James Lovelock, docteur catastrophe
- Par Thierry LEDRU
- Le 07/09/2024
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Je pense avoir tout lu de cet auteur, ce qui a été traduit, et maintenant, je lis la thèse d'un chercheur du CNRS le concernant et principalement sur l'hypothèse GAÏA.
Gaïa, Terre vivante
Histoire d'une nouvelle conception de la Terre
Sébastien Dutreuil
Qui est Gaïa ? Une proposition scientifique ou un nouveau rapport spirituel, philosophique et politique à la nature ? Gaïa est la divinité grecque qui a surgi après Chaos pour engendrer le monde. Mais c'est aussi le nom que James Lovelock, chimiste et ingénieur anglais, et Lynn Margulis, microbiologiste américaine, ont donné dans les années 1970 à l'hypothèse d'une régulation de l'habitabilité de la Terre par les êtres vivants. Cette figure clivante a généré des débats passionnés dans les sciences, en philosophie, dans la littérature écologiste.
Les critiques la résument à l'idée d'un altruisme biologique global, invalidé par la sélection naturelle et dont il ne resterait que de vaines élucubrations New Age. Lovelock estime quant à lui que l'ensemble de ses réflexions spéculatives sur la Vie et la Terre, élaborées depuis le laboratoire construit dans son garage au fond de la campagne anglaise, est à même de transformer les sciences et la conception moderne de la Nature.
Aucun de ces récits n'est satisfaisant. Ils ne permettent pas de restituer l'immense influence de Gaïa sur les sciences de l'environnement, de la constitution des sciences du système terre au concept d'Anthropocène. Ils masquent les enjeux philosophiques et politiques les plus importants de Gaïa. Cette enquête historique et philosophique cartographie les controverses et propose un nouveau récit. Gaïa est une nouvelle conception de la Terre, un cadre pour penser les pollutions de l'environnement global (climat, ozone, insecticides, pluies acides, etc.). Malgré les réticences qui subsistent à l'évocation du nom de Gaïa, nous pouvons enfin saisir l'influence profonde qu'elle a eue sur les savoirs, les philosophies et les politiques contemporaines de la Terre.
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James Lovelock, docteur catastrophe
La civilisation va disparaître en raison du réchauffement climatique. C'est un scientifique de très haut niveau qui le dit. Dans son dernier livre, "La Revanche de Gaia", il pourfend les illusions du développement durable.
Publié le 10 février 2006 à 13h41, modifié le 10 février 2006 à 13h41
Vraiment, des milliards de gens vont mourir du fait du changement climatique ?" "Oui. Avec le réchauffement, la plus grande partie de la surface du globe va se transformer en désert. Les survivants se grouperont autour de l'Arctique. Mais la place manquera pour tout le monde, alors il y aura des guerres, des populaces déchaînées, des seigneurs de la guerre. Ce n'est pas la Terre qui est menacée, mais la civilisation."
Le ton est des plus tranquilles, et l'on converse dans l'ambiance sereine d'un cabinet de travail au coeur d'un cottage du Devon plus britannique que nature. D'ailleurs, l'aimable grand-père s'étonne lui-même de sa prophétie : "Je suis un homme joyeux, je n'aime pas les histoires de catastrophes. C'est ce qui rend celle-ci si étrange." Il n'en doute pas : un seuil a été franchi, une machine irréversible est en marche, le réchauffement va s'emballer, atteignant 8 °C en un siècle — un niveau insupportable pour la planète et les hommes qui y vivent. Quand aura lieu la crise ? Avant 2050.
On voudrait bien ne pas l'entendre, se complaire dans l'idée que les choses sont en train de s'arranger, que Kyoto avance, que le développement durable modifie peu à peu la donne, que le vilain Bush va quitter la scène. Sauf qu'il est difficile de négliger un des savants les plus rayonnants des dernières décennies : James Lovelock a peut-être des idées fantaisistes, mais c'est une fantaisie qui a fait de lui, au minimum un très grand scientifique, et peut-être l'inventeur d'une théorie qui pourrait le placer dans la lignée des Newton, Maxwell ou Darwin...
