Spiritualité laïque

http://www.barbier-rd.nom.fr/journal/article.php3?id_article=556

Depuis l'année universitaire 2005-2006, avec une petite équipe d'enseignants et de tuteurs militants, nous poursuivons une passionnante expérience de recherche-action pédagogique, dans le cadre de la licence de Sciences de l'éducation en ligne de l'Institut d'Enseignement à Distance (IED) de notre université. Au deuxième semestre, dans mon cours sur "le recherche-action existentielle et transpersonnelle", j'utilise la fonction du WIKI du logiciel CLAROLINE qui permet une écriture collective et anonyme sur une thème de recherche. C'est ainsi qu'autour de "Qu'est-ce qu'une spiritualité laïque", les étudiants de licence, tous travailleurs salariés, élaborent, progressivement, la réflexion présentée ici à la date du 11 mars 2006.


Recherche-action existentielle et transpersonnelle sur le thème "Qu'est-ce qu'une "spiritualité laïque ?"

C'est une démarche expérientielle et existentielle de soi-même, indépendante des institutions religieuses. Il s'agit d'une réflexion profonde sur l'ensemble des expériences de la vie en reliance avec l'Autre et ce qui nous entoure, qui nous amène à avoir une meilleure perception du réel et une conscience de plus en plus grande de l'être humain au sein de son environnement. Ces expériences et cette conscience d'être en interdépendance constante avec le monde, forment la manière d'être en vie. La spiritualité se traduit par des paroles et des attitudes d'ouverture à l'égard des autres, par des attitudes de tolérance et de compassion. La spiritualité s'éprouve avant de se penser. Quand on se sent envahi, lors de certaines expériences de vie, par cette dimension spirituelle de soi-même, on en ressort différent, ça nous émeut, ça nous chahute, ça nous bouscule, ça nous change. C'est comme un rendez-vous avec l'essentiel en soi, une écoute de ce qui s'exprime le moins. Ce sont des instants qui bouleversent une vie.

Atteindre un accomplissement spirituel en accord avec ses valeurs et principes, sans relation quelquonque avec la religion. Juste l'accomplissement de son être. Etre en accord avec soi-même et aller dans le sens que l'on souhaite donner à sa vie sans influence quelconque.

C'est une compréhension de soi et du divin en nous et en toutes choses, sans aucun artifice religieux particulariste qui divise par des symboles des dogmes et autres attributs. Un esprit laic, universel, sans aucun teintage ethnico-religieux sous la forme clivatrice, pour en terminer avec les enfantillages des religions qui tentent de s'appropier une vérité inébranlable. Une union constante en ce fond commun, en cet amour universel et inconditionnel qui transcende les divisions et nous unit TOUS.

C'est une liberté absolue de conscience éprouvée et mise en pratique pour le bonheur d'être au monde, en disponibilité avec soi et les autres, et comme toutes les libertés, elle n'est pas seulement voyage imaginaire, philosophique et fraternel mais aussi engagement social. La spiritualité laïque est de l'ordre de "l'imaginaire sacral et philosophique". L'être spirtuel se pose la question de la façon dont il vit, que fait-il de sa vie avec les autres et quelles valeurs sociales contribue-t-il à dispenser. La spiritualité laîque commence par une mise en action de sa pensée.

La spiritualité entraîne un travail intérieur de l'être, la spiritualité laïque peut être le moyen de se libérer de la religion ou de toute autre forme de pensée, de croyance imposées sous prétexte d'une Verité. La spiritualité laïque permet de trouver sa propre harmonie, une dimension sacrée de la vie en découle. Elle entraîne l'être tout entier dans différents univers qui lui sont connus ou encore inconnus.

Une spiritualité laïque s'adresse à ceux qui ont l'intuition d'une dimension sacrée de la vie. Tendre à plus de cohérence dans sa vie et de se porter mieux, de trouver une certaine harmonie intérieure, ou encore de donner un sens à nos actions et plus généralement à notre vie, au-delà de la satisfaction des besoins matériels. Cette spiritualité doit être personnelle et ne doit pas tendre vers un mouvement sectaire. De plus, nous n'en avons pas forcément conscience de cette spiritualité laïque au quotidien, souvent les personnes qui ont connu une expérience proche de la mort, relativisent leur vie matérielle et ont un sens plus profond de la vie. Mais on peut se poser la question, en se libérer de croyances, du dogme religieux, avons-nous tous une spiritualité ?

