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  • "La route" Manu Larcenet

     

    Attention, chef d'oeuvre.

    Je l'ai lu trois fois d'affilée. Et je pourrais recommencer en découvrant de nouveaux détails, tous aussi importants, précis, minutieux. Et totalement indispensables. C'est juste fascinant. Chaque case est un tableau et je suis considérablement admiratif de la puissance du dessin, de la mise en page, du découpage et des nuances de couleurs car même si on a l'impression de se trouver plongé dans un récit en noir et blanc, il n'en est rien.

    Un commentaire sur Babelio correspond parfaitement à ce que j'ai éprouvé à cette lecture et quand les choses sont bien dites, il n'est pas la peine d'en faire sa propre version.

    61 notes

    5★144 avis

     

    PetiteBichette

    PetiteBichette

    12 mai 2024

    Noir, c'est noir, et il n'y a plus du tout, mais alors plus aucun espoir. Vous pouvez d'ailleurs aller vous pendre direct, ou vous tirer une balle (ça vous épargnera bien des souffrances) ; enfin sous réserve de pas se louper, par ce qu'il n'y en a plus qu'une seule dans le barillet (mais ne vous inquiétez pas, vous aurez le mode d'emploi de toute façon après avoir lu La Route).
    Vous pensiez avoir déjà tout vu en termes de romans graphiques sombres, noirs, comme venus d'outre-tombe ?
    Ben, je vous le dis tout de suite, là vous risquez tout de même d'avoir un petit choc (même si dans votre tendre enfance vous aviez l'habitude de faire des expériences médicales sur vos Bisounours ou faisiez rôtir Oui-Oui).
    Dans un monde postapocalyptique, le soleil a disparu, la terre est recouverte de cendres. Les hommes luttent pour leur survie, jusqu'à en perdre la raison, leur humanité.
    Il n'y a
    presque plus rien à boire, à manger, les hommes sont devenus loups et s'entretuent.
    Surgies de nulle part, deux silhouettes progressent sur la route, un homme et son fils d'une douzaine d'années, ils marchent vers le sud, espérant y trouver un hypothétique salut. Devant lui, l'homme pousse un caddie qui contient de maigres provisions glanées avec difficulté dans les décombres.
    Tout n'est que désolation, destructions, putréfaction de corps, pendus. Asservissement d'hommes par d'autres hommes.
    Pétrifiés, hallucinés, nous contemplons ce désastre, cette débâcle, d'un futur peut-être proche.
    Une tension terrible s'accroit au fil des pages dans ce cauchemar éveillé, comme un tunnel sans fin.
    À moins d'être un zombi sous anti-dépresseur, je ne vois pas très bien qui pourrait dire que cette lecture a été une lecture plaisir. Elle happe, matraque, cogne. C'est douloureux, l'impuissance de ce père et son fils devient la nôtre. Ils subissent, se cachent, dans une lutte incessante pour leur survie.
    Parfois un éclat, un éclair de couleur dans cette mer de cendres, de neige sale, mais vite ravalé, noyé sous la terreur et l'horreur.
    Rien de superflu, chaque vignette pourrait être encadrée en format poster, j'ai parfois même regretté les quelques dialogues qui venaient mordre le dessin.
    J'ai eu froid tout au long de cette lecture, d'un froid qui ronge jusqu'à la moelle.
    Un roman graphique majeur, un choc impossible à oublier, qu'on le veuille ou non…
    Bravo à
    Manu Larcenet, du grand art !

     

    La route

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  • De la connaissance au pouvoir

    La connaissance est au service du progrès,

    le progrès amène le confort,

    le confort favorise l’asservissement,

    l’asservissement est le fondement du pouvoir.

    Jarwal le lutin

    Couv jarwal proposition

  • Croissance et compétition

    Comment croire encore que les sociétés capitalistes pourraient prendre en considération l'urgence écologique ? C'est juste absurde, ça n'arrivera jamais de façon volontaire. Il faudrait une direction mondiale, des gouvernants conscients de la situation. Ils sont peut-être conscients de l'urgence mais ils n'ont pas de réponse car ces réponses impliqueraient inévitablement leur rejet de la population. Quelle population maintiendrait au pouvoir des dirigeants qui prôneraient la décroissance alors que ce mot fait hurler ?

    C'est sans issue. Nous allons continuer dans la même direction jusqu'au mur.

     

    Michel Barnier veut exclure l'industrie du dispositif "zéro artificialisation nette" pour cinq ans

     

    Ce texte issu de la loi Climat et résilience n'a cessé d'être contesté par des élus locaux et chefs d'entreprise.

    Article rédigé par franceinfo avec AFP

    France Télévisions

    Publié le 29/11/2024 17:05

    Temps de lecture : 1min Le Premier ministre, Michel Barnier, le 29 novembre 2024, à Limoges (Haute-Vienne). (PASCAL LACHENAUD / AFP)

    Le Premier ministre, Michel Barnier, le 29 novembre 2024, à Limoges (Haute-Vienne). (PASCAL LACHENAUD / AFP)

    Doper l'emploi industriel... au risque de délaisser l'environnement. Le Premier ministre Michel Barnier s'est dit, vendredi 29 novembre, "favorable à ce que l'on exempte l'industrie" du dispositif "zéro artificialisation nette" des sols (ZAN) "pour une période de cinq ans", dans le cadre de mesures de simplification pour soutenir ce secteur économique.

    Le dispositif ZAN vise à réduire ou à compenser la bétonisation de terrains non construits. La loi Climat et résilience, issue des travaux de la Convention citoyenne et votée en 2021, fixait initialement un objectif de "zéro artificialisation nette des sols" en 2050, avec pour étape intermédiaire la réduction de moitié de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers d'ici à 2031. Mais le texte n'a cessé d'être contesté par des élus locaux et des chefs d'entreprise depuis.

    Au ministère de l'Industrie, on souligne que le secteur industriel "représente une part très limitée du foncier (5% du total)" et que "ces règles peuvent nous fragiliser dans la compétition internationale pour attirer les investissements".

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  • "L’heure de la décroissance a sonné »

    L’heure de la décroissance a sonné mais personne dans les hautes sphères n'entend la sonnerie et comme cette exigence est niée et étouffée, les citoyens n'en entendent pas parler ou alors par un biais négatif. Aujourd'hui, Michel Barnier a annoncé qu'il ne voulait pas limiter l'artificialisation des sols par le maillage industriel pour ne pas affaiblir l'économie.

