Eliminer la pensée philosophique
- Par Thierry LEDRU
- Le 17/03/2025
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Pensez-vous que ça soit anodin ? Qu'il n'y ait aucune intention cachée, autre que budgétaire ?
La tribune « Dire non à la disparition de la philosophie ! » est parue dans le quotidien Le Monde :
https://www.lemonde.fr/.../nous-n-acceptons-pas-que-des...
Les départements de philosophie des universités d’Amiens, de Créteil, de Lille, de Nanterre et de Paris-VIII ont tous récemment appris que les avis émis par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) concernant l’accréditation de leur licence et/ou de leur master étaient défavorables ou réservés.
Cela signifie que, si rien n’est fait, et si le ministère et les présidences des universités suivent cet avis du Hcéres, la quasi-totalité des diplômes nationaux de philosophie délivrés depuis des décennies par les universités situées sur le quart nord de la France auront disparu en septembre 2026.
La philosophie n’est pas la seule touchée : beaucoup d’autres disciplines, en général relevant des humanités (sociologie, arts, lettres, science politique, sciences de l’éducation, etc.), sont concernées par ces rapports sévères qui obéissent manifestement à des considérations budgétaires plutôt que de traduire des objectifs académiques. La philosophie l’est de manière tellement systématique que cela en est sidérant.
Les arguments avancés dans les différents rapports témoignent d’une mauvaise foi évidente et d’une ignorance complète des spécificités de cette discipline : décomptes erronés des étudiants ou des enseignants, description partielle et partiale des méthodes d’enseignement, insistance sur la nécessité d’une refonte des savoirs enseignés en « compétences », intimations à moins enseigner les exercices classiques de la discipline, injonctions contradictoires et rompant avec le principe de liberté pédagogique.
Par ailleurs, ces évaluations contreviennent à un principe fondamental de l’enseignement supérieur et de la recherche qui garantit la qualité pédagogique et scientifique des méthodes et des savoirs dispensés : l’évaluation par les pairs. Dans la plupart des comités Hcéres formés pour évaluer les licences et masters de philosophie ne figure aucun enseignant-chercheur de philosophie, voire de sciences humaines.
L’attaque est claire, politique, et extrêmement structurée. Elle vise, d’une part, des universités situées sur des territoires économiquement fragilisés, dont une grande partie des étudiants sont en grande précarité sociale, issus de milieux défavorisés, et n’ont souvent pas les moyens d’aller étudier dans d’autres universités : une telle attaque revient donc à remettre en cause la démocratisation du savoir et le principe de l’égalité des chances. Elle prend, d’autre part, pour cible privilégiée des disciplines qui ne correspondent pas aux attentes néolibérales d’une utilité et d’une rentabilité immédiates.
A l’ère des fake news, de la post-vérité et de la montée en puissance des technologies d’intelligence artificielle, la jeunesse a plus que jamais besoin de se forger un esprit critique, une réflexion et une sensibilité indispensables pour surmonter les défis du monde à venir : technologiques, écologiques, sociaux et politiques.
Voilà à qui et comment le gouvernement a décidé de faire assumer, entre autres victimes expiatoires, le coût du milliard d’économies qu’il exige de l’enseignement supérieur, d’une université déjà à bout de forces, après vingt ans de coupes budgétaires et de gestion managériale brutales.
Nous n’acceptons pas que soient ainsi abandonnés nos étudiantes et étudiants, nos collègues vacataires, et que disparaisse toute opportunité de poursuivre des études de philosophie dans les Hauts-de-France et dans certains départements de la région parisienne. Nous n’acceptons pas que des territoires de plus en plus vastes soient privés de l’accès à certains savoirs. Nous refusons cette casse sociale et ce mépris.
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