amis les Bisounours naturistes précédents, dignes et bons enfants. Entrons dans les arcanes de la dure réalité qui nous bouscule dans nos retranchements. « C’est une histoire pleine de violence et de moments de paix. La violence parmi les hommes et la paix dans la nature ». Un éditeur dépité par sa prose en longueur s’est écrié : « sexe, drogue, meurtre et philosophie, où voulez-vous que je range ça ? ». J’en conviens, cet auteur est inclassable, c’est tout son charme.
Même si les héros se fatiguent vite au contact des autres personnages sans importance. Néanmoins, ils se grandissent aussi au sein de relations qui les confondent à leur propre néant et leur enveloppe corporelle aux avants postes des merveilles salutaires. Ainsi : « Une rencontre lumineuse avec deux jeunes hollandaises vers Arnouatchot. Mais la force de sa quête reprend le dessus et le pousse à aller jusqu’au bout ».
Quand en plus Thierry choisit un personnage qu’il connait en long, en large de travers, puisque récemment il a pris sa retraite de l’éducation nationale.
Pierre l’instit, son jeune héros hérite d’un premier poste en classe unique sur les Côtes d’Armor. On se situe dans les années 80. Pour celles et ceux qui connaissent la rudesse de nos campagnes et des préjugés que l’on crache à la gueule d’un « estranger » (avec l’accent et l’orthographe du sud !) qui vient s’installer au pays. La Bretagne n’est hélas pas exsangue parfois à ce phénomène de renoncement à s’ouvrir à l’autre. Même si comme le souligne avec justesse ce cher Gilles Servat pour contrebalancer sa « Blanche hermine » récupérée par les fachos. La Bretagne est la seule région qui a élu en son sein un maire noir3. De plus, c’est l’une des contrées qui a le plus résisté au nucléaire. A Plogoff, lieu mythique où le héros va découvrir les vaillants bretons en action.
Avec les enfants ça se passe très bien. Les parents, pour la pluspart mais heureusement pas tous, se contrefichent de lui et de son rôle d’instit. Bien vite Pierre déchante concernant la caste des instits, ses collègues qui se reluisent dans le moule. « Ils sont très doués pour suivre des programmes, es progressions, des emplois du temps, des livres du maître, car eux-mêmes n’ont rien à donner. Ce sont des enveloppes vides que l’éducation nationale s’empresse de remplir avec des dogmes, des règles et une morale. Et durant toute leur carrière, ils recevront du ministère des directives qu’ils mettront un point d’honneur à appliquer à la lettre. Ils seront bien notés par un inspecteur, petit soldat gradé, devant lequel ils trembleront jusqu’à la fin de leur soumission ». (p 48) Je me retrouve totalement dans cette description du corps enseignant du premier degré, sans, pour la grande majorité, afficher une personnalité affirmée et l’esprit critique par trop souvent barré en trompe l’œil. C’est tellement véridique ce corps mort enseignant parfois incapable de penser par lui-même et se remettre en question à force d’être materné. C’est d’autant plus rare de lire dans un roman qui éructe cette vérité criante vue de l’intérieur. Ce système carcéral qui musèle plus qu’il n’épanouit. En plus, cette gent chérit de se reproduire et se fréquenter en dehors des pupitres. Pierre sort avec une instit coincée à tous les sens du terme.
Il s’affronte à Miossec, père d’élève agressif qui a la faculté de réunir derrière lui les autres darons : ses moutons. Il pige niet à la pédagogie de Pierre qui me rappelle en bien des points celle de Célestin Freinet. Basée sur le développement des enfants et leur épanouissement personnel à leur propre rythme, sans chercher à atteindre aucune performance, mais au contraire entrer dans un processus de coopération collective et formatrice, en créant des interactions entre les enfants et la cité, la campagne, la vraie réalité à la porte ouverte de l’école de la liberté et de la citoyenneté.