    Mais l'économie, si le terme n'avait pas été détournée, devrait être prioritairement portée par l'économie des ressources, c'est à dire la diminution drastique de l'exploitation de la terre. Et ça, personne ne l'accepte. Ni les dirigeants ni la majorité de la population.

    La décroissance, à mon sens, ne sera pas un choix ; elle sera la conséquence de l'effondrement de nos sociétés capitalistes.

     

    Éditorial décroissant

    Timothée Parrique : « L’heure de la décroissance a sonné »

    Par Timothée Parrique , publié le 29 octobre 2024

    https://www.socialter.fr/article/timothe-parrique-decroissance-critiques-alternative

    Photos : Sarah Witt

    Découvrez l'édito de notre hors-série « Décroissance : Réinventer l'abondance » par Timothée Parrique, chercheur en économie durable et rédacteur en chef invité.

    Exercice : prenez une sélection de tribunes qui critiquent la décroissance et enlevez les dates. Je vous parie que vous n’arriverez pas à différencier les anciennes des nouvelles. Ces attaques sont extrêmement pauvres : courtes et répétitives, non chiffrées et sans références scientifiques, avec des titres tapageurs du genre « La décroissance est un mythe », « La décroissance, ennemie des pauvres », ou « Environnement : quand la décroissance pollue ».

    Édito à retrouver dans notre hors-série « Décroissance : Réinventer l'abondance », disponible en kiosque, librairie et sur notre boutique.

    Il existe pourtant aujourd’hui plus d’un millier d’études académiques sur le sujet. Saviez-vous que la France utilisait actuellement 179 % de son budget écologique(1) ? Saviez-vous qu’atteindre une qualité de vie décente pour 8,5 milliards d’êtres humains ne nécessiterait que 30 % de notre usage actuel d’énergie et de matériaux(2) ? Saviez-vous que la pub en France faisait augmenter la consommation de 5,3 % et le temps de travail de 6,6 %(3) ?

    La science avance mais les détracteurs ne la lisent pas. Quelques chroniqueurs fatigués continuent aveuglément d’affirmer que la décroissance est inutile car la croissance serait en train de se « verdir » (une hypothèse fausse, comme le démontre une abondante littérature scientifique). D’autres répètent que la croissance serait nécessaire pour éliminer la pauvreté, sans avoir lu le rapport d’Olivier De Schutter, le rapporteur spécial sur les droits humains et l’extrême pauvreté aux Nations Unies, qui affirme précisément le contraire.

    Après deux ans à débattre de la décroissance avec ceux qui la critiquent le plus activement, j’ai compris qu’ils ne cherchaient pas véritablement à comprendre. La plupart d’entre eux gardent une position de chien de garde, aboyant sur la question à grands coups de prêt-à-penser. « Progrès technique ! », « Dette publique ! », « Chômage de masse ! »… Par manque de créativité ou par paresse intellectuelle, les anti-décroissance ne parviennent presque jamais à dépasser ces incantations vides de sens. Pour eux, la décroissance n’est pas un véritable sujet à explorer, c’est une piñata.

    Dans un monde idéal, bien sûr, le terme de décroissance n’aurait jamais vu le jour. Si nous n’avions pas laissé l’excroissance d’une poignée de pays riches mettre en péril l’habitabilité de la Terre, ce hors-série aurait sûrement traité d’autre chose. On y aurait discuté de la gestion des communs multi-espèces, des salles de sieste municipales et des sanctuaires bio régénératifs. Les articles auraient titré « Bientôt la semaine de douze heures ? », « Madagascar vient d’atteindre l’état stationnaire », ou « Nouvel abaissement du seuil maximum de richesses accumulables ». On aurait tranquillement philosophé sur les problèmes quotidiens d’une économie ayant déjà depuis longtemps terminé sa transition écologique.

    Mais ce monde n’existe pas – ou du moins pas encore. Cinquante ans après l’émergence des premières critiques de la croissance, nous sommes encore coincés dans la salle d’attente de la transition. Si nous consacrons tout un numéro à la décroissance, c’est bien parce qu’il y a – encore et toujours – un problème avec la croissance. Parler de décroissance n’a donc jamais été aussi nécessaire. Encore faut-il savoir comment en parler.

    Définir la décroissance

    Le concept de décroissance peut être décomposé en trois éléments et en quatre valeurs. Les éléments différencient les usages du terme, parfois mot-obus (critique), parfois mot-chantier (stratégie), parfois mot-portail (utopie). Les quatre valeurs forment un compas que l’on retrouve dans chacun de ces éléments. La décroissance critique le régime de croissance actuel pour son manque de soutenabilité (n°1), de démocratie (n°2), de justice (n°3) et de bien-être (n°4), et imagine des transformations qui viendraient mieux satisfaire cette quadruple injonction. C’est un concept couteau suisse qui connecte les trois grandes questions de toute impulsion révolutionnaire : le pourquoi, le vers quoi et le comment.

    Mot-obus : une théorie critique

    La décroissance est avant tout une théorie critique, une « objection de croissance ». Le terme est ancien ; il remonte à la première vague de critiques de la croissance des années 1970. Au-delà du célèbre Limites à la croissance (1972), de nombreux auteurs précurseurs nourrissent dès cette époque une critique à la fois sociale et environnementale de la croissance. On peut citer les « coûts de la croissance » d’Ezra Mishan, la « bioéconomie » de Nicholas Georgescu-Roegen, les « limites sociales de la croissance » de Fred Hirsch, le « small is beautiful » de Ernst Friedrich Schumacher, la « norme du suffisant » d’André Gorz, « l’anarchisme d’après-pénurie » de Murray Bookchin, « l’économie stationnaire » d’Herman E. Daly, ou « l’écoféminisme » de Françoise d’Eaubonne(4).

    La décroissance n’est pas seulement une critique, c’est aussi une stratégie de transformation sociétale qui vise une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique. 

    Pas de croissance infinie dans un monde fini, disait déjà Kenneth Boulding à la fin des années 1960, résumant parfaitement l’impasse écologique qui attend inexorablement toute stratégie de croissance et particulièrement celles de pays riches en situation de dépassement écologique. C’est aussi une objection sociale, rejoignant une critique plus globale de la démesure économique des systèmes productivistes de l’époque (le capitalisme occidental et le communisme soviétique) et de leurs conséquences délétères sur la qualité de vie. Pour en dégager une définition générale, l’objection de croissance vient problématiser ces économies qui cherchent à tout prix à augmenter la production et la consommation, même si cela se fait aux dépens de la soutenabilité écologique et du vivre-ensemble.

