Le Tantra : art de vivre
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/12/2018
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Roger-Michel Berger : « Le tantra, ce n’est pas que du sexe »
Qui dit tantra, dit sexe, pense-t-on souvent. Et la promesse d’une sexualité sacrée, de massages érotiques, ou encore de techniques pour avoir plus de plaisir… Mais cette philosophie n’ouvre pas uniquement la voie à une sexualité différente. Elle constitue aussi un véritable chemin de développement personnel. Un voyage vers soi. Initiation avec Roger-Michel Berger, auteur de Le Tantra, un art de vivre, un art d’aimer.
Propos recueillis par Margaux Rambert
© iStock
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En France et en Occident, on associe le tantra au sexe. Pourquoi ?
Roger-Michel Berger : Parce que les médias et certains organisateurs de stages ont véhiculé cette idée-là. Le massage tantrique est notamment très à la mode dans le monde de la prostitution. Mais si vous regardez les textes anciens, par exemple le Vijñâna Bhairava, sur les 112 pratiques de tantra, il n’y en a que trois qui parlent de sexe.
En quoi le tantra dépasse-t-il le champ de la sexualité ?
Roger-Michel Berger : Le tantra est un art de vivre. Une philosophie, une voie spirituelle laïque. Le mot sanskrit tantra veut dire « tissage ». Et « texte, livre ». Une des notions clés est ce qu’on appelle, toujours en sanskrit, le spanda. C’est-à-dire la vibration, le frémissement de la vie. Pour pouvoir le ressentir, il faut être vraiment dans la présence. Grâce, notamment, à la méditation. Le tantra est aussi un chemin vers soi-même. Il aide à prendre conscience de qui l’on est, de ses faiblesses, de ses ombres aussi. A se libérer de ses peurs et de ses blocages. C’est une voie de développement personnel.
Chez certains, le tantra a mauvaise presse : pour ses détracteurs, il serait même dangereux et synonyme de laisser-aller sexuel, de débauche…
Roger-Michel Berger : En quoi est-il dangereux de devenir amoureux de la vie ? Le tantra aide à augmenter son potentiel, à avoir moins peur… Certes, certains font du tantra car ils n’ont pas encore vécu vraiment leur sexualité. Alors ils ont besoin de cela. Mais c’est un tout début. Dans le tantra, on souligne la noblesse du corps. Le sexe fait partie du tout. C’est une force de vie incroyable.
C’est pour cela que dans les temples indiens, il y a des représentations de gens qui font l’amour dans toutes les positions possibles. L’idée n’est pas d’exciter. Mais celui qui est éveillé va se réjouir de cette image de la sexualité. En fait, le sexe peut être un point de départ : on peut ressentir des choses magnifiques. Et si on continue dans cette voie, on peut aller plus loin. Et arriver alors à l’éveil, un état de méditation et de présence permanente.
Concrètement, en quoi consiste cet art de vivre au quotidien ?
Roger-Michel Berger : Un travail essentiel concerne la respiration. C’est la méditation fondamentale. Nous respirons environ toutes les quatre secondes, soit 21 600 fois par jour. Mais nous n’en avons pas conscience. Sauf lorsque nous sortons du bureau et que nous prenons une bouffée d’air, par exemple. Ensuite, il y a tout un travail sur ses limites, sur l’espace. La méditation peut vous rendre poreux. Vous pouvez laisser tomber les frontières de votre corps. Et ainsi vous ouvrir davantage aux autres et ne faire plus qu’un avec l’univers.
Il vous est sûrement déjà arrivé de ressentir cela : un instant d’éternité. Que cela soit en faisant l’amour, en contemplant un beau paysage, en entendant une belle musique… Ces petits instants sont des clins d’œil du divin. Une pratique consiste à les cultiver. Dans ces instants-là, nous ne sommes plus séparés du tout. C’est ce que l’écrivain Romain Rolland, dans une lettre à Freud, appelait « le sentiment océanique ».
En quoi le tantra est-il aussi un art d’aimer ?
