Matière et antimatière

Je regrette de n'avoir pas écouté suffisamment les cours de sciences au lycée. Je n'avais que la philosophie et la littérature en tête. J'essaie à 60 ans de rattraper mon retard. 

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SCIENCES FONDAMENTALES

Origine de la matière : l’Univers aurait dû durer moins de 1 seconde

 

PUBLIÉ LE 05 JUIN 2023 À 08H00  MODIFIÉ LE 5 JUIN 2023PAR SIMON DEVOS

Aux origines de la matière

Crédit photo : Shutterstock

Tout s'est joué dans les premiers instants de l'Univers, dans la milliseconde qui a suivi le big bang. Là, s'est glissé un minuscule bug, une erreur primordiale. Alors que la matière qui nous compose était vouée à disparaître, elle a finalement survécu… Que s'est-il passé ?

Que quelque chose existe, on peut en être tout à fait certain. Notre incommensurable Univers, souvent décrit à tort comme majoritairement vide, regorge d’étoiles flamboyantes, de splendides nébuleuses, de galaxies imposantes et d’insondables trous noirs. La matière est absolument partout… et c’est bien ça, le problème. Quelque chose cloche.

“C’est simple : si l’on suit à la lettre le modèle standard de la cosmologie – théorie qui, jusqu’à preuve du contraire, décrit le mieux les grandes étapes de l’Univers -, rien de tout cela ne devrait être. Tout aurait dû rester complètement vide”, assène la physicienne des particules Gudrun Hiller, de l’université de Dortmund, en Allemagne. Or il n’en est rien, ou plutôt or tout est. Un processus fondamental, un gigantesque paradoxe échappe à notre entendement, tenant les physiciens en échec depuis des décennies. Vous, moi et tout ce qui nous entoure, jusqu’à la moindre particule. Nous ne devrions pas exister. En tout cas, en théorie.

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L’origine de ce problème se situe aux tout premiers instants de l’Univers, juste après le big bang, lors de la phase de création de la matière et de sa sœur jumelle, l’antimatière (voir l’infographie ci-contre). L’existence de cette dernière a été confirmée par l’observation dès les années 1930. Elle s’est révélée composée de particules en tout point identiques aux quarks, électrons ou autres neutrinos constituant la matière classique. Certains de leurs paramètres, par contre, lui sont diamétralement opposés, comme leur charge électrique.

Pourtant, “d’après les prédictions du modèle standard de la physique des particules, matière et antimatière auraient dû être créées dans des proportions équivalentes, à la particule près” , indique Thomas Lefort, du Laboratoire de physique corpusculaire de Caen. C’est d’ailleurs ce que l’on observe lorsque l’on fait s’entrechoquer des particules entre elles à haute vitesse : le résultat est toujours une combinaison de matière et d’antimatière en exactes mêmes quantités.”

En théorie, matière et antimatière auraient dû s’anéantir mutuellement dès l’origine, laissant l’Univers désespérément vide.

Seulement voilà, les deux sœurs ne peuvent en aucun cas se rencontrer sans violent coup d’éclat. La collision entre une particule de matière et une d’antimatière provoque immanquablement une annihilation totale des deux protagonistes, accompagnée de la libération d’une énorme quantité d’énergie. Conséquence du point de vue théorique : dès l’instant qui suivit leur création, matière et antimatière, en proportions égales, auraient dû se rencontrer et s’anéantir mutuellement. Il n’aurait ensuite subsisté qu’un vaste Univers, désespérément vide, marqué à jamais par la lumière blafarde de ce cataclysme originel.

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MATIÈRE : UNE ASYMÉTRIE INITIALE

Mais ce n’est pas arrivé – heureusement, d’ailleurs. Quelque chose dissone, mais quoi ? “Pour sortir de cette impasse, le seul moyen est de postuler qu’à un moment donné, la matière l’a emporté sur l’antimatière”, expose Stéphane Lavignac, de l’Institut de physique théorique de Paris-Saclay. Ce qui implique nécessairement qu’un mystérieux processus, non inclus dans les théories actuelles de physique des particules, a d’une certaine façon favorisé la matière. Celle-ci se serait alors formée dans des proportions légèrement plus grandes que celles de sa sœur jumelle. Et lors de la grande annihilation, quand la totalité de l’antimatière et une quantité équivalente de matière furent réduites à néant, un surplus de la matière originelle, peut-être 1 atome sur 1 milliard, aurait survécu pour former absolument tout ce qui est.