    Mot-chantier : un plan de transition

    Mais la décroissance n’est pas seulement une critique, c’est aussi une stratégie de transformation sociétale qui vise une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être. Ce régime macroéconomique serait la traduction pratique de l’objection de croissance, invitant les économies en surchauffe à produire et consommer moins.

    On peut voir la décroissance comme une sorte de cahier des charges de transition, un prisme pour penser le défi du ralentissement sans sacrifier les quatre valeurs que sont la soutenabilité, la démocratie, la justice et le bien-être. La littérature spécialisée regorge d’études sur la réduction du temps de travail et la garantie de l’emploi, les coopératives et les communs, les monnaies locales et les réformes bancaires, le revenu maximum acceptable, le rationnement des ressources naturelles, et de nombreux autres instruments qui permettraient à la décroissance d’être écologiquement efficace, socialement acceptable, juste et prospère.

    Mot-portail : un projet de société

    Dernier élément : l’utopie de la post-croissance. On trouve dans le corpus décroissant de nombreux récits d’un futur désirable plus égalitaire où toutes les entreprises seraient à but non lucratif, locales et low-tech. Un monde plus lent avec une démocratie plus participative où les gens travailleraient moins, une économie du partage et du soin aux écosystèmes luxuriants. Parler de post-croissance permet de s’extirper de la domination d’un présent perpétuel, cette écrasante fin de l’histoire qui fait qu’il est plus facile aujourd’hui d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme.

    Pour capturer cette utopie en une phrase, on pourrait la décrire comme une économie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance. Cette vision a beaucoup en commun avec l’écosocialisme, le convivialisme, le buen vivir, le post-développement, le participalisme, ou l’économie sociale et solidaire. Ces concepts sont tous des brèches dans le même mur du « There is no alternative ».

    Faire face aux questions difficiles

    Malgré un développement prodigieux ces dernières années, la décroissance reste un jeune concept. S’il reste de nombreux puzzles à résoudre, il convient de les hiérarchiser intelligemment pour éviter de tourner en rond. Je propose ici la typologie suivante, quatre familles de questions pour cartographier le Rubik’s Cube de la décroissance : l’ampleur de la réduction, sa composition, son rythme et son organisation.

    Ampleur : de combien réduire ?

    De combien faut-il exactement réduire la production et la consommation ? 1 %, 10 %, 50 % ? L’ampleur d’une stratégie de décroissance dépend d’abord du degré de dépassement écologique : de fortes réductions pour les régions à forte empreinte, et des contractions plus faibles – ou même nulles – pour les territoires relativement moins insoutenables. À l’échelle du globe, la décroissance vise principalement les régions les plus riches, celles qui émettent beaucoup et peuvent se permettre de ralentir.

    Il est également essentiel de tenir compte du degré de couplage, c’est-à-dire de l’intensité écologique d’un système économique. Une économie qui a accès à des moyens de satisfaction des besoins moins polluants sera en mesure de maintenir un certain niveau d’activité. Par exemple, un territoire doté d’infrastructures ferroviaires de qualité aura une plus grande capacité à maintenir la mobilité après l’abandon progressif des modes de transport à énergie fossile. Au contraire, une économie où ces alternatives ne sont pas disponibles n’aura d’autre choix que de limiter les voyages en attendant que des modes de transports alternatifs deviennent disponibles.

    C’est ici que l’on comprend que la décroissance n’est pas strictement incompatible avec certaines stratégies basées sur les technologies dites « vertes ». La sobriété des stratégies de décroissance (manger moins de viande, fermer des lignes aériennes, cesser de produire des SUV, etc.) s’ajoute aux gains réalisés grâce aux efforts d’éco-efficience. C’est comme faire un régime où l’on réduit les produits gras et sucrés (décroissance) tout en changeant sa façon de manger, en passant des aliments transformés aux plats faits maison ou en prenant de plus petites bouchées et en prenant le temps de bien mâcher les aliments avant de les avaler (technologies vertes).

    Composition : par quoi (et avec qui) commencer ?

    Il faut ensuite se poser la question de la composition de cette décroissance. Pour véritablement alléger l’empreinte, la réduction de la production et de la consommation doit cibler en priorité les biens et services à forte intensité écologique. Pour polluer moins, il faut d’abord limiter ce qui pollue beaucoup (les voitures, le bœuf, le chauffage, l’extraction minière, les vols en avion, etc.).

    On identifie donc d’abord des gisements de décroissance. En France, en 2023, le transport est le secteur le plus intensif en carbone, responsable de 32 % des émissions territoriales du pays, suivi par l’agriculture avec 19 %. En y regardant de plus près, on s’aperçoit qu’environ la moitié des émissions des transports et de l’agriculture proviennent respectivement des voitures et du bétail. Ainsi, la viande bovine et les automobiles génèrent à elles seules environ 25 % des émissions territoriales, ce qui en fait de bons candidats pour des stratégies de sobriété radicale.

    La prochaine étape sera de hiérarchiser ces biens et services en fonction de leur empreinte bien-être. Il conviendra de ne pas produire le SUV qui se retrouverait utilisé quelques heures par semaine par un riche ménage parisien (faible empreinte bien-être), tout en continuant de produire le SUV des secours des plages dont l’utilisation bénéficie à un plus grand nombre de personnes (haute empreinte bien-être). Il faudra limiter la construction d’autoroutes et de centres commerciaux tout en continuant à aménager des pistes cyclables et des voies ferrées.

    La décroissance ne concerne donc pas toutes les couches sociales de la même manière. Les études empiriques démontrent que, dans les pays du Nord, plus on est riche, plus on pollue. La composition de la décroissance n’est pas seulement une histoire de produits mais aussi d’usages. Les ménages aisés à forte empreinte devront faire plus d’efforts que la classe moyenne, et beaucoup plus d’efforts comparativement à des ménages modestes qui ne consomment déjà pas grand-chose.

    Il faut donc s’attendre à des décroissances au pluriel, car le panier de biens et de services qu’un territoire pourrait éliminer variera d’un endroit à l’autre en fonction de la composition biophysique de son métabolisme économique et de ses priorités sociétales. Un pays qui utilise énormément la voiture comme les États-Unis verrait sa mobilité automobile décroître de manière beaucoup plus intense qu’un pays comme le Danemark, où l’automobile représente une part moins importante des transports. Une ville côtière touristique n’aura sûrement pas exactement les mêmes priorités en termes de développement territorial qu’une communauté rurale de basse montagne.

    Rythme : à quelle vitesse décroître ?

