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  • Sagesse orientale.

    Un habitant du nord de la Chine vit un jour son cheval s’échapper et passer de l’autre côté de la frontière. Le cheval fut considéré comme perdu.

    A ses voisins qui venaient lui présenter leur sympathie, le vieil homme répondit :

    La perte de mon cheval est certes un grand malheur. Mais qui sait si dans cette malchance ne se cache pas une chance ?

    Quelques mois plus tard, le cheval revint accompagnée d’une magnifique jument. Les voisins félicitèrent l’homme, qui leur dit, impassible :

    Est-ce une chance, ou est-ce une malchance ?

    Le fils unique du vieil homme fut pris d’une véritable passion pour la jument. Il la montait très souvent et finit un jour par se casser la jambe pour de bon.

    Aux paroles désolées des voisins, l’homme répondit, imperturbable :

    Et si cet accident était une chance pour mon fils ?

    L’année suivante les Huns envahirent le nord du pays. Tous les jeunes du village furent mobilisés et partirent au front. Aucun n’en revint. Le fils estropié du vieil homme, non mobilisable, fut le seul à échapper à l’hécatombe.

    (d’après Hoài-Nam-Tu)



    "Laisse la vie te vivre, elle sait où elle va."

    Je n'en démords pas. A ces situations auxquelles nous apportons notre réaction, nous ne comprenons en fait rien du tout. Nous cherchons à les enluminer ou à les exorciser par des paroles insignifiantes qui nous donnent un sentiment de puissance, une soi-disant maîtrise, une analyse, une reconnaissance ou un déni...Tout ce à quoi nous nous identifions en insérant dans la Vie nos conditions de vie. Cette réaction est à mon sens issue de cet orgueil immense de l'homme à qui on apprend, enfant, que la Vie est une lutte redoutable, une alternance constante entre le bonheur et le malheur, le bien et le mal, toutes ces notions archaîques ensemencées par les religions, les conditonnements, les formatages, l'inconscient collectif. Cette Vie devient effectivement une lutte dès lors que nous y insérons les résidus d'un mental incontrôlé, les éducations adorées comme autant de divinités. Nous sommes des esprits supérieurs, que diable !! Que diable...Oui, effectivement, on pourrait penser qu'il s'agit de lui. Le mental comme un Satan sortant constamment de sa boîte et pervertissant la Vie.

    Mais la Vie n'a rien à voir avec nos conditions de vie, avec les évènements qui jalonnent notre parcours, avec les errances, les tourments, les réalisations, les bonheurs, les amours...Tout cela n'est qu'un vaste puzzle dont les pièces emboîtées constituent l'image de la Vie qui nous a été donnée. Il est inconcevable de vouloir en changer les couleurs, les dessins, les arabesques, les nuances en insérant dans l'étendue les commentaires d'un mental qui se veut le maître. Il n'est pas le dessinateur, il n'est pas l'architecte, il n'est pas le coloriste. Il n'est que le commentateur bavard et indiscipliné d'un "dessein" dont il ne comprend rien.



    La lucidité consiste à envelopper dans son ensemble et non uniquement dans ses détails l'estampe magnifique où nous demeurons.

     

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  • Sagesse matérialiste.

    « La sagesse matérialiste. »

    L'expression est d'André Comte-Sponville. Il s'agit d'accepter la sagesse et le matérialisme. Ce concept propose de regarder la réalité en face, les limites psychologiques, politiques, esthétiques, morales dans lesquelles l'homme s'est enfermé et à l'intérieur desquelles il tourne en rond en cherchant à les maîtriser alors que ces efforts ne font que l'enfoncer dans le siphon créé par son agitation.

    Cette "réalité" ne serait dès lors que l'hallucination générée par ces tourments prolongés. Le réel serait lui cet espace dénué de toute volonté de transformation. La volonté de maîtriser la réalité ne serait qu'une accumulation d'actes et de pensées alors que l'acceptation du réel correspondrait plutôt à "l'agir dans le non agir" oriental. La réalité n'est pas le réel.

    La volonté est une espérance et elle conduit inévitablement à la désillusion car même la volonté assouvie créé immédiatement un autre projet, une autre intention, une nouvelle forme de maîtrise. Le "désespoir", c'est à dire l'abandon de tout espoir est à la source du bonheur. Evidemment, l'idée inquiète car le désespoir est un mal sociétal qu'on nous apprend à combattre. Mais le combat lui-même génère le mal. Car il y a refus. Et donc résistance. Et donc échec puisque le projet est avorté. Nous avortons sans cesse de nous-mêmes à travers un combat qui rompt la poche spirituelle où nous pouvons grandir.

