"Le réseau des tempêtes"

TOUS, SAUF ELLE

"Elle refusait de croire que le désastre n'offrait aucune issue. L'idée tournait en boucle.

Elle avait longuement cherché le paramètre indispensable pour maintenir vivante l'éventualité d'un possible renouveau et la solution lui était venue, comme une évidence, après avoir rejeté toutes les autres idées qui se succédaient et ne menaient à rien.

Les yeux dans le vague.

« Il faudra beaucoup d'amour. »

Elle répéta intérieurement la supplique, comme un mantra salvateur, avec en arrière-plan les images chaotiques de la fin d'un monde.

« Il faudra beaucoup d'amour... Il faudra beaucoup d'amour... Il faudra beaucoup d'amour... »

 

« C’est la tendresse qui va sauver le monde »

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La solitude est à l’origine de 871 000 décès par an dans le monde. Pour Pablo, notre avenir exige de « retrouver la notion de village, de communauté. En France, on n’a pas envie de se rencontrer. Il faut changer ça. »

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Texte: Isabelle Vauconsant Photographie: FG Trade / iStock 20 octobre 2025

Aujourd’hui, Pablo Servigne est surtout connu pour être l’auteur de Comment tout peut s’effondrer, écrit avec Raphaël Stevens et paru en 2015. Dix ans plus tard, il fait paraître le Réseau des tempêtes, un manifeste pour une entraide populaire. Son parcours, à la croisée de la science, de l’éducation populaire et de l’activisme, en fait une figure atypique, un passeur entre les mondes de la raison et de l’émotion.

La loi de la jungle : un mythe à abattre

Pablo Servigne se présente avec une simplicité désarmante : « J’habite dans la Drôme. Je suis un papa de deux enfants, blanc, cisgenre. Je suis là. » Ces mots, prononcés d’une voix calme, trahissent une présence à la fois ancrée et légère, celle d’un homme qui a choisi de vivre en accord avec ses convictions.

Agronome tropical de formation, éthologue de métier, docteur en sciences biologiques, il a passé des années à étudier « les fourmis et les liens sociaux chez les animaux ». Une observation minutieuse du vivant qui explique une grande part de sa réflexion et de ses intuitions.

« La compétition existe dans la nature. Mais la loi de la jungle comme loi unique, cela n’existe pas », attaque Pablo Servigne pour La Relève et La Peste.

Le chercheur déjoue l’un des mythes fondateurs de notre société : celui d’un monde régi par la seule compétition, où ne survivraient que les plus forts. « Déjà, une loi unique dans la nature, cela n’existe pas. J’ai même du mal à utiliser le mot loi. Je préfère parler de principes. » La réalité est bien plus complexe et faite d’interactions multiples autant que subtiles.

Son engagement, il le décrit comme une lutte contre deux « monstres mythologiques » : « La loi du plus fort, et la hiérarchie pyramidale. Ces deux-là se nourrissent l’un l’autre. » Ce sont deux forces à la source des violences qui déchirent le monde : « La compétition généralisée et les structures hiérarchiques créent du chaos. »

Face à cette vision apocalyptique, il oppose une « contre-mythologie » : « L’entraide, la coopération, l’altruisme. Et aussi la régénération de tout ce qui est bottom-up, qui vient du bas. C’est urgent. »

C’est urgent parce que l’effondrement de la biodiversité, la consommation des ressources bien au-delà de leurs capacités de renouvellement et notre aveuglement nous emmène vers des catastrophes auxquelles nous devons faire face dès aujourd’hui et bien moins que demain.

Le Réseau des tempêtes : une utopie concrète

« Le Réseau des tempêtes, c’est d’abord une idée. Puis une association loi 1901. Et peut-être un mouvement, si on peut se permettre de rêver. » L’expression, Pablo Servigne l’emprunte à Joanna Macy, psychologue américaine et figure du « Travail qui relie ». « Elle disait que quand les tempêtes arriveraient, il faudrait éviter que les gens se tapent dessus. Moi, je crois que je suis là pour ça », confie Pablo Servigne à La Relève et La Peste.

