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  • Les hommes machines.

    Aujourd'hui on voit Borlo parler en tant que défenseur des valeurs environnementales alors que c'est lui qui a signé la veille de son départ du gvt entre Noel et jour de l'an, les autorisations concernant l'exploitation du gaz de schiste sur notre sol... Pas eu un seul bruit sur cela, personne n'était au courant, les maires et habitants ont été mis au courant il y a deux mois...Le gvt a fait cela sans bruit...

    http://gasland.fr/documentaire.php

    http://www.dailymotion.com/video/xhfvhy_gasland_news

    Ces hommes vont faire la même chose que les gvt japonais avec leur population. On pousse aux profits et on fait miroiter une vie "meilleure"... Indignez-vous qu'il disait. NON !! C'est totalement insuffisant. C'est la désobéissance civile qui reste la seule solution.

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  • La mécanisation de l'existence. (spiritualité)

    Gurdjieff l'avait évoqué. La plus dangereuse mécanisation consiste à être soi-même une machine.

    Au Japon, le drame humain est inimaginable, le traumatisme effroyable, mais je ne parviens pas à comprendre comment l'humain peut en arriver là...Il me semble que cette cassure entre l'humain et la nature est absolue, qu'il existe désormais une négation complète de l'univers du vivant et je ne vois pas la nature comme responsable de quoique ce soit. C'est la mécanisation de l'existence qui porte en elle les causes de ce désastre. Une certaine forme de folie, d'aveuglement qui consiste à penser que l'homme est au-dessus de tout, qu'il possède le pouvoir, jusqu'à en oublier les lois naturelles. Construire des villes dans des fonds de vallée, en bord de mer, dans un pays sujet aux pires séismes, pour développer des industries, accroître les richesses, pousser les individus dans une voie unique de profits, sans garder à l'esprit que tout peut disparaître en quelques instants, c'est mener les hommes à la mort. Le Japon s'est construit dans cette voie. Les individus sont mécanisés, extraits de leur lien avec la nature, ignorant des réalités, envoûtés par une idée de croissance agissant comme un aimant. Tout miser sur l'énergie nucléaire dans un pays sujet aux séismes...C'est consternant. Développer des villes côtières sans aucune protection contre les tsunamis, c'est hallucinant. Non seulement, la nature est ignorée mais la vie humaine elle-même est bafouée. Rien ne compte en dehors de cette course à la croissance. On joue avec des allumettes parce qu'on a construit des camions de pompiers. On est dans l'absurde.

    Les humains sont donc de véritables machines travaillant seulement sous la pression d'influences extérieures. Les gouvernants, eux-mêmes, sont des machines. Ils ne sont pas des conducteurs de machines. Ils vivent eux aussi sous les influences d'égrégores qui les dépassent.

    Un égrégore est, dans l'ésotérisme, un concept désignant un esprit de groupe, une entité psychique autonome ou une force produite et influencée par les désirs et émotions de plusieurs individus unis dans un but commun. Cette force vivante fonctionnerait alors comme une entité autonome. Le terme, apparu dans la tradition hermétiste, a été repris par les surréalistes, qui l'ont chargé d'un fort potentiel subversif.

    Autant cet égrégore peut avoir un effet positif lorsqu'il est associé à une élévation spirituelle, autant il peut devenir la source d'un conditionnement lorsque des intentions perverses le sous-tendent...

    Les connaissances qui sont développées depuis la révolution industrielle ne sont pas attachées à une voie spirituelle mais à une mécanisation des individus. La croissance est l'intention première. La médecine, par exemple, est de la mécanique. L'aspect holistique de l'homme est ignoré. La psychologie qui ne fonctionnerait pas en systémique est de la mécanique. Et encore doit-elle prendre en considération l'environnement spirituel de l'individu.