De toutes ses tensions existentielles, Pierre tente de s’en extraire en lisant Saint-Exupéry. Mais sa violence contenue l’emporte bien vite de l’autre côté du miroir. En défenseur de la nature et en orateur de sa haine ordinaire envers la foule, il s’improvise tueur à gages bénévole et sauveteur éprouvé de la terre. Ce sentiment qui le grignote de l’intérieur l’incite à passer à l’action directe.
Pierre se cherche aussi sexuellement et tâte du masculin. Dans son fourgon aménagé, il sillonne la Bretagne durant ses vacances et tombe un temps entre les filets d’une activiste bretonne. Il se découvre aussi des passions physiques et certaines aptitudes pour l’effort où il ressent la plénitude et parvient enfin à relâcher sa garde. Presque en apnée, il lèche l’écume des vagues, crapahutant de falaises en falaises. Pierre se prend à niquer les dangers, au point de lui enlever l’envie de s’évader en fumettes. Ce corps à corps avec lui-même pour se surpasser et chasser ses chimères lui irradie sa conscience à découvert et ses dérives amères. Il entrevoit enfin l’extase et l’équilibre d’un « Love Suprem » à la John Coltrane auprès de deux jeunes hollandaises, qui cultivent la nudité et la liberté à fleur de peau mutine, sensuellement votre sur la côte Atlantique. Il est submergé par le Tao qui remet en question tous ses repères et préjugés au sujet de l’adéquation corps esprit.
« C’est donner du bonheur à l’autre avant de prendre pour soi, c’est souvent avec le Tao la femme a plusieurs orgasmes et l’homme apprend à garder son plaisir, à garder son orgasme pour le faire grandir. C’est pas nécessaire que le garçon donne son sperme pour avoir beaucoup de plaisir ». (p. 339)
Birgitt et Yolanda représentent désormais la panacée des corps en osmose et dépassent l’orgasme habituel, qui devient trivial du fait de sa mécanique physique des fluides quantiques occidentaux, trépassés avant même d’être nés.
Le roman aurait pu s’achever sur une note optimiste. Mais c’est méconnaitre l’esprit torturé de l’auteur qui aime replonger son lectorat dans la torpeur d’une apothéose de la nature humaine en jachère. Quand le héros enlève ses élèves pour les sauver de l’école traditionnelle ! Tel un avion sans aile, il saute du 7ème ciel sans parachute. Plus dure sera la chute !
Thierry Ledru : « Jusqu’au bout », Les Editions du 38, 2019, 454 pages, 22 euros
« Si tu mourais, tu m'appellerais
Je suis la vie pour toi, et la peine
Et la joie, et la Mort
Je meurs dans toi, et nos morts
Rassemblées feront une nouvelle vie
Unique, comme si deux étoiles se rencontraient
Comme si elles devaient le faire de toute éternité
Comme si elles se collaient pour jouir à jamais
Ce que tu fais, c'est bien, puisque tu m'aimes
Ce que je fais, c'est bien, puisque je t'aime
À ce jour, à cette heure, à toujours
Mon Amour, mon Amour »
« La lettre » de Léo Ferré (extraits)
En entamant le roman « Kundalini », quand on a déjà lu Thierry Ledru, on aborde des rives qui ne nous sont pas totalement inconnues. Puisque, c’est en quelque sorte une épopée marquante qui nous conte l’exploration de la décroissance, la simplicité volontaire, la nudité et la sexualité sacrée du Tantrisme, qui viendraient en écho de « Jusqu’au bout ».
Cette fois l’héroïne (Maud) est une femme mariée de cinquante-deux ans. Elle est professeure de yoga et vit une certaine harmonie entre son corps et son esprit. « Aucune violence dans cette histoire sinon parfois la violence psychologique entre deux êtres. Ici les deux personnages sont rarement habillés. C’est la montagne qui les protège de l’agressivité du monde ».
