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  • Petit rappel sur les commentaires

    Il est inutile de proposer des commentaires sur des articles ou sur mon livre d'or s'ils contiennent des liens publicitaires qui n'ont aucun rapport avec l'article ou avec mes romans et même s'ils sont dithyrambiques.

    Je les supprime.

    Mon blog n'est pas et ne sera jamais un panneau publicitaire. 

  • LE DÉSERT DES BARBARES (6) : l'être et l'avoir

     

    PA290029

     

    Théo et Laure avaient rejoint les crêtes par l'Aup du seuil puis ils s'étaient engagés sur le sentier menant au col de Bellefont. Théo connaissait parfaitement l'itinéraire. Il avait parcouru l'intégralité de la traversée Chambéry-Grenoble à cinq reprises. Il comptait cinq heures pour atteindre le sommet de la dent de Crolles en trottinant et Laure se réjouissait de cette belle échappée.

    Lorsque la clarté naissante révéla le fonds de la vallée, ils distinguèrent les bancs de brume couvrant l'immensité. Comme une mer blanche à l'étale. Une horizontalité parfaite. La beauté du spectacle cachait la certitude du drame. Le silence d'un cimetière. Pas un souffle de vent, pas un bruit humain.

    Laure revoyait le vol du rapace et l'évidence de sa joie. Elle cherchait à en comprendre le message. Il restait de sa dernière nuit une sensation étrange et elle tentait d'en retrouver la source. Une image, un rêve, une pensée ? Elle n'avait aucune certitude, juste un ressenti bienheureux. Elle reliait le vol du rapace à cette impression inexpliquée. Sans se départir de l'idée qu'il y avait autre chose, une raison cachée. Trottiner en montagne avec Théo pourrait suffire mais là encore, elle convenait que la source de son ressenti venait d'ailleurs, un territoire inexploré. C'était l'image la plus juste. Un territoire inexploré. Un antre secret dont elle devait trouver l'entrée.

    Depuis plusieurs jours, elle avait l'impression que sa mémoire contenait davantage d'images, l'accident, la voiture, la lumière. Il s'était passé autre chose, un événement qu'elle devait retrouver, un souvenir essentiel et elle cherchait le moyen de rétablir le film, de dérouler à l'envers les images perdues. Un mélange de frustration et de désir, l'alternance entre le dépit d'avoir égaré un morceau de l'histoire et la joie d'imaginer que c'était là, en elle, qu'elle le retrouverait nécessairement, une lumière, un voyage inachevé, un horizon aperçu, une rencontre. Il ne s'agissait pas de Figueras. De lui, elle s'en souvenait parfaitement. Peut-être qu'il n'y avait personne, peut-être qu'elle s'égarait à vouloir identifier ce qui lui manquait et que son imagination l'égarait.

    De l'autre côté de la vallée, derrière la chaîne de montagnes de Belledonne, elle vit la clarté étendre son voile, elle adorait ces levers de soleil par-dessus les sommets, cet envahissement des cieux, la lumière coulant sur les pentes argentées et révélant les reliefs, les piliers, les faces, les pierriers, les derniers résineux à la frontière avec l'étage nival, les plus téméraires, les plus résistants, elle aimait la puissance de ces paysages, elle y avait toujours trouvé la raison de son existence, les fondations, les élans vitaux, l'effacement des troubles les plus intenses.

    Théo était apparu et l'amour avait empli l'unique zone délaissée de son cœur.

    Au milieu d'un monde dévasté.

    Devait-elle pour autant s'interdire d'être heureuse par empathie pour ses prochains, pour tous les humains, pour tous ceux qui pleuraient leurs morts, pour tous ceux qui tentaient de survivre ? Cette absorption du malheur universel atténuerait-elle les effets du désastre ? Évidemment pas. Elle le savait intimement et n'avait pas encore osé l'admettre, comme ceinturée par la honte de se réjouir de son propre bonheur, une culpabilité tenace. Le syndrome du survivant, elle en avait lu quelque chose sans pouvoir en établir une connaissance présente.

    C'est là qu'elle se souvint des paroles de Figueras, de l'importance de la paix intérieure et de la capacité à se réjouir de la vie en soi et autour de soi, quelles que soient les épreuves. Les Kogis ne priaient pas pour demander à être protégés, épargnés, soulagés, pardonnés, absous, ils ne réclamaient rien, ils ne se plaignaient pas. Ils honoraient la création et la remerciaient du bonheur de vivre en son sein. Ils priaient comme un enfant vient se blottir contre sa mère, juste pour le bonheur intense de la paix.

    Le liseré flamboyant de l'astre se dessina enfin, un arrondi ardent qui enflamma les pentes. La boule incandescente s'éleva lentement et les rayons embrasèrent la ligne de crêtes où ils progressaient.

    Théo, concentré jusque-là sur l'itinéraire et l'horaire à tenir, s'arrêta quelques secondes. Il se retourna vers Laure. Elle souriait, le visage baigné par les rayons. Il revint vers elle.

    « Merci de m'avoir permis de vivre ça, dit-elle, merci de m'avoir accueillie. J'ai conscience de la chance immense que j'ai eue de croiser ta route. Et je remercie la vie de ce cadeau inestimable d'être ici et de pouvoir contempler ce spectacle. Là, en cet instant, rien d'autre ne compte. »

    Il ne trouva pas les mots et il s'interdit de l'enlacer. Convaincu qu'elle n'attendait rien de lui. « Avant de parler, assure-toi que ce que tu veux dire est plus important que le silence que tu vas briser. » Une citation lue ou entendue, il ne se souvenait plus mais il savait combien Laure aimait le silence. Elle avait exprimé son amour pour lui. Il lui restait à se taire.

    Il l'observa, les regards balayant les horizons découverts. Il aimait infiniment la douceur de son visage et simultanément l'énergie qui en émanait. Il la quitta des yeux et contempla les montagnes. Que voyait-elle qu'il ne distinguait pas ? Il en était certain, elle regardait bien au-delà.

    Il ne la vit pas s'approcher. Elle l'enlaça.

    « L'énergie créatrice. C'est bien autre chose que ce que les yeux regardent. »

    Lisait-elle dans ses pensées ?

    « Qu'est-ce que ça signifie ?