     

    L'environnement est d'ailleurs un mot très révélateur dans l'usage qu'on en fait actuellement. On considère à travers ce terme que la nature nous environne, ce qui revient à dire que nous n'en faisons pas partie, que nous nous en sommes extraits, que nous sommes des entités à part. On voit ce que cette "philosophie" donne avec l'exemple de la catastrophe au Japon. Et il est évident que nous allons entendre des "machines" accuser la nature d'être cruelle. C'est logique dans ce fonctionnement. Il faut un coupable. Et c'est la nature. Puisqu'elle est la seule vivante et que nous sommes des machines malmenées par sa violence. C'est consternant. Combien de fois j'ai entendu des journalistes dire : "La montagne a tué" lorsque des alpinistes ou des skieurs sont emportés. Comme si la montagne avait eu une intention...Comme si ce tsunami était responsable de ces milliers de morts...On regarde la situation à l'envers.

     

    C'est un drame humain qui concerne des machines. C'est ça lapremière catastrophe. C'est ce que l'homme est devenu le plus dramatique.

  • Les scientifiques

    Consternant...

    http://www.maxisciences.com/poule/les-poules-sensibles-aux-souffrances-de-leurs-semblables_art13065.html

     

    Ainsi donc, il a fallu que quelques scientifiques se penchent de façon "rationnelle" sur le sort des animaux pour découvrir ce que des peuples indigènes "sous-développés" savent depuis des millénaires.

    On est dans le même fonctionnement que ce qui a produit cette catastrophe au Japon. Les scientifiques détiennent la vérité, "leur" vérité. Ils ont le pouvoir et leur savoir répond aux exigences mercantiles. L'élevage industriel est rentable. Point.

    Descartes affirmait un dualisme substanciel entre l'âme (la res cogitans, la pensée) et le corps (la res extensa, l'étendue). Il radicalisa sa position en refusant d'accorder la pensée à l'animal, le concevant comme une « machine ", c'est-à-dire un corps entièrement dépourvu d'âme.

    Les scientifiques ont maintenu cette vision depuis 1600...Quel formidable entêtement, quel effroyable aveuglement. Une justification de toutes les souffrances commises envers la nature. Faune et flore confondues.

     

    Un jour, peut-être, que des scientifiques "découvriront" que la Terre fonctionne comme un être vivant et qu'elle a conscience de la vie qu'elle porte puisqu'elle en est la source. Juste en fait ce que les Kogis savent depuis des millénaires. Mais comme ce sont des s"sauvages", ça ne compte pas. il n'y a que la science rationnelle qui peut valider une idée pareille. L'osmose spiritutelle n'a pas de valeur à leurs yeux. Quand le mental est le maître, l'âme est ignorée.

    Finalement, on sera dans le même registre que Christophe Colomb "découvrant" l'Amérique alors qu'elle est déjà peuplée. Toujours cette prétention de l'Occident qui s'éloigne inexorablement de la compréhension de la vie en se persuadant qu'elle en comprend les phénomènes.

     

    Consternant...

     

     

  • Japon

    C'est indéniablement une catastrophe humaine. Pas question de revenir là-dessus.

    Il s'agit maintenant de comprendre ce qui y conduit.

    Des hommes toujours plus nombreux qui s'installent en bord de mer parce qu'ils se sont coupés de la mémoire des peuples. Les tsunamis ont toujours existé, on en trouve des traces à toutes les époques, dans divers endroits de la planète. Sumatra avait déjà montré que l'oubli condamne les vivants à revivre les cataclysmes antérieurs. Mais leur ampleur, même si elle reste similaire, a des conséquences bien plus apocalyptiques parce qu'un autre paramètre a pris une place considérable. C'est la prétention. Celle qui conduit les peuples "développés"à imaginer que les technologies modernes les mettent à l'abri des forces de la nature. Vaste illusion dont on voit les effets. Des villes immenses construites dans des plaines côtières alors que les plaques tectoniques de la région ne sont que des pièces de puzzle sous tension. Aucune protection, aucune digue, aucune consigne d'évacuation. Les japonais sont éduqués aux séismes. Et personne n'a songé aux tsunamis. Ca paraît totalement insensé. Il ne s'agit pourtant pas d'un peuple insensé. Au premier abord...

