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  • Une expérience (suite)

    Nathalie crie « bout de corde. »

     

    Je n’ai pas de relais. Aucun ancrage possible, aucun point d’assurance. Impossible de rester suspendu, je dois avancer.

     

    « Nat, détache toi et monte en même temps que moi, corde tendue. »

     

    Pas le choix. Si un de nous deux tombe, on part.

    Les yeux rivés sur les « prises »…

    Léo, Léo, Léo.

    Ne pas tomber. Vas-y Nat, tu peux le faire.

    Garder l’équilibre, avancer en souplesse, anticiper, ne pas hésiter, ne pas rester trop longtemps sur un appui, rien ne tient longtemps, se mettre en apesanteur…La volonté comme support. Se poser sur l’énergie comme sur un socle solide. Ancrer les doigts sur la terre et des yeux tout retenir.

     

    Un bosquet enfin. Je m’attache. J’avale la corde. Nathalie m’a toujours suivi. Bon Dieu, quelle énergie. Je me surprends à sourire. Je l’aime. J’ai une confiance totale en elle. On va s’en sortir. On va s’en sortir.

    Nathalie me rejoint. Des coulées de sueur sur son visage. On ne s’est même pas arrêté pour enlever nos vestes. En pleine paroi, le soleil nous cuit, pas un souffle d’air.

    « Si tu n’avais pas nettoyé les prises, je ne serais jamais passé là-dedans. C’est dingue, comment tu fais pour savoir où tu peux tenir ?

    -Je ne sais pas Nat, je ne sais pas. »

     

    Troisième longueur. A l’horizontale, pas moyen de monter, je traverse vers les arbres. On doit être cent cinquante mètres au-dessus de la rivière. J’atteins la forêt. Aucun soulagement. J’ai juste envie de courir jusqu’en haut. Ca n’est pas fini. Nathalie arrive, on enlève la corde, je fais des anneaux autour de la poitrine et on monte droit dans la pente. On crève de soif.  

     

    Un mur de ronces, d’arbustes entremêlés, rien, aucun passage, on est au pied d’une barrière végétale d’une densité invraisemblable. Aucune échappatoire. 

    Le calice jusqu’à la lie.

    Je rentre tête baissée dans le mur, envie de tout briser, de tout détruire, de raser cette jungle d’épineux. L’impression que tout ce qui griffe et déchire s’est regroupé ici. La corde et le sac sur mon dos s’accrochent sans cesse, je dois déployer des efforts gigantesques pour gagner un mètre. Nathalie me suit dans le sillage de la tranchée que j’essaie de creuser. On est à quatre pattes, impossible de se redresser, je ne sais pas vers quoi on se dirige, comme si ça n’allait jamais s’arrêter. J’aperçois des bouts de verre, des bouteilles brisées à moitié recouvertes de terre, puis des éclats de tuiles, un grillage, un seau…Il doit y avoir une route au-dessus de nous. C’est le dépotoir du coin. Il faut monter. J’ai des étoiles devant les yeux, le cœur dans la bouche, la gorge en feu, des tremblements dans les bras. Je redescends de deux mètres avec la terre qui s’effondre sous mes pieds. La pente est toujours aussi raide, il faut prendre les ronces à pleines mains pour se hisser. J’essaie de tirer sur mes manches pour protéger ma peau mais ça ne tient pas, j’ai la rage, une haine qui me pousse vers le haut, je veux sortir de ce merdier, je rampe, je casse, j’entends Nathalie qui me suit, elle veut utiliser un bout de bois pour taper sur les ronces mais elle n’a même pas la place pour armer son bras, on est empêtré dans un amas compact, serré, d’une densité invraisemblable, toutes les plantes se sont entremêlées pour résister à la pente et à l’érosion, ce sont les racines qui retiennent le sol, il n’y a même pas de traces animales, rien, aucune sente, rien de vivant ne doit s’aventurer dans ce fouillis, sinon des souris.

    « Il faut qu’on sorte de là Nathalie, j’en peux plus. »

    Une église qui sonne au-dessus de nous, je devine un mur blanc.

    Cinq coups.

    « Putain, c’est cinq heures. Léo doit croire qu’on est mort ! »

    Je recommence à tout briser, à ramper, je suis à plat ventre, je ne peux pas me redresser, je râle, je m’encourage, la corde doit être déchirée par les ronces, ma veste, le sac, les sangles, tout s’accroche et me retient. J’ai les mains en feu, déchirées, lacérées.

    Là, une trouée. Une ouverture, un coin de ciel, un mur, à cinq mètres.

    « Nat, y’a une sortie, je vois un mur ! »

    Je saisis un tronc, je me laisse tomber sur un buisson de ronces et d’orties, j’écrase tout ce que je peux, j’ai une jambe prise dans un amas de branches, je me mets sur le dos, je me retourne, je rampe, la corde s’accroche, je me débats, je me relève, la sortie, là, juste devant moi.

    J’avance à quatre pattes dans un champ. On est juste sous le mur de l’église. Je m’écroule dans l’herbe.

    Je suis vidé. Je ferme les yeux. Le cœur qui bat comme un tambour.

    J’entends Nathalie qui lutte encore.

    Mon bras droit tressaute sans cesse.

    Je n’ai plus de salive.

     

    Et ce sourire intérieur qui me saisit.

     

    « Viens Thierry, lève-toi, il faut qu’on trouve une voiture. »

    Je me redresse en tremblant et je la suis. Je suis vidé.

    Nathalie ne lâche rien.

    « Il faut qu’on descende en voiture. Pas question de chercher un chemin.

    -Mais t’as vu dans quel état on est ? Personne ne va nous prendre si on fait du stop.

    -J’arrête la première voiture qui passe, je ne vais pas faire du stop. »

     

    On trouve un robinet à l’entrée du cimetière. Je suis entrain de boire quand une voiture arrive sur le parking. Nathalie descend immédiatement vers la conductrice. Une moto s’arrête à son tour.

    Je bois, je bois, des litres d’eau. Je regarde Nathalie qui explique la situation. Je ne sais pas ce qu’elle dit. Il lui faut deux minutes pour convaincre les deux personnes. Une femme et un homme. Un rendez-vous amoureux peut-être. Je m’approche. Nathalie explique où on a laissé la voiture. L’homme connaît l’endroit. Un quart d’heure de voiture. Ils sont d’accord pour nous descendre. Je suis estomaqué que Nathalie ait réussi à les convaincre aussi vite.

    J’ai une crampe dans le bras droit. Des tremblements dans les jambes.

    Nathalie doit m’aider pour enlever mon baudrier. J’ai envie de vomir.

    On met des couvertures et des vieux tissus pour protéger la banquette de nos habits terreux et on part.

     

    On explique pendant la route ce qu’on a vécu, Léo qui nous attend, qui ne sait pas si on est vivant.

    Un car nous ralentit sur la route sinueuse. 

     

    « Et en plus, vous ne savez pas si votre garçon a réussi à redescendre tout seul », dit la femme.

    On n’y avait même pas pensé…

    Un doute effroyable. Et s’il lui était arrivé quelque chose avant qu’il ne rejoigne le chemin. J’essaie de me souvenir des obstacles qu’on avait rencontrés avant d’arriver à la cascade…Non, Léo ne peut pas tomber là-dedans, c’est impossible, pas lui.

     

    On arrive sur le parking, tout au bout d’une piste caillouteuse. On ne voit pas Léo. Un coup au cœur, la peur, terrible, une vague qui me submerge, je descends de la voiture avant qu’elle ne soit arrêtée, je crie.

    « Léo !!! 

    -Regarde Thierry, sa veste est là ! »

    Sur le capot. Il est redescendu, il est vivant, il doit nous chercher en bas du torrent ou alors il est descendu au village pour prévenir les secours.

    J’appelle encore. On réfléchit.

    Je vais descendre en voiture au village. Nat va rester là. Non, je vais d’abord appeler la gendarmerie pour savoir si Léo a déclenché les secours.