    Perdre dix kilos en un an, c’est un régime. Perdre dix kilos en un jour, c’est une amputation. Après avoir fixé l’ampleur et la composition d’une stratégie de décroissance, il faut se demander quel rythme serait adéquat pour cette transition. La décroissance peut être plus ou moins rapide selon le nombre d’années qu’un territoire se donne pour réaliser les réductions et les aménagements nécessaires. S’attaquer à un seul secteur ou à une seule catégorie de pressions environnementales (le carbone, par exemple) étalerait la transition dans le temps par rapport à une stratégie systémique qui viserait à faire baisser toutes les variables écologiques (carbone, eau, sols, biodiversité, matériaux, etc.) en même temps.

    Ce hors-série n’est pas là pour éveiller les consciences. Ce n’est pas un guide de prospective pour se préparer à un événement futur. C’est un manuel de survie à utiliser tout de suite, une formation de sécurité incendie organisée au milieu des flammes. Lisez-le. Digérez-le. Vivez-le.

    Comme toutes les questions précédentes, nous avons ici affaire à des décisions démocratiques. Il est tout à fait possible de choisir d’étaler un effort collectif sur une plus longue période, quitte à dégrader de manière irréversible un écosystème. C’est un choix. Rappelons d’ailleurs que c’est la stratégie actuelle : nous avons consciemment décidé de ne pas réduire notre niveau de production et de consommation, même si nous savons que cela aggravera inévitablement les efforts futurs à faire.

    Organisation : comment se donner les moyens de décroître sereinement ?

    Une fois que l’on sait de combien réduire, par quoi commencer et à quelle vitesse le faire, il reste la question la plus épineuse de toutes, celle de l’organisation. Comment éviter que ce ralentissement économique fasse plonger des personnes vulnérables dans la pauvreté ? Comment protéger les divers services publics et autres activités essentielles ? Ces questions ont beau être compliquées, elles ne remettent pas en cause les décisions précédentes. Le climat n’arrêtera pas de se réchauffer si chômage il y a. Il est important de hiérarchiser les problèmes. Trouver de combien décroître d’abord, et s’arranger ensuite pour que cette décroissance se fasse sereinement.

    Face au risque du chômage, les recherches sur la garantie de l’emploi et la réduction généralisée du temps de travail se multiplient. Des chercheurs explorent des configurations fiscales qui permettraient aux États d’être moins dépendants des activités marchandes. Les politologues explorent le lien entre les politiques de croissance et les relations de puissance entre pays. Les comptables se demandent comment mesurer la performance d’une entreprise différemment. C’est ici que se situe la partie la plus innovante de la littérature sur la décroissance. Les objections des détracteurs ont été attentivement étudiées, et nombre des obstacles qui faisaient barrage à la décroissance par le passé sont aujourd’hui résolus.

    L’ampleur d’une stratégie de décroissance dépend d’abord du degré de dépassement écologique : de fortes réductions pour les régions à forte empreinte, et des contractions plus faibles – ou même nulles – pour les territoires relativement moins insoutenables. 

    Répétons-le : toutes ces questions ne sont pas techniques mais politiques, car elles incluent toutes des jugements de valeur et des conflits d’intérêt. Même fixer un budget carbone implique une décision de justice intergénérationnelle. La décroissance est une manière d’organiser les différentes discussions qu’il nous faudra nécessairement avoir si nous voulons parvenir à redescendre sous le seuil des limites planétaires et construire une société qui puisse prospérer sans croissance.

    Et autant s’y mettre au plus vite, car la décroissance ne sera jamais aussi facile qu’aujourd’hui. Étant donné la faible ampleur du dépassement écologique à l’époque, la transition aurait été d’une grande facilité si nous l’avions commencée dès les années 1970. Elle était déjà plus difficile au début des années 2000, après trente ans de surchauffe écologique, mais relativement simple comparativement à aujourd’hui. Et la situation sera pire dans dix ans. Cessons de procrastiner. Ce hors-série n’est pas là pour éveiller les consciences. Ce n’est pas un guide de prospective pour se préparer à un événement futur. C’est un manuel de survie à utiliser tout de suite, une formation de sécurité incendie organisée au milieu des flammes. Lisez-le. Digérez-le. Vivez-le. 

    1. Maria Rosario Gómez-Alvarez Díaz et al., “How close are European countries to the doughnut-shaped safe and just space? Evidence from 26 EU countries”, Ecological Economics, juillet 2024. 

    2. Jason Hickel et Dylan Sullivan, “How much growth is required to achieve good lives for all? Insights from needs-based analysis”, World Development Perspectives, septembre 2024.

    3. Mathilde Dupré et Renaud Fossard, « La communication commerciale à l’ère de la sobriété », rapport pour l’Institut Veblen, octobre 2022.

    4. Voir la collection « Précurseur·ses de la décroissance » aux éditions Le Passager clandestin.

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    À propos de l'auteur

    Timothée Parrique
    Chercheur en économie écologique à HEC Lausanne, spécialiste de la décroissance et du post-capitalisme, Timothée Parrique a soutenu en 2019 une thèse dédiée à « L'économie politique de la décroissance » et dirigé, la même année, une étude intitulée : « Le découplage impossible, preuves et arguments contre la croissance verte ». Depuis le succès en 2022 de son ouvrage Ralentir ou périr (Seuil, 2022), il est devenu l'une des figures de proue de la décroissance en France. Vulgarisateur hors-pair, il mêle volontiers références universitaires et culture pop.

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  • Pollution des plages bretonnes

    C'est juste effarant.

     

    Pollution des plages

    Christophe Le Visage, lanceur d'alerte sur la pollution des eaux bretonnes

     

    Par Matthieu Le Goff , publié le 22 novembre 2024

    https://www.socialter.fr/article/christophe-le-visage-pollution-eaux-bretagne-finistere

    Photos : Matthieu Le Goff

    En mai 2024, l’association Eau et rivières de Bretagne a publié une contre-enquête sur la qualité des eaux de baignade du littoral français et un classement des plages bien plus sévère que celui établi par les pouvoirs publics. Un succès national qui doit beaucoup au parcours du vice-président de l’association, Christophe Le Visage, passé sur le tard des bureaux ministériels à l’engagement associatif local. Rencontre chez lui en Finistère Nord, avec vue sur le rivage idyllique d’une plage bretonne pourtant polluée.

    «Pour être franc, ça nous a explosé à la figure. On est très surpris du succès. On a dû avoir près de 700 000 consultations uniques sur notre site labelleplage.fr, une centaine de médias écrits et une quarantaine de médias audiovisuels », confie Christophe Le Visage. L’homme n’est pas du genre à pérorer. Plutôt une figure de l’ombre, derrière ces lunettes qui s’assombrissent quand la lumière se fait trop forte. 

