Anticipation ou roman historique ?

 

 

Je l'ai déjà écrit ici : je n'écris pas assez vite au regard de l'évolution et de l'accroissement effrayant des phénomènes climatiques d'ampleur. 

On a tous entendu parler de la tempête Boris, vaste comme la France mais les medias ne s'y intéressent déjà plus. Elles n'ont d'ailleurs quasiment pas relayé les informations sur les déluges qui se sont abatuus sur le Sahara et les centaines de morts, et les dégâts considérables.

Il est clair de toute façon que si les médias voulaient détailler les phénomènes météorologiques et le dérèglement climatique sur l'ensemble de la planète, elles ne feraient quasiment plus que ça. Il faudrait créer une chaîne dédiée...

Il n'en reste pas moins qu'à la vitesse où ça va, cette quadrilogie en cours d'écriture pourrait bien à la place d'une anticipation devenir une fresque historique. Par contre, il est certain que dans ce cas-là, elle ne serait pas publiée étant donné qu'il n'y aurait plus grand-monde et certainement pas les structures éditoriales et que les lecteurs survivants auraient bien autre chose à aire que de prendre un livre...

Comme je connais bien la vallée du Grésivaudan, j'ai imaginé une tempête Boris s'abattant sur les Alpes :

 

LE DESERT DES BARBARES

 

 

Le soleil avait réchauffé l'atmosphère quand ils aperçurent la croix du sommet, le plateau sommital en pente douce, des nuées évanescentes dérivaient en altitude, une brise légère jouait à animer les dentelles, les sommets de Belledonne flamboyaient, les neiges automnales comme des parures scintillantes.

Dans les derniers mètres avant d'atteindre le bord de la falaise et de découvrir la vallée entière, Théo s'arrêta. Laure dans ses pas.

« Sur cet itinéraire, avant que le monde ne parte en vrille, je rencontrais toujours des randonneurs. Pas des dizaines mais quelques-uns. Aujourd'hui, j'ai l'impression de vivre dans un monde parallèle, une autre dimension, le monde d'en bas et le monde d'en haut.

- Oui, Théo, mais ce ressenti est influencé par notre statut d'être humain.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Les phénomènes naturels nous impressionnent par rapport aux dégâts qu'ils provoquent sur l'humanité mais est-ce que nous réagissions réellement lorsque la beauté de la création ne nous portait pas préjudice, lorsque la quiétude nous entourait ? On se pâmait devant un beau paysage, un beau coucher de soleil, un champ de fleurs mais sans en être bouleversés, sans que ces spectacles ne déclenchent une rupture radicale dans le simple ébahissement épisodique. On a vécu comme des enfants gâtés, incapables de réellement prendre conscience … je ne sais pas comment l'exprimer ... On vivait à côté de la nature et maintenant qu'elle nous secoue, on ne voit d'elle que sa puissance destructrice. Parce que c'est notre monde parallèle qu'elle bouleverse … Désolé. Je ne sais pas comment l'expliquer.

- Si, je comprends, Laure. Nous n'avons pas témoigné de notre reconnaissance, pas à la hauteur du cadeau inestimable de la création et maintenant, nous ne voyons que les dérèglements qu'elle nous impose.

- Il m'est arrivé de me demander quelle était la probabilité que la vie se développe sur la Terre. Je ne sais pas si un scientifique a déjà répondu à cette question mais j'imagine que c'est absolument bluffant, déconcertant, au-delà du concevable. Et il en est de même avec moi. Pourquoi moi et pas une autre combinaison entre l'ovule et le spermatozoïde ? Je suis une miraculée et nous le sommes tous. Sur une planète qui est elle-même une énigme scientifique et pour l'instant la seule connue. Et il faudrait pourtant que je sois atterrée, dévastée, désespérée, par les événements dramatiques auxquels nous assistons ? Non, je m'y refuse, non par obstination ou par déni mais parce que la vie est infiniment plus puissante que tous les désastres.

- C'est le monde humain qui est parti en vrille, Laure, pas la nature. Ou alors, il faudrait accepter l'idée que la nature accompagne le mouvement, qu'elle nous imite, peut-être même qu'elle pense nous aider, qu'elle participe délibérément au nettoyage.

- Oui, Théo, on l'a déjà évoqué et l'enchaînement des phénomènes plaide pour cette hypothèse.

- Alors, si c'est bien le cas, nous devons changer de regard. Nous devons changer, intérieurement. Le problème, ça n'est pas la nature, c'est nous. »

Il lui tendit la main, la paume vers le ciel.

"L'homme est capable du meilleur comme du pire, mais c'est vraiment dans le pire qu'il est le meilleur.  C'est Grégoire Lacroix qui a écrit ça, il y a longtemps. Il nous reste donc à inverser la tendance. »

Elle serra la main de Théo et ils avancèrent jusqu'au bord de la falaise.

La vallée du Grésivaudan, noyée sous les eaux. D'une extrémité à l'autre. Des flots immobiles, terreux, marrons, gorgés de dépôts, les toits des maisons comme des écueils éparpillés, l'autoroute invisible, le lit de l'Isère totalement effacé.

Théo posa son sac et sortit les jumelles. Sidéré. Un lac immense. Les immeubles de Meylan, Grenoble, Saint Martin d'Hères, émergeant des flots comme des amas de phares éteints. Domène, Le Versoud, Villard-Bonnot, englouties. Lorsqu'il porta son observation vers le sud-est, il atteignit Vizille. Il n'en restait rien. Une immense traînée de roches titanesques à l'entrée de la vallée de la Romanche, un mur gigantesque, plusieurs mètres de haut, des blocs colossaux, comme une montagne réduite en miettes, fragmentée, broyée, le déversoir d'une lame de fond s'étendant sur plusieurs centaines de mètres. Il comprit immédiatement. Le barrage de Gavet avait cédé, l'eau avait ravagé les gorges, Séchilienne, Livet, tous les villages balayés. Un tsunami dans les montagnes. Des millions de mètres cubes d'eau déboulant dans le couloir étroit des gorges. Le cours de l'Isère désormais barré par cette digue, un amas de roches, de blocs de béton, les maisons, les usines, les routes, les forêts, des centaines de milliers d'arbres, un conglomérat empli de cadavres. L'eau s'accumulait. Il distinguait le courant boueux de la Romanche descendant des montagnes et alimentant cette mer intérieure. La quantité de débris flottant n'était pas dénombrable. De chaque côté de la vallée, l'eau s'était établie sur les flancs, ligne horizontale au bord de laquelle, quelques hameaux perchés surplombaient les flots.

Jamais, il n'aurait imaginé pareille catastrophe.

Il baissa les jumelles et se tourna vers Laure.

Elle était debout, immobile, le visage impassible.

Le regard lointain.

Levé vers les cimes.

Elle tendit un bras pour désigner un point précis.

Théo balaya le ciel, scruta l'horizon et ses yeux le trouvèrent.

Un rapace tournoyait. De longues arabesques, sans aucun battement d'ailes, léger comme une plume dans le vent mais avec une parfaite maîtrise de son vol. Des cris aigus, prolongés et qui emplissaient le silence.

Théo regarda Laure.

Elle souriait.

« S'aligner sur la résonance. »

Elle se souvenait de cette expression qui l'avait troublée. Elle en comprenait désormais le sens.

 

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