Pierre Rigaux : menaces de mort

Il est important de partager le travail de Pierre Rigaux, naturaliste, engagé, très bien informé, déterminé.

Et menacé de mort. 

Les chasseurs, les éleveurs, les industriels...

Aucune plainte de sa part n'est enregistrée par la justice. Jetée à la poubelle...

Un jour, on le trouvera, mort, dans un fossé...

 

https://www.nouvelleveg-magazine.com/post/pierre-rigaux-un-naturaliste-entre-la-vie-et-la-mort

PIERRE RIGAUX : UN NATURALISTE MENACÉ DE MORT

Mis à jour : il y a une heure

PAR ELOÏSE MAILLOT.

Bouquetin des Alpes - Crédit photo : Pierre Rigaux

Il observe la vie de la faune et la flore et ce sont des menaces quotidiennes de mort qui essaiment son chemin, de la part de chasseurs et d'éleveurs qui viennent frapper jusqu'à sa porte. S’il n’en fait pas grand cas et semble même s'y être dangereusement un peu trop habitué, la réalité du quotidien du naturaliste Pierre Rigaux, ne peut qu'interpeller et choquer. Menaces physiques sur les réseaux sociaux et par courrier, insultes et autres noms d'oiseaux rythment chacune de ses journées.

Mais aux sirènes de la mort, Pierre Rigaux leur préfère celles de la vie et le chant des oiseaux...

Auteur chez HumenSciences de ‘Pas de fusils dans la nature’ sorti en septembre 2019, Pierre Rigaux y décrit la réalité de la chasse en France, sous l’angle le plus objectif possible, écologique et animaliste.

C'est en fervent observateur de la nature que ce passionné décrypte l'impact de l'activité humaine sur l'environnement et les animaux. Pierre Rigaux dérange... mais qui ? Et pourquoi ? Balade et regard d'un naturaliste en 2020, en France, qui avance entre la Vie et la mort.

En 20 ans, ce sont plus de 410 personnes qui ont perdu la vie des suites d'un des 2792 accidents de chasse recensés par l'ONCFS, dont 131 morts pour la saison 2018/2019 comprenant 22 non-chasseurs !

Amis des bois, cachez-vous bien...

Pierre Rigaux, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le métier de naturaliste ?

Être naturaliste a plusieurs définitions. C'est quelqu'un qui s’intéresse à la vie sauvage, la faune et la flore et l’environnement en général. Certains ont une spécialité dans la géologie, l’hydrologie, les animaux ou les plantes. Et des spécialités encore plus pointus. Autrefois, c'était l’étude pour tenter de décrire le monde, on listait les espèces de plantes. Aujourd'hui, cela se fait encore mais il y a moins d'espèces nouvelles à découvrir donc, c'est mettre à profit la connaissance que l'on a de la nature, pour protéger quand il y a besoin.

Concrètement, c'est travailler sur des projets d’aménagement du territoire, où il y a des espèces impactées par la construction d’une route par exemple, travailler avec les constructeurs et maîtres d'ouvrage pour qu'ils soient en accord avec la loi par rapport aux espèces menacées. En une phrase, naturaliste, c'est étudier la faune, la flore et les écosystèmes pour les protéger. Ma formation, c'est l'Université de biologie.

Votre ancêtre est finalement... Darwin !?

Oui (rires), c'était l'époque où les naturalistes étaient beaucoup plus liés aux milieux scientifiques de recherche et de découverte qu'aujourd'hui, où c'est beaucoup plus scindé. Ils font de la recherche dans les laboratoires patentés ou ils sont sur le terrain dans la protection de la nature, là où je travaille. On contribue aussi à la science en récoltant des données, mises à la disposition des chercheurs.

À QUOI RESSEMBLE VOTRE JOURNÉE TYPE ?

Elle varie énormément. C’était d’aller sur le terrain très loin quand on me le demande et faire des inventaires, quand il y a par exemple une étude qui est commandée par une Collectivité ou autre. On va recenser et rendre un rapport.

Ou faire de la rédaction sur ordinateur pour mettre en forme ce qu'on a vu, ce qui fait beaucoup moins rêver. J'essaie de plus en plus de m’orienter vers la transition d'une formation auprès du plus grand public. Je passe plus de temps sur le terrain, à essayer d’observer des faits et trouver, pour montrer aux gens qui ne connaissent pas du tout la nature, la réalité de ce qu’il se passe dans la campagne française. Donc : terrain, repérer, filmer et mettre en forme par la vidéo, des articles ou des livres.