    Article issu de notre n°66, en kiosque, librairie, à la commande ou sur abonnement.

    On a dû insister pour le rencontrer et évoquer son rôle dans cette enquête par laquelle l’association Eau et rivières de Bretagne, pas née de la dernière pluie mais méconnue du grand public, a fait mouche sur un sujet peu ragoûtant. Pourtant, son lien avec la problématique de la qualité des eaux de baignade est aussi très personnel. Il coule dans son jardin derrière la maison et se jette sous ses fenêtres dans la mer, en répandant un discret halo verdâtre sur la plage.

    Il s’appelle le Melon, un de ces minuscules ruisseaux qui parcourent l’arrière-pays léonard, du nom de la moitié nord du département du Finistère. Comme beaucoup d’autres dans ce coin, il charrie régulièrement, en général après de fortes précipitations, une pollution microbiologique aux matières fécales qui se répand dans les eaux côtières où batifolent à la belle saison enfants et parents dans la plus grande insouciance. Toute une panoplie – listeria, coronavirus, norovirus, résidus médicamenteux – dont la présence est signalée par la détection d’entérocoques intestinaux ou de la bactérie Escherichia coli (E. coli).

    Les poissons ne votent pas

    « J’ai découvert en m’installant ici en 2019 que la plage en face était fermée six à sept fois par été pour pollution, que le ruisseau qui passait dans mon jardin était le vecteur de cette pollution, et que tout le monde faisait comme s’il ne se passait rien »,se souvient-il dans son salon avec vue sur la plage et la presqu’île du Melon, peu fréquentées en cette fin août. À l’époque, l’ancien haut fonctionnaire vient d’adhérer à plusieurs associations environnementales du coin, pour honorer une promesse qu’il s’était faite « quand il était de l’autre côté », celui de l’État. « J’avais fait une réunion en Bretagne où il y avait une cinquantaine de personnes, moitié agriculture, moitié État. Et au milieu, il y avait deux types d’Eau et Rivières de Bretagne. C’était les seuls qui savaient de quoi ils parlaient. Ils avaient une vision complète des enjeux aussi bien environnementaux que sociaux ou économiques. Je me suis dit : quand je serai retraité, j’irai là. »

    Sa détermination est d’autant plus grande que sa carrière professionnelle s’est accompagnée d’une prise de conscience progressive de l’importance des enjeux environnementaux, et surtout du désintérêt prononcé dont ils font l’objet dans l’élaboration des politiques de la mer au plus haut niveau. « Sur ces sujets, la politique est dirigée par en bas. Les seuls intérêts privés sont pris en compte, l’intérêt général rarement. Et les poissons ne votent pas. »Ici, Christophe rencontre un « presque voisin », un certain Laurent Le Berre, prof de techno et surtout surfeur, qui s’intéresse à la qualité des eaux des plages du secteur dans lesquelles son goût de la glisse lui fait passer pas mal de temps. « Quand je suis arrivé, mon collègue était déjà sur le sujet, il avait constaté des anomalies, mais il se heurtait au bocal de verre. Personne ne lui répondait. Il ne savait pas comment obtenir réellement des réponses de l’administration ou interpréter les directives européennes. Grâce à mon expérience côté État, on a pu commencer à regarder sous le tapis. »

    Mais quel tapis ? Christophe fait un geste vers un panneau d’information, de l’autre côté de la route, juste à l’entrée de la plage, un panneau en forme de vague. En s’approchant, on peut lire, sur une feuille A4 marquée du logo de l’agence régionale de santé (ARS) Bretagne, les résultats d’analyse des eaux de la plage régulièrement publiés depuis mi-juin. 

    Les « tripatouillages » de l’ARS

    « On a découvert que l’ARS trichait. Ça a été un choc pour nous. », se remémore Christophe. Pendant la saison de baignade, du 15 juin au 15 septembre, comme dans toute la France, l’ARS fait faire des prélèvements à un laboratoire de Brest pour rechercher une éventuelle pollution. L’agence procède ensuite à un calcul statistique défini par la directive européenne et a l’obligation réglementaire de publier les données pour chaque plage un peu fréquentée. « Un calcul pas très sexy, mais facile à faire. Quand on faisait le calcul nous, avec les données que nous avions dûment notées sur les panneaux, on ne trouvait pas la même moyenne à la fin de la saison. Alors on a pris la directive européenne, et on s’est mis dans la peau d’une personne désireuse de tricher. On a trouvé toutes les tricheries. »

    Parmi les « subtilités » mises au jour par Eau et Rivières de Bretagne, le recours à la fermeture préventive des plages en cas de précipitations. Dans le Finistère Nord, un certain nombre de plages sont très polluées à chaque fois qu’il pleut. Pour que les prélèvements soient aléatoires, les dates auxquelles ils sont effectués sont décidées en début de saison. Or ces dernières années, l’ARS s’était arrangée avec les communes pour que la plage soit préventivement fermée chaque fois qu’il allait pleuvoir et que tout le monde savait qu’il y aurait pollution.

    « Lorsqu’un prélèvement tombait sur une période de fermeture, cette fermeture permettait à l’ARS de justifier que la donnée soit écartée du calcul de la moyenne, et donc du classement de la plage. Ça avait pour conséquence de faire passer un certain nombre de plages d’un niveau insuffisant à un niveau suffisant ou même bon,relate Christophe. Il faut préciser que l’interdiction est le plus souvent purement juridique et administrative, épinglée sur une feuille A4. On peut quand même se baigner, dans une eau parfois plus polluée que la Seine ! »Devant le panonceau, Christophe pointe une autre curiosité. Sous les mesures communiquées par l’ARS, un code de trois couleurs, dénommé « Interprétation sanitaire », renseigne visuellement sur la qualité des eaux de baignade. Quand l’eau est de bonne qualité, la case est bleue ; de qualité moyenne, la case est verte ; et de mauvaise qualité, la case est rouge.

