Se couper la tête

Un très beau texte auquel j'adhère intégralement.

 


Faut-il se couper la tête pour entrer tout entier dans la spiritualité ?

Publié le  par Marie Ghillebaert

https://yogasesame.com/2016/11/17/faut-il-se-couper-la-tete-pour-entrer-tout-entier-dans-la-spiritualite/

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योगश्चित्तवृत्तिनिरोधः

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Yoga-Sutra I.2

Le Yoga est l’état où les pensées fluctuantes et alourdissantes qui agitent et encombrent l’esprit se sont à tel point apaisées et allégées qu’elles se sont envolées.

Souvent, notre tête ploie sous le poids des pensées amassées, entassées, ressassées qu’elle renferme et qui l’enferment, que l’on retient et qui nous détiennent, prisonniers que nous sommes de ces barbelés de mots qui enchevêtrent notre corps et notre cœur, interdits de frissonner et de palpiter.

Nos épaules s’effondrent, lassées, tassées, cassées de porter et supporter le poids des malheurs de la terre entière et du monde entier que l’on rassemble dans notre esprit trop petit pour tenter à lui seul de résoudre chaque ennui, de réparer chaque dépit et de sauver chaque vie.

Et pourtant… s’il semble ne pas y avoir de solution aux problèmes qui occupent et préoccupent notre esprit c’est que ces problèmes n’existent en fait pas ailleurs que dans notre tête. Alors justement la solution reviendrait à couper celle-ci.

Mais de là à la couper pour couper court à tous les scénarios dramatiques auquel notre mental veut nous faire croire…

Si nous tenons tant à trouver une solution à un problème qui n’existe pas et quitte à couper quelque chose, le mieux reste encore de laisser parler la voix dans notre tête… et lui couper la parole.

Lorsqu’on l’entend plus que notre cœur, c’est signe qu’il est plus que temps qu’elle se la ferme !

Non mais oh ! On ne va quand même pas se laisser commander, réprimander, dévaloriser par quelque chose qui n’existe que si nous l’autorisons nous-mêmes à exister !

Nous sommes le maître. Le reste c’est du vent.

Et nous avons le choix : ou bien nous nous laissons être ébranlés par ces bavardages incessants, ou bien nous relevons la tête (plutôt que la couper) et nous avançons… contre vents et marées.

C’est ce que symbolise la divinité tantrique Chinnamasta : elle se coupe elle-même la tête afin de représenter la cessation de ces fluctuations du mental dont parle le Yoga-Sutra évoqué plus haut.

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Chinnamasta n’est pas la seule à personnifier cette métaphore de la décapitation pour mettre terme à la domination des projections du mental. On retrouve aussi cela notamment dans l’histoire de Ganesh (cf. La naissance de Ganesh, de l’impur au divin).

Au-delà du geste sanguinaire sur lequel il serait primaire de s’arrêter, il convient surtout de comprendre ce qui se cache derrière cette image.

Cela a à voir en fait avec la notion de dualité.

Chinnamasta symbolise un paradoxe qu’il est fondamental de comprendre intégralement, c’est-à-dire intellectuellement avec sa tête mais aussi charnellement avec son corps. Ce paradoxe est le suivant : c’est en désunissant que l’on réunit. Autrement dit, c’est en sortant de la con-fusion que l’on entre dans la conscience de la véritable union.

Ce qui est ici paradoxal et très subtil à comprendre c’est qu’en réalité la confusion naît de l’illusion de la séparation. Tant que l’on reste enfermé dans le piège de la dualité, cette fausse croyance que notre corps charnel et sensuel (prétendument relié à l’humain) est séparé de notre esprit pur et conscient (prétendument relié au divin), on se maintient prisonnier de la confusion entre ce que nous croyons être et ce que nous sommes vraiment. Nous croyons être de simples humains, captifs de leur malheur lié à la connaissance de leur nature imparfaite et mortelle alors que nous sommes en vérité du nectar d’Amour divin et éternel qui a été incarné afin d’en enrichir les arômes.

Le jour béni où l’on se délivre de cette confusion – et cela ne peut se passer que par l’expérience humaine transcendée – ce jour où, nous confrontant à notre plus grande peur, nous prenons conscience que celle-ci n’était construite que sur des fondations fantômes et qu’il suffisait d’ouvrir vraiment, réellement les yeux pour s’apercevoir que ça n’existait pas, alors on goûte enfin à ce qu’est vraiment la Liberté. La liberté d’être Soi. Pleinement Soi. Et non plus un soi que l’on avait établi sur une identité étriquée et erronée.

Mais pour cela il faut prendre le risque. Le risque de s’exposer à sa peur de disparaître. Cette peur de disparaître est elle-même le fruit de la confusion : nous croyons que c’est ce que nous sommes intrinsèquement qui disparaîtra alors que c’est justement ce que nous ne sommes pas et que nous croyons pourtant être (vous suivez toujours ?  ) qui disparaîtra.

Il y aura donc effectivement une disparition, une dissolution, une abolition. Mais celle-ci est nécessaire précisément pour faire éclore ce que l’on est vraiment. La disparition, la mort est celle de ce « faux-nous » dans lequel nous faisions si bien semblant de vivre que nous étions la première personne à nous croire nous-mêmes.

Et il est indispensable d’en passer par cette mort si l’on souhaite un jour connaître le bonheur de ne plus se contenter de faire semblant de vivre pour pouvoir vivre enfin vraiment.

Il faut avoir la bravoure de faire l’offrande de ce « faux-soi » auquel nous croyions et auquel nous nous attachions. Il faut avoir l’humilité de reconnaître que l’on ne sait en fait rien au sujet de Soi, que l’on est « débutant » dans la connaissance de Soi (voir le texte suivant : Sans titre). Il faut avoir la sagesse de tout oublier des convictions que l’on avait au sujet de soi-même pour pouvoir se rencontrer pour la première fois. Il faut avoir la folie nécessaire de se jeter nu tout entier dans le feu au risque de disparaître… et donc au risque de vivre…

Il est en effet vital de nous mouiller à l’eau trouble de nos failles, de goûter à l’amer salé de nos larmes, de plonger dans les profondeurs du cœur de nos entrailles.
Alors seulement peut émerger à notre propre surface le pur nectar du Soi.
Pas d’ascension sans immersion.

Il est vital d’anéantir tous les orgueils de notre ego, de creuser la tombe du cadavre de nos illusions, de faire le deuil de notre propre chaos.
Alors seulement pourront tomber en lambeaux les vieilles peaux qui recouvrent la précieuse soie du Soi.
Pas de reconstruction sans destruction.

Il est vital d’avoir été intérieurement ébranlé par la traversée de zones de turbulences pour pouvoir laisser enfin la Vie danser en soi.
Alors seulement, nous serons prêts à jouir de notre juste place : au centre de Soi.
Pas d’évolution sans révolution.

Au-delà de la tête coupée, c’est la déchirure de toutes les limitations et les peurs créées par notre mental et auxquelles nous nous soumettons que Chinnamasta symbolise.

C’est précisément lorsque nous nous coupons de cela par le dépassement de ce que nous croyions impossible que nous entrons alors dans la conscience de notre Unité.

Et cette Unité dont il s’agit est triple : notre corps et notre tête, l’Autre et nous, le Divin et nous.

Nous ne sommes ni un corps sans tête, ni une tête sans corps.

Nous ne sommes ni séparés de nous-même, ni séparés de lui, ni séparés de Tout.

Nous ne faisons qu’Un car nous ne sommes en vérité qu’Un.

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