    - Si tu regardes les montagnes comme des entités nommées, cartographiées, avec une altitude connue, que tu y reconnais les itinéraires, que tu te souviens de tes ascensions, tu ne regardes pas les montagnes, tu te regardes à travers elles. C'est ton existence que tu contemples. Et finalement, c'est encore une exploitation de la nature. Une exploitation existentielle. J'en arrive à penser que plus les humains disparaîtront, plus la nature retrouvera sa virginité. Je sais que c'est effroyable si on pense aux victimes mais si on se place du côté de la nature, c'est une libération. Et peut-être même que les survivants finiront par changer leur regard puisque le passé aura été balayé, effacé, pulvérisé. L'occasion unique de saisir pleinement la réalité de ce monde. Et surtout que l'humanité ne soit plus une entité à part. Le colonialisme n'est pas qu'une agression envers certains peuples. Les humains ont colonisé la planète, avec tous les outrages que ça comporte. Cette époque est une décolonisation forcée, accélérée et impitoyable. »

    Elle le regarda en souriant.

    « C'est le bonheur de la vie qui doit nourrir le renouveau de la planète. Aussi terrifiant que soit la situation. Ma mère, dans son apathie dépressive, va à l'encontre de cette révélation.

    - Et moi, dans l'inquiétude chronique que je porte, j'en fais tout autant.

    - Non, Théo, je ne suis pas d'accord. Ma mère se morfond mais toi, tu agis. Et encore une fois, je suis heureuse et soulagée de vivre à tes côtés. Sans toi, e serais sans doute morte. »

    Il posa une main sur sa joue.

    « On y va !»  lança-t-elle.

    Le sentier sur le fil des crêtes, un chamois bondissant qui s'enfuit, les immensités ouvertes jusqu'à l'horizon, un ciel épuré, aucune trace d'avion, toutes ces déchirures blanches disparues, effacées, balayées par l'effondrement des hommes, des hommes dénudés. Tout ce qui avait volé en éclats, toute cette technologie flamboyante, cette certitude que rien de grave ne pouvait survenir, que l'hégémonie perdurerait indéfiniment, que les alertes catastrophistes relevaient de la paranoïa.

    Des pensées qui défilent comme l'alternance de ses pieds devant ses yeux.

    Que reste-t-il du monde humain ? Cette question qui tournait en boucle dans la tête de Laure, depuis le premier jour, et qui disparaissait, peu à peu. Comment la nature vit-elle cette période ? L'autre interrogation, prioritaire désormais. Cette nature outragée depuis si longtemps par une masse inconsciente, indifférente, prétentieuse, cupide, avide, juste bonne à dilapider les biens de tous, juste bonne à dévaster la création, que ressentait-elle cette Terre libérée ? Les phénomènes naturels, même s'ils témoignaient d'un dérèglement probable, restaient malgré tout des phénomènes naturels. La nature ne se détruisait pas elle-même. Elle vivait ainsi depuis la création. L'homme avait exploité la planète mais il était toujours resté le même.Il n'y avait eu aucune évolution spirituelle d'ampleur. Quelques individus œuvraient à une existence juste et respectueuse du vivant. Trop peu, beaucoup trop peu. La masse avait grandi inexorablement et la quête des biens avaient servi de fil conducteur. Comme si l'être dépendait essentiellement de l'avoir. Oui, le confort offrait la sérénité nécessaire à l'émergence du bien-être, elle ne pouvait le nier mais la limite avait été dépassée, l'équilibre rompu et cette course avait pris l'allure d'une perdition.

    Et maintenant, le ciel était vide et aucun bruit ne remontait de la vallée.

    Existait-il au cœur de la nature une réjouissance ?

    Le bonheur de courir, avec Théo. Elle en aimait chaque instant, chaque foulée, chaque souffle, chaque appui sur les pierres blanches, ce jeu précis de l'équilibre et de la puissance. La détresse n'apportait aucune solution, elle nourrissait l'effondrement quand le bonheur de vivre soutenait la résilience. Ce lever de soleil dévoilait l'étendue d'un désastre consommé et il révélait simultanément une abondance de merveilles. L'état des lieux ne pouvait se limiter à l'impact des catastrophes sur les humains. Cette auscultation ciblée reproduisait le fonctionnement spirituel mensonger de la masse. Il ne s'agissait pas de la fin du monde, cette expression mensongère, cet accaparement révélateur du positionnement de l'humain. Comme si le monde avait besoin de l'humanité. Il n'y aurait plus aucun humain que le monde serait toujours là. Bien sûr qu'il était juste d'honorer la mémoire des morts mais il était plus important encore de bénir la création au risque de n'être qu'un humain limité à sa courte existence, à son petit moi agité, à son ego formaté, à une appartenance limitée.

    « Attention à la branche », prévint Théo.

    Elle se baissa pour passer sous l'obstacle et réalisa à quel point ses pensées ouvraient de perspectives. L'effondrement ne concernait qu'une frange de la création, une part infime au regard du vivant. D'où venait cette injonction à hurler de douleur ou à verser des océans de larmes parce que des millions d'humains périssaient ? Un instinct grégaire, une reconnaissance cellulaire ? Non, non, non. Cet amour inconditionnel envers ses semblables, elle n'en avait jamais éprouvé la réalité profonde. Des données familiales, sociétales, éducatives. « Tu aimeras ton prochain... » Et la Terre alors, la création, la nature, l'intégralité du monde vivant ? Combien pleurait le mal qu'elle subissait depuis des siècles ? La Terre ne comptait-elle pas parmi nos proches ? Pour les peuples premiers, elle était notre Mère à tous. Cet attachement à la douleur humaine nourrissait depuis des siècles l'indifférence envers la planète.

    « Tu m'as parlé ? interrogea Théo.

    - Non, non, je parle toute seule, répondit Laure en réalisant que les pensées étaient si puissantes qu'elles s'extirpaient elles-mêmes de son crâne. Vas-y, cours, je te suis ! 

    - On va bifurquer dans cinq minutes, faut qu'on descende, ça ne passe pas tout droit, on franchit la cheminée du paradis et on monte au sommet de la dent de Crolles. »

    Elle ne répondit rien. L'esprit envahi par un déluge de pensées. Un déluge délicieux, comme des pluies nourricières, des moussons salvatrices, une eau qui nettoie, qui épure, qui ravine et emporte les choses mortes, des vents qui dispersent les pollens, des lumières qui attisent les croissances, des chaleurs qui exaltent, des fraîcheurs qui apaisent.

    Elle continua à épouser les foulées de Théo, parfaitement calée sur son rythme, le corps libre, sans qu'aucun objectif rapporté ne vienne entraver cette liberté intérieure.

    Ils quittèrent les crêtes et basculèrent dans la pente, dans l'ombre de la face est. Ils franchirent un ressaut rocheux et reprirent les foulées, ils atteignirent le pied de la dent de Crolles et entamèrent la montée finale.

    Le soleil avait réchauffé l'atmosphère quand ils aperçurent la croix du sommet, le plateau sommital en pente douce, des nuées évanescentes dérivaient en altitude, une brise légère jouait à animer les dentelles, les sommets de Belledonne flamboyaient, les neiges automnales comme des parures scintillantes.

