L'individuation : Carl Gustav JUNG
- Par Thierry LEDRU
- Le 23/03/2025
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Je m'intéresse beaucoup au peuple Kogis et eux ne disent pas qu'il s'agit de devenir "adultes" mais de devenir "des êtres humains" quand nous ne sommes pour l'instant que des hommes et des femmes. Ils nous appellent d'ailleurs "les petits frères" ce qui sous-entend comme Jung que nous devons grandir.
« S’il répugne à ce point à devenir conscient du problème, c’est que cela exigerait de mettre en cause cette image de la Terre inépuisable et de “s’expliquer” avec un des archétypes les plus puissants qui soient, celui de la Mère. […] Alors, nous devons nous assumer, seuls, être réellement conscients, adultes. »
— Carl Gustav Jung, La voie des profondeurs
Ecole Jungienne de Psychanalyse Animiste - EJPA
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Devenir adulte : pourquoi l’individuation est devenue une urgence planétaire
Il est des mots qu’on relègue, trop vite, aux marges de la pensée. Parce qu’ils semblent appartenir à une époque plus lente, ou à des sphères plus intimes. Le mot individuation fait partie de ceux-là. Long, peu sonore, presque austère, il ne séduit pas d’emblée. Il ne fait pas frémir les foules. Il n’a rien d’un mot à la mode. Il parle d’un travail intérieur, patient, profond — tout ce que notre monde, saturé de bruit et de vitesse, apprend à fuir.
Et pourtant, c’est peut-être l’un des mots les plus essentiels de notre temps.
Carl Gustav Jung l’écrivait déjà avec force : l’individuation n’est pas un luxe réservé aux « belles âmes », ni un privilège d’initiés. Ce n’est pas une coquetterie psychologique, ni une quête réservée à ceux qui ont « du temps pour eux ».
C’est une nécessité vitale.
Vitale pour l’individu, bien sûr, qui a besoin de devenir un être entier, en lien avec ce qu’il porte d’unique et de profond. Mais vitale aussi pour le monde.
Car sans êtres individués, aucune évolution véritable n’est possible.
On voudrait croire encore que les solutions viendront d’en haut : des décisions politiques, de la science, d’une technologie salvatrice. On voudrait croire qu’un jour, le monde se réveillera, comme par enchantement, unifié, solidaire, raisonnable.
Mais cette croyance est une illusion dangereuse. Elle nous dispense de la transformation à faire en nous.
Le réel, lui, ne cesse de nous alerter.
Les signes sont là : l’épuisement des ressources, la disparition des espèces, les dérèglements climatiques. Un monde qui s’effondre lentement, et un autre qui peine à naître.
Nous le savons — et pourtant nous agissons comme si nous ne savions pas.
C’est là que le regard de Jung devient éclairant. Il ne s’arrête pas aux comportements, ni aux discours. Il va chercher la racine inconsciente, celle qui anime secrètement notre rapport au monde.
Et ce qu’il pointe, c’est un archétype non intégré : celui de la Grande Mère — la Nature comme source inépuisable, comme matrice fertile et indulgente. Cet archétype est puissant, ancien, fondamental. Il a nourri l’imaginaire de l’humanité pendant des millénaires. Mais aujourd’hui, il est devenu piégeant.
Tant que nous projetons sur la Terre l’image d’une mère toute-puissante, qui pourvoit sans jamais faillir, nous restons dans une posture d’enfant.
Un enfant qui prend, sans penser aux conséquences. Un enfant qui exige, sans mesurer les limites.
C’est cela que l’individuation vient renverser.
Car s’individuer, ce n’est pas s’isoler. Ce n’est pas se retirer du monde dans une tour d’introspection.
C’est au contraire entrer dans une responsabilité vivante, c’est oser faire face à ce qui nous habite, et en tirer les fruits les plus clairs.
C’est quitter la dépendance à l’archétype maternel pour devenir un adulte psychique : capable de discernement, de choix, de fidélité à soi-même.
Ce n’est pas un chemin confortable. Il demande du courage. Il demande de traverser ses zones d’ombre, d’assumer ses contradictions, d’écouter ses rêves, ses peurs, ses intuitions.
Mais c’est le seul chemin qui rende le monde habitable autrement.
À ce titre, l’individuation n’est pas une option secondaire.
Elle est devenue, comme l’écrit Jung, « la condition sine qua non de la survie de l’espèce ».
Ce sont les êtres individués qui résistent aux propagandes, aux fanatismes, aux engourdissements de masse.
Ce sont eux qui tiennent debout quand tout vacille.
Ce sont eux, aussi, qui peuvent faire émerger des formes nouvelles de présence au monde — des formes qui ne soient plus fondées sur la prédation, mais sur la coopération, l’écoute, le respect du vivant.
Christiane Singer disait qu’il y a, au cœur de chacun, un lieu inviolable, un sanctuaire où « quelque chose ne meurt pas ».
C’est ce lieu-là que le travail d’individuation permet de rejoindre.
Et ce lieu, aujourd’hui, est notre ressource la plus précieuse.
Il ne s’agit pas de réparer la Terre comme on colmate une fuite. Il s’agit d’aimer autrement. D’entrer en relation avec le monde depuis un autre endroit.
Moins enfantin. Moins exigeant. Plus humble.
Plus libre, aussi.
Alors oui, il faut le redire, avec des mots simples mais graves :
notre époque a besoin de femmes et d’hommes qui acceptent de devenir adultes.
Non pas dans un sens moral ou civique, mais dans un sens symbolique, psychique, spirituel.
Des êtres reliés. Intérieurs. Lucides.
Non pas parfaits, mais engagés.
Capables de faire silence en eux, pour mieux entendre ce qui appelle, ce qui meurt, ce qui espère.
Le monde n’attend plus d’idées. Il attend des êtres.
Et l’individuation est peut-être le plus grand acte politique et poétique qu’il nous reste à accomplir.
« S’il répugne à ce point à devenir conscient du problème, c’est que cela exigerait de mettre en cause cette image de la Terre inépuisable et de “s’expliquer” avec un des archétypes les plus puissants qui soient, celui de la Mère. […] Alors, nous devons nous assumer, seuls, être réellement conscients, adultes. »
— Carl Gustav Jung, La voie des profondeurs
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