Aujourd'hui, en France aura lieu dans plusieurs endroits une minute de silence pour les victimes de l'attentat dans les locaux de Charlie-hebdo.
Des hommes sont morts. Ils défendaient une cause, à leur façon. L'hommage est indispensable, spontané, naturel, évident.
C'est en France, à Paris, en pleine journée, avec des armes de guerre. On connaît les visages des morts. Ils étaient célèbres. N'importe qui d'entre nous aurait pu se trouver sur les lieux, dans la rue et être abattus pendant la fuite des tueurs.
On reste sidéré, anéanti, horrifié.
J'entends dire : C'est "chez moi", dans mon pays, sur "mon" territoire", dans un endroit symbolique, celui de la liberté d'expression...
J'entends dire : "Je suis Charlie".
Non. Je n'ai pas de territoire. Je suis né ici. C'est juste une circonstance. Ça n'est pas "chez moi". Aucune terre ne m'appartient, pas même celle où se trouve la maison que j'habite. C'est un papier qui dit que c'est à moi. Je ne partirai pourtant pas avec le jour de ma mort. Il n'en reste pas moins que j'aime ce pays, que j'ai la chance d'être né "au bon endroit"........
Je ne suis pas Charlie. Je suis un être Humain. Je ne pleure pas davantage les hommes qui sont morts à Paris que les migrants ou tous les enfants assassinés chaque jour, toutes les femmes battues à mort, tous les sans-abris morts de froid, tous les Africains contaminés par Ebola, tous les Palestiniens, tous les Peuples Racines traqués, anéantis, spoliés, toutes les femmes violées, tous les enfants abusés sexuellement, toute cette épouvantable misère humaine...
Il faudrait des minutes de silence éternelles.
Je suis juste sidéré. Comme à chaque fois. Anéanti par mon impuissance. Car je ne fais rien pour les migrants, je ne fais rien pour les enfants enrôlés dans les guerres d'adultes, je ne fais rien pour les femmes battues à mort, je ne fais rien, je suis impuissant, épouvantablement impuissant.
Je ne peux pas faire de choix. Je ne peux pas faire une minute de silence pour Untel et pas pour les autres. Je ne peux pas rester figé dans une minute de silence jusqu'à la fin de mes jours.
L'actualité quotidienne de ce monde est un vacarme effroyable et les minutes de silence ne couvriront jamais ce tumulte.
Et lorsque ces minutes de silence seront ciblées, qu'elles concerneront quelques individus, elles jetteront inévitablement dans le vacarme des violences ceux qui seront ignorés, oubliés, méprisés. Ils n'ont pas de noms, pas de visages connus, ils ne représentent pas une idée, ils ne défendent pas d'autres valeurs que la vie en eux et celles de leurs proches. Mais "on" ne les connaît pas. Ce sont des Humains anonymes.
Je pleure tous les Humains anonymes qui meurent chaque jour, là où ils ne souhaitaient que de vivre en paix.
Je ne peux rien faire. Je peux juste essayer de ne pas attiser les haines. De ne pas faire d'amalgame, de ne pas stigmatiser, de ne pas me laisser emporter par des empathies sélectives...
Je ne suis pas "Charlie", je suis un Humain. Comme tous les Humains qui se comportent en Humains.
Elle est là l'unité. Car l'unité nationale, dans la dimension des douleurs, c'est le contraire de l'humanité.
Alors, je serai triste aujourd'hui. Triste pour le monde entier.
Comme tous les jours d'ailleurs......
Ils étaient dans l'eau depuis plus d'une heure.
Zaïa tenait son fils. Il avait froid, terriblement froid. L'immensité effroyable de la mer.
Quelques survivants. Elle avait appelé au secours mais aucun homme n'était venu les aider. Elle avait vu s'éloigner ceux qui savaient nager. Elle en avait vu couler beaucoup d'autres. Le bateau avait sombré en quelques minutes, entraînant dans son sillage des centaines de migrants.
Ahmed, son petit garçon. Il n'avait que trois ans. Elle l'avait obligé à s'accrocher sur son dos. Il serrait son cou mais elle sentait que l'étreinte se relâchait peu à peu. Elle criait parfois pour le réveiller et elle continuait à nager, nager, sans savoir si elle était dans la bonne direction. Elle avait arraché sa tunique, le tissu gorgé d'eau était trop lourd.
Elle ne voulait pas couler, elle ne voulait pas laisser son enfant mais elle redoutait également de le voir mourir avant elle. Deux secondes, pendant deux secondes, elle avait envisagé de couler volontairement avec lui, de l'entraîner dans ses bras vers une mort commune. Puis elle se révoltait et recommençait à battre des jambes.