    C'est par l'abandon de tout ce qu'il construit intellectuellement, de toutes ses croyances, que l'individu peut transcender toutes les limites et les errances de l'égo. C'est par l'extrême présence dans l'acte de vivre lucidement d'instant en instant.

     

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  • Rêver sa vie.

    "La recherche spirituelle, c'est arriver à faire la part de la réalité concrète et celle de nos propres projections.

    Toute notre vie n'est que projection de nos rêves.

    La recherche spirituelle signifie positivement affronter l'existence telle qu'elle est."

    Rajneesh



    "Il faut garder en mémoire nos rêves, avec la rigueur du marin qui garde l'oeil rivé sur les étoiles. Ensuite, il faut consacrer chaque heure de sa vie à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour s'en approcher, car rien n'est pire que la résignation."

    Gilbert Sinoué.




    On pourrait imaginer que ces deux textes s'opposent, c'est en tout cas la première impression qui en ressort. Courir après ses rêves et ne plus être dès lors dans la réalité... Mais si les rêves sont exploités dans l'instant et propulsent l'individu au-delà de l'existence quotidienne, lui confèrent une énergie inconnue jusqu'alors, peut-on considérer qu'il s'agisse d'une hallucination ou d'une illusion? Cet individu est-il en dehors de la réalité ou créé t-il la réalité qui lui convient ? Doit-on s'astreindre à recevoir l'existence telle qu'elle se propose ou doit-on tenter de la construire ? N'y a-t-il pas dans la vision projetée vers un futur à atteindre une élévation de l'individu ? Si l'individu exploite la réalité pour lui donner la saveur dont il rêve, ne reste t-il pas dès lors dans une démarche spirituelle ?

    On peut effectivement craindre que l'illusion des rêves s'installe lorsque ce futur impose au présent une connotation négative et plonge l'individu dans la détresse de la désillusion. Le risque est là. La vie dès lors ne serait qu'un parcours chaotique vers un océan de plénitude inatteignable. La réalité deviendrait un fardeau.

    L'équilibre réclame une lucidité de tous les instants.

    Lorsque j'écris un roman, je me projette dans mon histoire, je me dois d'imaginer la suite et le rêve est de mener ce travail à terme. Je n'ai pas d'autres objectifs que celui-là. Je ne rêve pas d'une publication ou d'un succès international, je ne m'illusionne pas. Mais je ne peux éviter de me projeter au-delà de la page déjà écrite. C'est un projet temporel. La lucidité est présente lorsque le rêve ne prend pas une ampleur démesurée. Il ne tient qu'à moi de rester lucide. Sans perdre de vue l'étoile qui brille et me nourrit.

  • L'énergie.

     Juillet 2009.

     

     

     

    Les gens devraient faire plus de vélo...

    C'est l'humanité, incapable de préserver la sienne, qui prive la planète de son équilibre interne.


    Pour notre part, il est certain qu'une attitude plus lucide, plus clairvoyante, une analyse rigoureuse et constante de nos actes engendreraient non seulement la préservation de notre énergie vitale mais nous permettrait de prendre conscience que la Terre, être vivant, est tout à fait capable de maintenir son homéostasie .

    Ceux qui s'enrichissent ne le voient pas ainsi, bien évidemment, ceux là n'ont qu'une vision court terme et se moquent éperdument des conséquences de leurs actes. Je ne peux que leur souhaiter de rôtir jusqu'à la fin des temps dans les marmites de Lucifer.

    Qu'en est-il de l'humanité ? L'état désastreux de cette planète n'est-il pas le reflet de ce gaspillage de notre propre énergie, le pillage des ressources naturelles n'est-il pas le reflet de notre incapacité à gérer notre énergie vitale ? Ne sommes-nous pas dans le même fonctionnement ?



    Il a suffi que je limite mon attention à l'action en cours pour que le résultat s'améliore, pour que la fin du parcours ne me conduise pas à l'agonie. L'énergie préservée était toujours disponible, elle ne s'était pas évanouie dans des luttes intestines et disparates...

    Combien d'occasions de la vie nous plongent dans le même gaspillage, combien de fois nous laissons-nous emporter par le flot des pensées anarchiques, émotions, ressentis, conflits intérieurs, au point de briser la plénitude dans laquelle nous pourrions évoluer si nous parvenions à rester impliqués dans l'instant, appliqués dans l'action, concentrés sur nos pensées, interdisant toute intrusion inopinée ?

