Année 2024 1er janvier

Ce blog a quinze ans.

Et j'ai quinze ans de plus... Je les sens, ils sont là, dans mon corps. Une sorte d'engourdissement, de raideur, une pesanteur, la durée de récupération qui s'allonge après chaque sortie sportive, qu'il s'agisse du trail, du vélo de route, du VTT, de la randonnée, de la natation, du ski de fond... Là, où il me fallait quelques heures, il me faut désormais une journée. Lorsque je reviens de mes deux kilomètres de crawl le jeudi matin, je dors une bonne partie de l'après-midi. Il y a vingt ans, l'après-midi, je serais allé faire du vélo. Je l'accepte. Je vais avoir 62 ans. Il n'y a rien d'autre à faire. D'autant plus que la médecine m'avait pronostiqué l'arrêt de toute activité sportive il y a dix-huit ans.

Qu'en est-il de mon esprit ? Est-ce que lui aussi ralentit, est-ce que lui aussi a besoin de davantage de temps de récupération ? Non. Et je m'en réjouis infiniment.

Je lis toujours autant, j'écris avec le même bonheur, je pense, j'apprends, j'ausculte, je décortique, j'accumule, j'archive, je dissèque, je compare, je multiplie les sources et le courant intérieur se maintient. Je n'ai aucunement l'impression de dépérir intellectuellement, spirituellement, émotionnellement.

Je peux toujours pleurer de bonheur devant un coucher de soleil, l'enfant est toujours là, au plus profond ou à fleur de peau.

La différence entre aujourd'hui et il y a vingt ans, c'est que je dispose d'une plus grande connaissance des phénomènes intérieurs. Ils ne m'emportent plus jusqu'à perdre pied.

J'ai eu des colères immenses, des embrasements qui me consumaient, des désespérances infinies, des mélancolies mortifères, des révoltes folles, des joies démesurées qui me laissaient hagard lorsqu'elles retombaient.

J'imagine ce chaos comme inscrit sur un encéphalogramme, une ligne chaotique, des ascensions abruptes et des effondrements abyssaux.

Il n'en est plus rien. Je ne suis pas tombé pour autant dans une catalepsie vidée de toute vie. J'ai atteint une forme d'ataraxie. Cela pourrait paraître prétentieux mais quand on travaille à un objectif depuis un quart de siècle, il arrive un moment où on est en droit d'en retirer les bénéfices. Je sais où j'en suis aujourd'hui. 

Malgré l'état de la planète, je n'ai plus de colère. Pour une seule raison : je n'ai aucunement confiance en l'humanité et je considère que rien de bon ne pourra venir d'elle. Non pas sur un plan individuel mais de celui de la masse.

Il est des humains que j'aime et que j'estime.

Mais je pense, avec certitude, que les conditionnements qui mènent l'humanité ne peuvent être rompus volontairement. Je suis convaincu que seul un événement majeur pourrait parvenir à inverser le courant que la masse entretient. C'est ce que j'écris dans la quadrilogie en cours.

Les raisons qui pourraient déclencher une rupture sont nombreux, ils sont connus : la perte de biodiversité, le réchauffement climatique, de nouvelles pandémies liées aux zoonoses, une crise économique aux côtés de laquelle celle des subprimes aura l'air d'une joyeuse kermesse, des conflits militaires, une crise pétrolière, sachant d'autant plus que tout cela sera lié, car il s'agit de dominos et que le premier à tomber entraînera les autres. L'humanité vit dans une bulle de plus en plus fragile, une épaisseur qui s'affine année après année. Cette humanité hors sol ne peut pas continuer de la sorte impunément. C'est "naturellement" impossible. 

Mais je n'en éprouve plus aucune colère, ni aucune peur, ni aucune révolte. Pour la simple raison que je n'y peux rien. Et d'en faire le constat n'a d'autre objectif que d'être au clair avec ce qui advient et d'en suivre le cheminement. J'ai donc appris avec l'âge à observer le monde tout en observant ce que ça produisait en moi.