Tous ces hommes qui s'étaient enfuis, qui avaient ignoré ces suppliques. Elle les haïssait.
Mohammed soutenait la tête de sa femme. Aïcha était enceinte. Elle s'était mise sur le dos. Elle flottait en bougeant doucement. Mohammed tentait de la tirer vers la côte. Mais il ne savait pas où était la côte. Pas exactement. Il savait juste qu'elle était encore très loin, très loin.
Aïcha pensait à son bébé. Lui aussi, il était dans l'eau, à l'abri de son ventre. Que se passerait-il pour lui si elle se noyait. Peut-on mourir noyé en ayant déjà les poumons emplis d'eau ? C'était absurde et elle s'en voulait d'avoir de telles pensées. Elle ne devait pas mourir. Elle n'en avait pas le droit.
Abdelal regrettait d'avoir écouté son fils. Il n'aurait jamais dû prendre ce bateau. Ils étaient tous morts maintenant et lui, il flottait sur le dos en regardant le ciel. On ne quitte pas sa terre natale quand on a soixante-quinze ans, c'est absurde et il avait beaucoup de colère en lui. Il pensait à ce petit ruisseau au bord duquel il aimait s'asseoir depuis qu'il était enfant. Un gros rocher rond ombragé par des oliviers. Il aimait écouter le chant cristallin de l'eau sur les roches. Et maintenant, il allait mourir au milieu de la mer. Il n'avait même pas retrouvé son fils, ni sa femme, ni ses petits-enfants. Ils étaient tous morts, tous noyés, tous emportés dans les fonds noirs qu'il n'osait pas regarder. Il s'était mis sur le dos pour regarder les nuages.
Il avait froid.
Bahir tenait ses deux enfants dans ses bras. Il était épuisé. Il y a quelques minutes, une pensée effroyable avait traversé son esprit. Il fallait qu'il abandonne un de ses deux garçons pour pouvoir sauver au moins l'autre. Il n'aurait pas la force de continuer à les soutenir. L'aîné était le plus lourd mais il aurait peut-être davantage de résistance au froid. Il pourrait continuer à nager avec le plus jeune sur son dos. Mais nager vers où ? Il guettait l'horizon pour y voir un bateau. Il fallait tenir. Et si des sauveteurs arrivaient quelques minutes après qu'il ait fait ce choix. C'était impossible et il ne comprenait pas qu'il puisse avoir de telles idées. Il n'avait déjà pas réussi à sauver sa femme. Il ne l'avait pas retrouvée lorsque le bateau s'était renversé. La panique, les cris, les tourbillons, la masse gigantesque qui bascule à la verticale et coule au milieu des cris. Fatima avait disparu.
Pourquoi avait-il entraîné sa famille dans cette traversée maudite ? Fuir la guerre, fuir la misère, et mourir au milieu de la mer. Mourir noyé, dans une ultime seconde de clairvoyance, sentir ses poumons qui se remplissent et l'air qui manque....Il regardait les visages terrifiés de ses deux garçons.
Il savait qu'ils ne tiendraient pas longtemps.
Personne ne serait sauvé.
3.419
C'est le nombre de migrants morts en Méditerranée dans l'année 2014.
Un commando taliban a attaqué, dans la matinée du mardi 16 décembre, une école accueillant des enfants de militaires à Peshawar, principale ville du nord-ouest du Pakistan, qui compte environ 4 millions d'habitants. En fin d'après-midi, l'armée pakistanaise a annoncé la fin des combats contre les six assaillants du Mouvement des talibans du Pakistan (TTP), à l'origine de l'attaque. Au moins 141 personnes ont été tuées dans l'assaut, dont 132 enfants.
Plusieurs organisations internationales et chefs d'Etat du monde entier ont condamné l'attaque terroriste, la plus meurtrière qu'ait connu le Pakistan. A la surprise générale, les talibans afghans ont également condamné l'assaut le jugeant « contraire aux règles de l'islam ». Dans la soirée, l'armée a réaffirmé sa détermination à poursuivreses opérations en cours contre le TTP jusqu'à son élimination totale. « C'est le devoir de la nation de faire face au terrorisme. »
ISRAËL-PALESTINE
Les enfants de Gaza ont un nom
Un message radiophonique de B’tselem, association de défense des droits de l’homme, présentant la liste nominative des enfants palestiniens tués à Gaza, a été interdit. Ha'Aretz s'interroge sur l'indifférence et le manque d'empathie de la société israélienne.
