L'insignifiante réalité

 

 

"La connaissance ouvre la conscience. Vaut-il mieux être malheureux en conscience ou heureux par inconscience ?"

Sylvie Raffin-Callot

 

J'ai vécu une partie de ma vie dans une totale insouciance au regard de l'état de la nature. J'ai goûté au bonheur de la haute montagne, des randonnées en forêts, des baignades dans des lacs d'altitude, des raids à vélo, des sorties de ski de randonnée, des milliers d'heures à courir, à marcher, à pédaler, à skier, à nager, à contempler les beautés de la Terre.

Puis, avec l'âge et de multiples lectures sur la biodiversité, l'impact de l'humain sur la faune, la flore, le climat, les cours d'eau, les océans, l'atmosphère, la souffrance animale, j'ai basculé de l'insouciance à une forme de désespérance, un assommoir qui ne cesse de me frapper, une connaissance pesante et qui reste, malgré ses effets, absolument nécessaire parce qu'elle me permet d'agir en conscience.

Alors oui, cette conscience est douloureuse mais cette douleur est compensée par les effets de mon engagement, un effet dérisoire au regard du désastre planétaire mais un effet qui me permet de me supporter, en tant qu'humain.

J'ai même longtemps écrit des textes qui explorait la dimension spirituelle et quelque peu philosophique, à mon humble niveau. Puis j'ai arrêté ce travail intérieur parce que cette conscience de la vie et de mon impact sur elle me montrait à quel point ma quête spirituelle était artificielle, déconnectée du monde réel, ce que j'ai fini par appeler "mon insignifiante réalité".

Je vivais dans une sphère "intellectuelle" qui conférait à un état de "hors sol" bien que je passais la majeure partie de ma vie dehors, au plus près de la nature. Une nature dont je ne connaissais finalement pas grand-chose. Elle n'était qu'un terrain de jeu, une scène plaisante qui répondait à mes besoins physiques.

Il n'aurait servi à rien que je regrette cet état d'insouciance, que je me flagelle pour toutes les erreurs passées. Puisque j'avais enfin accédé à un état de conscience.

Libéré de "l'ego encapsulé" (Alan watts), il fallait que j'en fasse quelque chose.

Comme le dit très justement Sylvie Raffin-Callot (que je remercie pour la concision parfaite de sa réflexion), j'alterne entre la douleur générée par cette conscience et la satisfaction d'agir désormais selon ma conscience. Je gagne à travers la douleur une sérénité réelle et non un bien-être égotique. La question se pose d'ailleurs de savoir si toutes les thérapies qui proposent d'aller mieux dans un monde qui va mal ne participent pas finalement elles-mêmes à ce monde. Si l'objectif est de supporter ce monde et de parvenir à s'y insérer sans souffrance mais sans rien y changer, c'est juste un travail sur soi mais cela n'a aucune incidence sur le monde lui-même.

Ce monde va-t-il mal parce que trop de gens le supportent encore ? Faudra-t-il donc attendre que la douleur de l'état de conscience se généralise pour commencer à entrevoir la possibilité d'une évolution planétaire ?

Alors qu'advienne la douleur de la conscience, pour tous, qu'elle soit si forte que les nuits en deviennent blanches. Je ne parle pas des nuits blanches parce que la situation affective, amoureuse, familiale, sociale, professionnelle serait difficile.

Je parle des nuits blanches au regard de la douleur envers la planète créée par l'humain, ce fameux phénomène anthropique dont parle les scientifiques, ces tout autant fameux scientifiques tant décriés, tant moqués, ignorés, conspués.

Notre plus jeune garçon, qui a désormais trente ans, a obtenu un doctorat en sciences de l'écologie et son rêve était de travailler dans la recherche.

BAC + 8.

Il arrête tout aujourd'hui car le travail d'un chercheur, depuis quelque temps déjà, c'est surtout de chercher des financements pour ses recherches et de remplir des tonnes de papier, de documents, de demandes administratives et la plupart du temps pour n'avoir qu'un refus. La science qui n’œuvre pas dans un domaine rentable, qui travaille sur des projections écologiques, sur des alertes, sur des états des lieux et des visions de l'avenir, ça n'est pas exploitable, ça ne rapporte rien, c'est mal vu...

Nous sommes entrés dans une période sombre et peu de gens ont idée des noirceurs à venir. Pire même, ils ne veulent surtout pas en entendre parler.

C'est ce que j'appelle « l'insignifiante réalité » de l'individu.

Et c'est elle qui dirige..

Des politiciens qui nous gouvernent à ceux qui les élisent.

 

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