     

    « Tiens, le voilà votre garçon ! »

    L’homme nous le montre du bras.

    On se retourne vers le chemin.

     

    Léo.

     

    On court vers lui, on le prend dans nos bras, on le serre. On reste tous les trois enlacés.

    « Mais où vous étiez ?

    -On s’est foutu dans une galère, tu ne peux pas imaginer. On ne voulait plus descendre par le torrent.

    -Ca fait combien de temps que tu es là ?

    -Trois heures. J’avais décidé de casser une vitre et d’appeler les secours. J’étais remonté une dernière fois sur le chemin. Je pensais que vous alliez arriver par là. »

     

    Toutes les explications qui déboulent en désordre.

     

    Nos deux convoyeurs nous laissent. On les remercie chaleureusement.

     

    On prend les gourdes dans le coffre. J’ai des crampes et les mains en feu. Elles sont lacérées. Des chapelets d’épines. J’arrive à peine à enlever mes habits.

     

    Léo s’est assis à l’arrière. Il ne dit rien. On continue à lui expliquer tout ce qui s’est passé.

     

    « On savait que tu devais être mort d’inquiétude. On ne pouvait pas te joindre. On a fait une autre connerie, on aurait dû te laisser la clé de la voiture, on aurait pu s’appeler. On voulait te rejoindre le plus vite possible.

    -Mais si vous aviez suivi le torrent, vous seriez descendus beaucoup plus vite.

    -Oui, on le sait maintenant mais on ne voulait plus retourner dans l’eau. On ne pensait pas qu’on allait tomber sur une falaise. On s’est laissé piéger. On n’a pas assez réfléchi. On est désolé Léo, su tu savais comme on a pensé à toi, tout le temps, c’était ça le pire. Se dire que tu nous croyais morts. C’est ça qui nous a donné la force d’avancer, tout le temps.

    -J’aurais préféré être avec vous.

    -Oui, on sait Léo. Mais on ne pouvait pas te faire descendre dans cette cascade alors qu’on avait failli y mourir tous les deux. Ca aurait été complètement dingue. Mais on sait très bien que ce que tu as vécu est encore pire. Toi, tu ne savais rien.»

     

    S’expliquer, raconter, vider les émotions, les questionnements…Pendant la route, à la maison, pendant le repas…Le lendemain encore…

     

    Et puis ce besoin de tout écrire.

    Garder une trace. En tirer les enseignements.

    Il faut des combinaisons néoprène, elles permettent de flotter et de ne pas avoir à lutter contre le poids de l’eau. Il faut faire des rappels avec une poignée de spéléo à ouverture automatique. Le descendeur d’escalade est un piège une fois qu’on est dans l’eau. La corde double de quarante-cinq mètres était trop longue et devenait trop lourde une fois gorgée d’eau. Les techniques d’alpinisme ne suffisent pas pour la pratique du canyoning. Mais elles nous ont servi pour franchir la falaise. Sans cette pratique de la montagne, on serait tombé…

     

    Des ressources insoupçonnées. Un autre enseignement. On le savait déjà, on connaissait ce potentiel généré par la situation d’urgence.

     

    Ce mental qui porte ce que je sais faire en montagne, ces connaissances techniques et la maîtrise de mon corps. Sans lui, je serais tombé. Mais il a également montré ses dissonances, les tourments qu’il ne sait pas contrôler.

     

    Et cette énergie, encore là cette fois, cette force en moi qui n’est pas à moi…

    La conscience d’une vie bien plus réelle que mon existence.

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  • Une expérience.

    C’était une belle journée. Des températures caniculaires. La décision commune d’aller descendre un canyon en Chartreuse. On connaissait déjà cette pratique mais avec l’envie cette fois de passer à un niveau supérieur. Deux cascades en plus des désescalades habituelles, des vasques à traverser à la nage, des étroitures remplies d’eau glacée.

    Léo, Nathalie et moi.

    On a garé la voiture à l’arrivée du canyon, pas question d’utiliser une deuxième voiture comme ça se fait généralement. Incompatible avec notre idée du sport en montagne.

    Erreur de direction en cherchant le sentier qui remontait vers le haut du canyon. Quelques moments d’errance avant de le trouver. Juste une sente broussailleuse, rarement utilisée.

    « Bon, c’est parti pour la galère habituelle, faut respecter les traditions, » a dit Léo en rigolant…

     

    Une heure et demie de montée à l’ombre des grands arbres. L’arrivée sur le plateau, près d’une auberge. Je suis allé remplir une gourde. Une chaleur étouffante. L’envie de se mettre dans l’eau fraîche…

    On a trouvé le chemin qui descendait vers la gorge. Le tintamarre du torrent est remonté jusqu’à nous. J’ai eu un doute à ce moment là. L’intuition que ça n’était pas pour nous, que nos connaissances de cette pratique était insuffisante. Le topo disait qu’il y avait des échappatoires, c’est ce qui me rassurait. Deux cascades obligatoires sur le parcours mais pour le reste, il était toujours possible de contourner les obstacles.

    Enfiler les baudriers, mettre les casques, les habits, la petite veste. Pas de combinaisons néoprène. On s’en était toujours passé jusque là…La corde, des sangles, des mousquetons, les descendeurs…

     

    Une gorge assez large au départ, une eau pas trop froide, les pieds se sont vite habitués, j’ai pensé que ça devrait aller quand il serait nécessaire de nager. Pas la première fois qu’on se baignerait dans une eau revigorante…

    Des blocs à descendre, le plaisir de l’itinéraire qu’il faut décrypter, les rayons du soleil à travers les feuillages, des lumières magnifiques, la mousse sur les rochers, le roulement de l’eau…

    Chercher des appuis solides, rester concentré, deviner les passages praticables, anticiper sur le pas suivant, maintenir l’équilibre, rester prudent, ne pas s’emballer.

    On savait faire tout ça.

    Quelques passages un peu plus complexes, Léo cavalait en avant et nous guidait. J’ai aidé Nathalie à trouver des appuis sur des blocs monumentaux. Un premier saut dans une vasque, Léo en tête évidemment, puis une autre plus profonde, je me suis lancé, deux mètres de haut, je passe entièrement sous l’eau, je nage trois, quatre mètres pour sortir, l’eau pèse énormément dans mes habits, elle reste prisonnière dans la veste tant que je ne suis pas sorti, un vrai plombage, une ancre, un boulet…

    Je n’ai rien pressenti, rien deviné…Première erreur.

    Nathalie a descendu un toboggan pour éviter le saut.

    Le froid ne nous congelait pas, c’était supportable, ça nous a rassuré pour la suite. On n’a pas fait attention au poids de l’eau dans les habits. Le froid contenait toutes nos craintes et on s’est contenté de ce soulagement pour occulter les autres dangers.

     

    On a descendu comme ça une bonne demi-heure avant d’arriver à la première cascade. Les jeux d’escalade nous avaient donné confiance. On gérait.

     

    Une chaîne sur un bloc. On s’est penché chacun notre tour. Dix mètres quasiment verticaux. Le courant puissant, un flot large, épais. Un vaste bassin de réception, une eau noire, agitée par les remous de la chute d’eau, six ou sept mètres à nager pour atteindre l’autre bord, un couloir étroit où on devinait une deuxième chute.

    J’ai installé la corde dans l’anneau et je l’ai lancée. Deux brins de quarante-cinq mètres. J’étais content de voir qu’elle traversait tout le bassin. Je me suis dit qu’elle nous servirait de fil d’Ariane.

    « Quand on arrive à l’eau, on traverse le bassin en faisant coulisser le descendeur sur la corde. Bon, allez, ça fout la trouille mais si on réfléchit encore, on ne va pas y aller. »

    J’ai installé le descendeur et je suis parti. Léo a pris trois photos au fur et à mesure que je descendais.

    Je me suis laissé glisser jusqu’à l’eau, je n’avais pas pied, les parois étaient totalement lisses, un vacarme tonitruant, j’ai tout de suite commencé à nager et j’ai immédiatement senti tout le poids de l’eau dans mes habits, j’avais beaucoup de mal à faire coulisser le descendeur sur la corde trempée et considérablement alourdie, elle s’est emmêlée dams mes jambes, je n’arrivais pas à m’en dépêtrer et je n’arrivais plus à avancer.

