L'exploration du sentiment océanique.

Depuis plusieurs jours, je lis et relis une étude (un mémoire) réalisée par Dagmar Bonnault sur "le sentiment océanique" à travers l'oeuvre de Pierre Hadot, un terme utilisé la première fois par l'écrivain et philosophe Romain Rolland.

Wikipedia : Le sentiment océanique est une notion qui se rapporte à l'impression ou à la volonté de se ressentir en unité avec l'univers (ou avec ce qui est « plus grand que soi »). Ce sentiment peut être lié à la sensation d'éternité[1]. Cette notion a été formulée par Romain Rolland et est issue de l'influence de Spinoza.

Ce que je retire principalement de cette étude, c'est que nous, en tant qu'individu, nous existons dans un état de conscience endormie, c'est à dire une absence au regard du Réel, de cette perception intégrale de notre insertion dans la vie, non pas dans l'existence mais dans le phénomène vivant et je suis convaincu depuis bien longtemps déjà que la suprématie destructrice de l'humanité est le résultat de cette construction d'une réalité, c'est à dire l'idée commune que nous avons de notre place dans le monde, le maître ordonnateur, possédant le droit de vie ou de mort, alors que nous n'aurions jamais dû nous extraire du réel, c'est à dire de l'unité, l'osmose, la fusion et donc de l'humilité, le respect, l'empathie, envers l'intégralité du vivant.

Le "sentiment océanique" survient lorsque cette conscience endormie explose, lorsque les murailles s'écroulent, que les conditionnements sociétaux, éducatifs, familiaux, historiques sont balayés par un phénomène que nous ne déclenchons aucunement volontairement mais qui s'impose à nous.

Il n'existe pas de méthode et n'importe qui peut être atteint. Beaucoup rejetteront malheureusement le phénomène, par peur, parce qu'il est beaucoup trop perturbant, parce que l'idée de la folie s'impose alors que c'est bien au contraire la destruction du cadre quotidien de la folie qui survient. Car nous sommes bel et bien fous de ne pas être conscients, continuellement, de cette extraordinaire merveille de la vie, fous de considérer que nos formes d'existences sont la norme et que rien d'autre n'importe.

Je suis toujours sidéré et attristé de voir que les individus qui ont basculé hors de ce cadre limitant de la conscience endormie sont perçus comme des "illuminés", voire des déglingués, des fous, et tous ces termes issus de cette population "normale" qui ne peut voir les existences déformatées autrement que par le filtre étroit de leurs certitudes. Alors que ces certitudes ne sont que des conditionnements issus de la société matérialiste.

La société occidentale est matérialiste et inévitablement ses valeurs vont à l'opposé de toute idée et de toute expérience menant à un état de conscience éveillée. Pour la simple raison que les individus éveillés par cet état d'unité n'ont aucunement besoin de la société matérialiste, dans ses outrages et ses exagérations et que la "simplicité volontaire" guide leurs existences. Et que la simplicité volontaire est contraire à l'idée de croissance si chère à toute société matérialiste. 

 

Dagmar BONNAULT – M2 Philosophie – UFR10 - 2015/2016 21

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01427038/document

 Il est possible d’en déduire que ce « sentiment » ou cette « sensation » océanique se situe à
l’intersection du corps et de l’esprit, que les deux y sont mis en jeu. Les hésitations
de Rolland quant au choix des termes les plus adéquats pour traduire son expérience
sont aussi le signe d’une certaine difficulté pour décrire ce sentiment. Il n’est pas
quelque chose que l’on peut exprimer clairement simplement. Il est difficile de
l’exprimer par des mots et cela révèle donc déjà une dimension importante du
sentiment dont il parle, celle de la difficulté qu’il y a justement à en parler.

En somme, ce sentiment océanique correspond aux quatre caractéristiques que William
James attribue à l’expérience mystique21 : il est de nature instable, c’est-à-dire qu’il
n’est pas un état durable, et il ne peut pas non plus être convoqué à volonté ; le sujet
est passif dans l’expérience, elle s’impose à lui ; il a un caractère intuitif : il semble
à celui qui l’éprouve être une forme de connaissance d’un type nouveau mais
extrêmement forte, c’est comme si le voile de l’habitude se déchirait brièvement ;
et enfin : il est difficile d’en parler.

Je suis vraiment heureux d'avoir trouvé l'intégralité de cette étude (103 pages) car elle éclaire, sur le plan philosophique, chacun de mes romans. Alors que je ne connaissais aucunement ces écrits sur le "sentiment océanique" ou sur la mystique sauvage dont j'ai parlé précédemment, j'ai réalisé au fil du temps que mes propres expériences et que mes tentatives de les partager relevaient de phénomènes connus, étudiés, analysés, partagés, commentés depuis des décennies et que la singularité de ces phénomènes induisait une difficulté certaine de transmission orale tout autant qu'écrite. Et qu'il s'agissait donc pour moi d'un défi littéraire.

Comment traduire le plus clairement possible ce qui relève de l'inconnu et comment ne pas dénaturer cet inconnu que certains et certaines ont pourtant traversé ?

Si je reprends chacun de mes huit romans publiés, ils portent tous, à leur manière, selon les circonstances, l'exploration du sentiment océanique.  

 

blog

Ajouter un commentaire