Mémoire...cellulaire...(10)
- Par Thierry LEDRU
- Le 12/03/2015
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Ce texte a pour objectif de donner un aperçu de la sophrologie analysante mais il est inévitablement très incomplet au regard des interventions d'un professionnel. Ce n'est donc qu'une vue très succincte de tout ce qui peut être fait dans le cadre de cette thérapie.
Yoann ne revit plus Paul après cette séance. Il disparut pratiquement de sa vie. Ils discutèrent trois fois au téléphone. Le divorce avait eu lieu, la maison était achevée, un garçon était né.
Paul avait été un des premiers employés à subir le redéploiement de l’entreprise et les restructurations. Il avait été muté. Trois heures de route les séparaient désormais. Il était heureux malgré tout car cette mutation l’avait rapproché du domicile de sa mère. Son père était décédé quatre ans auparavant. Paul disait qu’il allait pouvoir consacrer davantage de temps à sa « maman »…Celle-ci lui avait dit que de toute façon, elle n’avait jamais trouvé qu’Emma était une femme pour lui.
Emma… Elle avait trouvé en Paul la possibilité de jouer à la mère, de tenir un rôle maternel. Personne n’était coupable, personne n’était victime. Il n’y avait qu’un imbroglio de personnalités incomplètes, des individus intoxiqués par des fonctionnements archaïques, hérités parfois de générations précédentes…
L’enfant remplaçait désormais cet homme-enfant. Un électrochoc pour elle aussi. Elle ne pouvait plus imaginer son mari symboliquement accroché à ses seins.
Finalement, Paul n’aimait pas sa mère, il n’aimait pas Emma. Il aimait en elles l’amour maternel. Il aimait ce que cet amour protecteur lui procurait. Il n’aimait pas les individus en eux-mêmes mais le bien qu’ils pouvaient lui donner. Et le refus en lui d’explorer les blocages le condamnaient à souffrir.
Yoann avait décidé d’étudier ce fameux complexe d’Œdipe et de tenter d’en analyser chaque scénario. Une évidence que dans le parcours de vie de Paul, cette phase cruciale du développement de l’individu avait été profondément problématique. Il ne pouvait plus rien pour Paul. On ne change pas les autres contre leur volonté. Il avait fait ce qu’il pouvait, sans être persuadé d’avoir réussi quoi que ce soit. Il avait fait au mieux. C’était à Paul de grandir…
Ce petit garçon, le fils de Paul et d’Emma.
Il venait au monde dans une famille séparée, un couple brisé, un père peu présent, immature, névrosé, déprimé, apeuré, inconstant, une mère seule portant une histoire trop lourde, une déception amoureuse, affective, existentielle, une perte de confiance en elle ou dans les hommes en général, une culpabilité au regard de son enfant. Tellement d’options possibles…
Il imagina deux couples recomposés. Garde alternée. Comment l’enfant parviendrait-il à gérer cette situation ? S’il acceptait les nouveaux partenaires de ses parents ? Ou s’il les rejetait ? Ou un seul ? Un panel de suppositions qui l’assaillit.
Si Emma se remarie et que son compagnon assume le rôle de père de substitution, qu’Emma accepte de déléguer à ce compagnon sa mission paternelle, sans s’accaparer cet enfant issu d’une union brisée, le petit garçon trouvera en cet homme le support nécessaire à son identification masculine et le renoncement de l’amour pour sa mère pourra se faire.
Si Emma se remarie avec un homme que le petit garçon n’aime pas ou en lequel il ne trouve pas les raisons de l’admirer et de vouloir l’imiter et de se confronter à lui, le renoncement à la mère ne se fera pas naturellement. Il faudra qu’un autre homme prenne ce rôle, un ami d’Emma, un Oncle, un voisin, un enseignant, une figure masculine envers laquelle le désir d’imitation pourra surgir et conduire l’enfant vers une identification positive. C’est ce dont Paul n’avait pu bénéficier et il était resté attaché à sa mère par un lien d’amour incestueux et une culpabilité castratrice.
Il n’avait pas eu dans sa vie d’enfant ce « Tiers séparateur » qui l’aurait amené à ce renoncement maternel et à l’ouverture vers le monde. Aucune identification masculine et le monde était resté un « étranger dangereux », un espace à fuir. Emma n’avait été qu’une « protectrice » et elle n’avait plus voulu de ce rôle et encore moins d’un père qui n’aurait pas le comportement adéquat pour son enfant. Elle avait décidé de rompre l’héritage en cours…Cet enfant avait pour mission d’être un bébé électrochoc et il risquait de porter la culpabilité d’avoir failli à cette tâche imposée. Est-ce qu’Emma n’allait pas reprocher inconsciemment à cet enfant de n’avoir pas pu changer son père ?