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Ce postulat est soutenu par les observations actuelles : que ce soit dans notre environnement proche ou plus lointain, de la Terre au Système solaire, de la Voie lactée aux galaxies les plus éloignées, tout semble composé de matière. “Certaines expériences se sont bien mises en quête d’atomes d’antihélium, qui seraient produits par d’hypothétiques antié-toiles, révèle l’expérimentateur Guillaume Pignol, du Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble. Mais même si plusieurs candidates ont d’ores et déjà été proposées, aucune n’a été confirmée pour le moment . Les étoiles restent bel et bien composées de matière ordinaire.”

Idem pour l’Univers lointain ! Si des quantités non négligeables d’antimatière subsistaient, les chercheurs en auraient forcément observé la trace au cours d’épisodes ponctuels d’annihilation. La rencontre avec la matière laissant derrière elle une signature tout à fait caractéristique, sous la forme de rayons gamma. L’antimatière est donc bien manquante : l’asymétrie initiale entre matière et antimatière ne fait aucun doute.

Reste à découvrir ce petit “quelque chose” qui l’a provoquée, et qui échappe encore au modèle théorique actuel. En réalité, comme l’a théorisé en 1967 le physicien d’origine russe Andreï Sakharov dans un travail de référence, des petits “quelque chose”, il en faut même trois. Un trio de conditions absolument indispensables pour passer d’un Univers parfaitement équilibré, et donc vide, à cet inévitable déséquilibre de matière (voir l’infographie ci-contre). Et toutes seraient survenues juste après l’inflation, le moment d’expansion extrêmement rapide de l’Univers. Car durant ses premiers instants, notre Univers aurait été tout simplement trop chaud pour permettre l’existence même de la matière.

Mais à la phase suivante, appelée la “baryogénèse”, qui aurait démarré quelque part entre 10-32 et 10-12 seconde après le big bang. Des baryons, particules composées de trois quarks comme les neutrons et les protons, se seraient formés. Ici survient la première condition. Pour Sakharov, un processus devait intervenir à cet instant précis, induisant la violation d’une caractéristique liée à la transformation de la matière en antimatière, et inversement. Ce que l’on nomme “conservation du nombre baryonique”.

La matière est partout !

Une fraction de la matière, 1 atome sur 1 milliard, a survécu à l’annihilation. C’est elle qui a formé atomes, étoiles, planètes et galaxies. Que s’est-il passé ? Tout se serait joué juste après l’inflation, dans la phase dite de baryogénèse. Pour l’expliquer, 3 conditions sont nécessaires…

#1. Une constante admise par la théorie n’a pas été respectée

Il s’agit de la “conservation du nombre baryonique”. Cette caractéristique est liée à la transformation de matière en antimatière, et inversement. Normalement nulle, cette constante aurait penché vers la création de matière.

#2. L’équilibre thermique de l’Univers s’est effondré

Sans quoi les conditions qui régnaient au commencement n’auraient pas permis la création d’un surplus de matière.

#3. Matière et antimatière ne sont pas régies par les mêmes règles

Il y aurait une rupture dans la symétrie CP : c’est elle qui échappe encore aux physiciens du monde entier. L’antimatière ne serait pas soumise à la même physique que sa contrepartie et le socle même du modèle standard s’envolerait. Si elle était observée, cette rupture de la symétrie pourrait chambouler la physique.

GRÉGOIRE CIRADE

DES RÉSULTATS INATTENDUS

Deux autres ingrédients sont encore nécessaires à notre monde de particules. Déjà, l’équilibre thermique qui régnait aux débuts de l’Univers ne permettait pas de créer un surplus de matière. Il fallait donc qu’il se soit effondré d’une manière ou d’une autre. Il faut enfin que matière et antimatière obéissent à des lois physiques sensiblement différentes.

“Cette dernière condition revient à violer ce que l’on appelle la symétrie CP, C tenant pour charge, et P pour parité , décrit la théoricienne Nazila Mahmoudi, du Cern. La symétrie CP est fortement liée au modèle standard de la physique des particules, et permet en théorie de remplacer, dans n’importe quelle situation, une particule de matière par une autre d’antimatière, sans qu’il y ait de conséquences visibles.”

La recette était découverte. Elle nécessite trois ingrédients miracles – la violation de la conservation du nombre baryonique, la rupture de l’équilibre thermique et la violation de la symétrie CP – et un instant précis – la baryogénèse. Les années suivantes, les scientifiques se sont donc évertués à aller plus loin. Dénicher l’origine physique des trois conditions de Sakharov. La première ne posa pas problème. La violation du nombre baryonique est tout à fait cohérente avec le cadre théorique du modèle standard de la physique.