    Dans les derniers mètres avant d'atteindre le bord de la falaise et de découvrir la vallée entière, Théo s'arrêta. Laure dans ses pas.

    « Sur cet itinéraire, avant que le monde ne parte en vrille, je rencontrais toujours des randonneurs. Pas des dizaines mais quelques-uns. Aujourd'hui, j'ai l'impression de vivre dans un monde parallèle, une autre dimension, le monde d'en bas et le monde d'en haut.

    - Oui, Théo, mais ce ressenti est influencé par notre statut d'être humain.

    - Qu'est-ce que tu veux dire ?

    - Les phénomènes naturels nous impressionnent par rapport aux dégâts qu'ils provoquent sur l'humanité mais est-ce que nous réagissions réellement lorsque la beauté de la création ne nous portait pas préjudice, lorsque la quiétude nous entourait ? On se pâmait devant un beau paysage, un beau coucher de soleil, un champ de fleurs mais sans en être bouleversés, sans que ces spectacles ne déclenchent … je ne sais pas comment l'exprimer ... On vivait à côté de la nature et maintenant qu'elle nous secoue, on ne voit d'elle que sa puissance destructrice. Parce que c'est notre monde parallèle qu'elle bouleverse … Je ne sais pas comment l'expliquer.

    - Si, je comprends. Nous n'avons pas témoigné de notre reconnaissance, pas à la hauteur du cadeau inestimable de la création et maintenant, nous ne voyons que les bouleversements qu'elle nous impose.

    - C'est le monde humain qui est parti en vrille, pas la nature. Ou alors, il faudrait accepter l'idée que la nature accompagne le mouvement, qu'elle nous imite, peut-être même qu'elle pense nous aider, qu'elle participe délibérément au nettoyage.

    - Oui, on l'a déjà évoqué et l'enchaînement des phénomènes plaide pour cette hypothèse.

    - Alors, Théo, si c'est bien le cas, nous devons changer de regard. Nous devons changer, intérieurement.Le problème, ça n'est pas la nature, c'est nous. »

    Il lui tendit la main, la paume vers le ciel.

    "L'homme est capable du meilleur comme du pire, mais c'est vraiment dans le pire qu'il est le meilleur.  C'est Grégoire Lacroix qui a écrit ça, il y a longtemps. Il nous reste donc à inverser la tendance. »

    Elle serra la main de Théo et ils avancèrent jusqu'au bord de la falaise."

  • Visionnaire

     

    "Maintenant, on pourrait presque enseigner aux enfants comment la planète va mourir, non pas comme une probabilité mais comme l'histoire du futur.

    On leur dirait qu'on a découvert des feux, des brasiers, des fusions que l'homme avait allumés et qu'il était incapable d'arrêter.

    Que c'était comme ça, qu'il y avait des sortes d'incendie qu'on ne pouvait plus arrêter du tout.

    Le capitalisme a fait son choix : plutôt ça que de perdre son règne. "

    Marguerite DURAS, écrit le 4 juin 1986

     

    Cette année-là, j'avais 24 ans. Et je n'ai sûrement pas lu ce texte, pour la simple raison que ça ne m'aurait pas parlé du tout. On ne lit que ce qu'on a cherché à lire et je ne cherchais aucunement à lire des textes d'alerte. 

    J'ai bien conscience aujourd'hui que ce blog est devenu quelque peu alarmiste. Je me dis que si un jeune de 24 ans venait à tomber dessus, il pourrait lui être utile.

    Je suis un vieux qui parle aux jeunes.

    Ne faites pas comme moi, réveillez-vous, maintenant. 

  • "Trop"

     

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    Tous ces "trop" émergent de la vie sociale.

    Ce sont des données qui sont imposées à l'individu par une société qui le considère comme un outil et qui par là même s'octroie le droit de lui appliquer les termes dont on use en parlant de choses.

    Il s'agit donc de s'imposer par delà ces "trop", de les combattre, de s'affirmer. Et donc de refuser les étiquettes de ces "trop".

    Ou alors, c'est qu'il faut quitter ce monde sauvage de la société capitaliste, se mettre en retrait, s'autonomiser pour ne plus être considéré comme un "trop" mais juste comme un "rien".

    Devenir inexistant et donc exister pour soi.

  • La douleur de la conscience

     

     

    "La connaissance ouvre la conscience. Vaut-il mieux être malheureux en conscience ou heureux par inconscience ?"

    Sylvie Raffin-Callot

    C'est une phrase que j'ai trouvée en commentaire d'un article sur une page FB, "Au coeur de la philosophie". 

    J'ai vécu une partie de ma vie dans une totale insouciance au regard de l'état de la nature. J'ai goûté au bonheur de la haute montagne, des randonnées en forêts, des baignades dans des lacs d'altitude, des raids à vélo, des sorties de ski de randonnée, des milliers d'heures à courir, à marcher, à pédaler, à skier, à nager, à contempler les beautés de la Terre.

    Puis, avec l'âge et de multiples lectures sur la biodiversité, l'impact de l'humain sur la faune, la flore, le climat, les cours d'eau, les océans, l'atmosphère, la souffrance animale, j'ai basculé de l'insouciance à une forme de désespérance, un assommoir qui ne cesse de me frapper, une connaissance pesante et qui reste, malgré ses effets, absolument nécessaire parce qu'elle me permet d'agir en conscience.

    Alors oui, cette conscience est douloureuse mais cette douleur est compensée par les effets de mon engagement, un effet dérisoire au regard du désastre planétaire mais un effet qui me permet de me supporter, en tant qu'humain.

    J'ai même longtemps écrit des textes qui explorait la dimension spirituelle et quelque peu philosophique, à mon humble niveau. Puis j'ai arrêté ce travail intérieur parce que cette conscience de la vie et de mon impact sur elle me montrait à quel point ma quête spirituelle était artificielle, déconnectée du monde réel, ce que j'ai fini par appeler "mon insignifiante réalité".

    Je vivais dans une sphère "intellectuelle" qui conférait à un état de "hors sol" bien que je passais la majeure partie de ma vie dehors, au plus près de la nature. Une nature dont je ne connaissais finalement pas grand-chose. Elle n'était qu'un terrain de jeu, une scène plaisante qui répondait à mes besoins physiques.

    Il n'aurait servi à rien que je regrette cet état d'insouciance, que je me flagelle pour toutes les erreurs passées. Puisque j'avais enfin accédé à un état de conscience libérée de "l'ego encapsulé" (Alan watts), il fallait que j'en fasse quelque chose.