    « Pour l’ARS, quand la baignade est interdite, il n’y a plus de problème. Pour nous, il y a quand même un problème. »

    En l’occurrence, sur onze prélèvements depuis début juin 2024, la plage du Melon était cinq fois bleue et six fois verte, c’est-à-dire plus souvent de qualité moyenne que bonne. Mais le regard rapide d’un plagiste retiendra les couleurs verte et bleue, et surtout, pas de rouge. « Sous-entendu, aucun risque », sourit Christophe. Eau et Rivières de Bretagne décide alors d’aller au tribunal administratif. L’État demande une médiation pour éviter la confrontation, chose plutôt inhabituelle dans une procédure qui n’est pas individuelle. Le médiateur est un ancien préfet apparemment persuadé que l’association ne peut pas gagner contre l’ARS. Christophe se souvient : « Il était mal parti, les juristes d’Eau et Rivières de Bretagne sont excellents. On a gagné, avec un rapporteur public très remonté qui a expliqué que la confiance du public avait été trompée, qu’il y avait eu du “tripatouillage” de la part de l’ARS – le mot a été prononcé. »

    Couvrir la Bretagne de cochons

    Mais pourquoi tricher ? Christophe embraye : « J’ai appliqué les réflexes que j’avais quand j’arrivais dans un nouveau pays à l’époque où j’étais consultant à l’international. Comprendre qui décide et analyser la gouvernance. J’ai regardé qui était qui, comment les élus étaient représentés, comment les structures s’interpénétraient. »Dans cette partie du Finistère, tout ramène Christophe et ses collègues à l’élevage de cochons et aux puissantes coopératives porcines. « On peut parler de mafia. À la communauté de communes, le vice-président chargé de l’eau et de l’assainissement était un éleveur de cochons ; le maire de Saint-Renan, la commune voisine, autre vice-président, est un commercial de la coopérative agricole. Les Commissions locales de l’eau sont noyautées dans toute la Bretagne Nord par les instances agricoles, par la FNSEA. Et pour le préfet du Finistère, entre “pas de vagues” et “protéger l’environnement”, c’est souvent “pas de vagues” qui est la bonne solution. »

    En creusant, les membres d’Eau et Rivières de Bretagne tombent sur les excès de l’élevage intensif breton. « C’est une croyance bien ancrée ici, que l’élevage est l’avenir de la Bretagne. L’objectif est de couvrir la Bretagne de cochons. Ce qui n’est pas forcément celui de la population et on ne prend pas en compte les conséquences néfastes de ce choix. »Entre autres, le fait qu’un cochon produit en moyenne autant de bactéries que 30 humains. « Sur un petit bassin versant comme pour la plage voisine de Penfoul, vous avez 10 000 cochons, soit l’équivalent de 300 000 humains. Quand vous avez 1 500 habitants dont seulement 10 ne traitent pas correctement leurs eaux usées, et que de l’autre côté vous avez 300 000 équivalents humains qui ne traitent rien, il est probable que la pollution vienne plutôt des élevages de cochons que des humains ! »

    C’est une boucle infernale : les cochons produisent de la merde qu’on étale sur les champs pour faire pousser du maïs qui nourrit les cochons. Mais comme le sol et les plantes ne peuvent pas tout absorber, une bonne partie s’en va dans les eaux.

    Christophe en rirait presque, mais garde sa froideur analytique, et lâche encore sans sourciller quelques chiffres éloquents : « Il faudrait cultiver l’équivalent de trois Bretagne rien que pour nourrir les animaux d’élevage qui y vivent. On est donc obligés d’importer du soja et des protéines. Mais il faut bien se débarrasser des excréments. C’est une boucle infernale : les cochons produisent de la merde qu’on étale sur les champs pour faire pousser du maïs qui nourrit les cochons. Mais comme le sol et les plantes ne peuvent pas tout absorber, une bonne partie s’en va dans les eaux. »Le plus souvent ici, on préfère pointer du doigt les touristes. Christophe ironise : « L’explication peut être valable pour d’autres régions, comme en PACA où tout le littoral est classé rouge sur notre carte, mais ne tient pas la route ici : il y a relativement peu de touristes en Finistère Nord, et si c’est l’été que l’on constate que les plages sont polluées, c’est parce qu’il n’y a qu’en été qu’on fait des mesures ! »

    Un retentissement national

    Se sent-il menacé, à force de soulever des tapis et de remuer la poussière ? Il élude : « Je fais le tour de ma voiture pour voir que tous les boulons sont serrés. Mais on n’est pas inutilement provocateur, les gens violents sont minoritaires. Je ne me répands pas en disant systématiquement du mal des professions agricoles. »Il est vrai qu’Eau et Rivières de Bretagne n’avait pas parié sur un tel « succès », mais n’a pas non plus choisi le moment au hasard. Alors que les équipes enquêtaient sur la question depuis déjà plusieurs années, le sujet de la qualité des eaux est monté dans le débat public grâce à un hasard du calendrier. « En janvier 2024, à l’approche des JO, on a commencé à beaucoup parler de la qualité de l’eau de la Seine où personne ne se baignait, alors que nous, nous avions une carte toute prête de la qualité de baignade sur 2 000 plages françaises où des millions de gens se baignent chaque été, mais ça on n’en parlait jamais. On a décidé de préparer un lancement de notre carte avec une campagne de communication. »L’association a d’abord établi une carte bretonne.

    Problème : toute la côte nord de la région« clignotait » en rouge. Ils décident alors d’élargir la carte à l’échelle nationale, histoire d’éviter d’être taxés de « Bretagne bashing », mais aussi de faire bénéficier les autres régions des résultats de leurs recherches. Résultat : un site ultra-ergonomique, où tout un chacun peut, en quelques clics et un zoom, trouver sa plage, savoir de manière fiable et transparente s’il est recommandé de s’y baigner, et même connaître le classement des lieux sur les 1 853 plages de l’Hexagone. « On a eu des retours assez durs de la part des maires de certaines villes comme Le Touquet. Pas grand-chose côté agricole en Bretagne, mais on s’en doutait. La stratégie ici, c’est d’écraser le coup et d’attendre que ça passe », analyse Christophe. Du côté du corps médical, des voix s’élèvent pour demander à nouveau des enquêtes épidémiologiques à l’ARS, la carte des pollutions pouvant bien correspondre avec des maladies très localisées, ou des phénomènes d’antibiorésistance.

    Christophe résume : « La directive européenne a un objectif environnemental, et partant, sanitaire. En France, on a confié le sujet à l’ARS qui semble considérer que c’est exactement équivalent d’interdire la baignade quand l’eau est sale et de faire en sorte que l’eau soit propre, du moment que les baigneurs ne sont pas contaminés. Pour eux, quand la baignade est interdite, il n’y a plus de problème. Pour nous, il y a quand même un problème. » Et il ajoute, pensif en regardant quelques estivants se mettre à  l’eau : « Sur les algues vertes, personne n’en parlait jusqu’à ce qu’il y ait quelqu’un qui meure. » Tout en bas à gauche du panneau municipal à l’entrée de la plage, on peut péniblement déchiffrer sous la saleté : « Méfiez-vous des écoulements sur les plages : ces rejets peuvent être contaminés. Bien qu’ils apparaissent aux yeux des enfants comme un espace de jeu privilégié, apprenez aux petits à les éviter. » 

  • Ecrire en musique

    J'ai toujours les écouteurs sur les oreilles quand j'écris.