Là c'est moi qui choisis de montrer telle ou telle chose.

ÊTES-VOUS SEUL SUR LE TERRAIN ?

Oui sauf exception. Ce qui devient de plus en plus compliqué. La logistique et la vidéo demandent une maitrise technique. Et puis je suis de plus en plus reconnu par les gens, ça devient plus délicat pour moi.

On sent une envie de transmettre - communicative - dans vos vidéos, que faites-vous par passion ?

Il y a toujours au départ un rapport assez affectif aux phénomènes de la nature, non contradictoire avec la rigueur scientifique. L’affect crée souvent un déclencheur pour s’intéresser à ce qu'on étudie. Tout petit, c'était la passion de l'observation puis ça s'est transformé en travail. Si on n’est pas émerveillé par la beauté des choses, c'est plus difficile de transmettre des informations. On apprend à avoir le recul nécessaire pour conserver la rigueur.

Vous êtes victimes de menaces par les chasseurs et les éleveurs, quelles sont ces menaces ?

Je m’intéresse aux loups essentiellement et qui dit loup, dit moutons.

"Sur les réseaux sociaux, ces menaces sont tous les jours, des menaces de violences physiques et de mort. Dans la vraie vie si on peut dire, des menaces directes par des personnes, qui viennent chez moi me menacer de mort, par courriers anonymes. Et des menaces de terrain, voire même d'agressions physiques par des éleveurs"

Avez-vous porté plainte ?

Oui plusieurs fois, rien n’a jamais abouti.

Comment expliquez-vous ça ?

Sur les réseaux sociaux, je ne suis pas spécialiste mais ça n’aboutit jamais d'après ce que disent les gendarmes, à moins d’être une personnalité très importante. La gendarmerie m'a dit clairement que le procureur met directement la plainte à la poubelle, quelque soit sa gravité. Mon sentiment est qu’il y a un non-lieu systématique. On peut menacer sans problème qui on veut. Pour les courriers anonymes, on n’a pas retrouvé d’auteurs. J'ai pourtant des preuves matérielles.

En quoi les gênez-vous ?

Il y a tout ce qui relève de la légalité et du ressenti et ce dernier versant est beaucoup plus impactant sur le terrain. Il y a des chasseurs et des éleveurs qui voient d'un très mauvais œil qu’on s’intéresse à ce qu’ils font. Ils ont une attitude très hostile dès qu'on est dans la même forêt quand ils chassent, quand on essaie de filmer ce qu'ils font sans montrer leur visage, ni les nommer. Pas mal de gens sont dans la retenue à la campagne et n'osent pas aller voir dans le détail ce que les chasseurs font. Que j'y aille est très mal vu, d’où les menaces verbales.

Certains sont venus à votre porte ?

Certains sont venus chez moi, oui.

Êtes-vous vegan ?

Oui, pour moi, c'est cohérent et évident, mais lorsque je m’intéresse à un sujet comme la chasse, je ne mets pas ça en avant pour plusieurs raisons. Que ce soit avec les hommes ou femmes politiques, dès lors que ce mot est lâché, la discussion est fermée, c'est terminé. J’essaie de défendre des dossiers avec des ONG à mon petit niveau, on n’aborde pas le sujet sous cet angle sinon on est aussitôt classé comme un dangereux extrémiste révolutionnaire.

Qu'est-ce qui vous tient le plus à cœur dans votre démarche ?

J'essaie d'informer pour influer sur l’opinion publique, pour que les lois aillent plus dans le sens de l'interêt des animaux, pour l'interdiction de certaines pratiques, dans un but de changement de la société, même si ça paraît très prétentieux. Il y a des forces contraires au progressisme de l’écologie et des animaux, très fortes. J'ose espérer que l'on puisse changer ça politiquement. Ça s’inscrit dans quelque chose de beaucoup plus vaste. J’essaie de me concentrer sur des sujets que je maitrise bien et laissent ceux qui ne sont pas ma spécialité, même s'ils sont très importants. Exs : le nucléaire, les pesticides.

Personne ne m'embête dans la façon de le faire, sauf les opposants. Pour l’instant, j’estime que mon audience n’est pas assez forte.

Parmi les grands arguments des chasseurs repris par tous, on entend que l’homme régule la nature, que les animaux sont plus heureux pris en charge par nous, que les sangliers proliféreraient si les chasseurs ne les tuaient pas. Qu'est-ce que le naturaliste objecte à ces propos ?