    Pourquoi le tsunami de Sumatra n'a-t-il pas convaincu les gouvernants d'une urgence absolue ? Comment expliquer que l'éventualité d'une telle catastrophe ne les a pas effleurés ?

    Un peuple qui s'imagine à l'abri d'appareils enregistrant des secousses sismiques, de bâtiments quasiment indestructibles, d'entraînements répétés a éludé une part essentielle. Le danger n'est pas unique. Mais lorsqu'une population est rassurée par les dispositions prises par les gouvernants sur un point précis, il se crée une auto persuasion désastreuse. "Rien ne peut nous arriver puisque tout a été prévu."

    "On domine la nature en lui obéissant." Un précepte bien connu qu'il faudrait remettre à jour. On ne la domine pas à travers des consignes et des manoeuvres parfaitement rôdées mais en gardant à l'esprit que sa puissance est incommensurable et qu'il s'agit avant tout de ne pas placer les individus dans une situation périlleuse. C'est là que la prétention entraîne un aveuglement ravageur.  

    Si on ajoute le fait que l'usage de centrales nucléaires dans un pays comptant un nombre incroyable de séismes est une folie absolue, on peut effectivement se demander s'il s'agit bien d'un peuple sensé. Et là, on ne touche plus seulement la population locale mais la planète entière.

    Un autre paramètre est venu s'ajouter à la prétention. C'est l'avidité. L'énergie nucléaire brasse des sommes considérables, pharaoniques, des marchés financiers colossaux. Le Japon a totalement occulté l'éolien ou l'énergie marémotrice, celle des courants marins, celle de l'hydroélecticité, celle du solaire. Il n'est pourtant pas question dans ce pays de manque de moyens intellectuels, technologiques, scientifiques...Mais il existe des multinationales dont l'influence est immense et les pratiques impitoyables. On connaît le même problème en France avec Areva et EDF.

    Au Japon, la superficie développée par les surfaces plates des toits d'immeubles, d'usines, de hangars représentent un terrain idéal à la pose de panneaux solaires. Pas besoin de terrains au sol. Quant à la puissance de l'Océan, il ne sera pas nécessaire désormais d'essayer de les convaincre. Le seul problème vient du fait que rien n'a été fait pour développer ces énergies. Pas d'argent débloqué, pas de recherches, pas de découvertes. C'est très simple. 

     

    Oubli, préténtion, avidité. Un cocktail détonnant.

    Est-ce que le peuple japonais a la capacité désormais à devenir sensé ?

     

    Et je n'oublie pas, en écrivant ça, le désastre humain en cours...Le traumatisme gigantesque. Est-ce que ça sera un tremplin ?   

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  • "Tisserand du soleil."

    Kathy Dauthuille a écrit ce livre sur les Kogis. Je me permets de vous le présenter.

     

     

    http://www.neo-planete.com/2011/01/14/%C2%AB-tisserand-du-soleil-%C2%BB-hommage-a-la-tribu-des-kogis/

     

    http://vivrevouivre.over-blog.com/article-36470554.html

     

    Les Kogis vivent selon un mode semi-nomade, se déplaçant du niveau de la mer à 3500 m, selon les saisons.

    Sous la forme de 36 mélopées, Kathy Dauthuille raconte la naissance d’une amitié entre le narrateur et un tisserand kogi.

    Cette rencontre est à l’origine d’un dialogue qui nous introduit au cœur d’une culture méconnue, avec ses rituels, ses paysages montagneux et sa religion.

    En voici un extrait :

    « Il tissait le fil, tissait la vie, croisait ses pensées dans le cœur oublié du monde.

    C’est dans le silence et avec lenteur, qu’il exprimait ce lien intense aux choses. Et c’est par cette alchimie primordiale que le tissu deviendrait sagesse, mémoire et vérité.

    Comme tant d’autres de sa tribu, il filait à son tour le temps, sa destinée. Maintes fois il passa par la porte solaire pour reprendre le fluide, le courant, l’énergie.

