Orgasme et expansion de conscience (sexualité sacrée)

 
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ENQUÊTES

Orgasme et expansion de conscience

L’orgasme serait-il une voie d’éveil ? C’est ce que nous disent les plus anciennes traditions... Éclairages sur les enjeux de l’énergie sexuelle.
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© nois7 / Robert Jahns
La lecture du Grand Pouvoir du Chninkel, une quête initiatique en bande dessinée, ouvre le champ de bien des interrogations. L’oracle, une femme en l’occurrence, que vient consulter le héros, ne peut énoncer des prophéties qu’en état de plaisir ! C’est par l’orgasme que ses visions surgissent... L’orgasme pourrait-il être une voie d’expansion de la conscience ? Et si c’était la raison pour laquelle on l’appelle aussi la « petite mort » ? Les liens entre la sexualité et la spiritualité ne datent pas d’aujourd’hui ; les textes anciens, et tout particulièrement le Kama-sutra, évoquaient déjà cette particularité. Toutefois, ils semblent avoir été relégués au fin fond de notre mémoire. Pour mieux comprendre les enjeux autour de l’orgasme, tournons-nous vers la psychanalyse. L’orgasme, du grec orgân, qui signifie « bouillonner d’ardeur », est au cœur des recherches de Wilhelm Reich, suscitant à la fois la surprise et les sarcasmes de Freud. Si le célèbre psychiatre viennois a bel et bien amorcé la révolution sexuelle dont nous sommes témoins, en théorisant la nécessité de l’acte sexuel pour notre équilibre, l’orgasme en revanche lui a toujours semblé un phénomène secondaire de « décharge ». Sans grande importance, donc. Résolument à contre-courant de cette pensée, Reich soutient que « la satisfaction orgastique évite la névrose, à une condition toutefois, le total abandon de soi ». En d’autres termes, « un orgasme réussi ne se réduit pas à la seule zone des organes génitaux, mais s’étend à tout l’être, grâce notamment à la dissolution de la conscience, condition de la décharge complète des tensions ». L’orgasme constituerait alors une expérience extatique. 

 

Un cocktail de molécules bienfaisantes


Et du point de vue biologique ? Le sentiment de bien-être et d’euphorie que peut procurer l’orgasme serait dû au ballet d’endorphines qui se libèrent à ce moment précis dans notre cerveau. Récemment, des chercheurs de l’Inserm ont pu mettre en évidence la production d’un cocktail de neuromédiateurs et d’hormones qui inonderait notre cerveau pendant l’acte sexuel pour conduire à l’orgasme. On y trouve notamment de la dopamine et des endorphines comme la lulibérine, qui rend euphorique, et l’ocytocine, qui renforce le lien affectif, toutes deux messagères du désir et du plaisir. « Les effets seraient comparables à ceux ressentis par les fumeurs d’opium », écrit le Dr Marc Schwob dans son ouvrage De l’amour plein la tête ou La Biologie de l’amour (Éd. Hachette), établissant ainsi un lien entre l’orgasme et les états modifiés de conscience. Aux États-Unis, des recherches corroborent cette hypothèse. « Ce sont les mêmes parties du cerveau qui sont activées au cours d’une méditation intense et pendant un orgasme », explique la Dre Pooja Lakshmin, spécialiste de l’orgasme à la Rutgers University (États-Unis), à savoir, plus précisément, le système limbique et le cortex somatosensible (ou sensoriel), avec pour effet une profonde connexion à l’instant présent. Comme souvent, les résultats scientifiques récents viennent confirmer des expériences bien plus anciennes. Ainsi, Margot Anand, disciple d’Osho et pionnière du tantra en Occident, évoque dans son ouvrage La Voie de la sexualité sacrée (Éd. Trédaniel) que ce sont « les maîtres indiens et védiques, il y a 5 000 ans, qui auraient découvert la méditation et l’éveil en explorant l’art de prolonger les états orgasmiques ! » 

 

Les dessous de la « petite mort »


Parmi les indices qui tendraient à soutenir la vision « mystique » de l’orgasme, le terme de « petite mort », qui lui est associé, mérite qu’on s’y attarde. L’origine de l’expression remonte au XVIe siècle, et désignait une sorte de syncope, d’étourdissement, de grand frisson nerveux. À l’époque d’Ambroise Paré, chirurgien de son état, il avait été établi que l’orgasme provoquait, de manière plus ou moins fugace, ces types de symptômes « corporels ». Au fil du temps, le langage érotique se l’est appropriée, nous en transmettant le mystère, via la voix des poètes en premier lieu. Pour la psychologue Catherine Blanc, « au moment de l’orgasme, on a comme une espèce de conscience de la mort de tout ce qu’on a construit, de son identité, de tout ce qu’on maîtrisait jusque-là ». Une vision que partage Jacques Lucas, coauteur avec Marisa Ortolan du Tantra, horizon sacré de la relation : « Il y a une petite mort du “moi”, et c’est alors le “soi” qui apparaît... » Ainsi l’orgasme, quand il est vécu comme une petite mort, ouvrirait de nouvelles perspectives, plus larges. 

