Reporterre : " L’écologie peut sauver l’agriculture"
- Par Thierry LEDRU
- Le 04/02/2024
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Cette crise du monde agricole aura au moins le mérite de braquer les projecteurs sur tout ce qui ne va pas et de voir ce qui pourrait et devrait être fait.
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L’écologie peut sauver l’agriculture : voici comment
Prix planchers, audit sur les dettes agricoles, moratoire sur le libre-échange, Sécurité sociale de l’alimentation… Les écologistes fourmillent d’idées pour répondre à la crise agricole. Seront-ils entendus ?
C’est une bataille de récits, un conflit sur notre vision de l’avenir. En pleine crise agricole, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) fustige les règles environnementales, arcboutée dans la défense du modèle productiviste. Le gouvernement lui prête la main et a annoncé ce jeudi 25 janvier un vaste « chantier de simplification des normes ». Gabriel Attal devrait présenter cet après-midi des mesures concrètes pour essayer de convaincre les agriculteurs de rentrer chez eux.
En face, les écologistes tentent de se faire entendre et ont fait de nombreuses propositions. Reporterre en fait le tour. Car, oui, l’écologie peut sauver l’agriculture, en garantissant le revenu des agriculteurs, en donnant accès à tous et à toutes à une alimentation de qualité et en engageant dès maintenant une transition agroécologique qui protège la biodiversité.
1 — Assurer un revenu digne
Au cœur de la crise actuelle, la question du salaire des agriculteurs et des agricultrices est centrale. Dans un communiqué, la Confédération paysanne a appelé à ce que les paysans soient mieux rémunérés. « Ce n’est pas en demandant à pouvoir détruire des haies, en instrumentalisant le sujet des jachères, en éludant la question du partage équitable des terres et de l’eau, en négociant des avantages pour la production d’agrocarburants, que nous résoudrons en profondeur les problématiques de notre métier de paysan », argue-t-elle. Au contraire, c’est en s’attaquant aux règles du jeu néolibéral que les paysans pourront enfin respirer.
Concrètement, la Confédération paysanne demande un moratoire sur les accords de libre-échange, l’arrêt des négociations en cours avec la Nouvelle-Zélande ou dans le cadre du Mercosur pour éviter des formes de concurrences déloyales et la compétitivité généralisée entre les différentes agricultures du monde.
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Elle exige une loi pour interdire tout prix agricole en dessous des prix de revient et l’établissement de « prix planchers ». Elle appelle aussi à ce que la loi Egalim sur le partage de la valeur ajoutée au sein de la filière soit pleinement respectée. « L’État devrait jouer un rôle d’arbitre mais en réalité, il laisse faire », regrette Mathieu Courgeau, éleveur laitier en Vendée et coprésident du collectif Nourrir.
Fin novembre, un rapport de la Fondation pour la nature et l’Homme (FNH) révélait comment la répartition de la valeur s’était dégradée ces dernières années, notamment dans la filière laitière. Entre 2001 et 2022, la part de l’éleveur dans le prix d’une brique de lait conventionnel a baissé de 4 %, celle des industries agroalimentaires a augmenté de 64 % et la grande distribution de 188 %. « La répartition de la valeur est de plus en plus inégale, alors que la consommation et les prix augmentent, il y a très peu de ruissellement au sein de la filière », note Élyne Étienne de la FNH.
« En 2021, la grande distribution a fait 145 millions d’euros de bénéfices dans son rayon laitier. » © E.B / Reporterre
Les négociations commerciales sont asymétriques et les paysans écrasés sous le poids des firmes agroalimentaires. L’association plaide pour des contrats tripartites et une taxation à hauteur de 15 % des bénéfices engendrés par les entreprises agroindustrielles et les enseignes de grande distribution afin de financer un fonds mutualisé pour la transition agroécologique. « En 2021, la grande distribution a fait 145 millions d’euros de bénéfices dans son rayon laitier, les entreprises agroalimentaires 697 millions d’euros, elles doivent contribuer au changement d’agriculture et accompagner, elles aussi, les agriculteurs dans des pratiques plus vertueuses », souligne Élyne Étienne.
