Les bonnets rouges

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A Quimper, les "bonnets rouges" s'unissent pour "faire vivre le pays"

Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par

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Entre 15 000 et 30 000 personnes se sont réunies samedi 2 novembre à Quimper, place de la Résistance, pour conserver l'emploi en Bretagne.

(Quimper, envoyée spéciale)

La place de la Résistance, à Quimper, n'avait jamais été aussi fleurie que ce samedi 2 novembre. Amenés par trois camions de producteurs locaux, des milliers de chrysanthèmes ont été installés en début d'après-midi par les manifestants tout autour de la place, grâce à une chaîne humaine improvisée. En ce lendemain de fête de la Toussaint, les "bonnets rouges", rassemblés à l'appel du collectif "Vivre, décider, travailler, en Bretagne", voulaient rendre hommage à leurs morts : "L'emploi et l'économie bretonne, et tous les sacrifiés de chez Gad, Marine Harvest, Doux, Tilly-Sabco, et la liste est longue", expliquait ainsi Bruno, 34 ans, éleveur de volailles dans le Finistère.

Car le mot d'ordre samedi était bien celui-là, malgré les polémiques et les divisions : conserver l'emploi en Bretagne. Sous ce slogan, 15 000 personnes se sont rassemblées (30 000 selon les manifestants), d'horizons aussi divers que le Medef, le NPA, la FNSEA, FO, ou encore le Parti breton. "Limiter le mouvement à un coup de colère contre l'écotaxe serait une erreur, martelait samedi Christian Troadec, maire (DVG) de la ville de Carhaix. C'est bien une inquiétude plus globale qui s'exprime aujourd'hui sur l'avenir de la Bretagne."

"LA DÉTRESSE QUI GRANDIT"

Sous ce bonnet rouge érigé en symbole – vendu à prix coûtant par l'entreprise Armor Lux, habituée des bons coups marketing – beaucoup de manifestants venaient "en solidarité", à l'image d'Elisabeth, 49 ans, salariée à l'hôpital de Rosporden (Finistère). "L'épuisement", "la détresse qui grandit", les "voisins et amis qui tombent dans la misère", voilà les raisons qui l'ont poussée à venir manifester seule. Toute sa vie, Elisabeth a voté socialiste. "C'était l'évidence, ici", dans ce fief où les extrêmes n'ont jamais réussi à faire de bons scores. Mais "2012, c'était la dernière fois", prévient-elle. Vers qui se tourner ? Elle ne sait pas encore, et s'en dit "attristée".

Comme Elisabeth, beaucoup de manifestants expriment leur rejet complet de la politique du gouvernement. Alors que la foule scandait "Re'zo re" ("Trop c'est trop" en breton) et "Hollande démission", les intervenants à la tribune s'emportaient tour à tour contre "l'abandon de l'industrie agroalimentaire bretonne" et "un recul en trompe l'œil sur l'écotaxe".

Pour Nadine Hourmant, déléguée FO chez le volailler Doux, touché par un plan social, l'écotaxe "est seulement un nouveau poids sur notre pouvoir d'achat, c'est inimaginable d'accepter ça au moment où on nous supprime nos emplois". Un peu plus loin dans la foule, Christophe, chauffeur-routier de 28 ans, renchérit : "L'écotaxe était sur le principe une idée pas mauvaise, mais elle a été tellement vidée de sa substance qu'elle n'a plus rien d'écologique, ce sera juste ça de moins dans nos frigos ou à la pompe".

"UN SIGNAL FORT À PARIS"

L'idée de ce rassemblement est donc "d'envoyer un signal fort à Paris, faire comprendre qu'on ne veut plus que les choix soient dictés par des hauts-fonctionnaires de Bercy qui n'ont jamais mis un pied en Bretagne", explique au micro Christian Troadec, qui appelle la foule à "se relever les manches pour trouver des solutions qui viennent d'ici".

La grande majorité, mine inquiète et calme exemplaire, s'ennuyait devant les innombrables discours tenus en début de rassemblement qui ont bien failli empêcher complètement le cortège de défiler.