    Comme le dit très justement Sylvie Raffin-Callot (que je remercie pour la concision parfaite de sa réflexion), j'alterne entre la douleur générée par cette conscience et la satisfaction d'agir désormais selon ma conscience. Je gagne à travers la douleur une sérénité réelle et non un bien-être égotique. La question se pose d'ailleurs de savoir si toutes les thérapies qui proposent d'aller mieux dans un monde qui va mal ne participent pas finalement elles-mêmes à ce monde. Si l'objectif est de supporter ce monde et de parvenir à s'y insérer sans souffrance mais sans rien y changer, c'est juste un travail sur soi mais cela n'a aucune incidence sur le monde lui-même.

    Ce monde va-t-il mal parce que trop de gens le supportent encore ? Faudra-t-il donc attendre que la douleur de l'état de conscience se généralise pour commencer à entrevoir la possibilité d'une évolution planétaire ?

    Alors qu'advienne la douleur de la conscience, pour tous, qu'elle soit si forte que les nuits en deviennent blanches.

     

    Voici l'article en question.

     

    https://aucoeurdelaphilo.wordpress.com/2023/01/08/pourquoi-les-gens-intelligents-sont-souvent-malheureux/?

    Pourquoi les gens intelligents sont souvent malheureux ?

     

    (Crédits image : Aron Wesenfeld)

    « Tout le monde cherche à être heureux, même celui qui va se brûler la cervelle » Pascal

    ***

    Lorsque j’étais enfant, et que j’avais dû mal à juguler mes innombrables angoisses, il m’arrivait de lire la Bible.

    Et lorsque je lisais la genèse – parmi d’autres points qui interpellaient ma sagacité d’enfant – je ne comprenais pas pourquoi Adam et Eve avaient été punis pour avoir consommé le fruit de la connaissance.

    La connaissance, c’est à priori quelque chose de positif ! Nos parents ne nous motivent-ils pas tous les jours à apprendre ? à accumuler des connaissances ? Pis encore, je ne comprenais pas pourquoi Adam et Eve, qui n’avaient tué/fait du mal à personne – devaient endurer les pires souffrances et être malheureux pour le restant de leurs jours, ainsi que leur descendance. Et encore une fois, pour avoir – JUSTE- consommé le fruit de la connaissance.

    ***

    Vous le savez, l’un des conflits opposant la philosophie et la religion concerne l’accès au bonheur.

    Pour les philosophes (excepté l’ami Rousseau), du moins, pour nombre d’entre eux, l’accès au bonheur passait par la connaissance, le culte de la raison pour accèder au vrai (Aristote avec la spéculation contemplative comme stade ultime du bonheur dans son éthique à Nicomaque, l’hédonisme raisonné des épicuriens, les stoïciens etc.). « Il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait » disait l’ami John Stuart Mill.

    A contrario, et sans aller jusqu’au fameux “Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux”, pour les religions, le bonheur a longtemps consisté – et consiste encore – dans le fait d’avoir la foi (entre autres, la foi pour les vérités fournies par la religion sans se poser trop de questions).

    Et si pour une fois, les religions étaient dans le vrai ? Et si la connaissance était en réalité un cadeau empoisonné ?

    ***

    Il y a de cela quelques années, et dans un tout autre ordre d’idées, j’avais lu dans un article rédigé par un psychologue que les gens intelligents avaient souvent tendance à être malheureux, du moins malheureux par rapport à leurs pairs. (l’intelligence peut être d’une grande aide quant à l’accès à la connaissance)

    A la première lecture, cela m’avait étonné. Mais en faisant quelques recherches, je m’étais effectivement rendu compte qu’un certain nombre d’études semblait bel et bien attester ce phénomène.

    Ainsi, d’après une étude (1), réalisée par Norman P. Li et Satoshi Kanazawa sur un échantillon de 15 000 jeunes adultes âgés de 18 à 28 ans, et publiée dans le British Journal of Psychology, les deux chercheurs expliquaient que les personnes les plus intelligentes préféraient vivre dans des zones moins densément peuplées et avoir un moins grand nombre de relations sociales. Les deux chercheurs expliquaient par ailleurs que, si les personnes les plus sociables sont souvent les personnes les plus satisfaites et les plus épanouies dans leurs vies, ceux qui étaient dotés d’une intelligence supérieure à la moyenne avaient souvent tendance à souffrir aussi bien de la solitude, que la sociabilisation avec leurs pairs)

    Et au fond, c’est vrai qu’en y pensant, une extrême intelligence [mais aussi la connaissance] vous éloignent malheureusement parfois des autres.

    Vous avez certainement tous entendu parler de ce vieux conte arabe qui relate l’histoire d’un royaume qui était naguère gouverné par un roi extrêmement sage. Un soir, une sorcière empoisonna le puit, de manière à ce que l’au rende fou. Et c’est ce qui arriva à tous les individus – excepté le roi qui burent de cette eau le lendemain. Problème : Au fur et à mesure que les jours passaient, tous les habitants devenaient vindicatifs et répandaient des rumeurs sur le fait que le roi était devenu fou, qu’il ne dirigeait plus de manière sage etc. Un soir, le roi finit donc par boire l’au du puit, et il fut par la suite acclamé par le peuple comme un roi à nouveau sagace, raisonné, éclairé…

    Certains passages de l’allégorie de la caverne (cf Platon) évoquent également ce côté douloureux de la connaissance. Ainsi l’individu qui réussit à se libérer de la caverne éprouvera d’abord une vive douleur aux yeux ( du fait de la lumière, n’ayant pas l’habitude d’évoluer dans un environnement naturel, inondé de soleil etc). Par ailleurs, il se peut qu’en redescendant dans la caverne pour aller libérer les autres prisonniers, ces derniers soient plutôt sceptiques, et en viennent même à la supprimer comme le relate Platon dans le livre VII de La République.

    ***

    Lorsqu’on a d’immenses connaissances et/ou conscience d’un certain nombre de choses, lorsqu’on a des capacités cognitives assez poussées, cela nous éloigne ipso facto de certains de vos semblables.

    Les personnes extrêmement intelligentes/érudites sont parfois un peu comme l’Albatros de Baudelaire, prince dans les nuées [des idées], mais qui sur terre, deviennent « infirmes » au milieu des huées, leurs ailes de géant les empêchant de marcher, [et d’évoluer/côtoyer leur semblables].

    D’ailleurs, il se peut que certains d’entre vous l’aient déjà ressenti, cette sensation d’être un martien, cette sensation d’étrangeté, cette sensation d’être en décalage avec vos pairs. Avec l’irruption du fin fond de votre âme du fameux “Et si, c’était moi le problème ?”

    ***

    Face à cela, et parce que l’homme est un être social, le psychologue expliquait que d’aucuns allaient jusqu’à utiliser un masque pour s’intégrer au mieux. Mais cela n’arrangeait pas la chose; bien au contraire. Ce sentiment de mal-être continuait même à grandir derechef.