Du côté du parti Les Écologistes, on réclame « un allégement des charges qui pèsent aujourd’hui sur les agriculteurs ». « J’entends leur colère, leur angoisse légitime, qui vire trop souvent au désespoir », assure à Reporterre Marie Toussaint, tête de liste du parti aux élections européennes. Elle propose de réaliser un audit national des dettes paysannes, en particulier pour les petites exploitations, puis d’annuler les dettes dues à la Mutualité sociale agricole (MSA, le régime de protection sociale de la profession).
Marie Toussaint plaide également pour une garantie de revenus pendant trois ans. « On veut un modèle agroécologique, mais aujourd’hui les agriculteurs et agricultrices n’ont aucune visibilité sur leurs revenus, du fait du modèle économique dans lequel ils sont enfermés, poursuit-elle. Pour engager des transformations dans les années qui viennent, ils ont besoin d’y voir clair. On doit leur garantir une prévisibilité. » L’élue écologiste évoque un revenu minimum garanti, qui passerait par un salaire fixe défini, ou encore par une régulation des volumes produits. « Tout ça doit être organisé avec eux et avec chaque filière », estime-t-elle.
2 — Engager la transition alimentaire
Les écologistes ne défendent pas seulement une transition agricole mais une transition de tout le système alimentaire. Pour y arriver, ils parient sur une mesure phare, qui a pris de l’ampleur ces dernières années : la Sécurité sociale de l’alimentation. Des expérimentations existent déjà notamment dans la Drôme. Notre ancien chroniqueur Mathieu Yon en est d’ailleurs une des chevilles ouvrières. Des expériences se déroulent aussi à Montpellier.
Concrètement, ses promoteurs proposent la sanctuarisation d’un budget pour l’alimentation d’au moins 150 euros par mois et par personne, intégrée dans le régime général de Sécurité sociale. Ce budget devra être établi par des cotisations garantes du fonctionnement démocratique de caisses locales de conventionnement. Chacune de ces caisses, gérées par les cotisants, aurait pour mission d’établir et de faire respecter les règles de production, de transformation et de mise sur le marché de la nourriture choisie par les cotisants.
« La Sécurité sociale de l’aliment permet de s’extraire de l’agro-industrie »
Cette Sécurité sociale de l’alimentation permettrait à tous les habitants d’un territoire de décider, main dans la main avec les paysans, de ce qu’ils veulent manger et des conditions dans lesquelles ces aliments vont être produits. « Cette démarche permettrait de s’extraire des choix agricoles guidés par l’agro-industrie, la recherche de volumes, d’export, de nouveaux marchés, qui ont fait oublier la raison première de l’agriculture : nourrir la population », racontait à Reporterre Nicolas Girod, ex porte-parole de la Confédération paysanne.
À court terme, les écologistes et les Insoumis proposent de reprendre une mesure proposée par la Convention citoyenne pour le climat et de créer un chèque alimentaire. « On pourrait évidemment aller plus loin mais ce serait déjà une avancée alors que des millions de personnes peinent à bien se nourrir en France, insiste la députée La France insoumise (LFI) Manon Meunier. Il faut ouvrir de nouveaux débouchés pour l’agriculture de qualité et la rendre accessible à tous. » L’approvisionnement local et bio dans la restauration collective et le soutien au circuit court sont également jugés prioritaires. Le groupe parlementaire de LFI a par exemple déposé une proposition de loi pour favoriser la viande française dans la restauration collective.
3 — Financer l’agro-écologie
Le nerf de la guerre reste cependant la question des financements et des aides publiques. Les écologistes plaident pour une réorientation des subventions de la politique agricole commune (PAC) pour accompagner les agricultrices et agriculteurs dans des pratiques plus vertueuses d’un point de vue environnemental.