Mais qui est-il ? Surprise : en France, il est totalement ignoré. Au mieux aura-t-on entendu parler de l'hypothèse Gaia, une théorie bizarre et un peu suspecte. En Angleterre, c'est un chéri des médias. Il est célèbre en Allemagne, populaire au Japon, traduit en Espagne. La France est-elle trop étroitement cartésienne ou, plus simplement, provinciale ? Peu importe. Sir Lovelock, qui a inventé divers instruments toujours utilisés aujourd'hui, compte plus de 200 articles scientifiques à son actif, est membre de la Royal Society (l'équivalent de l'Académie des sciences française, en plus chic), a accumulé distinctions et titres dont l'énumération remplirait la moitié de cette page. A 86 ans, tout en contemplant avec sérénité la perspective de la mort — "à notre époque, il est immoral de vouloir vivre au-delà de cent ans" —, il parle comme s'il lui restait sa vie à vivre.
D'ailleurs, il aime bien les tournants. Vers 40 ans, raconte-t-il, "j'avais un job très sûr, presque aucune contrainte, un très bon salaire selon les standards de l'époque. Je me voyais aller tranquillement vers la retraite — ça m'horrifiait. Heureusement, j'ai reçu une lettre de la Nasa qui m'invitait à venir concevoir des instruments qui seraient posés sur Mars ou Vénus. Cela m'a donné une excuse honorable pour quitter un employeur parfait."
Le docteur en médecine travaillait depuis 1941 au Medical Research Council de Londres, côtoyant des hommes comme Archer Martin, Prix Nobel de chimie en 1952. James avait notamment étudié le rhume et inventé divers dispositifs, dont l'un, le détecteur par capture d'électrons, s'est imposé comme un classique des instruments de laboratoire. Il n'hésitait pas à payer de sa personne : étudiant les brûlures pendant la guerre, il se brûlait le bras, avec des collègues, plutôt que de sacrifier des lapins innocents. "Au bout d'une semaine, je pouvais mettre une cigarette sur mon bras sans rien sentir. Mais j'étais quand même trop malade, j'ai arrêté ça."
Le voilà donc en 1961 entre Houston et Los Angeles. Il étudie des dispositifs permettant de prélever du sol de Mars afin d'observer si l'on y trouve des traces de vie. Mais le biologiste ingénieur propose une solution différente : "Il fallait analyser la composition de l'atmosphère sur Mars. Mon argument était que, s'il y avait de la vie sur Mars, elle influerait sur l'atmosphère, celle-ci étant à la fois matériau de la vie et réceptacle de ses rejets. L'atmosphère serait transformée, ce que révélerait l'analyse."
Il conçoit des expériences à cette fin, et commence à faire germer l'idée qui va le rendre célèbre : "Il est apparu que l'atmosphère de Mars était complètement équilibrée, et qu'il n'y avait pas de vie. Or, sur la Terre, il y a une atmosphère extraordinaire, avec un gaz très réactif, l'oxygène : elle devrait être très instable, mais elle reste pourtant toujours au même niveau, favorable à la vie. Vous pouvez en déduire que quelque chose doit la réguler pour qu'il reste constant." L'hypothèse que la Terre constitue un ensemble vivant autorégulé naît. Elle prend le nom de "Gaia" — la Terre mère, dans la mythologie grecque —, suggéré par son ami William Golding, qui recevra le prix Nobel de littérature en 1983.
Après ces années 1960, le développement de la théorie Gaia va occuper l'essentiel de la vie de Lovelock, qui subsiste confortablement en tant que scientifique indépendant, consultant pour des organisations comme la Nasa ou la société Shell. En 2001, plusieurs sociétés savantes internationales (Diversitas, IGBP, etc.) endossent la théorie, déclarant que "le système Terre se comporte comme un système unitaire autorégulé constitué des composants physiques, chimiques, biologiques et humains". L'ancien quaker — il a abandonné la foi en 1951, devenant agnostique — prend bien garde à ne pas se laisser entraîner dans une interprétation spiritualiste de sa théorie. Mais il précise qu'"en privé" il considère "l'espèce humaine comme le système nerveux de Gaia".
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Ce système nerveux se transforme en empoisonneur, affirme Lovelock dans The Revenge of Gaia (La Revanche de Gaia), qui paraît en Grande-Bretagne ces jours-ci chez Penguin. "Cela me rappelle 1938 : les gens, les politiciens, tout le monde savait que la guerre arrivait, mais personne n'agissait de manière sensée. Notre situation est similaire : le désastre peut survenir soudainement."
Il pourfend les illusions du développement durable ou des éoliennes, appelle à la décroissance des consommations matérielles, à une "retraite" de l'économisme — et constate l'inertie des sociétés industrielles. La catastrophe est à la porte et nous ne faisons rien. Mais, au fond, on dirait que cet homme gai et dont le parcours est un tissu d'imagination et d'indépendance peine à croire à sa prophétie. "La vie est si excitante."
Hervé Kempf
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