    Chaque fois que le fil blanc (mâle ou femelle) passait entre ses doigts, il clignait des yeux et semblait voir autre chose : sa vie, ou celle des autres, en un dédoublement d’images, de sons, d’odeurs…

    Ainsi refaisait-il les mêmes gestes que ceux de son père, de son grand-père, depuis le jour où leurs ancêtres étaient sortis de l’œuf cosmique.
    Avec amour et attention, il reproduisait les gestes immuables sur ce métier qu’on lui avait transmis comme l’on transmet un objet sacré, une mémoire.

    Il était bien là, ce lien magique qui le reliait à toute la lignée depuis la première aube.

    Je restai là, à l’observer, craignant de bouger de peur de le déranger, de créer des fluctuations dans les ondes qui l’entouraient et flottaient ; je craignais d’entrer dans un monde secret auquel ne n’avais peut-être pas droit.

    Pourtant, il ne disait rien, ne manifestait rien de spécial dans sa gestuelle qui aurait pu marquer une insatisfaction à mon encontre. Et tout à coup, son regard fixa le mien comme au-delà de toutes les apparences, un regard sûr, avec quelque chose tout à la fois de léger, d’innocent, de serein. Il exprimait la bienveillance et j’en fus touché.

    Et quelque part une voix intérieure me dit clairement : « Je sais que tu es là… j’ai compris. »

     

    Une ITW d'Eric Julien, le fondateur de l'association "Tchendukua", qui oeuvre à la défense des Kogis.

     

    http://www.neo-planete.com/2010/06/21/eric-julien-engage-pour-la-defense-de-la-tribu-des-kogis

     

    Merci à Kathy.

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  • Les Kogis. (3)

     

    SOURCE : www.voice-dialogue-sud.com

    http://voicedialogue.sud.pagesperso-orange.fr/articles/VDS_48.pdf 

    "Un jour quand nous aurons maîtrisé les vents, les vagues, les marées et la pesanteur, nous explorerons l’énergie de l’amour."

    Pierre Theilhard de Chardin.

    Parler, à quoi bon ?

    La sagesse Kogi

    Parler à quoi ça sert ? Est-ce vraiment utile ? C’est la question que nombre de personnes se posent, même, parfois, après des années de thérapie ou d’analyse.

    Voici une réponse puisée dans la sagesse des indiens Kogis de Colombie. Le premier extrait vient de :

     “Kogis, le message des derniers hommes”,

     le second de :

     “Le chemin des neufs mondes”.

     Deux ouvrages d’Éric Julien, parus aux éditions Albin Michel. 

     

    J’espère vous donner aussi le désir de mieux connaître ces hommes qui vivent à notre époque et ont gardé vivante une sagesse très ancienne qui pourrait, Éric Julien le met en évidence, nous être utile. C’est la teneur du troisième extrait venu lui aussi du livre “Le chemin des neufs mondes”.

    Jusqu’à quand leur tradition pourra-t-elle survivre avant d’être balayée par notre monde “moderne” ? La question est d’actualité.

     

    Extrait 1. Le lieu de parole, la loma. Le lendemain, nous partons rejoindre la loma, sorte de lieu qui peut être d’usage collectif ou plus spécifiquement réservé à un seul mamu (chaman en langage Kogi). C’est là que les Kogis pensent le monde et équilibrent ses énergies, le soignent. C’est là que les mamus essaient de mettre en harmonie les pensées, les actes et les lieux. La loma de Marco

    est à quelques centaines de mètres de l’endroit où nous vivons avec sa famille, perdu dans un bosquet épais, au pied d’une falaise. Pour s’y rendre il faut suivre un raidillon discret, passer une arête de pierre et redescendre dans une petite forêt de bambous. Entre le pied de la falaise et un curieux rideau de végétation qui baigne l’endroit d’une lumière verdâtre, on distingue l’entrée d’une grotte, sorte de passage vers l’autre monde, celui des esprits et des énergies. Devant l’entrée, plusieurs pierres sont disposées en arc de cercle. On dirait un temple naturel où convergent les énergies du ciel et de la terre. À notre arrivée, Santiago dégage l’entrée de la grotte masquée par d’épaisses dalles de pierre. Chacun choisit une place d’où il ne bougera plus pendant des heures. Immobile, entre soi et soi. Sous la direction de Marco, nous commençons à penser le

    monde, nos actes, le chemin qui nous a menés jusqu’ici, les intentions qui nous ont animés, ce que nous allons faire demain, la façon dont nous allons le faire. Nous commençons à penser en chargeant notre Seiwa. (Petit objet symbolique)