Mais finalement spiritualité et laïcité sont -ils bien des termes que l'on peut lier ? Une personne laïque peut elle accepter cette notion de spiritualité ? Les laïcs n'ont ils pas cette façon de penser qui les laisse neutres quant à toute source de croyance et la spiritualité n'est elle pas une croyance à quelque chose ? La spiritualité laïque est conforme au besoin qu'on éprouve de se libérer de mythologies religieuses et de croyances qui ne correspondent pas aux découvertes fondamentales de la science moderne. Cette tendance est éprouvée par le besoin que l'on a de se libérer de toutes formes matérielles, de toutes technologies, de se sentir en paix sans aucun accessoires.

La laïcité est une sorte de neutralité bienveillante à laquelle fait référence une société pour s'établir et se développer, affirmant ainsi une certaine autonomie vis-à-vis des religions. Une telle société prône la liberté de conscience de sujets libres et responsables, capables de penser par eux-mêmes en vue de faire avancer des questions de société car la laïcité évolue avec son temps. En ce sens, on peut dire qu'elle a un lien avec la spiritualité car elle est tournée vers l'autre, avec une réelle capacité d'écoute, de compréhension et de tolérance pour tenter de mieux vivre ensemble.

Peut-être qu'il peut y avoir plusieurs approches dans la compréhension de ce qu'est "la spiritualité laïque". Et si, pour répondre à la question de savoir si on peut lier ces deux termes que sont "spiritualité" et "laïcité", on commençait par consulter le dictionnaire pour définir les termes ?

« Spiritualité : qualité de ce qui est esprit : la spiritualité de l'âme. Tout ce qui a pour objet la vie spirituelle. Spirituel : qui appartient à l'esprit, à l'âme. Relatif à la religion, à la vie de l'âme. Relatif à l'Eglise. Où il y a de l'esprit, de la finesse, de l'intelligence. Spiritualiser : donner un esprit, une âme « à »… dégager de toute matérialité. Larousse 1979. » « Relatif au domaine de l'intelligence, de l'esprit, de la morale. Valeurs spirituelles. Relatif à la religion, à l'église. Larousse 1989. »

« Laïque : qui n'appartient pas au clergé. Laïcité : système qui exclut les Eglises de l'exercice du pouvoir politique ou administratif, et notamment de l'organisation de l'enseignement. Laïciser : éliminer tout principe de caractère religieux. Dictionnaire Larousse 1979 » « Laïque : indépendant des organisations religieuses, neutre sur le plan confessionnel ; qui est étranger à la religion, au sentiment religieux. Laïcité : caractère de ce qui est indépendant des conceptions religieuses ou partisanes. Système qui exclut les églises du pouvoir politique ou administratif. Laïciser : soustraire à l'autorité religieuse. Dictionnaire Larousse 1989. Idem Larousse 1994 » « Laïque : qui n'a pas de caractère religieux. Laïcité : principe de séparation des églises et de l'état. Laïciser : ôter tout caractère religieux à. Dictionnaire de poche Hachette 2003 »

Si on pense le terme de « spiritualité » comme figé dans la sphère du religieux, et le terme de « laïcité » comme ce qui est « anti-religieux », il semble alors que la spiritualité laïque soit quelque chose d'incompréhensible. Il y a une exigence d'ouverture dans la compréhension des termes de spiritualité et de laïcité pour penser la spiritualité laïque. Le terme "spiritualité" tire son origine du terme "esprit" mais ce dernier était entendu dans certains milieux comme synonyme de "l'esprit saint". Il faudra attendre E.Mounier pour voir apparaître l'utilisation du mot esprit "sans étiquette". Les termes de laïc et ses dérivés : laïcat, laïcité… furent longtemps réservés à la désignation des non-clercs, puis des anticléricaux, et ce sens envahit fort longtemps le champ des relations entre l'Eglise comme institution (les clercs, le dogme, les pratiques) et le reste de la société. Il faudra le compagnonnage né des luttes sociales et des guerres de la première moitié du XXème siècle pour qu'apparaissent une laïcité plus ouverte et le début d'une tolérance à son égard dans les milieux religieux traditionnels. En témoigne un texte de 1949 signé André Latreille et Joseph Vialatou dans la revue "Esprit", définissant la laïcité comme "l'expression juridique de la liberté de l'acte de foi". Il fallut attendre 1946 pour que certaines autorités ecclésiastiques déclarent que "la laïcité pouvait être tolérée".

