Avalanche aux Deux Alpes : l'enseignant a été mis en examen
Le professeur qui a accompagné les élèves sur la piste de ski fermée où s'est produit le drame sortait d'hôpital psychiatrique.
L'enquête sur l'avalanche ayant coûté mercredi la vie à deux lycéens de 16 ans aux Deux Alpes (Isère) s'intéresse à leur professeur, Michel A. Ce dernier a été mis en examen samedi pour homicides involontaires et placé sous contrôle judiciaire. «Il reconnaît sa responsabilité, il n'est pas dans le déni. Il ne s'est pas rendu compte du danger car beaucoup de monde avait emprunté cette piste depuis deux jours», a déclaré à l'AFP Me Bénédicte Tarayre.
Le professeur était toujours hospitalisé au CHU de Grenoble samedi. Le procureur, le juge d'instruction et une greffière se sont rendus à son chevet pour lui signifier sa mise en examen. «Il est choqué, il est dépité», a souligné son avocate, précisant que «son état physique et psychologique» ne lui permettait pas d'exercer sa profession à court terme.
Professeur d'éducation physique et sportive (EPS) depuis vingt-trois ans, cet homme de 47 ans était sorti en novembre d'un séjour en hôpital psychiatrique. Il prenait un traitement composé d'antidépresseurs et de stabilisateurs d'humeur, des médicaments qui servent à soigner un épisode dépressif survenant dans le cadre de troubles bipolaires.
Entendu par les gendarmes au CHU de Grenoble, où il avait été transporté mercredi, blessé, il a demandé à retourner à l'hôpital psychiatrique. Outre sa mise en examen, il devrait être suspendu de son poste à titre conservatoire et faire l'objet d'une enquête administrative interne. Il risque une exclusion temporaire voire une révocation de l'Éducation nationale.
L'avalanche s'est déclenchée mercredi faisant trois morts, dont deux lycéens et un touriste «probablement» ukrainien. Deux autres adolescents ont été grièvement blessés. L'enseignant qui avait un excellent niveau de ski n'avait pas regardé la météo le matin des faits, alors que cette dernière annonçait un risque d'avalanche. Au moment de s'engager sur la piste noire, fermée par un filet, il a indiqué aux enquêteurs «qu'il pouvait y aller et a dit en garde à vue qu'il n'avait pas vu le danger». Il aurait été rassuré par le fait que des dizaines de skieurs bravaient l'interdiction depuis plusieurs jours. Il avait d'ailleurs parcouru sans dommage, mardi, cette piste pourtant fermée depuis le début de la saison. Certains élèves qu'il accompagnait avaient alors refusé de s'engager. Les dix-neuf élèves, tous inscrits en option intensive de sport au lycée Saint-Exupéry de Lyon étaient répartis selon leur niveau en ski et les dix adolescents qu'il encadrait faisaient partie des meilleurs. Mercredi matin, ils avaient à nouveau émis le souhait de descendre cette piste interdite mais un autre enseignant s'y était opposé. Responsable du Snep-FSU, le syndicat local de professeurs d'EPS, Jean-Paul Tournaire affirme que Michel A. «se serait laissé entraîner, à tort évidemment, par des élèves souhaitant skier sur cette piste».
Des professeurs du lycée font part d'un homme «avec quelques problèmes psychologiques», «assez renfermé», «avec une vie personnelle compliquée». Certains savaient que ce père de trois enfants sortait de «congé pour dépression» mais n'avaient pas connaissance de son séjour en hôpital psychiatrique. Et ils n'évoquent pas de problèmes comportementaux avec les élèves. La représentante des parents de l'établissement n'a pas non plus connaissance «de problèmes». Les responsabilités éventuelles de la hiérarchie du professeur vont être passées au crible. La direction de l'établissement lui avait confié la responsabilité, avec deux autres enseignants, d'encadrer les lycéens. Selon l'entourage de Najat Vallaud-Belkacem, la proviseure, «très réputée» n'aurait pas eu connaissance de l'état psychologique fragile de ce professeur. Elle a été entendue vendredi, assistée d'un avocat.
Si des élèves ont fait part d'un manque «important et récurrent» d'autorité de sa part, d'autres dressent un portrait élogieux, passionné. Il est aussi question de quelqu'un de «cool et rebelle», «un peu exalté». Ils sont d'autant plus étonnés par son manque de prudence que le professeur avait subi il y a quelques années un accident important de ski, avec plusieurs opérations lourdes et des séquelles. Mais ils le défendent: «C'est difficile lors d'une sortie ski de gérer un groupe car on s'éparpille très vite. Les décisions peuvent se prendre en quelques secondes».
«Cela peut faire penser à l'histoire de la Germanwings», observe Philippe Tournier, secrétaire général du Snpden, syndicat de proviseurs, faisant le parallèle avec les failles dans le contrôle psychologique du pilote qui avait entraîné dans sa mort, en mars, les passagers du vol Barcelone-Düsseldorf. Il rappelle qu'un chef d'établissement n'est pas censé connaître les motifs de congé maladie d'un professeur. Il accuse surtout l'absence de médecine du travail au sein de l'Éducation nationale:
«En 40 ans de carrière, l'état psychologique ou de santé d'un professeur n'est jamais contrôlé…».