L’orgasme comme voie d’expansion de conscience semble par ailleurs une évidence dans les traditions orientales. Dans le Kama-sutra, écrit vers le Ve siècle, le brahmane Vātsyāyana annonçait déjà que « le plaisir sexuel [est] un excellent moyen d’accéder à la béatitude ». Autrement dit, comme l’exprime si bien le Dr Gérard Leleu, « la jouissance résultant de l’union sexuelle est une expérience métaphysique car elle déclenche un changement majeur de conscience : l’extase ». La tradition tantrique qui repose sur une vision sacrée de la sexualité nous éclaire sur ce point. Ainsi, l’union de la femme et de l’homme serait la réplique de celle de Shakti et de Shiva de laquelle naquit le monde. La femme, connectée à la déesse, c’est-à-dire à l’aspect féminin de la divine création, s’unit à l’homme, l’aspect masculin du divin. « Cette vision, poursuit le Dr Gérard Leleu, sacralise également le désir », qui devient alors cette force d’attraction inéluctable, attirant l’un vers l’autre les principes séparés pour reconstituer l’unité originelle. En d’autres termes, « la sexualité tantrique permet de sortir de la dualité de notre condition humaine, et de nous reconnecter à la source, mettant ainsi fin à l’illusion de la séparation d’avec notre divinité », traduit Jacques Lucas. Ainsi, l’union sexuelle et son aboutissement orgastique s’avèrent une voie royale pour atteindre la « félicité » par la fusion entre l’humain et le divin. 


 

Sentiment océanique


Alors, qu’est-ce qui différencie le simple orgasme à visée de décharge, de celui qui nous mène à l’expansion de conscience ? « Le sentiment océanique ! répond Jacques Lucas. Là, je perds ma dimension corporelle au profit de quelque chose de beaucoup plus vaste, un sentiment d’unité et de complétude, dans un moment d’ouverture et de relâchement. » Selon Margot Anand, « l’ego et le temps s’effacent, l’énergie sexuelle et la conscience deviennent un ». Autre fait notable, « un orgasme procurant une élévation de conscience ne s’accompagne pas obligatoirement d’une éjaculation ! », précise Marisa Ortolan, psychothérapeute en psychologie biodynamique. Ses effets pourraient s’apparenter davantage à une montée de Kundalini, « ce serpent de feu lové dans notre bassin, qui se déploie le long de notre colonne, jusqu’à notre chakra Ajna du troisième oeil, selon la tradition védique », ajoute-t-elle. Appelé « l’énergie des profondeurs » par Lilian Silburn, directrice de recherche au CNRS, l’orgasme est pour elle « une énergie latente dans le corps humain qui sert de fondement aux expériences mystiques les plus élevées. » 

Toutefois, comment y parvenir reste mystérieux… « Cette expérience échappe totalement au contrôle », précise Jacques Lucas. « Cette montée orgasmique spécifique s’exprime quand il n’y a plus de comportement volontaire, et une perte de vigilance », a pu observer Marisa Ortolan. Si tenter de la provoquer et se crisper sur sa venue est totalement vain, voire contre-productif, certains facteurs en favorisent en revanche l’expression. « Dans les pratiques tantriques, dédiées à la sexualité sacrée, respirer ensemble et rester connectés par le regard sont de précieuses pistes accessibles à tous », indique Jacques Lucas. « Ritualiser les ébats en invitant notre partie divine en est une autre », ajoute Marisa Ortolan. Le simple choix de se mettre en route pour réunir ces conditions va en favoriser l’accès, « entraînant toutefois une profonde transformation de la personnalité, de ses relations, à l’autre et à la vie », rappelle Jacques Lucas. Renouer avec la part sacrée de notre sexualité s’inscrit dans une démarche spirituelle, qui demande un renversement radical de nos valeurs. Alors seulement nous pourrons accéder à cette incroyable énergie que libère l’orgasme, pour nous ouvrir à la nature essentielle de notre être. Faites l’amour, pas la guerre, un slogan toujours d’actualité !

Le Tantra, horizon sacré de la relation, Marisa Ortolan, Jacques Lucas
Éditions Le Souffle d'Or (Novembre 2011 ; 168 pages) 



Psychologie du yoga de la Kundalinî, Carl-Gustav Jung
Albin Michel (Janvier 2005 ; 271 pages) 


 

 
 
 

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