Plogoff et les violences policières

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Entre 1975 et 1981, les opposants à la centrale nucléaire à Plogoff, dans le Finistère, s’organisent et luttent jusqu’à l’abandon du projet. Point culminant de ce combat antinucléaire : l’enquête d’utilité publique. Retour en images sur ce début d’année 1980.

Le comité de défense de Beuzec-Cap-Sizun (Finistère) en lutte contre l’implantation d’une centrale nucléaire à Plogoff a installé une banderole « Non au nucléaire » dans le clocher de la paroisse de Beuzec. Elle y restera plusieurs semaines. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

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Ouest-FranceNawal LYAMINI (avec le service photothèque d’Ouest-France).Publié le 07/08/2020 à 11h22

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Avec le choc pétrolier de 1973, la France accélère son programme nucléaire et ambitionne de construire des centaines de centrales nucléaires partout en France. En Bretagne, plusieurs sites sont pressentis mais le Conseil régional vote pour Plogoff, petite ville à la pointe du Finistère, à quelques kilomètres de la Pointe du Raz, aujourd’hui protégée.

Alors que l’Amoco Cadiz vient de déverser des milliers de litres de pétrole sur les côtes bretonnes, les opposants au nucléaire deviennent de plus en plus nombreux dans la région. Bien avant que le site de Plogoff et des communes du Cap-Sizun ne soient officiellement choisis, des manifestations ont lieu dans le Finistère et rassemblent des milliers de personnes.

Rassemblement à l’occasion de la journée internationale antinucléaire contre l’implantation d’une centrale nucléaire en Bretagne. La dizaine de tracteurs labourera ensuite une parcelle acquise par le Groupement foncier agricole de Plogoff (03/06/1979) | ARCHIVES OUEST-FRANCE

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En mars 1978, plus de 15 000 personnes sont ainsi présentes à Brest pour protester contre l’implantation d’une centrale nucléaire et les dangers que cela représente. Quelques mois plus tard, un Groupement foncier agricole (GFA) est créé, de manière à compliquer les expropriations que pourraient envisager EDF pour construire la centrale et les infrastructures annexes nécessaires à son fonctionnement.

Ci-dessus, une manifestation à Plogoff, le 3 juin 1979, avec en tête des tracteurs qui laboureront ensuite, une des parcelles achetées par le GFA. Celle-ci se déroule quelques mois après l’accident nucléaire de Three Mile Island, l’une des pires catastrophes nucléaires aux Etats-Unis.

Les mairies annexes, installés près de la chapelle Saint-Yves, à Plogoff, et surveillées par des gendarmes mobiles, sous l’œil des opposants au projet. | JEAN-PIERRE PREVEL/ARCHIVES OUEST-FRANCE

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Deux tiers des habitants de Plogoff se mobilisent

Près des deux tiers des habitants de Plogoff se mobilisent contre l’implantation d’une centrale sur la commune. Les opposants travaillent alors à informer la population locale, et dans toute la Bretagne, en créant des Comité locaux d’information nucléaire (CLIN).

Ces CLIN seront très actifs jusqu’à l’abandon du projet en 1981, effectuant un travail de terrain pour informer sur les différents aspects de l’énergie nucléaire, et ainsi contrer la propagande d’EDF et le manque d’information de l’État.

Mais en janvier 1980, la lutte de Plogoff prend une nouvelle tournure avec le déclenchement de l’enquête d’utilité publique. Nécessaire à la validation du projet, celle-ci est rejetée par la population opposée à la centrale. Après les nombreuses manifestations et actions pour appuyer leur refus, élus et population s’engagent dans de nouvelles méthodes afin de faire entendre leur point de vue.

À quelques jours de l’ouverture de l’enquête, l’État fait envoyer les dossiers relatifs au projet dans les mairies des quatre communes concernées : Plogoff, Primelin, Cléden et Goulien.

À la veille de l’enquête d’utilité publique, des élus du Cap-SIzun (dont le maire de Plogoff Jean-Marie Kerloc’h) brûlent les dossiers relatifs au projet de centrale (31/01/1980) | JEAN-PIERRE PREVEL/ARCHIVES OUEST-FRANCE

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Le 31 janvier 1980, le maire de Plogoff Jean-Marie Kerloc’h et des élus du Cap-Sizun réalisent un autodafé symbolique. Ils brûlent ces dossiers et refusent la venue des enquêteurs.

À défaut de s’installer dans les mairies de ces communes, l’État met en place des mairies annexes, aménagées à l’intérieur de camionnettes. 450 gendarmes mobiles sont mobilisés pour les accompagner et assurer le bon fonctionnement de l’enquête. Ils seront 525 quelques jours plus tard.