Des enfants palestiniens remplissent des bouteilles d'eau dans un point d'eau de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, le 27 juillet 2014 (AFP PHOTO/MAHMUD HAMS)
"Mohammed Malaka, 2 ans. Seraj Abdel-Al, 8 ans. Sara Al-Eid, 9 ans. Saher Abu Namous, 4 ans. Ahmed Mahdi, 15 ans." Pendant quatre-vingt-dix secondes interminables, une voix de femme énumère, sur le ton détaché des présentateurs israéliens, les noms des enfants tués à Gaza au cours des trois dernières semaines. "La liste n'est pas exhaustive", répète-t-elle plusieurs fois.
Telle est la teneur d'un message soumis le 23 juillet par l'ONG israélienne de défense des droits de l’homme dans les Territoires occupés B'tselem et interdit par l'Autorité israélienne de l'audiovisuel au motif qu'il est "politiquement controversé".
Ce message n'accuse pourtant personne. Il ne fait que donner les noms d'enfants tués lors du dernier conflit en date entre Israël et le Hamas. Son titre : "Les enfants de Gaza ont un nom", s'inspire de la phrase du poète israélien Zelda sur l'Holocauste : "Chaque personne possède un nom que lui ont donné Dieu et ses parents."
"Rien de ce qu'ils peuvent faire ne vaut la vie d'un seul soldat israélien"
La censure dont a été victime le message de B'tselem révèle un phénomène latent, et préoccupant. La semaine dernière, alors que les Nations unies venaient de décider l'ouverture d'une enquête sur les victimes civiles de l'opération Barrière protectrice, les services du Premier ministre [Benyamin Nétanyahou] ont qualifié la décision de grotesque, tandis que Tzipi Livni, la ministre de la Justice israélienne, déclarait sur son compte Facebook qu'elle n'avait que deux mots à dire sur le sujet :"Hapsu oti" – soit un "bonne chance" ironique et méprisant.
Et ce sont là deux réactions relativement modérées.
"Nous sommes dénoncés de toutes parts pour notre brutalité, notre cruauté, la disproportion de nos attaques, et vous vous dites : 'On s'en fout'. Qu'ils nous empêchent donc tous, sans exception, de prendre un avion, qu'ils fassent ce qui leur chante, car rien de ce qu'ils peuvent faire ne vaut la vie d'un seul soldat israélien", a écrit Ben Caspit, éditorialiste et homme de télévision très en vue, dans le journal Maariv.
"L'enfant d'aujourd'hui est le terroriste de demain. Autant qu'il meure maintenant."
Et ces lignes ne sont rien à côté de certaines réactions non censurées au bilan civil de l'opération. Dans la culture actuelle du web, on poste désormais sur Facebook ou dans les pages de commentaires des médias les opinions que l'on gardait auparavant pour soi. "Quatre enfants morts, c'est tout ? Dommage !" ; "L'enfant d'aujourd'hui est le terroriste de demain. Autant qu'il meure maintenant !" ; "Tel est le prix de la guerre. La prochaine fois, qu'ils ne viennent pas nous chercher." ; "Et alors ?" Certains accusent aussi le Hamas de mentir. Un autre commentaire, lui, relativise : "On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs."
Ce sont évidemment des réactions extrémistes, qui ne sont pas représentatives de l'immense majorité de l'opinion israélienne. Beaucoup s'insurgent contre l'absurdité tragique de voir mourir des enfants, et ce dans les deux camps. Il n'empêche : il fut un temps en Israël où l'ordure était moins ordurière.
Car le fait que des Israéliens puissent tenir ouvertement ce type de propos en dit long sur le glissement qui s'est opéré dans l'opinion ces dernières années.
Auparavant, la mort accidentelle d'enfants – et même de civils en général – choquait. L'armée présentait des excuses, ou du moins rendait des comptes. Les médias en parlaient en long, en large et en travers.
Dans l'Israël d'aujourd'hui, exprimer ne serait-ce qu'un doute sur la légitimité morale de notre armée est devenu un tel tabou que des groupes d'extrême droite, résolus à faire taire tous les suspects de "démoralisation", n'hésitent à se montrer violents. Parler simplement de victimes innocentes vous vaut d'être qualifié de "gauchiste" tenant un "discours de haine", y compris par des élus, comme la députée à la Knesset [le Parlement] Miri Regev.
N'en concluons pas que la majorité des Israéliens n'ont que faire de la mort d'enfants. Mais si cela les choque, le fait est qu'ils n'en disent rien.
N'en concluons pas qu'il n'est plus intolérable de tuer des enfants. Mais le fait est que c'était plus intolérable avant.
Visiblement, plus il y a d'enfants parmi les victimes, moins l'on s'indigne.
Il fut un temps où ces enfants avaient un nom, un visage même. C'est un fait.
L'apathie totale est la dernière étape avant la haine.