Ce sont des sujets vraiment très complexes des deux côtés et il y a pas mal de méconnaissances. Même les scientifiques les plus pointus ne sont pas d’accord entre eux. Mais il y a des faits qui sont quand même évidents, au 21è siècle : l’emprise de l’homme sur la planète est gigantesque à tel point que le poids que pèse les humains par rapport aux mammifères sauvages, est énorme.

"Avec le bétail domestique élevé pour la consommation humaine, c'est autour de 10 fois plus que l’ensemble de ce que pèse les mammifères sauvages.

La vie sauvage et les animaux qu’il faudrait réguler ? Tout ça ne représente plus grand chose sur la planète."

La biomasse, l'impact écologique derrière en terme de consommation d’énergie, d'impact sur les écosystèmes et le fait que l'homme et les animaux qu'il exploite pour se nourrir, pèse beaucoup plus que la totalité des mammifères sauvages, nous oblige à regarder la question de la régulation sous un autre angle que 3 sangliers qui font un dégât dans un champ de maïs.

La régulation n’a aucun sens sauf réguler l’activité humaine en premier et leurs façons de se développer.

Il y a une histoire très particulière des sangliers, lâchés par les humains pour que les chasseurs disposent de plus d'animaux à chasser. Ça a posé des problèmes dans certaines parcelles en Europe mais à échelle du monde, ça n'est pas grand chose.

Il faut réfléchir à d’autres façons que de régler le problème en les flinguant pour la régulation.

CETTE RÉGULATION MARCHE T-ELLE ?

Cette régulation mise en oeuvre par les chasseurs français ne fonctionne pas, il y en a toujours de plus en plus. C'est dû à la démographie particulière des sangliers. Et les dégâts pourraient être réglés par d’autres pratiques agricoles, par des systèmes de clôtures. C'est difficile de mettre en oeuvre des grands enjeux par des petites choses. Les petits événements d'un ½ ha de maïs ravagé par des sangliers, sont utilisés pour justifier la nécessité de réguler les animaux sauvages. Or, l’immense majorité est en déclin. La place de l'humain et de ceux qu'il élève est devenue gigantesque par rapport à celle des animaux sauvages.

"On prend la place de l'espace naturel pour faire de l'agriculture, destinée à nourrir les animaux d'élevage pour l'alimentation humaine et pour faire de l'urbanisation."

À QUOI SERVENT CES CHAMPS DE MAÏS ?

Le cas du sanglier est presque drôle. Une partie importante des dégâts qui justifie le fait qu’ils sont chassés, est surtout due à ces champs de maïs destinés au bétail, aux vaches laitières, au grain pour la volaille et les cochons d’élevage, qui sont à 90% dans des bâtiments d’élevage intensif et qui sont 10 fois plus nombreux que les sangliers !

L’impact écologique du maïs et de l’élevage des cochons (les algues vertes en Bretagne…) est catastrophique. Il faut voir les choses avec plus de recul. Le problème est le maïs, le cochon intensif et la place de l’homme dans tout ça.

SUR QUOI PORTERA VOTRE PROCHAINE VIDÉO ?

L’élevage du gibier pour la chasse. Là, on est dans le summum du truc indéfendable. On les élève juste pour pouvoir les lâcher et leur tirer dessus. Même les non végétariens et certains chasseurs sont d’accord pour changer ça dans la prochaine décennie, à part les chasseurs qui font ça et les hommes politiques qui les soutiennent.

POURQUOI LES VEGAN FONT TANT PEUR SELON VOUS ?

Ça remet en cause des habitudes et modes de vie culturels tellement ancrés en nous, plusieurs siècles voire millénaires socialement perpétués, basés sur l’exploitation des animaux. Ça remet en cause fondamentalement l’organisation de la société.

Il y a bien sûr des intérêts financiers et des gens qui travaillent.

Êtes-vous anti-spéciste ?

Oui, ça dépend de la définition. Le cochon n’a pas moins de valeur qu’un chien. Sur le plan écolo, il faut continuer de s’intéresser aux différents niveaux d’organisation des écosystèmes et protéger les espèces menacées.

Quel mot de la fin et pour cette année ?

Un projet que j’aimerais voir aboutir, protéger le putois d’Europe, ça peut être fait par décision politique. Ça fait 5 ans que je suis dessus. On se heurte à un immobilisme tel qu'on est content pour de toutes petites décisions.

PIERRE RIGAUX https://www.pierrerigaux.fr/

Pour soutenir le travail de Pierre Rigaux : Cliquez ici.

Pour commander son livre : 'Pas de fusils dans la nature’

Partout en libraire et sur le site des libraires indépendants.

Eloïse Maillot

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