Supprimer Facebook
- Par Thierry LEDRU
- Le 24/03/2018
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Pour ma part, c'est fait. Compte supprimé. Quant à ma "vie sociale", elle ne passe pas par Facebook. Il ne s'agit, pour moi, que de la possibilité de partager des articles ou des réflexions. Depuis un moment, je m'interroge sur la portée réelle des écrits. Et comme je n'ai pas de réponse, je n'ai aucune raison de valider cette atteinte à la vie privée et de devenir une proie supplémentaire pour tous les marchands ou les manipulateurs d'opinion. Quant à la "visibilité" et la "publicité" envers mes romans, je n'ai jamais eu la moindre preuve que Facebook ait été d'une quelconque utilité. Ce blog a davantage d'importance au regard du nombre de visiteurs et de pages lues. Il reste maintenant à Facebook de revoir sa copie et d'apporter les preuves irréfutables que ce réseau social n'a aucune autre intention que de "rapprocher" les individus... Personnellement, je n'y crois pas. Il suffit de lire les écrits de Zuckerberg ou de Sheryl Sandberg...Ils savaient très bien ce qu'ils faisaient. Ils pensaient juste que ça ne se saurait jamais.
Quant à l'impact des suppressions de compte, elle est gigantesque...C'est l'avantage des réseaux sociaux...Des millions d'utilisateurs...Tout va très vite et quand la machine s'emballe les dégâts financiers sont énormes. 24 milliards d'euros de perdus à la bourse de Wall street en deux jours...Que des millions d'utilisateurs suppriment leur compte, c'est le meilleur moyen pour pousser Zuckerberg à entendre la colère.
Supprimer Facebook est un privilège
April Glaser — Traduit par Jean-Clément Nau — — mis à jour le 24 mars 2018 à 11h58
Temps de lecture: 7 min
Facebook est au cœur d’une polémique de grande ampleur. Beaucoup de gens sont en colère –et ils ont bien raison. L’entreprise a permis à des milliers de concepteurs d’applications d’extraire leurs données, par l’intermédiaire de jeux chronophages et autres quiz en ligne sans queue ni tête.
Pour couronner le tout, un lanceur d’alerte et deux spectaculaires dossiers de l'Observer et du New York Times viennent de nous apprendre que l’un de ces développeurs a recueilli les données de plus de cinquante millions d’utilisateurs Facebook, avant de les partager avec la firme Cambridge Analytica, responsable du ciblage des électeurs pour la campagne de Donald Trump –une firme qui s’est enorgueillie de disposer de 230 millions de profils psychologiques d’électeurs américains, qu’elle utilise pour cibler les émotions des internautes à l’aide de publicités numériques, dans le but d’influencer le résultat des élections.
Abus de confiance
Nous avons subi tout cela pour avoir le privilège de regarder les photos de bébé de nos proches. Le jeu en valait-il réellement la chandelle?
Que Cambridge Analytica ait ou non exagéré le volume réel de ses données –seuls 139 millions d’électeurs ont voté à l’élection présidentielle de 2016, la question centrale de la controverse ne peut être balayée d’un revers de main: le prix à payer pour être sur Facebook est-il trop élevé?
Facebook a demandé notre confiance, et nous lui avons donnée –comme nous lui avons donné nos photos, nos pensées, nos «j’aime» et nos partages. Bien sûr, nous savions parfaitement que ces informations aideraient Facebook à nous «vendre» aux publicitaires.
Ce que la plupart d’entre nous ignoraient, en revanche, c’est que les développeurs d’applications ont longtemps eu accès à nos données (ils n'ont perdu ce droit qu'il y a quelques années), même si cette information était mentionnée dans les conditions d’utilisation.
De nombreux utilisateurs ne pensaient pas que ces concepteurs d’application enfreindraient ces conditions pour vendre nos données au plus offrant, y compris aux collaborateurs de certains partis politiques. On ne peut parler d’une défaillance de sécurité de la plateforme, comme l’a souligné Facebook, mais on peut parler d’abus de confiance.