Dans un rapport publié le 25 janvier, le Haut Conseil pour le climat (HCC) a souligné que les scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050 étaient ceux qui développaient l’agriculture biologique et l’agroécologie sur 50 % de la surface agricole. « L’agroécologie est plus large que juste l’agriculture biologique, précise Corinne Le Quéré, présidente du HCC. On parle de diversification des cultures, de plantation d’arbres et de haies qui fournissent de l’ombrage aux troupeaux, qui protègent les cultures des températures élevées en plus de stocker du carbone… » Pour développer ces pratiques, le HCC insiste : il faut davantage de financement. Le Réseau Action Climat soutient aussi une rémunération plus sérieuse des services écosystémiques rendues par l’agriculture, afin d’être plus incitatif pour les paysans et les paysannes.
Ces pratiques agricoles écologiques ne sont pas encouragées par le projet de loi de finances 2024, dénoncaient en novembre 2023 une centaine de paysans et d’élus. © Nnoman Cadoret / Reporterre
Pour l’instant, la PAC est à la peine. Les mesures agro-environnementales et climatiques, dites Maec, l’un des principaux dispositifs destinés à soutenir la transition agroécologique, représentent moins de 7 % du budget PAC de la France pour la période 2023-2027. « La faiblesse du budget qui leur est alloué ne permet pas, dans plusieurs régions (Bretagne, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes notamment), de répondre aux demandes des agriculteurs et conduit à des tensions et des renoncements, note le récent rapport de la députée La France insoumise Manon Meunier.
Pour pallier ces insuffisances, le gouvernement a décidé en décembre dernier d’ajouter 150 millions d’euros au budget des Maec. Un chiffre encore insuffisant selon le coprésident du groupe Nourrir, Mathieu Courgeau, qui est agriculteur : « Beaucoup de paysans qui se sont lancés dans cette démarche l’année dernière n’ont pas encore été payés ». Il estime plus globalement que le gouvernement devrait mieux soutenir la filière bio.
« Seulement 7 % de bio dans la restauration collective »
En 2023, le ministère de l’Agriculture avait lancé un plan d’aide de 10 millions d’euros destiné à l’agriculture biologique. Un montant jugé trop bas. Tout comme l’objectif de 20 % de produits bio dans la restauration collective, obligatoire depuis janvier 2022. Aujourd’hui, nous sommes seulement à 7 %. Mais l’État pourrait aider les collectivités pour monter ce chiffre à 40 ou 50 %, dit Mathieu Courgeau. Cela permettrait sans doute d’inciter les paysans à se convertir car en 2022, seulement 11 % de la surface agricole utile (SAU) était cultivée en agriculture biologique.
Pour restaurer la confiance des consommateurs envers ces produits et enrayer la crise du bio, le rapport Meunier préconise une meilleure transparence sur les labels, notamment le « Haute valeur environnementale » que certains agriculteurs estiment trompeur, voire le considèrent comme un concurrent déloyal à l’agriculture biologique.
Dans la Drôme, un réseau d’agriculteurs réintroduit de la vie sauvage dans leur ferme. © Charlie Delboy / Reporterre
En attendant les annonces du gouvernement, les défenseurs de l’agriculture paysanne restent fébriles. « Faire des normes environnementales la cause du problème agricole est une imposture », dit Manon Meunier. Le problème doit être pris à la racine. En cinquante ans, la surface moyenne d’exploitation est passée de 21 hectares à 69 hectares (en 2020), plus de quatre exploitations sur cinq ont disparu, 70 % des haies ont été éliminées, la polyculture a diminué. En quarante ans, le nombre d’agriculteurs a été divisé par quatre et la France est devenue le deuxième pays européen le plus utilisateur de pesticides, rappelle la députée dans son rapport. En parallèle, la biodiversité s’est effondrée : les populations d’oiseaux ont diminué de 43 %, plus de 40 % des eaux de surface sont affectées par des pollutions diffuses, et les sols sont de plus en plus dégradés. Il y a urgence à agir pour une transition agricole juste et écologique, plaide-t-elle.
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