    Pourquoi est-ce que sur mon vélo, je me suis laissé aller à ce désordre physique alors qu'il était néfaste à mon avancée et pourfendeur du peu d'énergie qui me restait ? Le manque d'attention, tout simplement. L'action m'entraînait dans un fonctionnement inconscient, la fatigue accentuait le désordre, l'absence de rappel à soi finissait d'achever le bonhomme.

    J'ai toujours à l'esprit "le pas du guide de haute montagne" qui ne change pas de rythme, ne bouge pas le haut du corps, cherche des appuis à égale distance, sans allonger le pas, et qui la plupart du temps marche en silence... Etre impliqué dans ce qu'on fait et ne rien disperser aux quatre vents.

    Lorsque l'individu se plaint d'un état de fatigue suspect, ne devrait-il pas, avant d'aller s'en inquiéter chez le médecin, essayer d'analyser son fonctionnement ? Ne dépense-t-il pas inutilement un potentiel limité qu'il convient de préserver ?

    Je me suis demandé si nous n'avions pas tendance dans notre vie quotidienne à gaspiller notre énergie de la même façon... Pas nécessairement sur un plan physique mais bien davantage sur un plan spirituel. L'un et l'autre étant d'ailleurs étroitement imbriqués.



    La vitesse sur le compteur a augmenté et surtout j'avais l'impression dès lors que la pente était moins raide. Du coup, le moral est remonté en flèche, je me suis senti fort, plus fort que ma fatigue et elle s'est évanouie...

    Ca ne servait à rien tout ce gâchis d'énergie alors je me suis concentré en visualisant les forces dans un espace maintenu sous le nombril, comme si je décidais de condenser le flux vital là où il était le plus bénéfique.

    Nouveau tour de vélo ce matin... Dans la plus longue montée, alors que ça faisait un bon moment que je ruisselais sous un soleil de plomb fondu, je me suis aperçu que je bougeais la tête, que j'avais les épaules et la nuque crispées et que j'accompagnais de tout le haut du corps l'effort de mes jambes... Dispersion. Fatigue.

     

     

  • Perdre la tête.

    Juillet 2009.

     

    Je suis allé faire du vélo ce matin, un long tour dans les montagnes, un col bien raide, juste histoire d'entretenir le bonhomme...Je savais bien que j'allais "prendre cher" comme disent mes deux gars.

    Je roulais sous le soleil, douze kilomètres de montée, je soufflais les gouttes qui perlaient régulièrement au bout de mon nez ou qui venaient me brûler les yeux, je ruisselais tellement que la route devait glisser derrière moi...

    Et puis là, soudainement j'ai réalisé que je ne pensais à rien ! Bon, bien entendu, il a fallu que je pense pour m'en apercevoir mais j'aurais été incapable de dire depuis combien de temps il n'y avait rien eu dans ma tête qu'un grand vide apaisé...

    Quel bonheur !!

    Pourquoi est-ce qu'ainsi je parvenais enfin à perdre la tête ?

    La solitude tout d'abord. La première explication qui me venait à l'esprit. Dans l'absence de l'autre, je ne disposais d'aucun miroir, aucun retour vers ce moi identifié. L'autre n'est que l'architecte de ce moi. Il m'apporte le rôle qui convient à l'instant. Je n'étais ni le père qui accompagne ses deux garçons, ni le cycliste qui roule dans un groupe, rien. Aucune parole, ma voix ne venait pas me rappeler ce que je suis. Aucune attention envers cet autre que je ne dois pas perturber si je souhaite maintenir le contact, la reconnaissance. Aucun besoin d'établir cette réciprocité nécessaire envers l'autre moi qui cherche inconsciemment à construire ce qu'il pense ou souhaite "être"... Aucun regard vers cet individu que je suis à travers la communication. Personne pour me renvoyer l'image de moi. Lorsque je parle à quelqu'un, je peux voir dans ses regards tournés vers moi que "je" suis là. Mais est-ce le "je" ou le "tu" auquel il s'adresse ? Etant donné qu'il profite de la même façon de mon attention, il est probable que je ne lui donne ce sentiment d'existence qu'à partir du moment où je profite également de ce qu'il m'offre... Dès lors, nous imaginons simultanément deux êtres constitués, identifiés, séparés, face à face, comme deux entités différenciées... Et ce sentiment d'être là grâce à l'autre nous comble de bonheur. Même s'il s'agit d'un jeu de rôle auquel nous nous soumettons afin de préserver l'assemblage. Nous acceptons d'être modelés par les réactions de l'autre parce que nous y prenons forme. Parce que le "tu" se dresse et du haut de son égo se ravit.