Roger-Michel Berger : C’est un art d’aimer car on parle aussi de sexe (mais pas que !). Quand on pense sexualité, on pense tout de suite à mettre les sexes ensemble et à bouger beaucoup. A avoir un orgasme, si possible plusieurs, et si possible en même temps. Mais on peut aussi faire l’amour en se regardant dans les yeux.
Le tantra est loin de toute logique de performance. On devient d’ailleurs véritablement orgasmique au moment où l’on n’a plus l’objectif de l’orgasme. C’est à ce moment-là que le corps s’ouvre, et que la jouissance nous tombe dessus comme une grâce. Le tantra nous conseille par exemple de rester dans l’espace entre l’excitation du début et l’orgasme. C’est un espace extraordinaire à explorer. Mais cela suppose d’avoir une sexualité différente, plus féminine.
En quoi cette sexualité est-elle plus féminine ?
Roger-Michel Berger : Il y a moins d’activité, plus de détente… Ce n’est pas comme dans les films pornographiques où les gens n’arrêtent pas de bouger et d’avoir des orgasmes à répétition. Là, il s’agit de mettre les sexes ensemble, car ils ont leur intelligence propre. Avec tout ce que nous avons appris – ou pas – sur la sexualité, nous faisons faire à nos organes sexuels des choses dont ils n’ont pas forcément envie. Si nous mettons nos sexes ensemble et que nous les laissons faire, c'est-à-dire que nous restons simplement « l’un dans l’autre », nous pouvons alors développer des sensations beaucoup plus subtiles, délicates, qui sont délicieuses à explorer. Le sexe devient une méditation. Le matin, un couple peut très bien « se mettre ainsi ensemble » dix-quinze minutes. Et profiter des subtiles énergies qu’il aura échangées toute la journée durant.
Quelle est la différence entre le tantra et ce que l’on appelle le néo-tantra ?
Roger-Michel Berger : Le néo-tantra est un tantra qui a été adapté à l’Occident. Pour un Oriental, méditer en restant assis deux heures ne pose pas de problème. Pour les Occidentaux, davantage. On a donc développé des méditations actives où l’on fait travailler le corps, comme ça le mental peut se reposer un peu. L’autre apport du néo-tantra, c’est le côté social, le travail en groupe. Celui-ci apporte un champ d’énergie, car les gens sont soutenus par le groupe. Ca aide aussi dans le travail sur les émotions.
Vous organisez des stages pour les couples. En quoi consistent-ils ?
Roger-Michel Berger : On n’apprend pas à l’école à être en couple. L’idée, c’est de donner aux couples qui viennent en stage des clés pour cultiver leur relation. De les aider à (ré)apprendre à se regarder, à mieux communiquer, notamment par le toucher. Par exemple, on considère souvent que le massage est un préliminaire à une relation sexuelle. Sauf que dans ce cas, on n’est plus dans le présent, mais dans le futur. L’idée, c’est au contraire d’apprendre à masser sans objectif. D’être vraiment dans la présence. Dans le don.
Qu’est-ce que le tantra vous a apporté à vous-même ?
Roger-Michel Berger : Cela fait vingt-cinq ans que je pratique et plus de douze ans que j’enseigne. Grâce au tantra, je suis bien dans ma peau. J’ai également acquis une meilleure compréhension de ma femme et de comment vivre à deux. Ainsi que des outils pour être en couple dans la durée. Le tantra m’a également apporté plus de plaisir dans ma sexualité et une meilleure compréhension de la sexualité de la femme...
Comment s’initier au tantra ? Reconnaître les vrais des faux maîtres ?
Roger-Michel Berger : Ce qui est fondamental, c’est le respect de soi-même. Il y a des gens qui ont de la peine à poser leurs limites. La première chose à faire, c’est donc de tester les gens qui veulent vous donner une formation de tantra : serez-vous obligé de faire toutes les pratiques ? Pour nous, il est évident que personne ne l’est. On a toujours dans notre salle un « coin bleu ». Quand quelqu’un trouve qu’une pratique dépasse ses possibilités, il peut aller dans ce coin. Il nous est arrivé de récupérer des personnes qui s’étaient retrouvées dans des stages de sexualité de groupe, ce qui est bien plus de l’ordre de la partouze que du tantra. Au début, ils ne voulaient plus entendre parler de tantra. Le mieux, c’est donc aussi de récolter des témoignages de personnes qui ont déjà participé au stage qui vous intéresse.