    L’auteur notait également que chez les personnes intelligentes, il y avait une dimension assez désagréable – et d’ailleurs bien souvent non voulue par les intéressés – qui était relative au côté “cerveau tout le temps allumé”, le cerveau qui ne s’arrête jamais, éventuellement les insomnies etc.

    Ce doute et le questionnement permanent face à des décisions à prendre (un imbécile qui marche va plus loin qu’un intellectuel assis comme disait Audiard); la volonté de toujours comprendre, de toujours se questionner [ce qui ne peut que occasionner de l’insatisfaction].

    Certes l’intelligence et la connaissance, ce n’est pas forcément la même chose.

    Toutefois, ceux qui font de la recherche ou ceux qui ont soif de connaissance le savent. Plus on fait des recherches et on accumule des connaissances sur un sujet, plus on se rend compte à quel point on est ignorant, et qu’il faudra encore plus de recherches/lectures pour combler cette ignorance (d’où l’insatisfaction permanente)

    ***

    Mais même sans aller jusqu’à utiliser des exemples relatifs aux gens étant des scientifiques, des gens aux capacités cognitives étendues, etc. l’image qui me vient spontanément à l’esprit et qui me semble symboliser le fait que la connaissance n’est pas forcément synonyme de bonheur, c’est l’image de l’enfance.

    Lorsqu’on était enfant, on était tous relativement insouciants (Du moins, on était plus insouciants qu’à l’âge adulte).

    On était notamment insouciant parce qu’on ne savait pas tout ce qui se passait dans le monde, parce que nos parents essayaient de nous protéger des tristes vérités de ce monde (Guerre, boulot, ruptures, morts, racisme etc.), parce qu’on croyait aux contes de fées qu’on nous racontait (Le père Noël, le bien qui triomphe toujours, les copains/copines avec qui on resterait toujours copains etc.)

    Bref, on était là « tranquilles, entre gosses insouciants, ignorants des choses de la vie. Et puis, sans avoir vu le temps passer, on se retrouve à présent, inquiets, entre adultes » ayant désormais connaissance de la réalité, et de ses innombrables contraintes et tragédies.

    ***

    De ce point de vue là, l’allégorie d’Adam et Eve condamnés à être malheureux [pour avoir mangé le fruit de la connaissance] peut se comprendre.

    Quand en effet, face aux mystères du Cosmos et de la nature, face aux innombrables tragédies de ce monde, face à la complexité de la nature humaine, des relations sociales, votre ignorance/inquiétude peut être comblée par l’invocation de Dieu, de la destinée, du dessein intelligent, c’est sans doute plus aisée de vivre sa vie.

    La vie d’un homme serait en effet intolérable, nous dit Anatole France, « s‘il savait ce qui doit lui arriver. Il découvrirait des maux futurs, dont il souffrirait par avance, et il ne jouirait plus des biens présents, dont il verrait la fin. L’ignorance est la condition nécessaire du bonheur des hommes, et il faut reconnaître que, le plus souvent, ils la remplissent bien. Nous ignorons de nous presque tout ; d’autrui, tout. L’ignorance fait notre tranquillité ; le mensonge, notre félicité. »

    ***

    Peut-être est-ce là une autre vérité contenue dans les spiritualités et religions d’autrefois. Peut-être est-ce là la signification profonde l’allégorie d’Adam et Eve, du mythe de Pandore (qui mena l’humanité à sa perte du fait de sa curiosité)…

    Après tout, le sage ne dit-il pas : “ La vie est un mystère qu’il faut vivre, et non un problème à résoudre »

    ***

    Bref, et vous, qu’en pensez-vous ? A choisir, vous préfèreriez opter pour un bonheur adossé à l’illusion/l’ignorance, ou une existence misérable/dépressive dans la connaissance ?

     

    Wilfried M.

     

  • Potager pour l'autonomie

    Transformer une partie d'un jardin d'agrément en potager, ça ne représente pas un travail titanesque mais un travail sur le long terme. En un an, les récoltes peuvent déjà être abondantes.

    En deux ans, il n'est plus nécessaire d'acheter le moindre légume si la diversité a été mise en avant. 

    C'est notre cas.

    Pour ce qui est des fruits, c'est bien plus long évidemment. Il faut travailler sur les arbres mais aussi sur les haies fruitières dont la production est bien plus rapide : cassis, mûres, groseilles, groseilles à maquereaux, framboises, baies de goji, myrtilles...

     

    Exploit : dans son micro-jardin, Joseph produit 300 kilos de légumes

     

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    Exploit : dans son micro-jardin, Joseph produit 300 kilos de légumes

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    <p>Pour rentabiliser chaque mètre carré de son petit jardin, Joseph a multiplié les astuces. Il a réussi à y caser un potager, un verger, une mare, une serre et à y faire pousser une centaine de fruits et légumes différents.</p>

    Par Thibaut Schepman

    ·Publié le 21 novembre 2016 à 15h40·Mis à jour le Mis à jour le 27 juillet 2015 à 08h28

    Temps de lecture 6 min

    Le jardin de Joseph,  Sotteville-ls-Rouen, le 10 juillet 2015

    Le jardin de Joseph, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015 - Thibaut Schepman/Rue89

    (De Sotteville-lès-Rouen, Seine-Maritime) Un coin de gazon, quelques rangs de légumes, une petite serre. Vu de la rue, on pourrait croire qu’on passe devant un jardin comme un autre, cultivé depuis quelques décennies par un gentil papi consciencieux. On aurait tout faux.

    L’autonomie ?

    Joseph ne cultive ni pommes de terre, ni ail, ni endives. Il n'est donc pas autonome à 100%. «  Par contre, on a encore des courges et des petits pois de l’an dernier, on est capables de faire le tour de l’année, d'avoir des légumes pendant la saison la plus dure, vers mars et avril. »

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    Le jardinier note tout, avec une rigueur impressionnante : « Je pèse tout ce qui sort de mon jardin et je compile dans un tableau Excel (voir ci-dessous). Ça me permet de tirer des conclusions, de ne rien oublier. »

    Joseph Chauffrey et sa compagne ont emménagé à Sotteville-lès-Rouen – à quelques minutes en métro du centre-ville de Rouen (Seine-Maritime) – il y a quatre ans. A l’époque, ils étaient presque néophytes et une bonne partie du jardin actuel était bitumée.

    Depuis, cet espace de 150 m² est devenu un micro-jardin hyper-productif.

    On y trouve un potager de 25 m2, un verger de 10 m2 mais aussi une mare et une serre minuscules.

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    En 2014, 252 kilos de plus d’une centaine de fruits et légumes différents ont été récoltés ici.