    J’ai fait demi-tour. Je me suis suspendu à la force des bras à la corde et j’ai essayé d’enlever le mousqueton qui me reliait au descendeur mais je n’arrivais pas à le retourner et j’avais vissé la goupille de sécurité…Je devais lutter constamment contre le remous généré par la cascade et le contre courant qui m’entraînait sous la chute d’eau. Je n’avais rien prévu de tout ça. Le cœur qui bat la chamade. Je souffle longuement.

    J’ai essayé de repartir en sentant que la corde n’était plus entortillée dans mes jambes. Arrivé au milieu du bassin, j’ai pensé que je n’y arriverais pas. L’extrémité de la corde gorgée d’eau avait coulé et comme j’étais toujours fixé au descendeur, elle me tirait vers le fond. J’étais au milieu du bassin quand j’ai bu la tasse. Deux fois.

    J’ai voulu continuer en me disant que si je faisais encore demi-tour et que je me suspendais à la corde, je n’aurais plus la force de repartir. Et puis, je ne voulais plus m’approcher de la chute d’eau. Cette force inimaginable, ce poids énorme, ce vacarme terriblement impressionnant…Mais je n’en pouvais plus, le descendeur me bloquait, la corde m’entraînait au fond, j’avais de plus en plus de mal à rester à la surface. Le souffle court…

    Et puis cette impression extrêmement forte, pendant quelques secondes, que ça ne serait que mon corps qui allait couler mais que moi je resterais à la surface, que je pourrais continuer à observer tout ça, avec détachement. Je me regardais me débattre mais sans avoir conscience que c’était moi. L’environnement avait disparu. Une espèce de bulle sans image, juste cette sensation inexplicable d’observer un nageur dans une sale situation. Avec une espèce de désintérêt.

     

    J’ai entendu Léo hurler. Je ne comprenais pas ce qu’il disait. Je me suis dit qu’il fallait que je m’en sorte pour m’occuper de lui et de Nathalie. J’ai fait demi-tour en me tirant à la corde. Je me suis tenu d’une main en battant furieusement des jambes pour éviter de me retrouver sous la cascade et j’ai enfin réussi à sortir le descendeur du mousqueton à vis. J’ai tout lâché et j’ai commencé à nager comme un dément vers l’autre bord. Je savais que cette fois j’allais y arriver. J’ai senti un brin de corde entre mes jambes, je l’ai pris.

     

    Je me suis accroché à un morceau de bois coincé entre un gros bloc et la falaise. Le courant était puissant. Il fallait que je m’attache mais j’étais épuisé. Et soulagé aussi. Je suis resté à moitié dans l’eau pendant quelques secondes puis je me suis redressé. Je me suis sanglé à une chaîne. J’ai vu qu’il y en avait une autre un peu plus à droite de la cascade. Elle permettrait de descendre en évitant la chute d’eau. 

      

    Réfléchir…

     

    Je ne pouvais pas remonter. J’avais besoin de la corde pour franchir la deuxième cascade. Dix-sept mètres. Un bassin encore plus large mais j’avais l’impression qu’il y avait moins de fond et moins de remous.

    J’aurais dû dire à Nathalie de remonter la gorge avec Léo. Ils n’avaient pas besoin de moi. Ils reprenaient le chemin du matin. Je récupérais la corde, je descendais tout seul la deuxième cascade et je les rejoignais en bas. 

    Mais on ne s’est jamais séparé. Dans aucune situation, aucune épreuve, aucune galère. Ca ne nous est jamais venu à l’esprit. La force du lien nous a piégés…

     

    Je leur ai crié.

    « Le problème, c’est le descendeur, il faut mettre une sangle en plus du mousqueton pour que ça soit plus facile de le retirer quand vous arrivez dans l’eau. Une fois que vous êtes libérés de la corde, y’a plus qu’à nager mais les habits sont très lourds, c’est épuisant. Il ne faut pas perdre de force en bas, il faut enlever le descendeur dès que vous êtes dans l’eau. Je vais tenir la corde pour pas qu’elle vous gêne. »

     

    J’ai passé un brin de la corde dans un anneau de la chaîne et je me suis attaché avec une longue cordelette pour avoir la liberté de bouger. Une erreur. J’aurais dû me sangler au plus court…

    Je me suis assis sur le bloc au ras de l’eau et j’ai passé la corde dans mon dos pour la tendre. Je voulais la tirer au maximum pour aider Nathalie à me rejoindre et que la corde lui serve de fil conducteur.

     

    Manque de lucidité…

     

    Il ne fallait pas que Nathalie descende.

     

    J’ai tendu la corde pour éviter qu’elle ne parte vers la cascade mais deux mètres avant d’arriver à l’eau, Nathalie a glissé et elle est partie sous la chute d’eau. Elle a quasiment disparu. Juste ses pieds qui se débattaient. La terreur. Le piège. Une brûlure dans mon ventre, des frissons dans tout le corps, la voix figée.

    Nathalie.

    J’ai tiré pour la sortir. Le poids de l’eau a tellement tendu la corde que je suis tombé du rocher. Je voulais continuer à tendre la corde. Je savais que Nathalie allait se noyer. Mais en tirant sur les brins, je n’arrivais pas à saisir la chaîne où j’étais attaché et à remonter sur le rocher. Je partais en arrière.

    Il fallait que je lâche la corde.

    L’urgence.

    Lâcher Nathalie.

    Le temps de remonter.

    Pas le choix.

    Une horreur.

    Elle ne pouvait pas s’en sortir sans moi.

    J’entendais Léo qui hurlait.

    « Maman, enlève le descendeur, enlève le descendeur ! »

    Il regardait sa mère mourir. Un cauchemar.

    J’ai lâché du mou sur la corde, j’ai saisi la chaîne et je me suis hissé. Une force démesurée, une énergie irréelle. Je me suis calé. Tenir. J’ai tendu la corde et Nathalie est sortie de la cascade.  

    Ce visage adoré.

    Décomposé. Une terreur indescriptible. Les yeux exorbités, la bouche grande ouverte.

    Les hurlements de Léo.

    « Maman, enlève le descendeur ! Enlève le descendeur ! »

     

    Tenir, tenir Nathalie en dehors de la cascade. Les pieds qui glissent, aucun appui, me souder à la roche, ne plus tomber à l’eau, tenir, tenir.

    Nathalie qui défait son baudrier, la tête en bas. Je n’arrive pas à y croire, elle desserre les sangles, elle va y arriver, elle ne peut pas se libérer du descendeur, trop de poids sur la corde, défaire le baudrier, elle a raison, elle libère une jambe, il ne faut pas qu’elle se retrouve avec un pied coincé.

    Garder la corde tendue. Ne pas retomber à l’eau.

     

    Léo.

    « Vas-y maman, tu vas y arriver, enlève le ! »

    Un cauchemar. Ses parents piégés dans une cascade, il ne peut rien faire.

    Ne pas mourir sous ses yeux, ne pas mourir sous ses yeux.

    Sauver Nathalie. 

     

    Elle tombe à l’eau.

    Je hurle.

    « Vas-y, nage Nathalie, regarde moi, nage, nage !! »

    Oh, ces yeux. Cette terreur.

     

    Je l’attrape, je la serre, elle tremble de tout son corps, elle a le visage blanc comme un cadavre, les lèvres violettes, elle tremble, je n’ai jamais vu quelqu’un trembler avec cette force.

    « Tu m’as sauvé la vie, tu m’as sauvé la vie. »

    Je prends une longue sangle et je l’enserre pour remplacer le baudrier qui pend toujours sur la corde. Je l’attache à la chaîne. Elle est assurée.

    Je la serre, je la frotte, j’essaie de la réchauffer et de la calmer. Elle claque des dents.

