La désillusion

Avec le temps, les années à travailler avec les enfants, j'ai fini par comprendre que je n'avais aucun espoir à avoir au regard de l'énergie que je dépense avec eux. C'est totalement inutile. Ca ne m'appartient pas. Il y a beaucoup trop de paramètres qui entrent en compte et qui m'échappent totalement et même si je maîtrisais 99 % de la situation,  il y aurait une pression ingérable qui s'installerait si je désirais obtenir des résultats conséquents. Ce qui importe et qui m'appartient totalement , c'est que je m'applique à faire ce qui me semble juste. L'intention ne doit pas faire partie de ce travail au risque de tomber dans la désilusion. Mais ce n'est pas la réalité qui crée cette désillusion. C'est moi parce que la réalité ne correspondra pas à ce que j'espérais atteindre. Dès lors, je vais renforcer ma pression sur les élèves étant donné que cette désillusion me renvoie une image négative de moi-même. Le piège est redoutable. Cette pression, je vais la transmettre et les enfants la recevront et la transformeront inconsciemment en peur. Leurs résultats en seront impactés parce qu'ils seront figés par mes attentes.

Dans ce métier, il ne faut avoir aucune attente, aucun espoir, aucune intention. Il faut juste se contenter de faire ce qui semble juste, utile, efficace, judicieux.

Finalement, il faudrait avoir dans chaque classe une personne qui observe l'enseignant et qui travaille avec lui sur son propre vécu, qui l'aide à analyser son propre parcours, les raisons de son engagement dans ce métier, les traumatismes et ce qu'il cherche à apaiser en lui, la reconnaissance qu'il voudrait obtenir, la vision qu'il a de l'enfance au regard de l'enfant qu'il porte en lui...Mais les enseignants sont seuls et c'est donc un travail qu'il doivent mener dans leur solitude et en explorant leurs angoisses. On rejoint le travail nécessaire de l'inconscient si cher à C.G. Jung. La connaissance de soi consiste en un travail d'introspection permettant la compréhension de ce qui nous constitue. Car comment envisager de transmettre des connaissances alors que celui qui en est chargé ne sait pas ce qu'il porte ? On pourrait penser que la maîtrise des techniques suffise mais ça serait une illusion redoutable là encore. Le contenu n'a aucune importance si le contenant ne sait pas de quoi il est constitué. C'est comme une outre percée qui se viderait sous la pression exercée par la fonction de porteur d'eau. Il faut que l'outre soit étanche, qu'elle ait colmaté les fissures, qu'elle ait renforcé la structure. Là, il sera possible qu'elle transporte ce pour quoi elle est faite et même, chose surprenante, qu'elle continue à croître et à porter un volume de plus en plus important. 

Il y a une attitude indispensable pour apprendre de quoi l'outre est constituée. C'est l'humilité. Ce qui n'a rien à voir avec le doute. Celui qui doute ne peut transmettre que ses peurs. Celui qui reste humble transmet sans chercher à savoir si cela aura un effet. Il agit. Sans se soucier de la portée de ses actes. Il est du coup disponible pour analyser la justesse de ses actes et les modifier si cela lui semble nécessaire, non pas au regard des effets mais au regard de la réception de ses propos et de ses actes. Est-ce que ce qu'il fait est reçu avec enthousiasme ou est-ce que les personnes concernées restent inertes et juste soumises à sa pression ? Le seul effet à analyser, c'est l'engagement qui est déclenché par l'enthousiasme de celui qui transmet et l'enthousiasme de celui qui reçoit. 

Il s'agit par conséquent de rester impliqué dans l'instant présent. Sans se préoccuper des résultats. Il sera toujours temps, plus tard, d'en juger. Si ces résultats se révèlent insuffisants au regard de ce qui est réalisable, il conviendra, non pas de juger, celui qui n'a pas atteint un objectif totalement subjectif mais de juger de l'investissement de celui qui transmet.

Il reste le problème posé par ceux ou celles qui restent imperméables à toute transmission ou qui ont besoin d'un laps de temps conséquent pour y parvenir. Les raisons, encore une fois, peuvent être innombrables. La structure scolaire, de part sa rigueur, génère dès lors une pression insurmontable. Celle de l'ensignant qui se sent impuissant, celle du temps qui file et qui va imposer une sentence, celle d'un cadre qui n'est absolument pas favorable à la prise en charge spirituelle de ces individus. Je dis bien "spirituelle" et non pas "psychologique". Là aussi, je suis persuadé aujourd'hui, après trente ans de travail, que c'est là que se situe le problème.

La psychologie n'est qu'une version scientifique de la spiritualité. Il fallait un terme "laïque" parce que la religion s'est accaparée la spiritualité. Il n'en est rien pourtant étant donné que la spiritualité est une voie d'éveil, là ou l'adhésion religieuse est un embrigadement. Et la religion n'a encore rien à voir avec la Foi. 

C'est de spiritualité dont les enfants ont besoin. Mais quels enseignants considèrent que pour eux-mêmes, c'est un travail indispensable ?...

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Commentaires

  • Thierry
    • 1. Thierry Le 25/03/2012
    Les enfants ne sont pas les seuls mais c'est parce que cette dimension spirituelle leur a été cachée que les adultes finissent par être égarés. Comme si les individus devaient explorer une jungle sans avoir été prévenus des risques. Les Peuples Premiers n'ont jamais oublié cet enseignement...Dans les sociétés matérialistes, la spiritualité a été spoliée par les religions et la philosophie rejetée dans les bas fonds de l'intellectualisme...Perdition totale.
  • BOYELLE
    • 2. BOYELLE Le 25/03/2012
    C'est aussi tellement vrai dans la vie de tous les jours,l'humilité est au quotidien,dans chaque pas de notre vie,faire ce qui est juste,accepter la difficulté ou le refus de l'autre de ne pas entendre cela,comme c'est difficile..il faut aller au delà de ses colères,les enfants ne sont pas les seuls à avoir besoin de spiritualité..combien d'adultes enfermés dans un endoctrinement religieux,toutes religions confondues,l'homme en a oublié le sens d'amour du message originel
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  • Isa Lise
    • 3. Isa Lise Le 27/01/2012
    Tellement vrai et c'est un travail constant sur soi-même de ne pas se laisser aller à des attentes maladroites et hors de propos...

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