Dans son t-shirt orange fluo, Pascal, 40 ans, passe difficilement inaperçu. "Etre vu, être entendu", c'est pour cela que cet employé de Marine Harvest à Poullaouen est venu défiler à Quimper. Son entreprise, fleuron de l'agroalimentaire du Centre-Bretagne spécialisé dans le saumon, a annoncé la fermeture de deux de ses sites, laissant sur le carreau près de 400 salariés, alors même que la société a déclaré, entre avril et juin, un bénéfice opérationnel de 111 millions d'euros. "Le problème, c'est le dumping social en Europe, comment voulez-vous qu'on lutte contre des employés payés 3 euros de l'heure sans protection sociale ?", s'exclame-t-il, la voix étranglée par la colère. S'il a conscience aujourd'hui qu'il défile aux côtés de patrons, il répète n'être "pas dupe". "On sait qu'ils ferment pour en tirer un peu plus d'argent, mais il y a bien un moment où c'est à l'Etat d'exiger des contreparties, au lieu de leur filer des subventions sans rien obtenir en retour".

Face à cette hétérogénéité des organisateurs, la CGT et le Front de Gauche avaient pour leur part préféré appeler à une contre-manifestation à la même heure à Carhaix, qui a rassemblé près de 3 000 personnes. Dans un communiqué, les organisateurs ont expliqué vouloir éviter la "manifestation fourre-tout" de Quimper, qui voudrait "faire croire que les patrons et les travailleurs ont les mêmes intérêts".

A lire : Malgré la suspension de l'écotaxe, la mobilisation se poursuit en Bretagne

"FAIRE VIVRE LE PAYS"

A écouter ces manifestants, pourtant, un intérêt semblait bien l'emporter : celui de "faire vivre le pays". Marine, Emy et Coralie, trois jeunes femmes de 19 ans, se sont joints à la manifestation – leur première – pour "défendre leur avenir". Ces trois natives de Bannalec, étudiantes dans le notariat, le service à la personne et salariée dans la restauration, ne conçoivent pas de "ne pas rester vivre en Bretagne". Ce sentiment d'appartenance, tant "culturelle qu'humaine", il "est difficile à expliquer à quelqu'un qui n'est pas breton", s'amusent les jeunes filles. "De l'extérieur, on comprend que ça puisse étonner, qu'on se dise 'les pauvres filles, elles ne veulent pas connaître autre chose', mais ce n'est pas ça, c'est juste qu'il y a quelque chose en plus qui nous donne envie de rester", expliquent-elles, en se drapant dans leur Gwen ha du – le drapeau breton.

Bien sûr, tous ne venaient pas seulement pour ça. Par endroits, les panneaux brandis par les manifestants reprenaient les slogans du Front national, voire même de "La Manif pour tous", et cherchaient à faire de l'événement "un tournant dans la politique française". "Il faut que le reste de la France suive l'exemple breton, et exprime son ras-le-bol, et mette à la porte tous ses politiciens corrompus", s'emportait ainsi Yvonne, 64 ans, retraitée après avoir travaillé comme secrétaire pendant vingt ans.

Mais la grande majorité, mine inquiète et calme exemplaire, s'ennuyait devant les innombrables discours tenus en début de rassemblement qui ont bien failli empêcher complètement le cortège de défiler. Le seul tribun ovationné fut d'ailleurs Jean Hourmant, 87 ans, président du comité d'action pour la mise à deux fois deux voies de la RN 164 et maire honoraire de Plonévez-du-Faou. Figure locale haute en couleur, il s'est félicité de voir autant de "jeunes" dans la foule, appelant à suivre sa voie en "étant bagarreur".

INCIDENTS ET BLESSÉS

Au même moment, au fond de la place, des jeunes, las des discours et échauffés par la présence à quelques mètres des CRS, jetaient des bouteilles de verre et des pots de chrysanthèmes sur les forces de l'ordre, et tentaient d'escalader les grilles de la préfecture avoisinante. En face, la police a répliqué avec les canons à eau et les gaz lacrymogènes.

Selon la préfecture, cinq personnes ont été légèrement blessés, dont un CRS touché à un genou. Au moins deux personnes ont été interpellées, selon "Ouest France".

Après le départ du cortège puis la dispersion de la manifestation vers 17 h 30, quelques centaines de manifestants sont restés sur la place, dans un face-à-face tendu avec les CRS. Quelques-uns avaient prévu les masques à gaz et avouaient être"pour que ça pète", malgré les appels au calme répétés des organisateurs de la manifestation et de la famille de Mickaël Cueff, cet agriculteur qui avait dû être amputé de la main après la manifestation du 26 octobre à Pont-de-Buis.

Vers 19 h 30, les manifestants ont finalement été dispersés, sous une pluie de gaz lacrymogènes. Selon la préfecture, cinq personnes ont été légèrement blessés, dont un CRS touché à un genou. Au moins deux personnes ont été interpellées, selon Ouest France.

Charlotte Chabas
Journaliste au Monde

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