Mais ce serait une erreur de confondre laïcité et esprit anti-religieux .Le mot "laïque" est parfois interprété dans un sens anti-religieux.Mais l'important dans la spiritualité laïque à ce qu'il me semble, c'est d'apprendre à vivre avec d'autres, à tolérer les différences, à porter secours à celui qui est dans le besoin, se mettre d'accord sur une éthique, une morale.La "spiritualité laïque" n'a pas de sens anti-religieux. Certes la religion peut être comprise d'abord comme une institution qui se définit en fonction de la collectivité tandis que la spiritualité se ramène au travail intérieur de l'individu. Mais s'il est juste d'avancer que l'encadrement devient parfois un enrôlement, une forme de soumissions au dogme, faut-il nier qu'il soit possible de poursuivre une expérience spirituelle dans le cadre d'une religion ?

La spiritualité laïque apparait comme une nouvelle tendance qui manifeste le besoin que l'homme éprouve de trouver une certaine harmonie intérieure, ou encore de donner un sens à ses actions et plus généralement à sa vie, au-delà de la satisfaction des besoins matériels. Une spiritualité laïque s'adresse à ceux qui ont l'intuition d'une dimension sacrée de la vie et qui cherchent à vivre en accord avec cette intuition. Cela se traduit jour après jour par des paroles et des attitudes d'ouverture à l'égard des autres, des attitudes de tolérance et de compassion, par une droiture dans l'engagement et par un travail sur soi, jour après jour, que ce soit avec ou sans Dieu. Les voies sont multiples, mais la sagesse est Une. Cela suppose d'être d'une grande rigueur avec soi-même. La spiritualité laïque ce serait donc l'expression d'un besoin de spiritualité avec ou sans Dieu.

La spiritualité laïque est la recherche en toute liberté de connaissance pour construire sa vie et trouver l'art de vivre. Elle n'est pas anti-religieuse, car elle permet l'ouverture aux autres sans distinction de culture, religion, classe sociale.

Personnellement je suis athée (limite anti-cléricale, précise cet interlocuteur) et je ne pense pas que la spiritualité laïque soit un besoin de spiritualité à tout prix, mais effectivement une recherche de connaissances pour construire sa propre vie, trouver un art de vivre qui permet de m'ouvrir aux autres, c'est là qu'est la vraie richesse.

spiritualité laïque… c'est toucher le ciel comme on se gratte le menton. Sans y faire attention- comme ça- car ça nous prend. Mais, en le faisant, c'est être attentif à soi et à l'univers. On se relie à l'univers parce que ça va de soi et l'on fait de cette façon là parce que ca ne va pas de soi. Spirituel par réflexe, laïque par vigilance.

En vérité, toucher le ciel de la sorte n'est pas si facile, ce n'est pas un nouvel acte de foi, un nouvel « au-dessus » de l'existence, d'ailleurs il n'y a pas de récompense éternelle pour nos souffrances et paradoxalement la spiritualité laïque demande pourtant de « sacrés » efforts et ne délivre parfois qu'une simple fragilité.

Je ne suis pas sûre que le but d'une spiritualité se soit de toucher le ciel car même dans la religion, toucher le ciel n'est pas l'important en soi. Bien sûr, c'est une image, mais je n'aurai peut-être pas employé ce terme là. La spiritualité représente plus pour moi, l'ascension au sommet de son âme, équipé de toutes ces connaissances, de son amour, de l'amour de la vie en général. Et la laïcité peut-être la capacité de croire que l'on peut se réaliser avec soi même, la laïcité est certainement la croyance en l'homme, à la vie. D'où ce contraste saisissant entre l'association de ces deux mots qui me paraissent bien différents dans leurs significations respectives !