    “Quand on apprend, il faut parler, expliquer à quoi on pense, aujourd’hui, hier, sur le chemin, dire ses intentions. L’énergie fonctionne avec les intentions. C’est pour cela que nous travaillons avec les mamus, nous faisons tout ce travail

    spirituel de la pensée. Quand on va voir un mamu, on va là où on se confesse, dans un lieu spécial et on commence à parler. C’est la première chose

    que l’on fait avec ceux qui viennent nous voir, dire ce qu’ils pensent, ce qu’ils ont fait avant de venir, parler”, me glisse doucement Manuel, avant de s’installer à mes côtés. Parler, bien sûr, n’est-ce pas ce que me rappelait encore Marco il y a peu ? Les séances peuvent durer de quelques heures à plusieurs jours. Il s’agit pour le mamu de travailler le Seiwa des hommes ou des femmes qui viennent le solliciter. Un Seiwa est une sorte d’assurance entre les énergies du vivant, la conscience que nous en avons, et la façon dont nous l’incarnons dans notre vie et à travers nos actes. Un Seiwa enregistre les énergies, en garde une trace qui sera à la fois portée par son propriétaire et gardée dans la loma du mamu avec lequel vous avez travaillé.

    No 48

    Novembre 2008

    SOURCE : www.voice-dialogue-sud.com

    Un Seiwa se conserve toute une vie, comme le reflet du chemin de chacun vers la conscience et l’éveil. Aller à la loma est un travail d’endurance, de patience, certains diraient de méditation. Il faut parler tout haut pour exprimer ses pensées, parfois cheminer seul dans son coeur et son esprit. Au bout de plusieurs heures, les membres s’engourdissent, le moindre détail de la loma s’inscrit dans la tête et dans le corps. Les pierres, les arbres, les odeurs, l’ambiance de l’air, chaude, brûlante, puis plus fraîche qui annonce la fin de la journée. Peu à peu, au-delà de la douleur, du temps qui passe, l’esprit s’échappe, se fond avec le lieu, en épouse les formes et l’énergie. Imperturbable, quasiment immobile, Marco guide le travail en s’appuyant sur une étrange céramique ronde, sur laquelle sont gravés plusieurs motifs. “Une sorte de carte pour guider notre travail”, me dira-t-il. “C’est le grand-père de mon père qui me l’a transmise.” Après de longues heures passées à la loma, Marco tend la main pour récupérer les petits objets symboliques qu’il a confiés à chacun à notre arrivée. Ces objets doivent être “baptisés”, pour être accueillis dans le monde des vivants. Au fur et à mesure de la journée, ils se sont chargés de l’énergie de chacune des personnes présentes. Ils représentent une sorte de condensé de leurs pensées. Chacun en a reçu deux. L’un va rester propriété de la personne qui l’a travaillé. Il reflétera son énergie et ses pensées tout au long de son existence. L’autre va rester là, confié à l’esprit de la mère, dans une chrysalide vide, délicatement déposée au fond de la grotte. Marco récupère les quelques objets et se faufile dans un boyau qui disparaît sous la terre. À la lumière du jour, le fond de la grotte dévoile une multitude de chrysalides saisissantes, ici, se trouve concentrée une partie de la pensée du peuple

    Kogi.

    Extrait 2 : Verbalisation, gestion du non-dit et anticipation des déséquilibres  dans la culture des Kogis

     

    Les Kogis attachent une attention particulière à la verbalisation, à la gestion des conflits et autres tensions portées par le groupe. Il y a tension, conflits, lorsque l’énergie (la parole, le souffle...) ne circule plus, lorsque les règles ne sont plus acceptées, respectées et mises en pratique, lorsque le profane envahit et domine le sacré. Tous les Kogis n’acceptent pas les règles et les contraintes des “lois de la mère”. Certains peuvent choisir de ne pas les respecter, voire de les rejeter, ce qui, pour les membres de la communauté, constitue un délit majeur. Entendons nous bien : pour les Kogis, les lois universelles de la terre mère sont des lois vécues de l’intérieur qui garantissent l’équilibre et la continuité de la vie.