    Loscil, Richter, Hudson, Arvo Part...

     

     

  • "Rendre l'eau à la terre"

    Loin de moi, l'idée d'être irrespectueux envers les populations de Valence frappées par les inondations, les images sont terrifiantes et le bilan humain ne cesse d'augmenter.

    On sait depuis longtemps que le problème de l'urbanisation fait courir des risques majeurs aux populations. Un article sur France Info montrait l'envahissement des villes, l'extension des zones urbaines, commerciales, industrielles depuis les années 1950...L'eau n'a plus de place...

    Ce livre est une lecture nécessaire pour prendre conscience du problème.

     

     

    Rendre l'eau à la terre

     

    Sous-titre

    Alliances dans les rivières face au chaos climatique

    Baptiste MORIZOT

    Suzanne HUSKY

    Sur la planète Terre, une rivière vivante s’entoure de milieux humides qui protègent la vie. Pourtant, nous lui avons pris ces milieux pour déployer nos villes et nos agricultures industrielles. Corsetées, drainées, bétonnées, les rivières ne peuvent plus nous préserver d’un climat déréglé. Face au péril, il est temps de rendre l’eau à la terre, pour abreuver les déserts que l’extractivisme nous laisse en héritage.
    Comment ramener l’eau à la vie ? En enquêtant sur le temps profond des rivières. On découvre qu’elles ont coévolué avec une forme de vie qui travaille depuis des millions d’années à hydrater les milieux : c’est le castor. Il ralentit l’eau, l’infiltre dans les sols, la purifie et la donne en partage à tous les vivants. Il façonne ainsi des oasis de vie qui peuvent nous aider à traverser les sécheresses, les feux et les crues. Son action amplifie la vie. Traqué pendant des siècles comme un nuisible, peut-il devenir aujourd’hui un allié ? Le castor peut-il nous inspirer une philosophie de l’action enfin libérée du culte du pétrole, du machinisme et du contrôle ? Saurons-nous apprendre d’un autre animal comment guérir les rivières ?
    L’enjeu est de changer de paradigme, vers une pensée de l’eau vivante capable de désaltérer un monde assoiffé. En ces temps bouleversés, il est temps de passer des alliances avec des puissances non humaines. D’explorer la possibilité de participer, en humains, à l’autoguérison du monde. Et d’apprendre, nous aussi, à amplifier la vie.

    Retrouvez et soutenez les actions contribuant au mouvement d’alliance avec le peuple castor sur le site : https://mapca.eu/

  • Les castors

    Laisser la nature se réguler et en tirer les bénéfices. 

    Une famille de castors aide cette ferme drômoise face au dérèglement climatique

     

    « Le castor immerge l’entrée de sa maison par des retenues d’eau mais cultive toutes les espèces avec lesquelles il alimente son habitat, notamment les saules et les peupliers qu’il préfère. Ces arbres vont stimuler les milieux humides en pompant de l’eau, en la remontant en permanence et en la diffusant ensuite dans l’écosystème »

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    Texte: Liza TourmanPhotographie: Eve Campestrini6 juin 2024

    Au fin fond du Diois se trouve l’un des plus vieux GAEC de la Drôme : la ferme de Montlahuc où un jeune castor s’est installé il y a trois ans, inondant 2000m2 de terre, un exploit pour un lieu situé à 1000m d’altitude. Aujourd’hui, les 6 associés du GAEC cohabitent avec cet allié, réhydratant petit à petit les paysages et régénérant la biodiversité.

    D’une ferme conventionnelle à un havre de biodiversité

    Marco est l’un des associés du GAEC, la ferme de Montlahuc. Arrivé il y a une dizaine d’années, il développe l’activité « écosystème » qui consiste à prendre soin du territoire, de tout ce qui effleure de près ou de loin le Vivant et la durabilité de la ferme.

    « En 2013, le GAEC a amorcé une grosse transition où il y a eu un changement d’associés. On était trois jeunes à arriver. On a essayé de travailler avec l’inspiration Kogi, ce peuple ancestral de Colombie très connecté au Vivant. Comment repenser notre modèle agricole en laissant faire la nature au maximum ? » raconte-t-il pour La Relève et La Peste

    La ferme conventionnelle s’est transformée en quelques temps en poly-élevage, modèle vertueux pour la biodiversité. Le groupe fonctionne à 100 % en vente directe et a en une dizaine d’années redynamisé le village en passant d’une dizaine à une quarantaine d’habitants, relançant ainsi l’école.

    Les prairies de la ferme de Montlahuc

    Le rôle du castor dans le cycle de l’eau

    Il y a trois ans, un castor s’est installé au GAEC. De fil en aiguille, il a réhydraté le paysage.

    « Il a commencé par creuser un fossé au milieu de la prairie qui est devenue l’année suivante un véritable plan d’eau. Il a immergé 2000m2 de la parcelle sur 5000m2. Le premier raisonnement des voisins a été de nous dire de ne pas le laisser faire car nous étions en train de perdre de la surface pour le foin pour les animaux. On a quand même 1100 hectares, on s’est dit que 2000m2, on pouvait les laisser aux castors. Notre ruisseau temporaire est devenu permanent » se remémore Marco auprès de La Relève et La Peste

    Petit à petit, la biodiversité a fructifié. Des espèces aquatiques se sont installées comme une trentaine d’espèces de libellules, des canards et des oiseaux de zones humides. Le plus surprenant étant l’impact du rongeur sur l’écosystème en cultivant les espèces nécessaires pour se nourrir.

    « Le castor immerge l’entrée de sa maison par des retenues d’eau mais cultive toutes les espèces avec lesquelles il alimente son habitat, notamment les saules et les peupliers qu’il préfère. Ces arbres vont stimuler les milieux humides en pompant de l’eau, en la remontant en permanence et en la diffusant ensuite dans l’écosystème » détaille Marco pour La Relève et La Peste

    D’une prairie sèche et d’une végétation pauvre, la parcelle est devenue riche et dense. Des légumineuses sont apparues et ont diversifié le paysage. Une aubaine pour le pâturage. Ces légumineuses amènent des fleurs qui attirent tout un cortège de papillons et d’insectes, créant ainsi une vie spectaculaire avec l’apparition de feuillus là où auparavant ne cohabitaient que des pins.