De la même façon, je n'ai plus de regrets, je m'en suis dénudé. Car ils sont inévitablement le ferment de la culpabilité et la culpabilité est le terreau du désamour de soi. Et je n'ai aucune raison de me "désaimer", non pas par vanité mais parce que ça irait à l'encontre de l'hommage que je tiens à rendre quotidiennement à la vie. La vie n'est pas en nous pour que nous ne l'aimions pas sinon elle ne serait pas là. J'ai commis des erreurs, je me suis trompé, j'ai trompé, je me suis égaré, j'ai fait du mal, par ignorance, par immaturité, par inadvertance, à l'insu de moi-même car je n'étais pas en moi-même. Nous en sommes tous là. Il s'agit d'en avoir conscience et la conscience n'a que faire des regrets. Ils appartiennent au passé et la conscience oeuvre à explorer le présent et à en saisir toute la quintessence et la tâche est déjà immense. Dès lors que la leçon est apprise, il convient d'avancer et les regrets sont des ancrages qui empêchent de progresser.

Je n'ai plus de colère parce que je n'ai plus de jugements envers les individus. Non pas que les actes nuisibles me laissent de marbre mais parce que j'y peux rien. Il faut toujours en revenir à ce regard. 

Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé; et le courage de changer ce qui peut l'être; mais aussi la sagesse de distinguer l'un de l'autre.

Marc-Aurèle.

Sans doute la citation dont je me sers le plus souvent, celle qui m'est la plus utile, celle qui me ramène à l'essentiel. Celle qui a le plus contribué à me mener vers cette ataraxie que je vois comme une quête suprême. Que je déteste les mouvements de masse, que je déteste cette inconscience partagée, c'est juste un constat, pas un jugement. Car dans le jugement, il y a la volonté d'infléchir les choses. Comme le fait le juge qui condamne.

Je n'ai pas à condamner l'humanité, elle le fait très bien elle-même.  

Il reste un domaine où il m'est encore difficile et même douloureux de m'extraire des émotions néfastes. Celle qui concerne mes romans. Et là, il s'agit bien encore de l'ego et l'ataraxie en prend un coup... Je pourrais enjoliver mes attentes de belles envolées lyriques, dire que c'est pour remercier l'engagement de mon éditrice, qu'il est important que sa confiance soit récompensée, que je puisse également enfin me dire que je suis un écrivain mais ça serait incomplet. Oui, j'aimerais que mes romans soient connus et appréciés, reconnus et partagés. Il en va de ma fierté. Est-ce qu'il est malsain de vouloir être fier de soi, à travers le travail accompli ? Non, je ne le pense pas. Mais cette fierté à saisir dépend de l'accueil qui est fait envers ce travail. Comment se réjouir si ce travail reste inconnu, comment être fier si je suis le seul à savoir ce que j'ai accompli ? 

Je suis isncrit à plusieurs groupe de littérature sur les réseaux sociaux et je suis effaré de la quantité de romans qui paraissent, sans arrêt. Comment exister dans cette masse ? Le défi semble insurmontable et il m'est arrivé d'en désespérer et de cesser d'écrire pendant un temps. Et puis, le désir revient, immanquablement, comme un besoin. Non pas un besoin d'exister dans la masse mais d'exister en moi. Car, c'est bien cela le plus beau dans le travail d'écriture. Rester vivant, dans cette dimension créatrice, flamboyer de bonheur lorsque les mots s'alignent, ne pas laisser s'installer l'engourdissement, la raideur et la pesanteur, que ceux-là s'acharnent sur mon corps si ça leur chante, je ne les laisserai pas tranquille, je leur mènerai la vie dure.

Mon esprit, quant à lui, continuera à jouir de la fontaine de jouvence que représente l'écriture. Et si personne ne me lit, personne ne pourra pour autant me priver de cette joie immense de sentir croître dans mes neurones l'arborescence des histoires. 

 

 

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