    Suffisant pour que Joseph et sa compagne – qui pèsent consciencieusement chaque récolte – n’achètent quasiment plus aucun légume.

    En 2015, Joseph pense passer la barre des 350 kilos de production. Et bien plus encore les années suivantes, quand les arbres fruitiers auront atteint une taille adulte. Le tout en consacrant « pas plus de dix heures par semaine au maximum au jardin ».

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    Si l’on ne s’aperçoit pas de cette incroyable productivité au premier coup d’œil, c’est que Joseph s’est en prime ajouté ce défi :

    « Je ne voulais pas que le jardin soit seulement un potager, je voulais qu’il soit aussi beau, agréable, qu’il attire les insectes et les oiseaux [d’où la mare, ndlr]... J’ai donc essayé de concevoir plusieurs espaces complémentaires de telle façon à ce que chacun d’eux ait plusieurs fonctions et que chacun des besoins du jardin soit rempli de plusieurs façons différentes. »

    Rcolte de lgumes dans le jardin de Joseph, en aot 2014

    Récolte de légumes dans le jardin de Joseph, en août 2014

    Pour remplir tous ces objectifs a priori bien différents, Joseph a dû recourir à de nombreuses astuces, qu’il a trouvées en fouillant dans sa bibliothèque ou en passant de nombreuses heures sur Internet.

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    Il assure :

    « Finalement, la petite taille de mon jardin est un avantage, ça me force à innover et ça me permet d’accorder beaucoup plus de temps et d’attention à chaque mètre carré disponible. »

    Les botes  graines de Joseph,  Sotteville-ls-Rouen, le 10 juillet 2015

    Les boîtes à graines de Joseph, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015

    Jean-Paul Thorez, ingénieur agronome auteur de nombreux ouvrages sur le jardinage biologique, a visité plusieurs fois le jardin de Joseph Chauffrey. Il nous confirme :

    « Ce jardin est probablement l’un des jardins les plus productifs du monde au mètre carré sous ces latitudes. C’est le fruit de sa démarche qui est à la fois technique et intellectuelle. Il y a chez lui un mélange d’attention extrême et d’une recherche constante d’optimisation. Il n’a rien inventé, mais il a su s’inspirer des bonnes sources, entre les pionniers de la bio, les références techniques, des choses moins connues comme les jardins créoles en trois dimensions.  »

    Les baies de Joseph,  Sotteville-ls-Rouen, le 10 juillet 2015

    Les baies de Joseph, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015 - Thibaut Schepman/Rue89

    Petit tour de jardin et de ces innovations « low-tech » :

    La vidéo qui change tout

    Ces prouesses ont valu à Joseph un petit succès dans le cercle des jardiniers connectés quand, en août dernier, il a tourné une petite vidéo sur son jardin et l'a publiée sur Youtube. Depuis, de nombreuses personnes le contactent pour échanger avec lui et l'imiter.

    des courges dans les airs : entre juillet et septembre, on peut voir des courges et des haricots suspendus un peu partout dans le jardin de Joseph, comme le montrent la photo et l’extrait vidéo ci-dessous :

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    «  J’essaye de cultiver de manière verticale. Je laisse pendre des fils sur lesquels grimpent les haricots, je tends aussi des cordes pour faire grimper les courges sur le toit de mon abri de jardin ou sur ma pergola. Ça fonctionne très bien, le pédoncule se renforce et peut tout à fait supporter le poids du fruit. »

    Les courges de Joseph grimpent   Sotteville-ls-Rouen, en aot 2014

    Les courges de Joseph grimpent à à Sotteville-lès-Rouen, en août 2014 - DR

    Des légumes perpétuels  : de la livèche – plante d’un mètre de haut dont les feuilles ont goût de céleri. Du chou Daubenton, légume vivace dont les feuilles se dégustent toute l’année. Mais aussi des choux brocolis vivaces ou des oignons perpétuels. Dans le jardin de Joseph, nombre de légumes ne meurent jamais : 

    «  J’ai tapé “légumes perpétuels” sur Le Bon Coin, je suis tombé sur un mec de l’Est qui vendait des graines dans de petites enveloppes. Ça remplace finalement beaucoup de choses, par exemple, je pense que je ne cultiverai bientôt plus d’épinards, c’est compliqué alors qu’il y a énormément d’alternatives qu’on peut mélanger quasiment toute l’année, comme le chénopode, la bourrache, la consoude ou les arroches. »

    Joseph dans la partie potagre de son jardin,  Sotteville-ls-Rouen, le 10 juillet 2015. Au premier plan, les oignons perptuels

    Joseph dans la partie potagère de son jardin, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015. Au premier plan, les oignons perpétuels - Thibaut Schepman/Rue89

    De l’urine et de la paille : une partie du jardin de Joseph était dallée. Inexploitable ? La lecture d’un livre sur la culture sur botte de paille a inspiré à Joseph une solution : le micro-jardinier a repiqué tomates et choux directement dans trois bottes de paille.

    « Ça fonctionne vraiment très bien. Ça permet d’imaginer beaucoup de choses, des jardins déplaçables par exemple. La paille ne demande pas plus d’eau, au contraire, elle est creuse et donc la retient bien. La botte va tenir deux ans puis elle va peu à peu se composter en son centre et je pourrai l’utiliser pour recouvrir et enrichir mon sol. La seule chose, c’est que la paille est une matière très carbonnée, il faut donc y ajouter de l’azote. Beaucoup de gens proposent d’utiliser d’énormes quantités d’engrais, mais l’urine est une très bonne solution, j’ai testé les deux et obtenu des résultats comparables. Ça ne pose aucun problème d’hygiène bien sûr. »

    Culture sur botte de paille,  Sotteville-ls-Rouen, le 10 juillet 2015

    Culture sur botte de paille, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015 - Thibaut Schepman/Rue89

    Des buttes de culture : dans son petit espace potager, Joseph a enterré une grande quantité de bois mort qui va nourrir son sol pendant plusieurs années. Il a recouvert la butte obtenue de paille, et posé des planches de bois sur le sol. Aussi le sol cultivé est vivant, jamais compacté... et hyper-productif.

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    Prolonger les saisons : pour produire plus, il faut aussi gagner du temps. Pour ce faire, Joseph a lu des ouvrages de maraîchers nord-américains, comme Eliot Coleman. Il sème des graines très tôt en mini-mottes à l’intérieur de sa maison ou, dès que c’est possible, dans sa petite serre ou dans un châssis qu’il a fabriqué en recyclant une vieille porte-fenêtre.