    L'épuisement ensuite. Comme une déliquescence favorable, une perdition de tous les repères. Je pensais au zazen de Jacques Brosse.

    Cette identification proposée par l'autre est une superposition à la réalité. L'impression adorée qu'il y a une personne dans le monde, une croyance à laquelle je m'attache parce qu'elle me renforce. Mais là, il n'y a personne pour m'observer et me renvoyer mon image et je perds en plus la sensation éprouvée de mon corps. Et ce corps est "l'autre" entité à laquelle je suis attaché. Je ne le vois pas comme un "transporteur" mais un être à part entière, une réalité détachée de celle du monde. Hallucination.

    Et là, dans le tempo de mes jambes qui appuient sur les pédales, sans que je n'ai à y penser et sans qu'aucune sensation précise ne me parvienne, je me dilue, je m'évapore, je quitte cet ectoplasme réduit à une enveloppe vidée de tout, juste animée encore (heureusement !) par les battements cardiaques et toute la machinerie physiologique qui lui obéit, sans que je n'ai besoin d'intervenir, sans que mes pensées n'aient à en prendre la charge, comme si dans la sueur qui ruisselle toutes les images afférentes à ce corps dégoulinaient, ruinées par l'abandon complet à la mécanique lancinante des jambes qui pédalent, qui pédalent...

    Je ne sais pas où est le sommet, je ne m'y intéresse même pas, je fixe le goudron devant ma roue, les yeux cloués à la route, dans un vide silencieux.

    L'épuisement est une humiliation bénéfique, salvatrice, je ne suis qu'un vide que personne ne regarde, que personne ne sonde, juge, observe, moule, transforme.

    Je n'ai plus de tête puisque personne ne m'offre à travers ses regards la présence de cette tête, je n'ai plus de corps, il ne reste qu'un mouvement qui ne m'appartient pas, une certaine hypnose qui m'extirpe de cette carapace fracturée, un leitmotiv mécanique comme si la vie elle-même se maintenait, aucune volonté, ce n'est pas "moi" qui pédale, "ça" pédale en moi et il n'y a plus de moi mais un puits ouvert qui absorbe la lumière, l'énergie, le souffle vital, je ne cherche pas à accélérer, je ne cherche même pas à avancer, rien n'est à moi, j'appartiens à ce vide qui me remplit.



    J'ai voulu quitter mes pensées à un moment... Elles revenaient à l'assaut... Alors je me suis concentré sur la remontée de la jambe gauche pendant que la droite redescend... Jacques Brosse parle de concentration pour faire zazen... Pour s'enraciner dans l'absence et découvrir la présence.

    Appuie, remonte, appuie, remonte... Appu... Remon... Ap... Re...

    Plus rien. Le vide.

    Je n'ai rien vu des derniers kilomètres...

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  • Une étrange distance.

    Je ne sais pas ce que c'est.

    Je réalise que cette "évaporation" survient de plus en plus souvent. Même en présence d'autres personnes. Je peux m'extraire de l'instant dès lors que rien ne m'est demandé, que je n'ai rien à faire. Je ne connaissais cet état que dans la solitude et je le vis maintenant dans mes relations quotidiennes. Je n'entends plus rien, ni les discussions, ni les bruits divers, je suis "ailleurs". Comme si ce vide s'étendait autour de moi et qu'il créait un espace étanche, imperméable, élastique, il s'étend, il s'étend, les éléments disparaissent, comme si je n'étais plus inséré dans le fatras des conditions de vie mais que je maintenais pourtant un lien insécable avec ce monde extérieur, je peux le réintégrer en une fraction de seconde, dès lors que c'est nécessaire, dès lors que la raison doit être enclenchée pour une action précise.

    Je sais pour autant que le vide est toujours là, qu'il ne s'efface plus, il existe, rien ne peut l'éliminer, il suffira que je cesse de penser pour entrer de nouveau dans cette dimension personnelle. J'en suis heureux. Je n'ai pas besoin de me raisonner en me disant que je dois cesser de penser, je sais de toute façon que la méthode est absurde. Le vide est là, il suffit que je me "déplace", que je quitte les structures mentalisées et il m'accueille.