Considérons l'importance du retour du spirituel dans nos sociétés : il faut remarquer qu'il n'est plus rattaché nécessairement à des églises, à des croyances religieuses. Il s'est laïcisé. En ce sens, on parle d'une différence entre religion et spiritualité. Pour bien des gens, la religion est identifiée à un ensemble de normes, d'obligations morales et à une appartenance à des institutions ecclésiales, plutôt qu'à une vie spirituelle plus personnelle et incarnée. Aujourd'hui on cherche une spiritualité plus respectueuse du corps et qui valorise les réalités matérielles. On se distancie d'une religion à tendance dualiste et manichéenne ; celle-ci présentait la matière et la sexualité comme mauvaises, et prêchait une moralité stérile et qui générait des sentiments de culpabilités maladives, comme la psychanalyse l'a mis en évidence. Une religion qui n'est pas en mesure de favoriser une spiritualité, c'est à dire une rencontre existentielle, n'est qu'idolâtrie ou même une idéologie. Si on peut utiliser les termes de religion et de spiritualité comme synonyme c'est dans le sens où à la base de l'expérience religieuse on trouve une dimension constitutive de l'anthropologie qui est que la personne est un être d'altérité. La personne est un être « avec ». Elle n'est pas jetée dans le monde mais reliée à la réalité, à autrui, à la transcendance. C'est l'autre qui lui révèle son humanité ; autrui est le miroir qui la renvoie au plus profond d'elle-même. On se reconnaît humain en présence d'un autre être humain. Découvrir l'autre comme autrui et non comme projection de ses propres besoins est l'aboutissement du développement humain. La nudité de l'être humain exprime bien cette dimension relationnelle, cette dimension de dépendance existentielle (pas comprise comme soumission mais comprise comme révélatrice d'une altérité qui fonde nos libertés) des hommes. L'homme n'est donc pas habillé de soi-même mais référé à autrui. C'est en s'acceptant nu que l'homme dépasse sa tendance possessive et dominatrice pour être dans un rapport de liberté et de gratuité avec autrui. L'altérité est opposée à une dépendance maladive. C'est à l'intérieur de cette dimension d'altérité que s'enracine la spiritualité laïque, la question de la transcendance, voire l'expérience religieuse. En ce qui concerne la spiritualité laïque, c'est une spiritualité qui n'est en rien fondée sur la peur et le déni. Elle est ouverture aux autres, enracinée dans une dimension d'altérité. Et on ne peut parler d'ouverture et de respect que si nos paroles sont authentiques, que si nous ne nous cachons pas derrière des masques. La relation aux autres ne peut être authentique que si nous sommes honnêtes et, ce, déjà avec nous même. L'autre a le droit à la vérité, sinon il ne peut pas nous respecter vraiment tel que l'on est. La meilleure façon de respecter l'autre c'est de ne pas lui mentir sur nous-même. Parler de spiritualité laïque c'est parler d'une spiritualité authentique parce qu'elle ne nous fait pas peur, parce qu'elle ne fait pas peur aux autres. Elle nous donne la liberté de nous exprimer sans peur du « qu'en dira t-on ? ». Elle nous autorise à penser autrement. Parce que respecter l'autre, c'est parfois lui dire : « là, je ne suis pas d'accord avec toi ». On a le droit d'être différent. Spiritualité laïque et ouverture ne font pas « sens » ensemble si on plie les genoux, si on baisse les bras, si on dit « amen à tout », si on courbe l'échine et si finalement on baisse les yeux en signe de soumission. On n'a pas à avoir peur d'être qui on est. Et c'est ce que permet la spiritualité laïque. Une spiritualité fondée sur la peur et qui engendre la peur n'est pas une spiritualité authentique. Elle est une idéologie.

Gestionnaire(s) du cours ELE 616 : René Barbier

 

Commentaires

  • Thierry
    • 1. Thierry Le 03/03/2014
    Bonjour Gina
    Je ne suis pas athée également mais je ne suis pas engagé dans une voie monothéiste. Animiste, panthéiste, gnostique...Deus siva natura de Spinoza répond parfaitement à la dimension qui me touche. Merci pour votre commentaire. Au plaisir de vous recroiser là-haut :)
  • Gina Cloutier
    • 2. Gina Cloutier Le 02/03/2014
    ça me rejoint beaucoup. La spiritualité est la religion( religion dans le sens du meilleur de toutes les religions). Je ne suis pas athée mais je crois que je fais parti d'un tout, reliée au tout. Un maillon, microcosme dans le macrocosme. Si je m'aime, j'aime la vie manifestée dans tout ce qui est. « Aimez-vous les uns les autres comme je me suis aimé.» Merci, bonne semaine.

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