Elle rigole. Beaucoup. Raconte ses anecdotes en se tordant et rappellera, après l’entretien, pour préciser que ce qu’elle aime, c’est se marrer. Odile Buisson est gynécologue obstétricienne dans un «beau cabinet bien bourgeois», de Saint-Germain-en-Laye, en banlieue parisienne.
On pourrait s’attendre à une quinqua BCBG, bien polie, bien soignée. C’est raté. Si elle est chic, elle n’est pas coincée. Elle parle vite et cru. Dit «bite», «couille» et «cul». Comme si elle n’avait pas le temps de s’embarrasser de politesses. Comme si les délicatesses empêchaient de parler des sujets qui fâchent. Et le contexte actuel a de quoi alimenter ses colères, elle qui bataille contre «tous les archaïsmes» qui percutent la santé des femmes. La remise en cause de la pilule, les rabiotages économiques qui ont transformé les maternités en «accouchoirs» d’où les jeunes mères sont renvoyées deux jours après leurs couches, la mode de l’accouchement naturel sans péridurale et à domicile, le retour du religieux… «Tous ceux qui veulent nous faire croire qu’on ne peut pas être vraiment mère sans douleur, c’est mon pied au cul !» s’agace-t-elle.
Mais c’est surtout l’inquiétude, voire le désespoir, qui pointe face à une gynécologie qu’elle aime mais qu’elle voit partir en vrille. «Avant, 130 gynécologues étaient formés par an. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 32. Après avoir sorti les femmes de l’ornière, j’ai peur que la gynécologie de pointe ne profite plus qu’aux élites.»
Son féminisme est bien à elle. D’ailleurs, elle préfère le terme «humanisme». «Je défendrais les hommes aussi, si leurs droits étaient menacés.» Pourquoi les femmes alors ? Parce qu’en trente ans de pratique, c’est elles qu’elle connaît le mieux. Elle admire la modernité de Benoîte Groult et loue le travail des filles d’Osez le féminisme, qui le lui rendent bien. Mais elle s’affranchit de toute chapelle idéologique, n’aime pas les «pensées ambiantes». Elle est pour la GPA (gestation pour autrui) «qui se fera, alors mieux vaut l’encadrer», et contre l’abolition de la prostitution, au nom de la liberté.
Son engagement se fait sur le tard et, paradoxalement, au contact d’hommes. Sa rencontre, en 2004, avec Pierre Foldès, spécialiste de la réparation des mutilations génitales, est déterminante. «Mes engagements sur le terrain contre les violences faites aux femmes, cet aspect de ma pratique, d’action pure, ont dû l’interpeller»,dit-il de cette bonne camarade.
Pour ses travaux de réparation du clitoris, notamment après une excision, c’est lui qui va lui demander d’échographier, pour la première fois, ce grand inconnu. Elle confesse : «Je lui ai dit : "Tu crois que ça peut s’échographier ce machin-là ?" Je ne connaissais même pas son anatomie exacte.» Avec les moyens du bord, ces appareils high-tech qu’elle affectionne et des femmes puis des couples de volontaires, elle réalise aussi les premières échographies de coïts en live. Bilan de ces imageries ? Une révolution. Le clitoris n’est pas un petit bouton isolé mais un organe plus vaste et bien plus complexe. Et les femmes qui pensent avoir trouvé leur point G ne sont pas des hystéros : le clitoris a une partie interne qui peut être stimulée par les va-et-vient de la pénétration. Face à plusieurs études qui contestent l’existence de cette zone de plaisir, elle écrit en 2011 Qui a peur du point G ?. Un premier coup de sang retentissant qui marque son entrée dans l’arène médiatique. «J’en avais assez d’entendre que "tout est dans la tête". C’était une façon bien commode d’évacuer la sexualité féminine, et surtout de ne pas en parler.»
A force de foncer dans le tas, de dénoncer l’androcentrisme de ces messieurs de l’université qui connaissent tout du pénis mais rien du clitoris, de s’indigner contre l’industrie pharmaceutique qui se préoccupe de la bandaison des hommes mais jamais des troubles des femmes et de s’exaspérer du mépris dans lequel les scientifiques tiennent le plaisir sexuel féminin, Odile Buisson ne se fait pas que des copains. Les sages-femmes qui n’ont guère apprécié ses coups de boutoirs contre l’accouchement naturel l’ont prise en grippe. «Elle a des prises de position extrêmes, c’est sa façon de faire passer le message, mais en rentrant dans les gens, elle se met du monde à dos», constate Pierre Foldès. Une partie du corps médical la snobe. Certains considérant son travail comme une vaste blague. «Les médecins n’ont pas lu son livre sur le clitoris, ils considèrent cela comme du travail subalterne, regrette Israël Nisand, gynécologue obstétricien. Mais elle s’en fout, elle n’est pas là pour chercher les honneurs et ça l’amuse follement de les voir se pincer le nez !»
N’empêche, on la sent quand même fiérote, elle qui n’est pas universitaire et qui vient «de la plèbe», d’être invitée à donner des cours aux Etats-Unis, en Suisse et d’avoir hérité du titre ronflant de board director de l’International Society for the Study of Women’s Health. Si elle donne l’impression de l’allumette prête à flamber, Odile Buisson a besoin de potasser, de rencontrer, de creuser en parlant avec les principales intéressées avant de s’enflammer. Mais son truc, c’est avant tout d’aller voir là où c’est interdit, ce qui gène, ce qui dérange. C’est ce qui l’a poussée à choisir gynécologie. «C’était un sujet qu’on n’abordait pas à la maison : j’ai quand même appris comment on faisait les bébés à 12 ans !»
De son adolescence à Saint-Nazaire, Odile Buisson se souvient de ses lectures de Che Guevara. De sa mère, au foyer et gaulliste, qui la rattrapait par la culotte quand elle partait en manif et lui disait «d’arrêter avec [ses] idées de singe». «Je voulais faire la révolution ! J’avais déjà envie de faire péter un truc !» balance-t-elle. Ça pète parfois à la maison, avec son père, agent de maîtrise et délégué CFDT dans une raffinerie de pétrole. «Mes parents étaient très aimants mais aussi très sévères. Et puis dans ma famille, on ne voyait que par les hommes. C’était dur mais cette espèce d’adversité a déclenché ma pugnacité, ma rébellion.»
Avec toutes ces idées, on la placerait volontiers à gauche toute. Même pas. Elle pioche. A déjà voté à gauche mais pour la dernière présidentielle, c’était Sarkozy. Etrange alors que ses écrits semblent désigner la droite comme responsable de la gabegie médicale. «Sarkozy s’est trompé sur la santé mais il avait la volonté de donner sa chance à ceux issus des classes populaires.» Son mari, rencontré sur les bancs de la fac de médecine, au milieu des lodens vert bouteille et des serre-têtes nantais, l’a pacifié, dit-elle. Le théâtre et les pièces de Shakespeare auxquelles elle assiste avec son fils l’apaisent. De ses sept années de pratique du kendo, un art martial japonais, elle a retenu que «quand on tape sur les gens, on ne les casse pas, au contraire, on en fait des combattants». Ça sonnerait presque comme une devise. Son combat ne fait que commencer.
EN 7 DATES
10 mars 1956 Naissance à Malo-les-Bains.
1973 Etudes de médecine.
2000 Commence le kendo 2004 Rencontre Pierre Foldès.
2008 Première échographie du clitoris.
2010Qui a peur du point G ? (Ed. Jean-Claude Gawsewitch).
2013 Sale temps pour les femmes (Ed. Jean-Claude Gawsewitch).