Le point de départ concerne la rupture entre Maud et son mari qui l‘a quittée pour un autre homme. Sans qu’elle n’ait décelé aucun signe de sa part annonçant son départ précipité. C’est pour elle une rupture destructrice inexpliquée qui la ronge de l’intérieur. Elle s’interroge sur son passé, sa vie commune avec cet homme durant vingt-cinq ans. Qu’elle a aimé d’une passion amoureuse dévorante mais qui se révèle être finalement un étranger. Elle ressasse cette blessure durant des mois et ne parvient pas en faire son deuil. Elle est entrée dans la spirale sans le savoir du « Nouveau désordre amoureux4 » de la fin des années 70 remis au goût du jour actuel. « On ne passe pas du statut de femme abandonnée et en détresse à une femme épanouie, explorant sa pleine conscience de soi ». (in son interview)
Pour se ressourcer, elle décide de passer quelques vacances en montagne dans les Alpes et séjourner dans un petit lieu naturiste chaleureux.
Elle ne s’est jamais trop intéressée aux pratiques spirituelles associées au yoga, comme par défi, elle décide de rattraper le temps perdu sans se plomber la présence d’un Swan à la Marcel Prout !
« Nue. Fermer les yeux. Ne plus penser. Entrer dans le silence. Respiration, visualisation. Méditation ». (page 27) Elle part vite, elle déménage de la pensée vitesse grand V, se chausse les quinquets d’une double vue et perçoit alors un homme jeune. « Elle a vu son visage. Un homme aux muscles saillants, la peau tannée, de longs cheveux noirs tombant sur ses épaules. Le corps sec et vigoureux, des fibres tendues comme des cordes d’arc, des stries sur son torse, des cuisses massives, des bras noueux. Un regard d’argile, jaune deux fentes étroites ». (page 28).
Non, ce n’était pas « Mon légionnaire » de la chanson reprise avec brio par Gainsbourg, mais Sat, un jeune homme d’origine indienne ! La vision de cet homme-là trouble et l’expose à la transe. Du rêve à la réalité, il n’y a qu’une montagne qui sépare. Grimper toujours plus haut à mains nues. Se grimer l’esprit dans l’espoir de se sortir de sa torpeur. Toucher boire à la source comme ressource et renaissance des sens par l’estime de soi. Cet homme jeune et vigoureux va lui permettre d’opérer sa métamorphose durant son initiation, selon un rituel inscrit dans les préceptes et symboles orientaux. Il va devenir, son guide consenti du vertige, son dépassement de ses potentialités sensuelles, son appui solide sur qui se reposer avant de prendre son propre envol hors de son existence sclérosée après les ablutions salutaires.
Petit à petit, Sat lui dévoile le protocole de travail visuel, les respirations accompagnées de mantras, la détente de tous les muscles de son corps, la régénération de tout son être, le grand nettoyage de son énergie cosmique, la visitation de tous les pores de sa couenne, de l’intime à l’ultime jusqu’à l’estime de soi.
Elle comprend alors que le naturisme intégral auquel elle s’adonnait, il n’y a encore pas très longtemps, demeurait un acte factice artificiel sans portée personnelle.
« Elle n’aurait jamais pensé que le naturisme puisse être finalement aussi dérisoire au regard de la nudité intérieure. Il était si facile de retirer des vêtements. Mais comprendre ce qui se tenait caché à l’intérieur de l’enveloppe, parvenir à retirer toute les épaisseurs de pensée fossilisées, d’émotions enkystées, les portes des passés gangrénés, c’était autre chose qu’un simple déshabillage. Combien d’humains parvenaient à une réelle nudité, à une connaissance intégrale, l’effeuillage achevé des couvertures artificielles, des épaisseurs accumulées comme autant de protections illusoires. L’objectif ultime d’une vie n’était-il pas de mourir aussi nu qu’au premier jour ? Vierge de tout. S’envoler dans une nudité achevée. Libre comme l’air. L’âme légère ». (p. 238)
A méditer !
Au fur et à mesure de sa progression, Maud se surpasse avec le dévoilement qui s’accomplit de sa sexualité rayonnante, comme geste énergétique pour entrer dans l’amour de soi en soi. Elle s’ouvre aux mystères du tantrisme qui lui tisse l’esprit et le corps à dépasser les registres de la Raison pure et de sa propre personnalité féminine. Au fur et à mesure de sa métamorphose, quand Sat la sent fin prête, il décide de lui dévoiler les secrets du Kundalini.