Le Réseau des tempêtes promeut l’idée que face aux crises, ce sont les liens d’entraide qui sauvent. « Quand tu as passé quatre à six jours dans ces ateliers, tu te sens en lien avec des gens qui t’étaient inconnus quatre jours avant, et qui deviennent tes frères et sœurs. »

Cette densité de liens est telle que « si les tempêtes arrivent, on s’entraiderait. » La question est simple et très concrète : « Qui vas-tu aider au prix de ta vie et qui va t’aider, même au prix de la sienne ? Mon rêve est de déployer cette densité de liens dans la population. » Parce que c’est une question de survie.

En France, cependant, « on a une culture dans laquelle l’État a pris le monopole du lien social et a tout dézingué en-dessous. » Résultat : « Le seul lien social effervescent entre l’État et l’individu, c’est la famille. Et encore, elle est en train de se désagréger. »

L’individualisme qui s’accompagne de la peur de l’autre empêche le tissage de se faire. Or, pour résister à la verticalité de la violence du système, une solution efficace consiste à tisser des réseaux horizontaux d’entraide. Ces réseaux sont constitués de liens faibles et de liens forts pour un ensemble résistant.

Des liens indissolubles dans la difficulté

« Aujourd’hui, le grand enjeu, c’est de faire du lien. Il faut cartographier le type de liens parce que c’est devenu un mot-valise. Ma boussole, c’est faire du lien qui reste même quand l’électricité disparaît, même quand l’État disparaît ou quand l’espoir disparaît. » 

Pour Pablo, il existe deux types de liens complémentaires. Les liens forts sont familiaux, amicaux, ils sont définis par l’inconditionnalité et la réciprocité. Les liens faibles sont les relations affinitaires, de voisinage, ceux qui sont assortis d’une condition.

Bien entendu les liens peuvent se transformer de faible en fort. La solidité du tissage relationnel est la condition de la résistance aux chocs et de la résilience face à la catastrophe, donc de la survie.

Face à l’épidémie de solitude, l’OMS tire la sonnette d’alarme. La solitude est à l’origine de 871 000 décès par an dans le monde. Pour Pablo, notre avenir exige de « retrouver la notion de village, de communauté. En France, on n’a pas envie de se rencontrer. Il faut changer ça. »

Et de constater à quel point « on a besoin de tendresse, de câlins, d’ocytocine, de regard. On a besoin de se voir, de se toucher. » Il faut se retrouver, se rapprocher, partager tristesse et joie autour « des naissances, des deuils. Les émotions partagées, c’est ce qui soude les communautés humaines depuis la nuit des temps. »

Mais force est de constater qu’on « est analphabète émotionnellement. On est tous décontenancés dès qu’il y a une émotion un peu intense. Il faut s’entraîner à faire face à la peur, à la colère, à la tristesse. »

Comme le souligne aussi Éric La Blanche dans son livre « Osons la colère, éloge d’une émotion interdite par temps de crise planétaire », il est aussi fondamental de ne pas confondre émotion et ressenti, le second empêchant une conduite de la colère vers l’action.

« La boussole est simple : si tu perds des amis, des liens, ta famille, tu es dans la mauvaise direction. »

La collapsologie : du survivalisme à l’entraide

En 2015, Pablo Servigne publie Comment tout peut s’effondrer, un livre qui marque les esprits et bouleverse une génération. Pour certains, ce livre a été vecteur de mouvement, d’autres ont choisi le repli, le survivalisme face à la peur.

« Le survivalisme est une pathologie de la peur. C’est une idéologie du bunker, du repli sur soi. » Le survivalisme est la fin des liens.

« Souvent, les survivalistes font un burn-out au bout d’un an. Ils se rendent compte que l’autonomie tout seul, ce n’est pas possible. » Pour Pablo, la vraie résilience passe par le collectif.