    « Thierry, il ne faut pas que Léo descende là dedans, il ne faut pas qu’il descende.

    -Non, il va remonter au chemin, on va se débrouiller, lève-toi Nat, il faut te mettre à l’autre chaîne, il fait moins froid derrière l’autre bloc et c’est sec. Il faut qu’on bouge, il faut qu’on sorte de là. »

    Elle tremble toujours, des pieds à la tête, elle m’aide quand même dans les manœuvres, je sais qu’elle va récupérer. Elle a une force immense, je le sais.

    On s’en est toujours sorti. Ensemble.

    « Elle est comment cette cascade là ?

    -Je pense que c’est mieux. J’ai l’impression que c’est plus calme et en longeant le bord à droite, on s’éloigne de la chute d’eau et des remous. »

    Elle tremble moins. Elle fait un signe de main à Léo, le pouce dressé.

     

    Ce qu’il vient de voir. Il est figé. Je devine qu’il est blanc de peur, de terreur, toutes ces images en lui…Je chasse les pensées de nos deux corps coulant dans l’eau noire, sous ses yeux, de Nathalie noyée sous la cascade…L’imagination qui s’emballe. Revenir à l’instant. Sortir de là.

     

    « Léo, on ne veut pas que tu descendes. Tu vas remonter, tu fais super attention, tu retournes à la voiture. On va descendre cette cascade et on remontera dans la forêt pour rattraper un chemin, on ne descend pas la suite du canyon, on va sortir de là et on te rejoint le plus vite possible. Ne t’inquiète pas, ça va aller, cette cascade est moins dure et on ne descend pas du tout sous l’eau. On ne peut pas rester coincé, ça va aller. D’accord ? »

    Juste un signe de main, il est tétanisé.

    « Remonte la corde pour enlever le baudrier de Nat et fais le descendre sur la corde avec la sac à dos. »

    Je récupère le matériel. Et je dis à Léo d’y aller. Un signe de main.

     

    Manque de lucidité…

    Il fallait qu’il prenne la clé de la voiture dans le sac à dos avant de nous l’envoyer. Il y avait son téléphone portable dans la voiture, il aurait pu nous appeler.

     

    Il va vivre trois heures de cauchemar supplémentaires. Trois heures qui ne nous quitteront jamais.

     

    « Bon, Nathalie, je mets une sangle pour enlever plus facilement le descendeur une fois que je serai dans l’eau mais si j’arrive à prendre appui quelque part, je l’enlèverai avant d’être dans l’eau et je sauterai. Je tirerai la corde sur la droite mais pas trop fort quand tu descendras pour que tu puisses bien faire coulisser le descendeur et dès que tu touches l’eau tu te libères. Avec la sangle, tu vas y arriver, tu ne seras pas sous la cascade et tu n’auras pas la corde dans les jambes et qui te tire au fond. Ok ?

    -Oui, ça va aller. Il faut qu’on se barre d’ici. »

     

    Je descends. Le bas de la paroi est totalement lisse, vertical et couvert de mousse. Aucun appui. Je ne veux pas me retrouver dans l’eau avec le descendeur et la corde dans les jambes. Je me bloque sur le bras gauche, je remonte la corde avec la main droite et je serre les deux brins dans la main du haut pour libérer la tension, mes jambes ne me servent à rien et j’ai tout le poids du corps sur le bras gauche, j’ouvre le mousqueton et je sors le descendeur, je saute en gardant un brin de corde dans la main, je nage comme un fou dans une eau noire qui me terrorise, le remous est beaucoup plus fort que ce que je pensais et le contre courant me ramène une nouvelle fois vers la chute d’eau, j’essaie de suivre la paroi, de m’éloigner et je vois dépasser une branche, devant moi, à deux mètres, je me débats, mes habits sont lourds, j’ai froid, brutalement, la peur aussi sans doute, je saisis la branche, c’est un arbre que je sens sous moi, des branches invisibles s’accrochent à mon baudrier, je n’arrive plus à avancer, les sangles de relais que j’ai passé par-dessus mes épaules s’accrochent dans la branche que je tiens, je m’épuise, il faut que je sorte, j’essaie de trouver sous l’eau la branche qui me bloque, je sens la boucle métallique du baudrier retenue par une fourche, je casse la branche, je me débats de toutes mes forces pour passer par-dessus les amas de branches que j’ai sous moi. Un nouveau piège. Les sangles m’étranglent, je les enlève rageusement, je bats des jambes, je ne trouve aucun appui dans les fouillis de branches qui me griffent, l’impression de devoir nager dans des rouleaux de barbelés.

     

    J’ai lâché la corde.

     

    Je m’en aperçois en arrivant sur la berge. J’ai réussi à passer les obstacles mais j’ai lâché la corde. Les deux brins pendent le long de la falaise, à deux mètres de la cascade. Je suis frigorifié. Je tremble comme Nathalie tout à l’heure, impossible de m’arrêter. La terreur, l’épuisement, le froid.

    Il faut que je retourne chercher cette corde, il faut que je la tire pendant que Nathalie descend.  

    J’ai trop peur de retourner dans l’eau, de repasser par-dessus l’arbre en longeant la falaise et je ne veux pas passer au milieu, là où les remous sont les plus puissants. Je devine sous l’eau noire une vasque sans fond.

    Je ne veux pas mourir noyé.

    « Nathalie, remonte la corde, et lance moi un brin. »

    Elle ne m’entend quasiment pas avec le grondement de l’eau.

    Je lui explique avec des gestes.

    Elle comprend.

    Remonter la corde gorgée d’eau. Je sais l’effort que ça lui demande. C’est épuisant.

    Premier lancer, raté, la corde retombe trop loin de moi. Même en avançant dans le bassin, je ne peux pas la saisir. Deuxième tentative. Raté. Même avec un descendeur pour faire du lest, je ne pourrais pas la prendre, le bassin est trop large, j’essaie d’avancer mais je sens aussitôt le poids de l’eau, le froid, les branches invisibles qui s’accrochent à mes jambes… Je tremble sans pouvoir me contrôler.

    Nathalie veut descendre, elle veut sortir de là, elle dit que le débit de l’eau a augmenté, un lâcher d’eau en amont ? Elle a mis le sac sur son dos. Je devine sa terreur.

    « Non, Nat, je ne veux pas que tu descendes comme ça. Attends, je cherche. »

     

    Pas deux fois la même erreur.

     

    Il faut que je trouve une autre solution. Réfléchir, réfléchir…

    « Calme toi, calme-toi, réfléchis. »

    J’observe les parois et je vois de l’autre côté de la cascade une pente ravinée, des arbres déracinés, un vague couloir que je pourrais peut-être remonter pour arriver de l’autre côté, à la même hauteur que Nathalie.

    Oui, c’est ça, faire une main courante. J’ai la solution, il faut que ça marche.

    J’escalade la pente, des pierres qui  se décrochent, de la terre, des arbustes, rien de solide, j’arrive sous un gros tronc couché, je passe dessous, je longe la paroi, sur une vire étroite, je m’approche prudemment du vide, trente mètres au-dessus du bassin, rien ne tient vraiment, tout est pourri, j’appelle Nathalie, j’arrive à passer la tête de l’autre côté de l’arête rocheuse qui nous sépare. Six, sept mètres entre nous. La cascade au milieu.

    Je lui parle, je la rassure, elle a le visage tendu, désemparé, de l’impatience. Il faut que je la tire de là.

    Je lui explique mon idée.  

    « Tu vas venir par là Nat ? Tu vas me lancer la corde, je vais la fixer et tu fais coulisser les mousquetons, comme dans une via ferrate. T’as juste à franchir la cascade, ça passe par là ?

    -Oui, ça va aller. »

     

    Elle remonte de nouveau la corde, le brin rouge, elle me le lance, je m’appuie sur un amas d’arbustes à moitié déracinés, aucune autre prise, j’attrape la corde. A l’autre brin maintenant. Le bleu.

    Une erreur.

