Post mortem
- Par Thierry LEDRU
- Le 30/10/2022
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Revenir à la nature dans un état de "nudité", sans traitement chimique, sans coffrage polluant. Juste de quoi nourrir la terre.
Visite du premier cimetière bio d'Alsace avec cercueils biodégradables, arbre du souvenir et mini-stèles en pierre
Publié le 27/10/2022 à 11h30 • Mis à jour le 30/10/2022 à 09h13
Écrit par Sabine Pfeiffer.
Le nouveau cimetière est un coin de sous-bois. • © Emmanuelle Gambette / France Télévisions
Jusqu'à présent, Sternenberg (Haut-Rhin) enterrait ses morts à Bretten, le village voisin. Mais la petite commune vient de créer son propre cimetière, le premier d'Alsace à être "bio", respectueux de la nature. Et agrémenté d'un arbre du souvenir, sur lequel sont notés les noms des défunts.
Sternenberg, village de 170 habitants dans la couronne mulhousienne, n'a pas d'église. Et jusqu'à présent, il n'avait pas non plus de cimetière. Ses habitants sont rattachés à la paroisse de Bretten, à 3 kilomètres de là. Et c'est là aussi qu'ils vont enterrer leurs défunts en terre.
Mais depuis un an, Sternenberg s'est doté de son propre cimetière. Un site idyllique, à l'orée de la forêt, que le conseil municipal souhaite préserver. En recherchant comment l'aménager, il a découvert l'existence, ailleurs en France, de cimetières naturels plus respectueux de l'environnement.
Il a donc décidé de faire de ce nouveau champ du repos le premier cimetière "bio" d'Alsace. Les personnes souhaitant s'y faire enterrer devront signer une charte, et s'engager à ne pas faire traiter leur corps post mortem.
Un sous-bois qui doit rester naturel
C'est un petit replat sous les arbres, surplombant la route. Le lieu est d'une profonde sérénité. Un sol de sous-bois, couvert de feuilles, et entouré de troncs élancés. En ce matin d'octobre, il baigne dans une lumière mordorée, car le soleil transperce les frondaisons.
Pour l'instant, il n'y a pas encore de tombe, car le site n'a été inauguré qu'à l'automne 2021. Mais le conseil municipal est convaincu d'avoir trouvé l'endroit idéal. "Pour pouvoir se recueillir, il faut se sentir bien" explique le maire, Bernard Sutter. "Et en forêt, c'est vraiment possible."
Ici, pas question de polluer le sol avec des produits chimiques. • © Emmanuelle Gambette / France Télévisions
Ce projet a mis plusieurs années pour arriver à maturation. "Les habitants derniers arrivés nous disaient : 'Un village sans cimetière, ce n'est pas possible'" rappelle le maire. "Nous avons donc réfléchi, et cherché." Pour finalement réaliser que ce recoin de forêt communale, proche des maisons, était parfaitement adapté.
En parallèle, le conseil municipal a découvert que ces dernières décennies, les cimetières sont devenus des endroits très pollués. En cause, le traitement du bois des cercueils, leur plombage au mercure et, principalement, le développement de la thanatopraxie, ces soins prodigués au corps afin de prolonger son temps de conservation avant la mise en bière.
"Mais nous avons appris l'existence de cimetières qui respectent la nature" explique Bernard Sutter – notamment en Sarthe, dans les Deux-Sèvres, et dans d'autres pays d'Europe. "Et avons donc établi un règlement, pour ne pas accepter dans le sol de notre cimetière des corps dans lesquels on a injecté post mortem des produits chimiques polluants."
Cette décision correspond à un souhait de respecter "la nature, le lieu, mais également les humains, les vivants comme les défunts" précise le maire. "Nous voulons sensibiliser les gens que ce n'est plus comme il y a 50 ans. Et qu'aujourd'hui, mettre un corps traité en terre peut devenir un problème pour la nature."
Le règlement stipule aussi que le cercueil doit être en bois léger biodégradable, recouvert de vernis sans solvants. En outre, exit les fleurs en plastique. Seules les plantes naturelles seront acceptées sur les futures tombes.
Un columbarium et un arbre du souvenir
A une dizaine de mètres du sous-bois, la commune a fait aménager un muret orné d'un parement de pierres : un columbarium, comprenant une douzaine d'emplacements pour les urnes. A l'avenir, il est vraisemblable que de plus en plus de personnes opteront pour l'incinération. C'est pourquoi l'espace sous les arbres, prévu pour une douzaine de tombes, semble largement suffisant.