« La Shakti5 représente l’énergie féminine créatrice, la Mère divine, source de toute vie. Shiva est le principe masculin. Dans le tantrisme, la Shakti est identifiée à la Kundalini. Shiva représente la pure lumière de la conscience et Shakti l’énergie de cette conscience lorsqu’elle s’éveille à sa propre réalité. Shiva assume la dimension statique de la conscience et Shakti porte en elle la dimension dynamique de la création ». (page 371)
Je vous rassure, tous ces concepts, pas toujours aisés à appréhender en tant qu’occidentaux matérialistes que nous sommes, soutiennent l’édifice et prennent sens tout au long des pages du roman. Des discussions, des études de textes, des analyses et des pratiques tantriques entre les deux amoureux illustrent et lustrent le miroir de leurs connaissances en effervescence.
Même un zigue comme moi, pas trop au fait de la littérature spiritualiste, je ne m’y suis pas perdu en chemin. De cette sexualité vers le couple divin, de l’illumination à l’ultime révélation, tout un corpus en chemin accompagne nos deux personnages sous notre regard ébahi entre les pages, par tant de découvertes insoupçonnées.
Eveilleur de la conscience des sens, ce roman inqualifiable qui touche à tous les domaines de l’essai philosophique et spirituel, intemporel nous ouvre les voies de la sagesse et des émotions à l’état pur.
Sans oublier également la dimension de la simplicité volontaire très présente et évoquée par le mode de vie même de Sat, qui s’est détaché en conscience des biens de consommation courant, pour épurer son existence et revenir à l’essentiel vital. Rien de plus. Tout est lié en fait ! De l’aveu même de Thierry Ledru et qui coule de source pour lui : « Pourquoi aller chercher à des milliers de kilomètres le bonheur que l’on peut trouver ici (dans ses montagnes) ? ». (in son interview)
Encore un roman de Thierry Ledru à fleur de peau sensitive qui nous captive et nous ouvre de nouveaux horizons à creuser et à s’élever à notre tour, pour parer à notre traintrain quotidien si banal et bancal.
Cette faculté de s’éprouver corps et âme dans l’extrême est une constance qui relie les deux romans dans la quête harmonieuse des héros féminins / masculins à recouvrer l’essence de la nature, sa seconde nature.
A croire que cet auteur est un athlète qui touche avec passion à différentes disciplines sportives de l’extrême. C’est un esthète qui rejette la compétition entre les êtres. Comme ses personnages, il recherche une forme d’harmonie dans sa quête « Pour atteindre l’inaccessible étoile » à la manière d’un Jacques Brel6. Tous ses héros entretiennent à leurs risques et périls une « confrontation avec la mort perpétuellement, (ce qui) est une école de vie. La mise en danger volontaire réclame une implication totale ». (in interview de l’auteur)
Si les héros qui ont la faculté de s’analyser pour évoluer au fil des chapitres, vous semblent relever de l’épitre ou du pitre, les romans de Thierry Ledru ne sont pas pour vous. Si on contraire vous vous intéressez à des personnages hors les normes qui ne pensent ni n’agissent comme vous dans des contextes qui vous sont assez étrangers. Alors foncez. Ecoutez votre cœur et votre curiosité de bon aloi. Si vous voulez comprendre le mode de fonctionnement de ses héros, les imaginer dans tous leurs corps à corps multidimensionnels, vous insinuer dans les recoins sinueux de leur inconscient en dent de scie. Toujours prêts à basculer dans le vide pour émerger à nouveau dans un état de pré-conscience. Larguez les amarres. Mettez les voiles, grand largue ! Lisez les romans de Thierry Ledru et évadez-vous en sa compagnie. Gagnez en hauteur vis-à-vis de votre existence de vos connaissances passées. Lâchez prise.
