Lorsque, en juillet 2013, l’avion du président bolivien Evo Morales fut séquestré par les autorités européennes au prétexte de s’assurer qu’il n’emportait pas Edward Snowden comme passager clandestin, cette transgression des règles diplomatiques les plus élémentaires scandalisa les peuples d’Amérique latine. Ils y virent une marque de mépris et d’arrogance néocoloniale. En France, on évoqua à peine cette affaire. A quelques exceptions près (lire « “Moi, président de la Bolivie, séquestré en Europe” »).
Quatre mois plus tard, en novembre 2013, un autre président latino américain de gauche, Rafael Correa, se rendit en visite officielle à Paris. Cette fois-ci, il ne subit aucune avanie. Il prononça même une conférence à la Sorbonne. Il y expliqua comment son pays avait allégé le poids de sa dette extérieure, ignoré les recommandations du Fonds monétaire international et tourné le dos aux politiques d’austérité qui, au moment précis où il s’exprimait, précipitaient l’Europe dans le marasme économique. On aurait pu, là encore, imaginer que l’événement bénéficierait d’un accompagnement médiatique important, d’autant que le président équatorien, économiste de formation, parle parfaitement français. Mais les invitations à s’exprimer dans les médias furent rares, et le silence de la presse quasiment assourdissant. A quelques exceptions près (lire « “L’Europe endettée reproduit nos erreurs” »).
Comment expliquer que certains pays étrangers servent si volontiers de modèles à la presse française (Allemagne, Royaume-Uni, Irlande) alors que d’autres sont systématiquement ignorés (pays progressistes d’Amérique latine) ? Comment justifier que, dans les revues de presse diffusées par les grandes radios nationales, ce soit toujours les mêmes journaux qui se trouvent mis à l’honneur ? Et les mêmes écartés ? Dans son documentaire, Opération Correa, Pierre Carles (1) pose ces questions, faussement naïves, aux journalistes qui déterminent la hiérarchie de l’information. Parfois désopilantes, leurs réponses sont toujours éclairantes, comme ce cri du cœur d’Ivan Levaï justifiant l’absence de références exigeantes dans sa revue de presse par la paresse supposée des auditeurs : « On ne fait pas boire l’âne qui n’a pas soif »…
Au-delà des logiques médiatiques hexagonales, le réalisateur s’interroge sur la situation en Equateur. Rafael Correa propose-t-il vraiment des solutions originales à la crise économique, sociale et environnementale ? Qu’en est-il alors de l’accord de libre-échange que son pays a été contraint de négocier avec l’Union européenne ? Et de son opposition à l’avortement ? Pierre Carles et son équipe aimeraient enquêter sur l’existence ou non d’un « miracle équatorien » et mieux comprendre à quoi il ressemble. Car si tout n’est pas parfait à Quito, raison de plus pour aller y voir. Entendre autre chose que des discours formatés à la gloire de l’austérité. Et manifester ainsi ce qui théoriquement devrait caractériser la profession de journaliste : la curiosité intellectuelle et politique.
Operation Correa met à nu certaines des priorités des grands médias, la « circulation circulaire de l’information ». Et suggère à quoi la presse pourrait servir si elle manifestait davantage de liberté. D’imagination aussi.