    J’attrape bien le bout mais Nathalie laisse filer tout le paquet au lieu de le laisser venir progressivement. La corde descend dans la cascade en faisant une longue boucle et quand j’essaie de la remonter, elle se coince sous une écaille au milieu de la chute d’eau.

    Impossible de la libérer. Je suis obligé de la relâcher en espérant que Nathalie parviendra à la remonter de son côté. Deux minutes, trois, quatre, rien ne bouge. Je me dis que je vais devoir traverser vers elle sur un seul brin pour aller l’aider à tirer. Je cherche un point d’ancrage, il n’y a que le tronc déraciné.

    Nathalie continue à tirer par à coups. Elle ne craquera pas. Ni physiquement, ni psychologiquement. Je le sais. Même quand elle sera à bout de forces, elle se battra toujours. Elle doit penser à Léo autant que moi.

    « Ca y est, je l’ai eue ! »

    Elle remonte le brin bleu. Faire des anneaux, les lancer. Je saisis la corde, elle la laisse venir progressivement cette fois, je recule et je redescends jusqu’à l’arbre, j’attache la corde autour du tronc, je remonte à l’arête.

    « Thierry, la corde descend trop fort, il faudrait l’accrocher plus haut si tu peux. 

    -Ok Nat, je vais voir et je te dis quand c’est bon. »

    Je sais bien qu’il n’y a pas d’autres ancrages possibles. Je ne lui dis rien. Je recule pour me caler contre la paroi, je bloque mes pieds dans la terre, je passe la corde dans mon dos, je serre les deux brins. Les mains soudées sur le nylon trempé.

    « Nat, vas-y, c’est bon, traverse ! »

    -C’est bon ?

    -Oui, vas-y, ça tient ! »

    Je ne la vois pas. Il faut hurler, la cascade nous sépare et couvre nos voix.

    La corde se tend dans mon dos. Je résiste. Il faut qu’elle aille vite. Les cuisses raides. Des à-coups, des pressions, elle doit traverser la cascade, elle ne doit pas avoir de prises, tout son poids sur la corde. Ne pas lâcher.

     

    Nathalie apparaît sur l’arête, elle franchit l’angle, la corde se détend.

    « Y’avait que toi pour tenir ?

    -Oui, y’a un arbre mais il était trop bas. Allez, c’est bon, on se barre d’ici. Je ne voulais pas que tu descendes encore dans l’eau, c’est une horreur en bas. Y’avait un arbre mort dans l’eau, j’arrivais pas à ma dépêtrer des branches. »

     

    Je ramasse les quatre-vingt-dix mètres de corde. Je fais des anneaux autour de la poitrine. Elle pèse énormément. On redescend prudemment jusqu’au bord du torrent.

    Je m’avance jusqu’à un coude et je vois l’eau qui disparaît entre plusieurs blocs énormes. Rien que le bruit de l’eau me terrifie. L’impression qu’il y a une autre cascade plus bas.

    « Pas envie de descendre là-dedans, Nat.

    -Moi non plus, je préfère remonter la pente avec les arbres, on finira bien par tomber sur un chemin.

    -Ok. Il faut qu’on fonce en tout cas. On a passé beaucoup de temps ici et Léo ne sait pas si on s’en est sorti. Il faut trouver un chemin. »

     

    Manque de lucidité.

    Encore une fois.

     

    On avait le plan du canyon dans le sac à dos. Si on l’avait relu calmement, on aurait vu que les difficultés principales étaient passées, que l’autre cascade pouvait s’éviter, qu’il y avait des échappatoires plus bas…

     

    On est resté enfermé dans notre terreur. Et l’urgence de retrouver Léo.

     

    Remonter une pente dans la forêt, on savait faire. Ca nous rassurait.

    On ne pouvait pas imaginer le piège suivant.

     

    On a commencé en se tirant aux branches, aux arbustes, en prenant appui sur les troncs, en cherchant des pierres enchâssées dans la terre, tout ce qui pouvait nous aider à monter.

    A se demander comment des arbres parvenaient à pousser dans une pente aussi raide.

    J’ai pris un peu d’avance, je savais que Nathalie n’avait pas besoin de moi pour progresser dans ce genre de terrain. Elle savait très bien le faire. J’essayais de trouver une trace de passage mais je n’y croyais guère, c’était beaucoup trop raide. Peut-être un cervidé, un passage habituel pour descendre boire. On s’en était déjà sorti en suivant de la sorte des passages d’animaux.

    Rien.

    Et l’impression pesante de monter vers une falaise, je devinais des blancheurs par endroits, à travers les feuillages. De chaque côté, la pente restait toujours aussi raide, aucun indice de sortie possible, aucune échappatoire claire. On montait.

    Et puis les premiers rochers sont apparus. J’ai accéléré. Je ne voulais pas être retardé.

    Léo.

     

    J’ai cherché un passage, à droite, à gauche, je ne trouvais rien, j’ai fait plusieurs allers-retours en attendant que Nathalie me rejoigne.

    Je voulais monter.

     

    « A droite, ça peut passer, en diagonale montante, y’a des espèces de vires rocheuses avec des arbustes. On va faire des longueurs jusqu’à ce qu’on sorte de ce merdier. Tu me prends sur le descendeur. Si on redescend pour trouver un autre passage, ça va nous prendre un temps fou.

    -Ok. »

     

    Dix mètres. De la terre, des pierres friables, des ronciers, des arbustes morts, rien de solide, rien de sûr, aucun point d’assurance, vingt mètres, rien de mieux, il faut que je nettoie les prises, que j’enlève la terre, elle coule comme de la farine, je cherche la moindre zone de rocher, juste de quoi assurer le déplacement suivant.

    J’essaie de trouver l’itinéraire le moins risqué, ne surtout pas me fourvoyer dans une impasse, des équilibres précaires, les doigts enfoncés dans la terre, sur des racines, des tiges de buissons, les techniques de croisements de pied, tailler des marches dans la terre qui s’effrite, trouver une petite réglette, une écaille, juste de quoi maintenir l’équilibre, avancer de vingt centimètres, viser ce bosquet d’arbustes, faire le relais avant que Nathalie ne soit en bout de corde, encore dix mètres, la sueur qui me brûle les yeux, plus grand-chose sous les doigts, la paroi plus raide, mes yeux qui plongent vers le bas, on doit être cent mètres au-dessus de la rivière, les premiers arbres conséquents sont quarante mètres sous moi, rien pour m’arrêter si je tombe, je vole jusqu’au bout de la corde.

    La paroi est de plus en plus raide.

     

    « Putain, mais qu’est-ce qu’on fout là ? Sur quoi je grimpe là ? »

     

    Stopper les pensées, bloquer les inquiétudes, rester concentré sur le physique, les techniques d’escalade, la lecture de la « voie »…

    Grimper là-dedans, personne n’en aurait l’idée.

     

    Léo.

    Il doit croire qu’on est morts. Un cauchemar. Il faut sortir de là. Le retrouver.

     

    Une guêpe que je dérange et qui me pique à la tempe. Juste au bord de l’œil.

    « Putain, faut que ça s’arrête là ! »

    Une brûlure très forte. Je frotte avec mes doigts pleins de terre. Je salis une lentille de contact.

    « Merde, merde, merde. »

     

    Un dernier équilibre, une main crispée sur une touffe d’herbe, deux mètres encore, les yeux rivés sur le bosquet où je pourrai m’assurer, un pied sur une pierre qui bouge, une main enfoncée dans la terre, je creuse sous un arbuste pour dégager une racine solide, un bout de calcaire, tous les muscles tendus, utiliser ce que je sais, rester dans l’instant, étouffer la peur, ne pas penser, laisser mon corps se battre, l’impression que ma volonté seule peut me maintenir sur la pente, une alliée fidèle, je tends la main droite pour saisir un tronc fluet mais terriblement précieux dans cet environnement ruiniforme.

    Je m’attache.