Instinct compréhensible mais injuste
Conséquence: #DeleteFacebook (#SupprimeFacebook). Le hashtag Twitter est né à la suite des révélations portant sur Cambridge Analytica. Dans la nuit du mardi 20 mars, Brian Acton, co-fondateur de WhatsApp –société vendue à Facebook pour seize milliards d’euros– l’a twitté, précédé de ces mots: «Il est temps». Le hashtag a soudain pris des airs de mouvement.
It is time. #deletefacebook
Informations sur les Publicités Twitter et confidentialité
Supprimer Facebook est un instinct bien compréhensible. Le faire d’un coup sec, comme un sparadrap qu’on arrache. Redécrocher son téléphone; appeler les gens. Utiliser Twitter ou Instagram –ce dernier appartient à Facebook, mais bon, il est principalement constitué de photos de voyage ensoleillées. Écrire une lettre, comme au bon vieux temps! Parler à ses voisins! Remplir le vide social d’une manière ou d’une autre, mais laisser Facebook derrière soi, pour de bon. Ce serait visiblement la solution la plus logique: toute personne en colère contre Facebook ferait mieux de changer de crémerie.
Je comprends cette réaction –mais j’estime également qu’il s’agit d’une réaction injuste: supprimer Facebook relève du privilège. Ce réseau social s’est spécialisé dans de nombreux domaines, si bien que pour d’innombrables personnes, l’abandonner tout à fait s’avérerait autodestructeur. Ces personnes méritent d’être mieux traitées. Ce scandale ne doit pas nous faire fuir. Nous devons exiger l’avènement d’un meilleur Facebook.
J’ai moi-même fait une croix sur Facebook, il y a quelques années. J’ai toujours un compte, mais je n’y retourne que par curiosité, pour poster un article ou pour donner quelques nouvelles. Je n’ai pas téléchargé l’appli mobile, et je ne vais sur le site qu’une fois par semaine environ. Seulement, je pouvais me permettre de quitter Facebook.
Cette décision n’a pas été sans conséquences négatives. J’ai perdu de vue certains amis. Je ne sors plus beaucoup et je rate des événements sympas. Je ne fais plus vraiment partie des différentes scènes culturelles locales. Je rate des occasions de voir de vieilles connaissances lors de leurs passages en ville. À l’époque où je promouvais des vernissages et où je réservais des places de concerts, je créais systématiquement des événements Facebook; si je recommençais, il me faudrait à nouveau passer par Facebook. Cette mise en retrait m’a reposé l’esprit –mais tout le monde ne peut pas se permettre d’en faire autant.
Contrairement au fait d’abandonner la télévision hertzienne et la radio, qui sont elles aussi gratuites –si l’on excepte le coût d’avoir à endurer la publicité, le fait d’abandonner Facebook revient à vivre une vie beaucoup plus solitaire. Facebook, c’est vos amis, votre scène culturelle, votre communauté; pour de nombreuses personnes, Facebook est en train de devenir internet en lui-même, et internet est en train de devenir Facebook.
En supprimant Facebook, votre entreprise aura peut-être plus de mal à trouver des clients. Votre famille refusera peut-être de changer de réseau social. Personne ne crée d’événements ailleurs. Pour de nombreuses personnes, le fait d’abandonner Facebook est tout bonnement inimaginable.
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Effet de réseau et dépendance
C’est ce qu’on appelle l’effet de réseau –une sorte de monopole naturel. La migration vers un autre réseau social ne fonctionne que si suffisamment de personnes acceptent de le faire. Autrement dit, si vous désirez avoir une vie sociale, si vous voulez pendre part à des discussions politiques, si vous souhaitez promouvoir votre travail… Facebook demeure votre unique option viable.
Lorsque j’ai fait une croix sur Facebook côté vie personnelle, j’ai dû continuer de l’utiliser côté professionnel: les médias ont besoin de Facebook, eux aussi. Une énorme proportion de mon lectorat trouve mes articles via Facebook –et si ces personnes les apprécient, elles peuvent les partager au même endroit.
Je dépendais déjà professionnellement de Facebook avant d’être journaliste. Lorsque je militais pour défendre la vie privée en ligne et lutter contre la surveillance numérique au sein de l’Electronic Frontier Foundation, nous postions nos billets de blog et nos événements… sur Facebook –c’était même l’un de nos principaux vecteurs de communication.