    Lorsqu'il n'y a plus rien, je sens (mais les cinq sens sont étrangers à tout ça) une certaine félicité, une sérénité qui ne m'est pas accessible dans la dimension raisonnée. Il n'y a plus rien et étrangement l'impression que "tout" est là. Une présence dans le vide.
    Toujours cette étrange distanciation avec le monde qui m'entoure, comme si je vivais dans une bulle qui filtrerait les éléments essentiels.

    Je peux user de ma raison quand c'est nécessaire mais dès que je n'ai plus aucune intervention à avoir, aucune action à mener, je me sens partir dans une dimension de silence que j'aime de plus en plus. C'est davantage qu'un silence extérieur bien entendu. C'est l'absence de pensées, une certaine "lobotomie," une plongée incontrôlée dans une dimension intemporelle, dé-mentalisée, un abandon complet. Je vois un entonnoir en moi et le tourbillon des pensées insoumises qui disparaît, je n'ai aucune volonté, (ça reviendrait à créer un ancrage), si ça n'aboutit pas je ne m'en fais pas, c'est juste que je n'étais pas prêt, ça ne dépend pas de moi, c'est comme un besoin interne, la raison n'a rien à y faire, comme une évaporation, je ne connais pas la source de la chaleur, elle est là, c'est tout.

    Et d'ailleurs à quoi me servirait-il de le savoir ? Si j'essaie d'y mettre un nom, je l'identifie et dès lors je le limite. Et il n'a pas de limite, comme il n'a pas de nom.

  • Spiritualité. (1)


     

    La spiritualité est une découverte constante au coeur de la réalité. "L'homme n'est que l'ombre de l'Homme qui est l'ombre de Dieu." Et parce que la spiritualité exige de la part de l'individu une découverte et une élaboration totale, depuis la source, de la voie qui l'élève, il est actif et non "utilisé"...

    L'absence de repères établis autorise l'individu à oeuvrer pour lui-même , non dans une voie reconnue et balisée, mais dans l'élaboration obstinée de ses propres horizons. "Voilà où je veux aller." Et non "je voudrais aller là où vous êtes." La spiritualité est un chemin solitaire. Les rencontres sont des apports et non des soumissions, elles enrichissent celui qui y perçoit le diamant qui lui convient et non celui que les instances dirigeantes lui ordonnent d'honorer.

    La foi n'est pas là. Ce monde religieux n'est pas le monde spirituel. La spiritualité n'a pas de fil conducteur, elle n'a pas de Bible, aucun texte Sacré, elle ne réclame aucune fidélité, elle accepte les errances, les changements de voie, les recherches multiples, elle reconnaît que l'individu est une unité existentielle et qu'il possède ce droit essentiel du choix.

    Le fonctionnement vis à vis de Dieu me semble être le même. Nous nous engorgeons de données liturgiques sans les comprendre autrement que par auto-persuasion, par goût de l'appropriation partagée, comme une nouvelle technologie ou une nourriture exotique. Nous en apprenons l'usage mais nous ne comprenons rien de son origine, de sa réalité, du mystère qui l'habite. Et croyant (justement) que ces religions nous élèvent, nous ignorons respectueusement que nous les servons. La tristesse inhérente à cette absence d'élévation malgré ce don de soi que nous maintenons à travers des pratiques ou des lectures, cette désillusion prolongée ne font que renforcer l'adhésion forcenée dans l'attente impatiente d'un "signe", d'un bonheur, d'une révélation, d'une protection accordée... On entre dans l'addiction. La lucidité est exclue.

    L’homme moderne est ainsi un être qui “ne sait rien” au sujet du fonctionnement du monde, de l’économie, de ce qui fait son quotidien, de son corps, de sa vie. Ou, en tout cas, si information il y a, elle lui arrive depuis un extérieur spectaculaire par rapport auquel il reste passif et éloigné. En d’autres termes, nous sommes chaque jour plus informés des choses dont nous ne savons rien du fonctionnement et de l’orientation. La tristesse comme symptôme de l’impuissance est alors la conséquence de cette déréalisation du monde. » Miguel Benasayag

    « Notre société est constituée d’utilisateurs, de consommateurs qui, le plus souvent, ignorent tout sur la façon dont fonctionnent les appareils et mécanismes qui les entourent et qui constituent le monde dans lequel ils vivent, Ainsi, tout en croyant être utilisateurs, nous finissons par devenir nous mêmes “utiles” au service des différentes techniques. Cela vaut bien sûr en ce qui concerne les techniques plus ou moins sophistiquées qui composent le paysage quotidien , mais notre ignorance s’étend également aux domaines économique, politique, etc.