     

    « Vas-y Nat, c’est bon, je suis vaché ! »

     

    Elle avance, elle lutte, je l’entends souffler, je tends la corde mais sans trop tirer pour ne pas la déséquilibrer. Elle va vite, elle suit mes traces, retrouve mes prises. Je la vois, elle s’approche, les yeux fixés sur les prises, elle tire, elle pousse sur les jambes, elle s’accroche à tout ce qu’elle trouve.

    Aucun signe de faiblesse. Tout à l’heure, elle a failli mourir. Mais elle tient.

    On va s’en sortir.

     

    « Mais comment t’es passé là-dedans ? C’est complètement pourri. T’as pas mis un seul point d’assurance !

    -Ca a l’air mieux après, j’ai l’impression qu’il y a davantage de rocher. J’espère qu’on va vite sortir de la falaise et retrouver la forêt, on ne doit pas être loin du haut.

    -Oui, j’espère. T’imagine Léo.

    -Je ne pense qu’à lui. »

     

    Voilà  la source de notre énergie.

    Léo.

    Il nous a quittés avant qu’on ne descende la deuxième cascade. Il ne sait pas ce qu’il s’est passé. Il ne sait pas qu’on est sorti, qu’on remonte.

    Il ne sait rien. Et son imagination doit être la pire des ennemies.

     

     

    Deuxième longueur. Des rochers au début et puis des ronciers de plus en plus nombreux. Je me déchire la peau en les saisissant. Ils sont solides. Vingt mètres. Et puis cet espace vide devant moi, juste de la roche couverte de terre, du sable noir, cet espace vide entre mes jambes, le grondement de la rivière qui s’estompe, le relais où est fixé Nathalie ne tiendra pas si je tombe, rester dans l’instant, étouffer la peur, bloquer les pensées, je ne veux pas m’arrêter, je ne veux pas briser cet élan qui me maintient collé à la pente, je sens gonfler dans mes fibres une énergie fabuleuse, quelque chose que je n’identifie pas, ça n’est pas du courage ou de la folie, c’est autre chose, comme un flux qui monte en moi, qui me remplit, m’électrise, cette impression fugitive, quelques secondes que rien ne peut m’arriver, que quelqu’un veille sur moi et me nourrit…La vie en moi comme une entité que je dois sauver, ça n’est pas pour moi, je ne suis rien qu’un convoyeur, c’est elle que je dois préserver, je sens en moi sa plénitude, ce don d’amour en moi, cette énergie qui s’est constituée en moi, qui a pris forme, je dois la maintenir…

     

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  • Le mental et l'esprit.

    C’est parfois par un « éveil » brutal que l’individu s’ouvre à une conscience plus élargie. Quelque chose survient qui dévoile l’essence profonde de l’être, l’individu est comme saisi ou arraché à ce qu’il était et accède à autre chose. La dureté de ce qu’il vit fait qu’il n’a pas le choix. C’est un saut dans l’inconnu et il ne le maîtrise pas. Freud parle de « l’inquiétante étrangeté », Maslow d’une « expérience paroxystique », Krishnamurti de « l’êtreté », Mircéa Eliade « du surgissement du sacré », Michel Hulin de « la mystique sauvage », Romain Rolland « d’un sentiment océanique »…Ce sont des moments de flashs existentiels…

    Ca peut prendre la forme d’un drame mais également d’une situation plus banale, comme une écoute musicale, un paysage, un regard, un coup de foudre... Sauf que cette fois, ça n’est pas perçu par le mental, à travers des références éprouvées mais à travers une émotion paroxystique qui n’a pas de source connue, un embrasement, un « décrochage » au sens littéral. L’individu identifié n’est plus là, c’est une autre entité qui se révèle. Il s’agit bien entendu toujours du même individu, rien ne descend en lui, tout est déjà là mais c’est comme si toutes les « barrières mentales » avaient volé en éclat. Bien évidemment ce flash a des conséquences immenses, un bouleversement complet, durable…Il n’est pas toujours simple de le gérer d’ailleurs. La cassure avec l’environnement connu peut plonger l’individu dans un isolement qui peut sembler névrotique…Dès lors la peur risque de bloquer l’évolution, la peur de perdre ses repères, ses relations…Il suffit de regarder le nombre « d’expériencers » (survivants de NDE). Beaucoup se taisent et s’efforcent même parfois de tout nier, de tout oublier.

    Cet état dé-mentalisé, je le perçois comme l’irruption de l’esprit, une fulgurance bouleversante. L’individu n’a aucun point de repère, aucune connaissance qui lui permette de comprendre ce qu’il a vécu et perdure en le laissant dans un état de réception qui frise parfois l’intolérable. Ca n’est pas nécessairement agréable tellement c’est déstabilisant…Le problème vient du fait que l’individu cherche à comprendre, à analyser, à identifier, à classifier, il alterne entre l’euphorie et l’inquiétude. C’est là que le lâcher prise prend toute son importance.

    « Laisse la vie te vivre, elle sait où elle va. »

    Cette phrase qui s’est imposée à moi m’a apaisé, considérablement. J’ai arrêté de chercher à comprendre. Le mental n’avait rien à faire là. Il n’avait aucun rôle à jouer, il ne pouvait être qu’une entrave. Cette conscience « élargie » s’est installée dès lors. De l’individu torturé, je suis passé à un état de détachement. Enormément de problèmes ont disparu. Au point que j’ai retrouvé mon intégrité physique sans que le monde médical ne puisse l’expliquer.

    L’esprit.

    Qu’est-ce que c’était ? Qu’est-ce qui s’était révélé ainsi ? D’où venait cette perception de la vie qui m’avait toujours échappé ?

    Gurdjieff parle de quatre niveaux de conscience :

    Le sommeil nocturne

    L’état de veille ordinaire (champ d’investigation du mental)

    Conscience du Soi

    Conscience objective.

    Selon Gurdjieff, l’individu existe essentiellement dans les deux premiers états de conscience et connaît par ouïe dire le quatrième, que les Traditions orientales appellent « état de grâce, nirvana, illumination »…Mais ce niveau de conscience objective reste inaccessible à l’homme ordinaire si le goût et la saveur du troisième état, celui de la conscience de soi, lui sont inconnus.

    « Chaque pensée, chaque sentiment, chaque sensation, désir, attirance ou répulsion constitue un « moi ». Ces « moi » ne sont réellement ni coordonnés ni reliés entre eux. Ils sont même parfois en totale opposition…Chacun d’eux dépend d’un changement de circonstances extérieures et d’impressions reçues. Dans la plupart des cas, l’homme croit au dernier « moi » qui s’est exprimé et cela tant qu’il dure, c'est-à-dire tant qu’un autre « moi » parfois sans lien avec le précédent n’exprime pas plus fortement son opinion et ses désirs. Ces « moi » forment l’égo. »

    Il n’y a donc pas d’unité mais un amalgame de « moi ». Ils peuvent être très performants et capables de réaliser de grandes choses, il n’est pas question de les renier, mais dans cet état anarchique l’individu souffre, inconsciemment ou pas, d’une étrange nostalgie, une impression indéfinissable d’avoir égaré une part de lui-même…Cette tristesse inexplicable qui nous saisit parfois sans raison connue. L’esprit ? On la rejette en raisonnant, « allez, reprends-toi, t’as du boulot, t’as aucune raison d’être comme ça, etc… »

    La raison…Je ne l’aime pas celle-là. Rien à voir avec ce que j’appelle « la vigilance ». La raison est très éducative alors que la vigilance est une écoute attentive de soi. En dehors des paramètres sociaux, des regards de l’autre. Je suis vigilant à mon être intérieur et je l’aime, je l’écoute, je lui suis attentif, même si c’est « déraisonnable ».