Les camionnettes faisant office de mairies annexes pour l’enquête d’utilité publique (Plogoff, 14/03/1980) | PAUL BILHEUX/ARCHIVES OUEST-FRANCE

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Soutenue et menée par des élus de la communauté de communes du Cap-Sizun, la lutte antinucléaire de Plogoff connaît un élan particulier. Figure incontournable du mouvement, Jean-Marie Kerloc’h, le maire de Plogoff, n’a eu de cesse de s’informer pour transmettre à la population les données récoltées.

Après avoir laissé entendre que la construction pourrait se faire, il démissionne du Comité de défense de Plogoff, mais continue à être un maire très actif dans ce mouvement atypique. Au premier jour de l’enquête d’utilité publique, il prend place sur le calvaire, près du lieu de stationnement des mairies annexes pour motiver la foule.

Premier jour de l’enquête d’utilité publique à Plogoff. Le maire Jean-Marie Kerloc’h harangue la foule, devant le calvaire Saint-Yves où stationneront les mairies annexes, sous l’œil des gendarmes mobiles. | JEAN-PIERRE PREVEL/ARCHIVES OUEST-FRANCE

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Faire de « Plogoff une île »

La mission que se donnent alors les opposants antinucléaires : faire de Plogoff une île, comme le dira Amélie Kerloc’h, adjointe au maire de Plogoff, sans lien de parenté avec le maire Jean-Marie Kerloc’h. Dès le premier jour de l’enquête d’utilité publique, les opposants débutent la première nuit des barricades.

Vieux véhicules, matériaux divers, gravats, troncs d’arbres sont enchaînés les uns aux autres et déposés sur les routes principales d’accès à Plogoff. Plus tard, les ordures ménagères seront déversées pour remplacer les gravats.

Dans une ville de marins, les femmes de tous âges prennent alors une place incontournable dans la lutte, présentes en première ligne sur les barricades, sur la photo ci-dessous. Certaines s’engageront également dans une guerre des nerfs le jour.

Debout face aux gendarmes mobiles protégeant les mairies annexes, elles feront craquer psychologiquement nombre de gendarmes, loin d’être habitués à être pris à partie par des femmes de trente à soixante-dix ans.

Les femmes sont montées en première ligne sur les barricades montées lors de la première « nuit des barricades ». Elles s’opposent à la colonne de gendarmes mobiles venus installer les mairies annexes | JEAN-PIERRE PREVEL/ARCHIVES OUEST-FRANCE

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La nuit, des barricades se montent. Et au petit matin, un nouveau ballet commence, joué par les gendarmes mobiles et bientôt les parachutistes, qui viendront en renforts dès la fin du mois de février.

Afin que les mairies annexes puissent accéder à Plogoff, les forces de l’ordre font preuve d’autant d’ingéniosité que les manifestants, défaisant ce qui avait été construit la nuit. Certains matins, il faudra également éteindre le feu mis aux barricades par les opposants à la centrale.

Au petit matin, un engin militaire déblaie les tonnes de matériaux, gravats et véhicules formant les barricades montées par des habitants de Plogoff durant la nuit (Plogoff, 08/02/1980) | JEAN-PIERRE PREVEL/ARCHIVES OUEST-FRANCE

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Plogoff théâtre de violences policières

Chaque soir, le départ des mairies annexes à 17 h donnera lieu à des affrontements, parfois violents, entre les forces de l’ordre et les opposants au projet. Rendez-vous quotidiens, ces face-à-face dans les rues de Plogoff seront surnommés la messe de 5 h par les antinucléaires. Aux jets de pierre, les gendarmes mobiles répondent par des jets de grenades lacrymogènes.

Mais très vite, les projectiles changent des deux côtés. Boulons et cocktails molotov font alors parfois face à des tirs de grenades offensives et à la mobilisation de commandos parachutistes. Plogoff sera le théâtre de violences policières visant aussi bien les manifestants que les journalistes présents sur place. Cinq journalistes seront directement visés par les forces de l’ordre, et plus d’une quinzaine de manifestants seront blessés.

Affrontements entre les gendarmes mobiles et les manifestants, lors de la « messe de 5 h » (Plogoff, 08/02/1980). | JEAN-PIERRE PREVEL/ARCHIVES OUEST-FRANCE

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Mais la messe de 5 h fut loin d’être le mode opératoire des manifestants, durant les six semaines d’enquête d’utilité publique. Les manifestations ont été nombreuses à Plogoff et dans d’autres villes du Finistère comme Quimper, Douarnenez ou Brest. Parfois en un cortège funéraire, portant croix et cercueils de morts du nucléaire. Parfois avec les anciens combattants ou les personnels soignants de la ville, en tête de cortège.

Manifestation à Plogoff contre le projet de centrale nucléaire. (1er mars 1980) | ARCHIVES OUEST-FRANCE

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Ayant compris que la bataille serait également foncière, des habitants du Cap-Sizun opposés à la centrale créent un Groupement foncier agricole (GFA) pour bloquer des terres qu’EDF convoite pour la construction de la centrale. Les propriétaires des terres les revendent au GFA afin qu’une parcelle soit détenue par tous les membres du groupement. De quoi compliquer les potentielles expropriations.