Concernant la rupture de l’équilibre thermique, ce fut un peu plus compliqué. « Elle implique que des symétries présentes à très haute température se soient brisées lorsque l’Univers s’est refroidi, précise Stéphane Lavignac. Ce n’est pas évident, mais loin d’être incompatible avec le cadre général du début de l’Univers, très chaud et en rapide expansion ».

Restait la dernière condition de Sakharov. La violation de la symétrie CP, la preuve que les particules de matière et d’antimatière peuvent être soumises à des physiques différentes. Celle-ci a longtemps laissé les théoriciens perplexes. Les symétries jouent en effet un rôle crucial en physique des particules. Au point d’avoir servi de socle dans la construction du modèle standard. Comment alors expliquer l’existence d’une violation de la CP, indispensable à la baryogénèse, tout en étant en désaccord complet avec la théorie et les observations de l’époque ? Dans les années 1960, quelques équipes de recherche ont tout de même entrepris de sonder les particules de matière en quête de ses empreintes.

Et ils en ont trouvé ! La toute première preuve observationnelle concernait des particules constituées d’un quark et d’un antiquark : les kaons. Une équipe de l’université de Princeton, aux États-Unis, a réussi à débusquer une anomalie dans le processus naturel de désintégration des kaons neutres. Dans certains cas, les produits de cette transformation n’étaient pas du tout conformes à la théorie. “Un résultat qui n’est possible que si l’interaction faible, force responsable de la désintégration des particules, brisait la symétrie CP” , précise Nazila Mahmoudi

. Rapidement, d’autres indices de cette violation de CP ont été observés au cours du XXe siècle. Et les théoriciens furent contraints d’apporter quelques petites modifications à la théorie du modèle standard, afin de pouvoir les expliquer. Désormais, la violation de CP fait partie intégrante de notre compréhension du monde.

« Une simple mesure pourrait faire entrer la physique dans une nouvelle ère » – GUDRUN HILLER, Physicienne à l’université de Dortmund, en Allemagne

 GUDRUN HILLER Physicienne à l’université de Dortmund, en Allemagne

AU-DELÀ DU MODÈLE STANDARD

L’un des plus grands mystères de la physique, l’existence de la matière elle-même, serait-il résolu ? Pas du tout. « La portion de violation CP incluse dans la théorie reste très insuffisante pour engendrer l’asymétrie originelle entre matière et antimatière, reconnaît David London, de l’université de Montréal. Il faut donc chercher plus loin.” Ce à quoi s’adonnent de nombreuses équipes de recherche à travers le Globe.

En ce moment, quatre expériences d’envergure colossale et de haute précision se mettent en place. Le but ? Capter de nouvelles signatures inédites de cette si fuyante violation de CP. En Suisse, derrière le blindage magnétique le plus épais jamais construit, des chercheurs entendent débusquer un moment dipolaire électrique. Pourtant théoriquement neutre, chez le neutron. Au LHC, le plus grand accélérateur de particules au monde, la désintégration de l’antiméson B, soupçonnée d’être différente de celle de son pendant, le méson B, est scrutée. De la côte est vers la côte ouest du Japon, des neutrinos et antineutrinos sont lancés à toute vitesse. Et leurs oscillations, étonnamment non similaires, âprement analysées. Enfin, au Cern, dans un accélérateur linéaire. Des physiciens tentent de dévoiler le comportement aberrant de l’antihydrogène face à la gravité.

« Nous sommes en quête d’une direction dans laquelle chercher » – NAZILA MAHMOUDI, Physicienne théorique au Cern

NAZILA MAHMOUDI Physicienne théorique au Cern

“Ces expériences sont en quelque sorte nos lanternes dans l’obscurité, commente Igor Bray, de l’université Curtin en Australie. Puisque nous n’avons pas vraiment de cadre en tête pour cette nouvelle violation de symétrie CP, ce sont elles qui pourraient nous éclairer sur la physique qui se cache au-delà du modèle standard ». Et qui promettent de nous expliquer pourquoi vous, moi, elles-mêmes et tout ce qui nous entoure existons.

« Une brisure de symétrie est forcément apparue à un moment dans l’histoire de notre Univers ». – STÉPHANE LAVIGNAC, Physicien de l’Institut de physique théorique de Paris-Saclay

 

 

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