     

    Joëlle Maurel et René Barbier ont écrit : « Nous définissons la spiritualité comme l’énergie qui pousse l’individu à la transcendance de sa conscience personnelle afin de s’ouvrir à la conscience universelle que nous appellerons l’esprit ou la fonction noétique. »

     

    Le bonheur que j’ai éprouvé en lisant cette phrase…Comme si on me donnait enfin à comprendre cet état étrange, cette « distanciation » dans laquelle je vivais. J’avais une idée plus claire de cet esprit…Je comprenais mieux également cette énergie fabuleuse que j’avais éprouvée à diverses occasions, cette force incompréhensible, pas nécessairement une force physique, même s’il y avait des effets corporels, mais bien davantage une « nourriture » spirituelle, une lucidité incroyable, une perception affinée, un lâcher prise total, quelque chose que je ne saisissais parfois pas dans l’instant mais avec le recul. Je comprenais ces états contemplatifs qui me faisaient pleurer au sommet d’une montagne, dans la solitude lumineuse des horizons intérieurs…

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  • Le mental.

    Le mental se construit au fur et à mesure de notre vie et de nos expériences. Par les cinq points d’entrée de notre être qui sont nos cinq sens (vue, ouïe, goût, toucher, odorat), nous construisons l’ensemble de notre expérience humaine. Dès la petite enfance, notre mental apprend, via les sens, à saisir l’information, il la catalogue, la range dans des cases, il construit son référentiel. L’impact du monde adulte, parents, enseignants, proches est gigantesque et contribue à un certain formatage. Le mental calcule, argumente, créé des connexions, trouve des raisons (ou en fabrique), s’adapte ;

     

    Le propre du mental est de saisir les éléments qui sont à sa portée et pour cela il use des cinq sens et de l’historique entretenu par les générations. Il s’agit d’archétypes que le mental n’a pas à remettre en cause. Il les adapte en fonction de l’identification qu’il y trouve. L’objectif pour lui est de créer une entité individuelle. L’individu se construit en fonction des oppositions ou des appartenances qui lui conviennent. Il est d’ailleurs extrêmement performant pour fabriquer des catégories, des groupes, des classes, des référents parfaitement identifiés. Il va sans cesse chercher à accumuler de la sorte des « connaissances » afin de se construire et de prendre forme. C’est son existence même qui est en jeu.

    Et c’est là que l’ego prend forme. Cette identification porte un nom pour tous les gens qu’on croise, des rôles précis, une reconnaissance, des attributs particuliers, des particularités, des caractères, un ensemble de données renvoyées par le groupe auquel l’individu appartient et avec lequel il tisse des liens (amicaux ou conflictuels). L’ego se construit à travers le miroir de l’altérité en se nourrissant des référents du mental.

     

    « L’importance est dans ton regard, non dans la chose regardée », écrivait André Gide.

     

    Il s’agit d’apporter à la chose un regard objectif, libre, épuré. Mais le mental a des références et n’en démord pas. Il faudrait regarder sans aucune connaissance pour saisir la réalité. C’est évidemment impossible.

    « L’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le cœur. »

    On connaît tous cette phrase de saint-Exupéry. Mais où est ce cœur ? Ça n’est pas l’organe ou si ça l’est il existe une partie non fonctionnelle qui n’est pas connue. À moins qu’il s’agisse d’une énergie, à moins qu’il s’agisse d’un émetteur plus vaste que le cœur, une source dissimulée…

    Lorsque nous sommes saisis par un coup de foudre, les quelques secondes pendant lesquelles une onde de chaleur nous électrocute, il ne s’agit sans doute pas du mental étant donné qu’il n’a pas eu le temps d’analyser le cas, de mettre en place les associations d’idées, les références, les connaissances… Il reprend très vite le contrôle malheureusement…Et dès lors on ne voit plus, on croit voir ce qui nous convient. Les désillusions viennent de prendre racine…Le mental vient d’ouvrir l’atelier de poterie dans lequel il va chercher à modeler l’autre à sa convenance, selon ses références.

    À moins que la vie nous ait fait un cadeau immense et que le coup de foudre se transforme peu à peu en un ciel lumineux jusqu’à l’infini du temps.

     

    Le mental peut aussi devenir boulimique. Comme on nous a appris à faire de lui le seul élément capable de trouver les solutions et que l’ego est sans cesse en recherche de sécurité, les pensées deviennent l’unique point de repère.

    On est couché, prêt à passer une bonne nuit de sommeil, on éteint la lumière et la ronde des idées et problèmes commence. L’un après l’autre tous les soucis vont se présenter et le mental lui, il traite, il pense, il échafaude. Alors, on se tourne, on vire, on cherche une position pour s’endormir et plus on cherche moins on trouve. Puis c’est au tour d’une autre idée et d’une autre et d’une autre. Il n’y a pas d’interrupteur, on ne nous a pas appris à couper le courant. Evidemment, en général, rien n’a été réglé pendant la nuit. On a lutté contre ces idées en sachant qu’on allait se lever complètement détruit et c’était en fait un autre point d’ancrage pour le mental. Il est en roue libre, dans une descente interminable et il n’y a pas de freins. Un somnifère, compter des moutons, tous les subterfuges finiront par être testés… Aucun progrès évidemment, juste des palliatifs.

     

    Le mental est absolument nécessaire et en général, il remplit magnifiquement bien sa tâche. Sans lui, je n’aurais pas pu écrire ce texte. Il connaît tous les mots dont j’ai besoin, les lettres sur mon clavier, l’utilisation de l’ordinateur, il arrive même à écouter et à apprécier de la musique en même temps et à répondre aux questions de mes proches qui me demandent ce que je fais.

    Le souci, et ceci est sans doute dû à notre mode de vie contemporain et aux bases sur lesquelles il repose, est que nous laissons le mental prendre une trop grande importance dans notre fonctionnement. Nous avons délaissé une autre dimension, la dimension spirituelle.

     

    Les problèmes de ce mental ne peuvent se résoudre par le mental, c’est ça le souci majeur. Si on essaie de régler les problèmes en utilisant le déclencheur des problèmes, on s’enfonce en croyant se libérer. De toute façon, l’ego, l’entité apparue au fil du temps, est un acharné, il ne lâche rien, même s’il est engagé dans une voie destructrice pour l’individu parce que c’est une voie qu’il connaît. Et il déteste l’inconnu. Ça n’est pas le mental qui a dysfonctionné mais le fait que l’ego a établi son identification sur ce mental et ses référents. C’est à la source que tout est faux. Il n’y a bien souvent que le drame et la rupture avec les concepts établis qui permettent de lancer l’évolution spirituelle.

     

    « Nous sommes comme des noix. Pour être découverts, nous avons besoin d’être brisés. » Khalil Gibran.

    Le drame a cette force parce qu’il plonge l’individu dans l’instant présent. La souffrance physique ou la douleur psychologique créent une cassure avec le « temps psychologique » établi par le mental. Le temps psychologique se nourrit constamment du passé et de l’avenir, c'est-à-dire deux dimensions qui n’ont pas d’autre réalité que celle que le mental lui donne. L’ego adore, craint, regrette, vénère son passé parce qu’il y trouve une forme, une identification, son histoire. De la même façon, il aime se projeter dans l’avenir parce qu’il invente l’histoire qui lui convient, qu’il espère ou la peur d’un avenir qu’il redoute mais en tout cas une hallucination sur laquelle il peut créer un ancrage à travers les pensées. Ce sont bien souvent ces pensées là d’ailleurs, ces pensées temporelles qui nous empêchent de dormir…

    Qu’il survienne une cassure dramatique dans ce tourbillon temporel et l’individu se retrouve plongé dans un instant présent d’où il ne peut sortir que par intermittences. Les anciens fonctionnements vont se déliter. On peut en tout cas l’espérer si l’individu parvient à « lâcher prise »… C’est la dimension spirituelle qui s’ouvre. Mais les résistances sont redoutables.   

  • De l'humanité.