Le columbarium et l'arbre du souvenir. • © Emmanuelle Gambette / France Télévisions
Le prix d'une concession - que ce soit pour un cercueil ou une urne - est le même : 200 euros pour 15 ans, et 350 pour 30 ans. Mais il y a une condition : la personne défunte doit avoir vécu au moins 5 ans à Sternenberg.
Devant le columbarium, un arbre de métal étend ses branches. Une œuvre d'artiste, réalisée à partir de simples barres de fer à béton soudées. "Sa silhouette permet de rester en accord avec le lieu, pour agrandir la forêt d'un arbre supplémentaire" précise Sylvie Enderlin, adjointe au maire, venue fleurir le jardin du souvenir au pied de la sculpture.
Sur les feuilles sont notés les noms des défunts. • © Emmanuelle Gambette / France Télévisions
Sur les feuilles argentées, en acier souple, sont gravés les noms et dates de naissance et de décès des disparus de la commune depuis l'an 2000. Une manière symbolique de les réunir à nouveau tous à Sternenberg, quel que soit leur lieu de sépulture. "C'est pour faire mémoire de nos défunts, notre monument aux morts, si l'on veut" explique Sylvie Enderlin.
Les habitants ont toujours le choix
Dorénavant, les 170 habitants de Sternenberg pourront donc choisir la localisation de leur dernière demeure. Car bien entendu, il reste toujours possible de se faire enterrer dans le cimetière du village voisin.
"Les anciennes familles ont toutes leur tombe et leur concession à Bretten" rappelle Fabien Greyenbihl, un habitant. "Ta famille, par exemple. Le jour venu, tes parents iront très certainement à Bretten" renchérit sa femme, Martine. "Mais pour les habitants nouvellement arrivés, Bretten n'a pas de sens, et pour eux, ce nouveau cimetière est très bien" estime Fabien.
Le couple Greyenbihl. • © Emmanuelle Gambette / France Télévisions
Le couple, lui, a déjà pris sa décision : "Nous sommes très contents de nous dire que nous pourrons rester à Sternenberg" s'exclame Martine. "Ce nouveau cimetière est si beau, sous les arbres, on peut s'y asseoir et méditer. Et il n'y aura pas tous ces problèmes d'argent liés à un enterrement avec un grand monument funéraire." En effet, la seule pierre tombale autorisée sera une petite stèle carrée, en pierre, d'une cinquantaine de centimètres de haut.
Sylvie Enderlin aussi a fait son choix : "Ma maman est née à Sternenberg. Moi j'ai grandi ailleurs, mais suis revenue pour y vivre. Et à ma mort, je veux rester ici, car c'est ma patrie (mini Heimet)."
Jean-Marie Wettel et sa famille se sont installés à Sternenberg il y a deux ans. "Un beau village calme, avec des gens sympathiques" estime-t-il. Il a immédiatement adhéré au projet de création du cimetière, qu'il ressent "bien avec l'état d'esprit de la commune : simple, sans fioritures." Il a également participé aux trois journées de chantier bénévole qui ont permis de poser le dallage au niveau du columbarium.
Et pour lui, aucune hésitation. Le jour venu, c'est ici qu'il reposera. "Ce cimetière est un lieu de promenade" explique-t-il. "Là-bas en contrebas, il y a trois étangs. J'y vais souvent avec mes schtroumpfs, mes petits-enfants, et après nous nous baladons par ici, et venons admirer l'arbre du souvenir." Et il ajoute : "Et demain, c'est-à-dire dans 50 ou 100 ans, je sais où nous descendants pourront nous retrouver…"
A l'entrée du cimetière, la stèle qui indique son nom. • © Emmanuelle Gambette / France Télévisions
A l'entrée du cimetière se dresse dorénavant le monument aux morts de la commune qui, jusque-là, se trouvait au centre du village. "On en a profité pour le rapatrier en ce lieu bucolique. On croirait qu'il a toujours été là" se réjouit le maire.
A ses pieds, une petite stèle de pierre, destinée à servir de modèle pour les futures pierres tombales. La plaque métallique qui lui est apposée porte une inscription : S'Ewigkeit Plénla. C'est le nom donné par la commune à son nouveau cimetière : "Le petit coin d'éternité".
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