Lettres aux écoles 2
- Par Thierry LEDRU
- Le 01/04/2012
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"Le savoir ne conduit pas à l'intelligence. Nous accumulons beaucoup de savoir sur bien des choses, mais il semble presque impossible d'agir intelligemment selon ce que nous avons appris. Les écoles, les collèges, les universités cultivent les connaissances sur l'univers, la science, l'économie, la techonologie, la psychologie mais ces établissements aident rarement un être humain à exceller dans la vie de tous les jours. Les savants soutiennent que les êtres humains ne peuvent évoluer que grâce à de vastes accumulations d'informations et de connaissances. L'homme a pourtant vécu des milliers et des milliers de guerres. Il a amassé beaucoup de connaissances sur les diverses façons de tuer et ce sont précisément ces connaissances qui l'empêchent de mettre fin à toutes ces guerres. Nous acceptons les guerres comme une façon de vivre et toutes les brutalités, la violence et le meurtre comme faisant partie du cours normal de notre vie. Nous savons que nous ne devons pas tuer notre prochain mais le fait de le savoir reste totalement étranger à l'acte de tuer. Le savoir n'empêche pas de tuer les animaux et de détruire la terre. Le savoir ne peut pas fonctionner au moyen de l'intelligence mais l'intelligence peut fonctionner en utilisant le savoir. Le savoir ne peut résoudre nos problèmes humains. C'est l'intelligence qui le peut. "
Un regard sur l'Histoire montre à quel point tout cela est exact. Les progrès de la médecine sont des progrès mécaniques, les progrès de la qualité de vie sont des progrès mécaniques. Même s'ils représentent une avancée qu'il n'est pas question de renier, ils sont vides d'une substance pourtant indispensable. C'est cette intelligence. Ce regard existentiel sur le réel. Et non seulement sur la réalité.
L'école s'attache à transmettre les connaissances qui entretiennent la réalité mais à travers le voile des conditionnements. Il ne s'agit pas de tendre vers un individu lucide, capable d'une observation de tous les phénomènes inhérents à cette réalité mais uniquement de conduire l'individu à un statut de citoyen consommateur.
La crise actuelle fait d'ailleurs voler en éclat bien des illusions. A travers les générations, le rôle de l'école a été de porter les enfants à un statut social plus favorable que celui des parents. Les études sont destinées à fournir un diplôme et une qualité de vie supérieure à cette vie des ancêtres. L'objectif a pu être atteint depuis plusieurs générations parce que la croissance économique répondait aux ambitions. Des ambitions honorables. Mes parents ont eu une vie professionnelle bien plus difficile que la mienne. Je ne parle pas de celle de mes grands-parents. Je ne renie pas les structures qui m'ont permis de devenir instituteur.
Mais on voit bien aujourd'hui le désoeuvrement des adultes qui voient s'effondrer leurs désirs de participer à cette vie sociale proportionnellement à leur engagement dans les études. Le cas de la jeunesse espagnole est dramatique. Ces gens qui se considèrent comme "inexistants", vides de tout, abandonnés. Loin de moi l'idée de les critiquer. Ils ne sont que des victimes d'un fonctionnement archaïque. Tout ce savoir qui se révèle inapplicable se transforme en gouffre, un néant qui les absorbe parce que toute leur existence s'est construite sur ce concept. Le savoir devait les projeter vers le haut mais c'était en fait une échelle mouvante et elle vacille, elle tremble, elle projette en bas les moins solides. Le système sauve toujours en priorité les individus les plus rentables. D'autres chercheront dans des voies parallèles et non "légales" à sauver leur mise. Et puis certains en s'écroulant emporteront avec eux des victimes choisies au hasard des rencontres. Les quatre adolescents qui ont abattu leur "camarade" et brûlé son corps. Désoeuvrement, le vide des existences, aucune valeur humaine, juste une errance nourrie par le désoeuvrement des adultes, par les images multiples d'un monde sordide. Ces drames ont toujours existé. Ils ne sont pas modernes. Ce qui l'est par contre, c'est leur mise à jour à une échelle gigantesque. Le même fonctionnement pervers que celui de "l'art" qui utilise la violence, la folie, toutes les dérives les plus épouvantables. La télévision n'est pas responsable, l'art n'est pas un multiplicateur. Tout ça n'est qu'un reflet. Le miroir n'est pas la réalité. Que des individus choisissent d'agrandir la dimension du miroir ne change pas cette réalité. Elle peut avoir un effet facilitateur sur des individus qui sont sur le fil du rasoir. C'est certain. Mais il est inutile d'analyser l'image reflétée. Cette futilité qui consiste à condamner les projecteurs d'images, c'est consternant.
Si l'éducation n'est pas au service de l'intelligence, si elle ne favorise pas le développement intérieur, si elle ne stimule pas les explorations émotionnelles, les observations lucides, si elle se soumet uniquement à l'accumulation des savoirs avec une unique intention sociale, alors elle fabrique les scissions, les ruptures, les désillusions, les échecs, les images brisées d'une réalité inaccessible.
Cette impression de voir pousser des plantes alors qu'elles ne sont plus ancrées dans la terre. C'est une élévation illusoire, une suspension au-dessus d'un vide existentiel. Certains parviendront, par tous les moyens, à se maintenir dans des altitudes favorables à l'assouvissement de leurs désirs. Beaucoup retomberont au sol.
Est-ce que l'école doit participer à cette réalité, est-ce que l'école a pour mission d'englober les individus dans l'illusoire ascension sociale ?
Il n'est pas question de brûler le système. Il s'agit de l'amener à s'observer. Mais le système en lui-même n'existe pas...Chaque individu construit le système. Il devient nécessaire de mettre un voile sur le miroir. De se détacher du reflet et d'apprendre à ne plus apprendre les reflets. C'est à la source intérieure qu'il faut remonter.
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