     

     

     

  • Libérer les pensées. (spiritualité)

     

    22 novembre 2009

    Ouverture du blog.

    Il devenait indispensable pour moi que je pose mes réflexions par écrit. 

    Les pensées sont trop éphémères et incomplètes. Elles sont trop vivaces en moi et créent une arborescence chaotique qui ne permet pas une introspection durable et complète.

    L'écriture instaure par contre un cadre limitant à l'intérieur duquel les pensées se concentrent. C'est comme le tableau d'un peintre. L'image intérieure qu'il en a dirige et canalise son inspiration et il ne va pas se mettre à peindre les murs sous le coup de son imaginaire...

    Les pensées sont volages, aussi fluctuantes que le vol d'un papillon alors que l'écriture est un travail de taupe, l'enfoncement volontaire dans les strates les plus profondes....

    C'est à ce travail que j'ai décidé de m'atteler dans ce blog.

     

     


     "Les pensées sont comme des mouches qui entrent et sortent d'une chambre. L'important est donc de laisser les fenêtres grandes ouvertes. Ainsi, les mouches, pourront aller et venir, sans guère gêner l'occupant de la chambre. Bientôt déçues par ce lieu inhospitalier, elles n'y entreront même plus."

    Jacques Brosse.

    J'aimais bien ce petit texte. Nettement moins depuis quelque temps. J'ai eu l'impression qu'en laissant les fenêtres grandes ouvertes, les mouches ne se lassaient pas du tout de leurs allers-retours et leurs bourdonnements imprévisibles m'horripilaient. J'attendais impatiemment qu'elles s'en aillent mais elles étaient irrémédiablement remplacées par d'autres et les différences de bourdonnement captaient mon attention, je finissais par les identifier.

    "Tiens, revoilà la grosse noire, ah, celle-là c'est la petite nerveuse..."

    Et lorsque le tohu-bohu se calmait, je me retrouvais à craindre leur retour et je ne profitais même pas de l'accalmie.

    J'ai donc voulu fermer les fenêtres mais je me suis retrouvé avec les mouches enfermées à l'intérieur et le ronflement de leurs corps butés contre la vitre était redoutablement irritant. D'autant plus que là, il n'y avait aucune chance que ça cesse. J'étais condamné.

    J'ai bien imaginé que je n'avais qu'à bourdonner avec elles, me muer en insecte, plonger dans la nuée, mais la tête me tournait bien vite. Un vrai cauchemar. Ce vol anarchique n'était pas pour moi.

    Et puis, là, soudain, la solution s'est imposée. Le problème ne venait pas des mouches mais de la présence de l'enceinte. Elles étaient attirées par le lieu, espérant sans doute y trouver quelques pitances ou un partenaire ou je ne sais quoi. L'espace restreint contenait trop de promesses à saisir pour qu'elles puissent résister à la curiosité.

    Que les fenêtres soient ouvertes n'effaçaient en rien l'attirance des mouches pour cette ouverture, cet espace à visiter.



    C'est là que j'ai réalisé que je devais pulvériser la pièce, abattre les murs, réduire à néant cette enceinte mentale. Le problème ne venait pas des mouches mais du territoire que je leur offrais.

    Il ne s'agissait pas de penser à travers le filtre de l'identité et par conséquent intoxiquer la pensée elle-même mais d'offrir à la pensée un espace vierge. 

    Il ne s'agissait pas que "Je" pense mais que le "Je" sois dans la pensée...

    Apprendre à penser comme si j'étais assis au sommet d'une montagne. 

    Là-Haut, les horizons sont immenses mais la contemplation induit en moi l'apaisement de ma présence. C'est le point infime du presque rien qui prend conscience de lui au regard de l'infini. 

    Chaque pensée doit être analysée, observée, disséquée, autopsiée. Comme une pièce de puzzle qu'on observe longuement pour qu'elle trouve son emplacement dans l'image intégrale. Je ne peux pas découper la pièce pour l'adapter et la forcer à entrer dans le cadre.

    Chaque pièce existe indépendamment de ma volonté. C'est à moi de la comprendre et non de la modifier en fonction de mes insuffisances.


    Un jour, les mouches passeront sans marquer le moindre arrêt. Elles ne seront plus que des zébrures noires traversant dans un zeste criard le ciel lumineux. 

    Là-haut.