    La porte-fentre recycle de Joseph,  Sotteville-ls-Rouen, le 10 juillet 2015

    La porte-fenêtre recyclée de Joseph, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015 - Thibaut Schepman/Rue89

    Une fois ses plants poussés et les beaux jours venus, il peut les repiquer dans son jardin ou en pot sur sa terrasse, où les murs blancs permettent encore de gagner de la chaleur et du temps. C’est ainsi qu’il déguste des tomates dès la fin mai, une prouesse dans la région. De même, il sème des graines de légumes juste avant l’hiver, pour que les plants végètent pendant plusieurs mois et « repartent » au moindre signe d’arrivée du printemps.

    Joseph entre dans sa serre,  Sotteville-ls-Rouen, le 10 juillet 2015

    Joseph entre dans sa serre, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015 - Thibaut Schepman/Rue89

  • Cuba et la révolution verte urbaine

     

     

    37 321 vues 11 déc. 2011

    « En 1959 c'est la révolution à Cuba. Les États-Unis, mécontent de ce pied de nez révolutionnaire, décide d'imposer un embargo international contre Cuba qui sera ainsi forcé de se tourner vers l'URSS afin de maintenir ses exportations et importations.

    En 1989, c'est la chute de l'URSS, Cuba se retrouve dans une situation économique très précaire créant un problème de sécurité alimentaire. Pour solutionner ce problème, Cuba choisit de développer l'agriculture urbaine et écologique. 20 ans plus tard, Cuba est un leader mondial en la matière.

    Dans ce documentaire, avec l'aide de l'INIFAT (Instituto de Investigaciones Fundamentales en la Agricultura Tropical), nous montrons l'ampleur, la diversité et l'ingéniosité des projets d'agriculture urbaine dans la région de La Habana. Une nouvelle révolution verte est en cours!

    http://documentairesemences.blogspot.com

     

  • Dangerosité des pesticides

     

    « Les industriels essaient d’orchestrer le doute sur la dangerosité des pesticides »

     

    INTO

    12 avril 2023 par Nolwenn Weiler

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    Pour François Dedieu, sociologue à l’Institut national de la recherche agronomique, auteur de Pesticides : le confort de l’ignorance , il est urgent de réduire l’usage des pesticides et d’aller vers une autre agriculture. Entretien.

    Publié dansÉCOLOGIE

    Temps de lecture : 9 minutes

    #agriculture

    #alimentation

    #pesticides

    Autre proposition de titres :« Sur les pesticides, chaque lanceur d’alerte est décrédibilisé au nom de la science »

    Basta! : Les pesticides, aujourd’hui considérés comme à l’origine d’une pollution majeure, ont d’abord été considérés comme une sorte de miracle. Pouvez-vous nous raconter pourquoi ?

    François Dedieu : À la sortie de la Deuxième Guerre mondiale, les besoins pour nourrir les populations française et européenne sont considérables. Apparaît alors une nouvelle technologie chimique : les pesticides agricoles, qui viennent de l’industrie de l’armement, et qui sont effectivement considérés comme miraculeux, car peu chers, très efficaces, et permettant un gain de temps considérable.

    François Dedieu

    François Dedieu

    Sociologue à l’institut national de la recherche agronomique et de l’environnement (Inrae), ses recherches portent sur l’action publique en matière environnementale. Il a publié en 2022 Pesticides. Le confort de l’ignorance (Seuil).

    Cette technologie était réellement vue comme d’une grande modernité à l’époque, puisqu’elle allait permettre de quitter le dur labeur des champs. Elle a accompagné tout le développement de l’agriculture intensive, jusqu’à aujourd’hui. Néanmoins, depuis les années 1990, le regard que l’on porte sur ces produits a changé de manière plutôt spectaculaire, puisque les pesticides sont aujourd’hui considérés comme un problème écologique majeur en France, en Europe et dans le monde.

    Quelles sont les raisons de ce changement de regard ? Et y a-t-il une spécificité française ?

    Le changement de regard arrive en fait très peu de temps après l’apparition des pesticides, dès les années 1960 avec la publication du livre de la biologiste américaine Rachel Carson, Printemps silencieux. C’est la première qui se penche sur cette question des effets des pesticides.

    Elle constate deux choses : on retrouve des pesticides partout dans l’environnement, et ils ont des effets délétères. Elle s’aperçoit par exemple que l’épaisseur des œufs dans les zones de traitement est beaucoup plus fine et menace donc la survie des grands oiseaux. Rachel Carson va notamment dénoncer le DDT, grand pesticide organochloré de l’époque, et contribuer à son interdiction.

    « Il s’agit de marchands de doute qui utilisent la science contre elle-même pour leur seul bénéfice »

    Aux États-Unis, la sortie de ce livre entraîne la naissance du mouvement environnemental, ainsi que celle des premières agences indépendantes d’évaluation des pesticides. En France, le livre a été très mal accueilli. Il y a eu une cabale sans nom organisée par le ministère de l’Agriculture et par l’administrateur civil Henri Siriez qui s’est débattu pour montrer que des travaux venant d’une femme, nécessairement hystérique, n’étaient pas sérieux et ne devaient par conséquent pas faire l’objet d’un intérêt particulier. Elle a été complètement décrédibilisée alors qu’aujourd’hui, 60 ans après, on voit à quel point ses travaux étaient pertinents.

    Ensuite, on n’entend plus trop parler des pesticides en France, jusqu’aux années 1990, période à laquelle ils reviennent sur le devant de la scène par le biais de l’apiculture. Les apiculteurs dénoncent alors une classe d’insecticides très particulière, les néonicotinoïdes, qu’ils pensent être à l’origine du déclin des abeilles, et ils vont mettre 15 ans à faire reconnaître le problème.

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    Comme Rachel Carson en 1962, les apiculteurs vont être considérés comme peu sérieux, partisans, et donc peu dignes d’intérêt…

    Tout à fait. Sur cette question des pesticides, chaque lanceur d’alerte est décrédibilisé au nom de la science, et accusé de travailler de manière peu rigoureuse scientifiquement. La science et la raison seraient du côté des industriels et des pouvoirs publics. Le discours qui nous est tenu aujourd’hui par le ministère de l’Agriculture et les agences d’évaluation c’est : « On a une batterie de tests toxicologiques impressionnante qui nous permettent de dire qu’un pesticide est dangereux ou pas. »

    « On vient réparer le mal alors qu’il faudrait plutôt le prendre à la racine en interdisant les produits les plus dangereux »

    Or ce n’est pas le cas. Prenons l’exemple des néonicotinoïdes. On a reproché aux apiculteurs de ne pas avoir de démarche scientifique. On a reproché aux premiers scientifiques qui se sont penchés sur la question de ne pas l’être assez. Or, quatre ans, cinq ans, six ans plus tard, on s’aperçoit qu’effectivement, il existait un effet de désorientation des abeilles à une faible dose qu’ils soupçonnaient à la suite de leurs observations. Il ne s’agit pas de dire que les tests toxicologiques sont tous faux ou impartiaux, mais ils sont souvent réducteurs, ainsi que très prétentieux vis-à-vis des lanceurs d’alerte, à tort.