Tout devenait possible puisque tout était rempli d’intentions inavouées.
Que deviendrait l’enfant auprès d’une nouvelle compagne de son père ?
Si Paul garde la même attitude, s’il ne se défait pas de ses fardeaux, l’enfant pourrait en s’attachant à cette Belle-mère s’enfermer dans un amour « maternel » à travers cette figure féminine, d’autant plus facilement que le compagnon d’Emma chercherait au contraire dans l’autre couple à assumer son rôle d’homme.
La problématique se renforçait et les options à venir se multipliaient. Ce qui pouvait être positif dans un couple pouvait être défait par l’autre. L’alternance devenait anxiogène pour l’enfant et il était impossible de s’assurer de la justesse de son développement sur le court terme. Comme souvent, les effets n’apparaîtraient clairement qu’une fois profondément insérés, installés, figés, fossilisés.
Si Emma venait à mourir et que Paul se voyait attribuer la garde de l’enfant, une Belle-mère pourrait assumer le rôle maternel mais succomberait peut-être à un attachement étouffant au regard du deuil vécu par l’enfant. Un attachement d’autant plus profond que Paul culpabiliserait sans doute, inconsciemment ou pas, du parcours de vie de son enfant. Parents séparés, une mère décédée… Il risquerait de prendre lui aussi un rôle maternant, éloigné totalement de sa mission d’éveil au monde pour son enfant. Il reproduirait à l’identique sa propre enfance. Aucun renoncement à la mère, aucune identification au père, un fantasme de castration figé, un amour maternel jamais éludé, le refus du monde extérieur, l’absence d’intellectualisation, le maintien de l’enfant dans un espace fermé, une dualité désastreuse qui ne serait jamais résolue. Une sexualité adulte qui ne pourrait s’extraire de la fusion originelle, la recherche d’une compagne maternante, protectrice, perpétuant la castration fantasmée.
La dualité dans la relation mère-enfant ne pouvait se rompre qu’avec un Tiers séparateur, conscient de l’attitude nécessaire.
Si Emma ne trouvait pas de nouveau compagnon, si elle en venait à considérer cet enfant comme un substitut masculin, si aucun homme ne venait prendre cette place dans la relation duale, le chemin de vie de cet enfant risquait de suivre les traces paternelles…
Quelle que soient les possibilités, le renoncement à la mère et l’identification au père ne devaient pas être bridées. Il suffisait d’observer Paul pour en juger. Les dégâts étaient parfois irréversibles.
De plus, que cet enfant ait été conçu sans qu’il n’y ait de participation consciente de son père allait-il créer un vide, un manque, un blocage, une mémoire cellulaire mutilée ?
Il imaginait un cœur n’ayant qu’un ventricule, une amputation existentielle qui se matérialiserait dans sa vie sous la forme d’un vide affectif redoutable. Des géniteurs n’ayant pas réglé en eux des troubles fondateurs pouvaient-ils parvenir à créer un individu équilibré ? Que la Vie soit transmise sous la forme d’un chantage était-il recevable ? N’était-ce pas là une forme d’empoisonnement prémédité ?
Cette incapacité à œuvrer à la paix en soi n’était-elle pas la raison première du malheur des Hommes ? Des adultes donnaient en héritage à leurs enfants des fardeaux écrasants. Dans la conception même de la Vie.
Yoann se coucha avec en lui une tristesse insoumise, l’impression d’une malédiction archaïque. Des millions d’années d’évolution pour en être toujours là. Une Humanité qui n’avait toujours pas atteint sa maturité. Et qui concevait des enfants comme on prend un médicament.
« Avec un enfant, ça ira mieux. »
Triste à pleurer.
Personne n’était coupable et tout le monde était responsable de ne pas l’être. Car, finalement, personne ne parvenait à observer les raisons du malheur de chacun. Mais de se croire coupable générait un mal plus puissant que le traumatisme lui-même. Il n’y avait finalement pas d’autres alternatives que d’observer constamment les raisons profondes d’un acte ou d’une parole et ne pas en attendre les effets eux-mêmes… Être responsable pour ne jamais se sentir coupable.
Mais disant cela, il portait un jugement et outrepassait sa fonction de thérapeute. Il devait accepter l’idée qu’il n’était pas là pour guérir ses patients mais juste pour amener les individus à prendre conscience qu’ils portaient en eux leur guérison. Il n’était qu’un portier destiné à entrebâiller les vantaux et à permettre à chacun de découvrir les horizons inconnus de leur propre connaissance.
Paul n’avait sans doute pas trouvé la force intérieure nécessaire pour franchir le seuil, paniqué par ces territoires à découvrir. L’habitude rassurante du malheur face à la peur de l’inconnu... Pour réaliser que la victime et le bourreau sont une seule et même personne, il faut accepter de mourir à soi-même.
…
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