Mes emplois précédents fonctionnaient de la même manière. Chaque campagne, chaque projet que j’organisais devait être présent sur Facebook. Avant l'arrivée du réseau social, les militants envoyaient beaucoup d’emails et passaient de nombreux coups de téléphone. Ça fonctionnait, mais lorsque tout le monde s'est mis à rejoindre Facebook, nous avons dû y passer nous aussi. Faire le contraire, c’était prendre le risque de devenir invisible.
C’est la même chose pour les petites entreprises: parfois, la page Facebook est la seule présence en ligne d’une enseigne. Si vous ne travaillez pas dans le domaine du service et que vous n’avez pas pignon sur rue, Yelp ne sera pas forcément adapté à votre commerce. Malgré tous ses points noirs, Facebook est devenu un mal nécessaire pour de nombreuses personnes, qui ne peuvent se permettre de faire sans, personnellement comme professionnellement.
Dans les pays où le numérique est peu présent, Facebook constitue souvent une porte d’entrée vers l’ensemble d’internet. Le programme Free Basics de Facebook est en place dans soixante-trois pays et municipalités en Afrique, en Asie et en Amérique latine; il offre un accès libre à Facebook et à une poignée de sites partenaires –il est toutefois impossible d’accéder aux autres sites ou à ses emails. Pour ces utilisateurs, Facebook est peu ou prou synonyme d’internet.
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Mauvais message
Mais allez-y, supprimez Facebook, si vous pouvez vous le permettre. Cette firme ne mérite sans doute pas votre confiance et votre participation; en la mettant de côté, vous aurez plus de temps libre à consacrer à de meilleures occupations. Mais si vous ne pouvez pas lui tourner le dos, vous n’avez pas à vous en vouloir.
C’est pour cette raison que #DeleteFacebook est un mauvais message: il sous-entend qu’il s’agit simplement d’un choix relevant du consommateur. En réalité, toute solution au problème sous-jacent devra venir de Facebook lui-même –modifier le service pour que ses utilisateurs se sentent en sécurité– ou du gouvernement –qui devra peut-être intervenir pour pointer du doigt le système commercial de Facebook dans son ensemble.
Si vous pensez que Facebook mérite d’être supprimé en raison des griefs évoqués ci-dessus, alors appelez vos élus pour qu’ils encadrent le fonctionnement de cette firme et celui d’autres entreprises –comme Google, qui récolte nos informations personnelles pour vendre des publicités adaptées à nos recherches en ligne. Ces sociétés n’ont aucune intention de s’auto-réglementer; la chose est de plus en plus évidente. Par ailleurs, des sujets comme la vie privée, la sécurité et le bien-être des utilisateurs sont particulièrement importants pour les personnes qui ne peuvent se permettre d’abandonner Facebook.
Les États-Unis ne disposent d’aucune loi fédérale exhaustive régissant la vie privée en ligne. En attendant, ces sociétés comptent aujourd’hui parmi les entités les plus puissantes et les plus riches de notre planète –et ce en grande partie parce que leur collecte de données est peu réglementée. Plus nous apprendrons de détails sur cette surveillance orchestrée par les entreprises, plus il deviendra difficile d’éluder la question.
Il y a quelques mois à peine, des journalistes ont appris que Facebook autorisait les publicitaires à cibler les utilisateurs à partir de mots clés offensants, tel que «déteste les juifs» ou «comment brûler les juifs». Facebook savait que Cambridge Analytica avait obtenu les données de dizaines de millions d’utilisateurs de manière non réglementaire, et il ne l’a jamais annoncé publiquement. Il a fallu attendre deux années –et que des équipes de journalistes consacrent des dossiers exposant l’envergure nauséabonde de l’affaire– pour que le réseau social se décide enfin à passer aux aveux.
Si vous avez décidé de supprimer Facebook, je suis donc de votre côté –mais seulement jusqu’à un certain point. Parce qu’en tant qu’utilisateurs et citoyens de Facebook, il est aussi de notre devoir de plaider pour une plateforme plus sûre, pour toutes les personnes qui ne peuvent se permettre d’en sortir.
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