    Cette stratégie qui consiste à jeter le discrédit sur des lanceurs d’alerte, et à instiller du doute sur les connaissances qui s’accumulent concernant la dangerosité d’un produit, a été mise au point par les industriels du tabac. Et reprise par ceux qui commercialisent les pesticides, avec la bénédiction des États…

    Tout porte à croire que ces « stratégies du doute » mises en place par les marchands de tabac sont à l’œuvre dans le cas des pesticides. Ce qui se passe avec ces produits, c’est que la charge de la preuve est souvent difficile à apporter, car les pollutions sont d’origines multiples, c’est diffus.

    La charge de la preuve repose donc sur des corrélations entre différents effets. La grande ruse des industriels du tabac, c’est de dire que la corrélation n’est pas la causalité et qu’il faut donc rechercher des causalités plus fines. Mais en essayant de trouver plusieurs causalités, on noie la causalité principale alors même qu’elle était connue dès le départ. L’historien des sciences américain Robert Proctor a démontré cette ruse dans son ouvrage sur les industriels du tabac, Golden holocaust. La conspiration des industriels du tabac.

    Pour les pesticides – dont le bénéfice mondial annuel s’élève à 60 milliards d’euros – les industriels vont faire de même. Quand une molécule est remise en question, ils vont utiliser la science pour demander d’aller plus loin dans la recherche des causalités des effets constatés, pour voir si finalement le glyphosate, par exemple, est bien cancérigène.

    Cela permet de retarder les choses d’une dizaine d’années pendant lesquelles on s’épuise à trouver ces causalités complémentaires et, par conséquent, on continue à utiliser ces pesticides. Il s’agit réellement de marchands de doute, qui utilisent la science contre elle-même pour leur seul bénéfice.

    Vous ajoutez que ces manœuvres des industriels, doublées d’un lobbying intensif auprès des décideurs politiques, ne sont pas le seul problème, ni même le plus important. Pour vous, il faut aussi regarder du côté des processus d’homologation des pesticides. Pourquoi ?

    Couverture du livre Pesticides Le confort de l'ignorance, de François Dedieu.

    Pesticides. Le confort de l’ignorance, François Dedieu, Le Seuil, 2022.

    Les industriels font clairement preuve de manœuvres coupables pour essayer d’orchestrer le doute sur la dangerosité des pesticides, et ainsi retarder leur interdiction. Mais le problème fondamental vient surtout de la manière dont on a conçu la toxicologie réglementaire. Il y a 75 ans, les pouvoirs publics ont dit aux industriels : « Si vous voulez développer vos produits, à vous de payer pour la recherche et développement. »

    Il y a donc un choix délibéré des pouvoirs publics de travailler main dans la main avec les industriels pour pouvoir développer les tests de toxicologie, et les valeurs de référence de cette toxicologie. Il ne faut donc pas s’étonner si aujourd’hui le poids de la science produite par l’industrie est aussi important.

    « Le nombre de substances chimiques en circulation est tellement important qu’il obstrue la recherche de causalité sur les effets des pesticides »

    Ce qui est remarquable, c’est que les universitaires des champs scientifiques concernés (la toxicologie) sont en général d’accord avec les industriels. C’est normal, ils regardent les mêmes choses, se posent les mêmes questions et ne débattent jamais à propos des limites de la toxicologie réglementaire. Industriels, scientifiques et politiques prêtent à cette technologie des qualités quasi divinatoires alors qu’elle voit les choses de manière très limitée sur la santé et sur l’environnement notamment. Tout cela participe à la construction de l’ignorance et à l’illusion de la connaissance.

    Pouvez-vous préciser en quoi la toxicologie réglementaire voit les choses de manière très limitée sur la santé et sur l’environnement ?

    Comment se déroulent les processus d’homologation quand on a affaire à ce que j’appelle des savoirs inconfortables, c’est-à-dire des connaissances qui viennent contredire ce que l’on sait, ou pensait savoir sur tel ou tel produit ? On ne les prend pas réellement en compte. Ces savoirs sont dilués. Une étude publiée en mai 2022 par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), consacrée à l’impact des pesticides sur la biodiversité, montre que dans les processus d’homologation, des effets sont omis.

    Par exemple, les effets indirects tels que la destruction des habitats qui viennent perturber toute la vie sauvage des vers de terre et des chauves-souris. Ou encore les effets des faibles doses, dont on sait que pour certains produits ils sont encore pires que ceux de doses plus élevées, etc. Tout cela, l’homologation ne le voit pas, mais on fait comme si on le voyait. Pourquoi ? Parce que cela arrange énormément de monde, aussi bien les industriels que les pouvoirs publics, et le modèle agricole en général, jusqu’aux consommateurs.

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    Parmi les zones aveugles des effets des pesticides, on pourrait aussi évoquer la santé des agriculteurs, gravement affectée par les pesticides et aujourd’hui largement documentée notamment par les reconnaissances du caractère professionnel de leurs maladies ?

    Oui, tout à fait. Dans les zones aveugles des processus d’homologation, on compte un certain nombre d’effets sur la santé. Mais dans le système actuel, les pouvoirs publics considèrent que, une fois que l’on connaît certains effets délétères des pesticides, il suffit de reconnaître les maladies et que, ensuite, tout ira bien. On indemnise les personnes concernées, et c’est tout. On vient réparer le mal alors qu’il faudrait plutôt le prendre à la racine en interdisant les produits les plus dangereux.

    Normalement, les industriels paient une taxe pour compenser tous ces coûts : maladie, pollutions de l’eau, etc. Mais est-ce que les montants de ces taxes correspondent au coût réel ? On peut en douter. Ce que je pense, c’est que ces coûts réels sont tellement vertigineux qu’ils sont invisibles.

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    L’idée que je défends est que la science à elle seule ne permettra pas de sortir de l’ignorance. Le nombre de substances chimiques actuellement en circulation est tellement important qu’il obstrue la recherche de causalité sur les effets des pesticides. Il est donc urgent de réduire ce nombre de pesticides, d’avoir une autre agriculture, et un autre mode de consommation.

    Il s’agit d’aller complètement à rebours de ce qui est fait aujourd’hui, avec des exploitations toujours plus grandes, et une spécialisation qui ne cesse d’augmenter. Or, à partir d’une certaine échelle d’exploitation, les pesticides sont fondamentalement inscrits dans les manières de fonctionner et dans le modèle économique. Si on souhaite s’en débarrasser, il faut donc sortir de ce système-là.

    Propos recueillis par Nolwenn Weiler

    Photo : ©Agir pour l’environnement