« Un survivaliste est tapi en chacun de nous. C’est normal de vouloir sauver sa peau, sa famille. Mais il ne faut pas en faire une idéologie. » Et, il ne faut pas non plus en faire un mode de vie.

« La peur met en mouvement, mais si elle provoque le repli, cela devient toxique. » Face à la catastrophe annoncée, « la clé est de faire du lien social. Les catastrophes font émerger l’entraide. La qualité du lien social avant les crises est fondamentale pour les traverser. »

D’où pour Pablo, la nécessité de « jouer aux catastrophes », de s’entraîner, de créer des jeux de rôle, des serious games, pour « apprivoiser la peur » et « agrandir sa fenêtre de liberté ». 

La tendresse plutôt que la compétition

« Aujourd’hui, le monde meurt à cause de la compétition généralisée et des structures hiérarchiques. » Pablo n’y va pas par quatre chemins : « C’est un crime contre l’humanité d’apprendre à des milliers de jeunes qui entrent en écoles de commerce, la loi du plus fort, la peur de l’autre, et que leur avenir, c’est la compétition. »

« La compétition, c’est de la violence horizontale. La hiérarchie, c’est de la violence verticale. Les deux se conjuguent dans ce qu’on appelle la montée des fascismes. » Face à cela, « il faut changer la culture. Arrêter avec la compétitivité, tous ces trucs qui nous font chier. 

Ce qui est dangereux, ce n’est pas la nature humaine, c’est la culture occidentale. On a construit une société fondée sur les liens économiques, ces liens qui sidèrent et nient les liens qui libèrent. On est nul en tendresse, en bisous, en soin. Or, c’est la tendresse qui va sauver le monde. » 

Pablo propose un cocktail de joie, de tendresse pour apprivoiser la peur. Et les scientifiques valident l’idée après avoir étudié les grandes catastrophes comme les tsunamis, tremblements de terre, inondations, éruptions volcaniques…

« Quand la catastrophe arrive, les gens cherchent du lien. Ils ne pillent pas, ne tuent pas. Ils s’aident. »

Contrairement à ce que nous racontent souvent les films hollywoodiens, les humains ne s’entretuent pas lorsque la mort est là. Ils cherchent l’autre et coopèrent. Et c’est alors que la recherche de performance disparaît dans l’urgence et que surgit l’efficacité, la vraie, souple et intelligente.

« On a 4 milliards d’années d’évolution pour nous le rappeler : la compétition non cadrée tue tout. La résilience repose sur l’adaptation et la diversité. »

L’entraide comme acte politique

« L’entraide est un mot général qui désigne toutes les manières qu’ont les êtres vivants de s’associer. » Mais pour Pablo, « c’est aussi un pilier de l’anarchisme. Une force horizontale, convergente, qui réunit les gens pour traverser l’adversité. L’entraide est politique parce que c’est une force qui s’oppose à la verticalité des systèmes de domination. La charité est verticale. L’entraide est horizontale. Quand Macron aide, c’est du haut de son mépris. L’entraide se fait entre pairs. »

« Les super-riches s’entraident pour se trouver des bunkers, pour se co-financer. » Comme le dit Monique Pinçon-Charlot, sociologue, « Si nous étions capables du même niveau d’entraide que les plus riches, nous serions inarrêtables. » Car l’entraide est à la fois un facteur de survie et un facteur d’évolution.

« Je lance un appel. Je ne suis pas sûr de moi. C’est une intuition. J’ai envie qu’on co-construise tous ensemble. » Pablo ne veux plus être l’homme blanc scientifique qui dit aux gens ce qu’il faut faire. « J’ai une intuition que j’ai envie de transmettre, mais aucune envie de la porter seul. Merci à celles et ceux qui répondront à cet appel. »

« On est en train de vivre une catastrophe. Mais ceux qui survivront, ce sont ceux qui se seront entraînés à avoir peur, à l’entraide et auront constitué leur réseau des tempêtes. Les individualistes, les méfiants, ceux qui s’isolent mourront les premiers. C’est contre-intuitif, mais cela marche.»

« Alors, on se bouge ? »

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