    La voie du juste milieu érigée en concept planétaire ferait de l'humanité un "observant" au lieu d'être un "réactivant" frénétique. Il existe un grand nombre d'individus impliqués dans une démarche spirituelle mais celle-ci reste bien souvent au niveau de l'individu. Chacun essaie d'appliquer les fonctionnements les plus équilibrés, les plus lucides, les plus respectueux mais noyés dans la masse, les effets bénéfiques sont atténués par la démesure des destructions. Il est nécessaire d'aller vers une démarche collective et ça ne passera pas par des lois, des décrets, des directives politiques descendant des ministères mais bien par un travail sur soi partagé par le plus grand nombre. Internet peut d'ailleurs jouer un rôle considérable dans cette évolution. La multiplication des sites, blogs, forums, construits sur une vision holistique et un partage de valeurs humanistes compose un horizon lumineux. C'est un engagement plein d'espoir. Nous avons besoin de passer à une perspective globale dans laquelle l'individu, le groupe, la société, se rejoignent pour fonder une éthique planétaire. Les gouvernants se freinent eux-mêmes par des considérations économiques court termistes et des luttes de pouvoir. Sans prôner "le retour à la bougie" mais en axant les actions sur le développement durable, les individus ont un pouvoir politique à saisir. Ce sont les peuples qui doivent influencer les gouvernants et non l'inverse. Les "lois" remonteront vers les dirigeants, des lois non pas textuelles mais actives, des exemples éprouvés qui deviendront les supports de changements constitutionnels. L'humanité doit prendre conscience de son unité et les sytèmes politiques deviendront ce qu'ils n'auraient jamais dû cesser d'être : des outils et non des maîtres.

    http://www.youtube.com/watch?v=VbkKYTfUVx0

    "People have the power" Patti Smith.

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  • Le juste milieu.

    Une distinction entre le juste milieu et l'expression "le cul entre deux chaises."

    A mon sens "le cul entre deux sièges" est l'état d'une personne n'ayant pas réussi à faire un choix. Elle reste donc torturée par son indécision, hésitant constamment à prendre une direction définie et souffrant de son incapacité à le faire. À peine partie dans un sens elle regrette déjà son élan et s'arrête, souffrant aussitôt d'être revenue au point de départ, là où pour elle il n'y a que le chaudron bouillant dans lequel elle cuit sans comprendre que les flammes sont attisées par sa propre errance.

    Le juste milieu représente à mon sens, non pas la capacité à rester au centre du carrefour sans prendre de décision mais la capacité à ne pas s'identifier à la décision qui a été prise. Le juste milieu est l'endroit duquel l'individu peut observer ses actes sans devenir lui-même les actes. Il n'y a pas d'identification. C'est un état d'observation qui fait que l'on peut entretenir la lucidité nécessaire à l'analyse de ce qui est entrepris. Je ne suis pas ce que je fais. Je ne suis pas ce que j'ai décidé de faire. Je le gère mais sans être emporté dans le flot d'émotions, de ressentis, que cela génère.

    Pour ne pas couler au milieu de l'océan, il ne sert à rien de nager, il faut faire la planche et observer, saisir chaque instant en se libérant de l'activité. Le nageur aura systématiquement le cul entre deux chaises en décidant de prendre une direction puisqu'il ne sait pas vers où il va. Il va dépenser une énergie considérable à nager et dès lors il ne peut pas s'observer.
    Le "planchiste" se laisse porter en mesurant ses efforts et en restant réceptif à tout ce qui l'entoure. Les courants l'entraînent mais ça n'a aucune importance étant donné qu'il ne sait pas vers où il faut aller. Il est donc inutile d'y penser. Agir dans le non-agir revient donc à être inscrit dans le juste milieu.

     

    Il ne s'agit nullement de rester inerte au carrefour d'une décision à prendre. Le juste milieu consiste à ne pas devenir la décision...Chaque fois qu'une préoccupation trop vive nous saisit et que celle-ci implique une décision à prendre nous restons bien nous-mêmes évidemment mais nous ne sommes plus avec nous-mêmes. Nous nous perdons de vue dans les évènements extérieurs. Comme si les actes nous engloutissaient.

    Ça peut devenir de la colère, des regrets, de la rancoeur, de la jalousie ou du bonheur mas quels que soient les effets, si nous nous perdons de vue, il n'y a plus d'observateur, nous sommes devenus ce que nous faisons. Le juste milieu consiste à ne pas nous identifier à cette décision. Il s'agit donc de continuer à analyser les évènements, avec lucidité et si une autre direction s'impose, il n'y a aucun regret à avoir. Il serait inutile de continuer à se fourvoyer, par prétention ou entêtement. Le juste milieu est à la source de la lucidité. 


    En alpinisme, c'est une méthode de survie...

    En amour aussi. 

  • Le maître...

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    « Le maître véritable n’est pas celui qui a le plus de disciples mais celui qui crée le plus de maîtres.
    Le leader véritable n’est pas celui qui a le plus d’adeptes mais celui qui crée le plus de leaders.
    Le roi véritable n’est pas celui qui a le plus de sujets mais celui qui en mène le plus grand nombre à la royauté.
    L’enseignant véritable n’est pas celui qui a le plus de connaissances mais celui qui amène le plus de gens à la connaissance.
    Et le Dieu véritable n’est pas celui qui a le plus se serviteurs mais celui qui sert le plus, faisant ainsi des Dieux de tous les autres. »
    Conversations avec Dieu - Neale Donald Walsch

     

    On peut se demander si cette conversion des adeptes à un niveau de maîtrise est bien l’objectif de la politique, de l’éducation, de la religion et même de la spiritualité…

    N’y a-t-il pas davantage dans ces disciplines une intention cachée de soumission, une hiérarchie à préserver coûte que coûte ?

     

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  • Spiritualité. (2)

    Je suis surpris par le nombre de personnes qui associent immédiatement la spiritualité à la religion et je me dis que les conditionnements éducatifs sont d'une lourdeur immense. D'autant plus que ceux qui réagissent ainsi sont de fervents ennemis des religions. Il est évident dès lors que cet amalgame déclenche en eux des réticences très vives envers tout ce qui touche à la spiritualité.

    "La spiritualité (du latin spiritus, esprit) définit une aspiration personnelle ou collective, ou l'ensemble des croyances, pratiques et études qui ont trait à la nature essentielle de l'être vivant, à l'âme, à ce qui est au-delà des besoins matériels ou des ambitions terrestres, voire à la relation à Dieu dans le cas d'une spiritualité non athée." source wikipédia.

    Il est important de noter la précaution apportée à la "relation à Dieu". Rien n'est obligatoire dans le domaine. Il existe bel et bien une une "spiritualité non athée".

    Cet acharnement à renier le terme de "spiritualité" vient par conséquent nécessairement de cette idée occidentale que tout ce qui touche à l'esprit est une soumission à la religion. Il y a même, et c'est encore plus grave, une impossibilité de penser que Dieu peut être "vécu", éprouvé, recherché en dehors de toute appartenance religieuse...Cet enfermement est un conditionnement historique très lié à l'attachement social aux valeurs laïques. Il n'est nullement question de renier ces valeurs laïques mais il conviendrait que celles-ci ne soient pas utilisées comme des vérités intangibles qui ne pourraient être associées à une quête spirituelle athée.

    "La laïcité désigne, au sens actuel, la séparation du civil et du religieux. Le principe de séparation des pouvoirs politiques et administratifs de l’État du pouvoir religieux en est une application. Au sens contemporain, elle est le principe d'unité qui rassemble les hommes d'opinions, religions ou de convictions diverses en une même communauté.

    L'adjectif « laïque[1] », qui s'oppose d'abord à « clérical », peut aussi désigner l'indépendance par rapport à toute confession religieuse. "

    source wikipédia.

    Ceci étant clarifié, on voit bien que la spiritualité athée est une ouverture vers une dimension qui ne s'oppose pas aux valeurs laïques mais une possibilité d'apporter aux individus une conscience de soi plus vaste, une connaissance intime, libérée de ces conditionnements limitatifs.  On peut même trouver "au sens contemporain", une éventuelle rencontre d'idées au sein d'une communauté respectueuse. Nul prosélytisme mais une acceptation pleine et entière des individualités afin d'apporter des contributions objectives à l'humanité.

    Les ardents "défenseurs" de la laïcité lorsqu'ils s'opposent à toute forme de spiritualité s'excluent par conséquent des valeurs même de la laïcité. Ils ne sont plus que des Inquisiteurs...