    Un arbre coupé par un castor à la ferme

    « Les pins sont des espèces intéressantes mais qui partagent assez peu l’eau dans les écosystèmes, des espèces un peu plus « égoïstes » que les feuillus. Ces derniers travaillent ensemble. Ce qui permet une régénération de cet écosystème qui l’emmène vers un milieu qui amplifie la vie » sourit Marco

    Si le castor est arrivé seul sur cette parcelle il y a trois ans, ils sont aujourd’hui entre trois et quatre à habiter les lieux. Cependant, Marco nous signifie que sa présence existe sur ce petit cours d’eau depuis déjà une dizaine d’années, à quelques 3 kilomètres de là.

    « Notre petit ruisseau constitue la connexion entre le bassin des Baronnies et le bassin de la Drôme. C’est quasiment l’un des seuls corridors écologiques de zone humide entre ces deux grands bassins versants pour la circulation des espèces aquatiques : c’est un espace fondamental » précise Marco pour La Relève et La Peste

    Marco devant le barrage créé par les castors à la ferme de Montlahuc

    Le castor, un allié précieux

    Après des années de politique d’évacuation rapide de l’eau vers nos mers, on a aujourd’hui un assèchement majeur des territoires. Cette course a créé de l’érosion et donc une incision des ruisseaux qui ont tendance à descendre en profondeur. Les impacts bénéfiques du castor sur les écosystèmes sont multiples. L’un d’eux est le ralentissement et l’infiltration de l’eau dans les sols.

    « L’eau s’infiltre à la même hauteur que le ruisseau quand le castor fait un barrage, il remonte son niveau et aussi celui de cette nappe phréatique qui fait que les plantes ont plus d’accès à l’eau » détaille Marco.

    En édifiant des micro-retenues, le castor empêche une trop grande quantité d’eau de s’échapper. En la ralentissant et la stockant, elle est diffusée progressivement dans le paysage, ce qui évite les inondations.

    « On dit que le castor, en construisant des retenues, a tendance à réchauffer l’eau et que c’est mauvais pour les écosystèmes. En réalité, l’eau qui sort de terre est forcément plus fraîche et donc rafraîchit le cours d’eau. »

    Une expérience que la Californie, aux Etats-Unis, connaît bien. Face aux feux de forêts amplifiés par le dérèglement climatique, la Californie a mis en place des « zones castors », plus résistantes au feu grâce à l’humidité du sol. Ces fameuses « zones castors », dont la végétation perdure, peuvent recréer par la suite les forêts parties en fumée. Lieux refuges pour les animaux, ces derniers retournent dans les espaces désertifiés une fois le danger passé et, en déféquant des graines, régénéreront petit à petit les paysages.

    Le lieu de vie du castor à la ferme de Montlahuc

    Le castor est un animal clé dans l’équilibre des grands cycles, la régulation et la régénération des paysages. Depuis des millions d’années, il cohabite avec la rivière, ce qui en fait de lui en quelque sorte le gardien. Impressionnés par l’efficacité du castor sur cette parcelle, les agriculteurs tentent de l’attirer au plus près de la ferme de Montlahuc. Les associés ont tout mis en place pour rendre, selon l’expression de Baptiste Morizot, un emplacement attractif pour le plus gros rongeur d’Europe.

    « On a créé des petites retenues pour que son terrier soit immergé. On a aménagé ces espaces près des peupliers tremble, ses préférés, et on continue à en planter là-bas. Il y a de grandes chances qu’il soit déjà passé sur le lieu et qu’il l’ait repéré et qu’il vienne s’installer chez nous dès qu’il en aura besoin » espère Marco.

    Sur la ferme de Montlahuc, le réchauffement climatique se fait ressentir depuis une dizaine d’années. Le vent est de plus en plus fort et les parcelles, de plus en plus sèches. Avec une quantité de foin de moins en moins importante, chaque année est un peu plus difficile pour les associés.

    « On a planté 3000 arbres, un peu plus de 3km de haies. Ces arbres on les achète, il faut les protéger avec des clôtures, préparer les tracteurs, aller les planter. Tout ça prend beaucoup de temps, d’énergies fossiles, d’argent alors qu’en deux ans, le castor est plus efficace en utilisant moins d’énergie » résume Marco

    Les Etats-Unis ont ainsi mis en place des indemnisations pour les agriculteurs qui perdent des parcelles agricoles où le castor se réinstalle. Historiquement, le mot maraîchage est lié au marais, terres très fertiles qui ont été subtilisées aux castors. Ainsi, ce sont dans ces espaces qu’il va revenir d’où la nécessité que l’État prenne des mesures. Le modèle allemand a également un barème d’indemnisation agricole en cas de dégâts, de façon à ce qu’il y ait moins de problèmes de cohabitions entre les castors et les agriculteurs.

    Le barrage mimétique créé par les salariés de la ferme pour attirer le castor dans une nouvelle zone

    Entre envahir et infuser le Vivant pour l’habiter, il n’y a qu’un pas

    Co-créer avec le castor a une signification plus profonde et puissante sur notre urgence à cohabiter avec le Vivant, dont nous, humains, faisons pleinement partie. Ce sont des millions d’années de cohabitation qui se sont créées entre les espèces. Chacune, de par sa façon de vivre, a un rôle écologique, une fonction dans les écosystèmes.

    Chaque fois que l’une d’elles disparaît, c’est une fonction qui s’évapore et un équilibre qui est complètement modifié. Tout ce que l’on créait comme déséquilibre, c’est à nous que ça coûte économiquement, en charges de temps de travail et de tous les impacts. Il y a tout intérêt à amplifier la vie et de travailler avec lui.

    Pour Marco, on doit faire avec la nature et cohabiter avec elle dans tous nos espaces. La clé ne serait pas de sanctuariser quelques zones. En revanche, il préconise de préserver quelques endroits de l’intervention humaine de façon à laisser les dynamiques se mettre en place pour qu’ensuite elles puissent se propager. Les Kogis les appellent « zones d’espace sacré ». Que ces espèces puissent y perdurer en dépit du dérèglement climatique. Ainsi, une fois que cela se sera à peu près stabilisé, elles pourront recoloniser et régénérer le reste du paysage.

    « Puisque c’est la vie qui génère et amplifie la vie, il faut que cette diversité d’espèces et ces équilibres qui ont été créés depuis des millions d’années puissent fonctionner et réparer ce qu’on a fait derrière. Cette notion de sanctuaire arrive un peu là. Il n’y a pas une solution absolue, c’est la multitude de solutions qui va permettre qu’on s’en sorte demain »

    Le retour en force du castor dans nos campagnes françaises est donc une formidable façon de faire alliance avec le reste du Vivant.