Sur une partie des terres, une bergerie est construite durant l’été 1979 et accueille 120 brebis, ainsi qu’un projet d’éolienne. Le berger Alain-Pierre Condette arrivera, quant à lui, en mars 1980. L’occasion pour les 20 000 manifestants présents à Plogoff, de se rassembler sur les terres de la bergerie pour manifester.

La bergerie appartenant au groupement foncier agricole (GFA) de Plogoff, lors de la manifestation du 3 mars 1980, qui avait rassemblé 20 000 personnes. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

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Le slogan des opposants : « Tous coupables ! »

Mais au cours du mois de février, de premières personnes sont arrêtées et jugées très rapidement, à Quimper, pour flagrant délit de jets de pierre sur les forces de l’ordre. Les soutiens sont alors nombreux dans et devant le Palais de justice de Quimper.

Sur la photo ci-dessous, Jean-Marie Kerloc’h s’y rend, accompagnés d’Amélie Kerloc’h et André Penanen, les deux adjoints à la mairie. Comme nombre de manifestants, chacun d’eux porte une fronde autour du cou, symbole de la lutte à Plogoff, et une valise en soutien aux arrêtés.

Le slogan des opposants : Tous coupables ! Tous sont prêts à être emprisonné par solidarité. Cette journée sera marquée par les charges de CRS devant et à l’intérieur du palais de justice et de nouvelles violences policières sont observées. Le procès sera reporté au 17 mars 1980.

Le 6 mars 1980 à Quimper (Finistère), le maire de Plogoff Jean-Marie Kerloc’h (au centre), entouré de ses deux adjoints Amélie Kerloc’h et André Penanen, se rendent au tribunal pour le procès des arrêtés de Plogoff. Chacun porte une valise et une fronde autour du cou. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

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À Plogoff, des commandos de parachutistes se rajoutent aux 525 gendarmes mobiles présents à Plogoff depuis les débuts de l’enquête publique. Les projectiles se font plus violents. Aux affrontements de fin de journée s’ajoutent des heurts entre manifestants et forces de l’ordre. Les grenades offensives répondent aux bouteilles incendiaires. Au lendemain du premier procès de Quimper, la tension monte à Plogoff.

À midi, au départ des mairies annexes, de vifs accrochages ont eu lieu pendant dix bonnes minutes. Aux cailloux et bouteilles incendiaires des manifestants, les gendarmes mobiles ont répondu par des grenades lacrymogènes et cinq ou six grenades offensives faisant quelques blessés légers (Plogoff, 08/03/1980). | ARCHIVES OUEST-FRANCE

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Le 10 mars, manifestants et journalistes sont témoins d’une scène violente, au milieu des rues de Pont-l’Abbé. Des manifestants s’assoient pacifiquement au milieu de la route et entendent y rester. Comme observé sur la photo ci-dessous, un camion des forces de l’ordre va alors continuer à rouler en direction des personnes assises.

Il s’arrêtera devant les personnes en première ligne, que l’on aperçoit sur le cliché, à quelques centimètres du véhicule. Les manifestants seront ensuite repoussés à coups de matraque et de gaz lacrymogènes, avant qu’ils ne créent un cortège pour déposer plainte à la gendarmerie.

Lors de la manifestation du 10 mars 1980, à Pont-l’Abbé, les camions des forces de l’ordre ont foncé sur les manifestants qui venaient juste de s’asseoir. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

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14 mars 1980. Dernier jour de l’enquête d’utilité publique et départ des mairies annexes comme des forces de l’ordre ; gendarmes mobiles et parachutistes. Si une manifestation se déroule dans le calme à Plogoff, Pont-Croix est le théâtre de violences. Des manifestants s’invitent au Petit séminaire, lieu de résidence temporaire des forces de l’ordre. Certains seront blessés et des journalistes volontairement matraqués par les gendarmes mobiles.

Les gendarmes mobiles en préparation d’une opération, lors du dernier jour de l’enquête publique (Plogoff, 14/03/1980). | PAUL BILHEUX/ARCHIVES OUEST-FRANCE

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Dernière messe de 5 h pour les habitants du Cap Sizun et de Plogoff. L’enquête d’utilité publique se termine le 14 mars 1980 à Plogoff, mais continue son chemin jusqu’à la publication d’un décret jugeant le projet de centrale à Plogoff comme d’utilité publique. Le projet ne sera abandonné qu’en 1981 avec l’élection de François Mitterrand.

Manifestation pour le dernier départ des mairies annexes et des gendarmes mobiles (Plogoff, 14/03/1980) | PAUL BILHEUX/ARCHIVES OUEST-FRANCE

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