Tantra : trois exemples de pratiques, issues du livre de Roger-Michel Berger : "Le Tantra, art de vivre, art d’aimer" (Guy Trédaniel).
Pratique : accueillir la journée
" Le matin, en te levant, prends le temps de te mettre à la fenêtre, sur le balcon ou dans le jardin. Relâche tes épaules, laisse tes bras ballants le long du corps puis ouvre les paumes vers l’extérieur, dans une posture d’accueil. Prends un temps pour accueillir cette toute nouvelle journée de vie, cette journée unique.
Prends conscience que tu ne l’as encore jamais vécue et que tu ne la vivras plus jamais. C’est une journée toute neuve.
Ce mouvement d’ouverture des paumes, tu peux aussi le faire tout au long de la journée. Ce geste extrêmement simple ouvre la poitrine et redresse le corps. Ainsi, tu es dans une posture d’ouverture et d’accueil."
Pratique : la salutation du cœur
"Asseyez-vous l’un en face de l’autre, par exemple sur un coussin, à une distance qui vous permettra de vous incliner jusqu’à ce que vos fronts se touchent.
Commencez par vous regarder avec gentillesse. Lorsque vous vous sentez prêts, en regardant votre partenaire, joignez les paumes de vos mains en touchant le sol. Levez vos mains ainsi jointes, amenez-les jusqu’à votre cœur en inspirant. En gardant les mains jointes au niveau de votre cœur, inclinez-vous en avant, en expirant et en regardant votre partenaire dans les yeux, jusqu’à ce que vos fronts se touchent délicatement. Restez un instant ainsi, les yeux dans les yeux avec un sentiment de respect pour l’autre. Puis en inspirant, relevez-vous, tout en gardant le contact avec les yeux et en expirant, laissez vos mains jointes redescendre jusqu’au sol.
Vous pouvez à présent vous dire une parole honorant votre partenaire, par exemple « Je t’honore comme un aspect du divin ».
Vous pouvez aussi imaginer pendant cette salutation que vous prenez l’énergie de la terre en inspirant et l’amenez à votre cœur et qu’à la fin, vous redonnez, en expirant, l’énergie à la terre."
Pratique : la méditation du non faire
Prévoyez une demi-heure à une heure pour cette pratique que vous pouvez faire avec vos vêtements. Faites-vous une salutation du cœur. Installez-vous tête-bêche, les jambes en ciseaux, de manière à ce que vos sexes se touchent. Trouvez la position la plus confortable possible pour chacun. Puis restez ainsi en ne faisant rien, strictement rien.
Ne cherchez pas à vous exciter ou à exciter l’autre, ne faites aucun mouvement. Soyez totalement dans le ressenti. Sentez l’énergie de l’autre dans votre sexe, sentez sa chaleur se développer à l’intérieur de vous.
Terminez par une salutation du cœur.
Une variante consiste à pratiquer cette méditation dans un hamac. Ainsi, vos poids auront tendance à vous joindre l’un contre l’autre.
Vous pouvez aussi pratiquer cette méditation en pénétration, le sexe de l’homme à l’intérieur de la femme. Mais là, il faut veiller à ne pas partir dans l’excitation, mais rester totalement détendus pour vraiment goûter la saveur de cette pratique.
Pour aller plus loin
==> Êtes-vous prêt(e) pour le sexe tantrique ?
Dans notre quête d’épanouissement sexuel, les traditions orientales ont le vent en poupe, avec un fort engouement pour le tantra. Une philosophie de vie qui est aussi une voie vers une sexualité différente, un chemin vers l'extase. Pour savoir si vous êtes prêt(e) à expérimenter cette vision unique du désir, de l’union et de l’orgasme, faites le point sur votre rapport à la sexualité et découvrez ce que le tantra pourrait vous apporter ! Peut-être êtes-vous plutôt un(e) tantrika en « herbe » ou bien confirmé(e).
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