C’est aussi la force de la littérature : nous secouer les tripes dans nos certitudes et nous apprendre à nous surpasser au-delà de nos carcans institués et distribués à grands coups de massue depuis l’école. J’avoue que c’est loin d’être facile comme démarche. C’est surtout inconfortable mais tellement respectable et enrichissant.
Thierry Ledru nous accompagne et nous permet d’y parvenir avec brio dans un style accessible, entre les paroles de ses héros des deux sexes, sans retrancher une virgule ni sauter une page. Gage s’il en est de la qualité littéraire de cet auteur hors pair. Son éditrice ne s’y est pas trompée !
Thierry Ledru : « Kundalini », Les éditions du 38, 2018, 435 pages, 22 euros
1Cet extrait d’une chanson et pas n’importe laquelle de François Béranger n’est pas du tout le fruit du hasard. Thierry Ledru, comme il nous l’indique dans son interview, a noirci des cahiers durant des semaines en soutien à son frère. Comme pour échapper à une psychothérapie dont il aurait eu grand besoin. François Béranger exprime les mêmes sentiments à ses débuts et effectue une comparaison judicieuse avec l’acte de créer en tant qu’écrivain. « La chanson a été aussi pour moi, au début, une sorte de psychothérapie, un moyen d’exprimer des idées et de projeter des passions générales ou personnelles à l’extérieur de moi. La démarche doit être identique pour les écrivains : ils ont des éléments qui les gênent et ils les éjectent à l’extérieur ». (in autoportrait : Béranger par lui-même, ed Seghers, François Béranger par Pierre Guinchat, collection poésies et chansons, 1976, p. 44)
2Clin d’œil encore à François Béranger et à la liberté de l’artiste d’interpréter les chansons qui lui plaisent à lui d’abord avant son public.
« J’ai des chansons qui marchent bien dans le public, et je les connais, d’autres qui ne marchent pas du tout et que je chante quand même car elles me plaisent à moi et peu m’importe que les gens applaudissent ou pas, car ces chansons-là sont « moi » aussi. Il y n’y a aucune raison de vouloir plaire à tout pris aux gens : je suis tel que je suis et je ne vois pas pourquoi je sélectionnerai en fonction de tel ou tel public ». (in autoportrait : Béranger par lui-même, ed Seghers, François Béranger par Pierre Guinchat, collection poésies et chansons, 1976, p 50 / 51)
3« Touche pas à la blanche Hermine » de Gilles Servat : « Quant à la Bretagne profonde, elle a voté pour un maire noir à saint Coulitz », il s’agit de Kofi Yamgnane lors de sa mandature qui dura 25 ans.
4« Car vivre à deux est un drame dont les données sont inconnues : autrefois symbole de permanence dans un monde tourmenté, le foyer s’est découvert tout récemment la vocation de l’incertitude » (page 114) in « Le nouveau désordre amoureux » de Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut (1977)
5Shakti Yoni (Doux Vagin) était le surnom donné à la musicienne auteure compositrice à la voix éthérée et aux synthés envolés du groupe Gong, en la personne de Gilli Smyth, qui fut la compagne de Daevid Allen, tous deux créateurs et concepteur de cet univers déjanté aux confins du rock-jazz planant.
6« La quête » de Jacques Brel : « Se damner / Pour l'or d'un mot d'amour /Je ne sais si je serai ce héros /
Mais mon cœur serait tranquille / Et les villes s'éclabousseraient de bleu / Parce qu'un malheureux /
Brûle encore, bien qu'ayant tout brûlé / Brûle encore, même trop, même mal / Pour atteindre à s'en écarteler /Pour atteindre l'inaccessible étoile ».
7
« Je veux qu'on boive un coup et qu'on fasse des fredaines
Et puis que nos enfants se moquent de nos bedaines
Puis je veux que nos femmes nous fassent encore le coup
De l'amour-amitié, du baiser dans le cou
Avant que les huissiers survolent comme des vautours
Notre maison, fermons nos portes à double tour
J'aimerais cette nuit pour attendre le jour
Qu'on ferme encore les yeux... et qu'on fasse l'amour »
« Dans ma maison d’amour » de Pierre Vassiliu (extraits)
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