    La survie de la communauté, son équilibre, passe par leur respect, un respect qui s’incarne dans une attitude, une posture “juste” par rapport aux êtres et au monde. Que cette posture de partage, d’écoute et de respect ne soit plus vécue et mise en pratique et c’est l’ensemble de la communauté qui se trouve menacée. Les personnes concernées vont alors être invitées à parler, puis à parler encore, et ce, afin de pouvoir identifier l’origine de ce manque de respect, de ce déséquilibre.

    “Les personnes concernées vont voir le mamu et lui demande si elles peuvent parler, échanger avec lui. Elles lui demandent alors d’être interrogée sur leurs derniers actes et les pensées qui les animaient lorsqu’elles les ont réalisés. C’est le mamu qui dirige cet échange. (...)”

    C’est le respect des lois de la communauté qui évite la domination de l’individualisme, de la compétitivité, du non-dit et de la souffrance. Individus, familles, clans, communauté, à chacun de ces niveaux sont mises en place des procédures de verbalisation et de gestion des déséquilibres qui permettent

    d’éviter les ruptures et d’accompagner les membres du groupe dans les changements auxquels ils se trouvent confrontés.

    S’il y a un point qui différencie nos sociétés occidentales de celle des Kogis, c’est bien celui de la verbalisation, de cette préoccupation permanente d’éviter les noeuds, les blocages, les non-dits qui déséquilibrent les hommes et les

    organisations. Cette volonté de faire circuler les mots, les énergies, les

    émotions, comme la terre qui se doit d’assurer la circulation de l’air, de l’eau, des

    courants et de l’énergie.

    La non verbalisation entraîne la cristallisation de la colère, de la peur, de la souffrance, une cristallisation qui s’auto alimente jusqu’à la rupture.

     

    Là où les Kogis essaient d’anticiper ces ruptures, nos sociétés les subissent.

    Dans nos sociétés occidentales (entreprises, familles, organisations entendues au sens large du terme), il est très difficile pour les acteurs concernés de dire et de verbaliser leurs sentiments, peurs, limites, enjeux.

    Manque d’humilité, lâcheté, ignorance, colère, jalousie, parfois même indifférence, parce que non identifiés et non gérés, la diversité des sentiments humains nourrit et déforme les relations jusqu’à provoquer des déséquilibres majeurs qui peuvent s’incarner soit dans des conflits larvés ou violents, soit

    dans la création d’espaces de “non-dits” rapidement nourris par les interprétations, projections qui amplifient les phénomènes et les rumeurs.

    Apprendre à identifier ces situations personnelles ou collectives, reconnaître les sensations, émotions, enjeux, sentiments qui les font vivre, leur origine profonde, le contexte dans lequel elles s’inscrivent, les verbaliser, les exprimer, les

    partager, les gérer et gérer les réactions que cela peut susciter représente sans doute l’un des enjeux majeurs de nos sociétés occidentales. (...)

    Encore et toujours dire, partager, faire circuler pour préserver l’équilibre du tout, du groupe et de l’individu.

     

    Extrait 3 : Si l’on pouvait résumer quelques uns des axes de réflexion, quelques unes des passerelles qu’il doit être possible d’établir entre la culture Kogis et nos sociétés, j’en retiendrais six.

     

    1. Chaque individu doit être reconnu comme faisant partie d’un tout.

     Chez les Kogis, à travers sa fonction, son rôle par rapport à la communauté, chacun a sa place. À ce titre, chacun a droit à la parole. Dans une telle société, il ne peut pas y avoir d’exclus ; pour fonctionner de manière équilibrée, le système a besoin de l’ensemble de ses composantes, même celles qui ne seraient pas forcément dans la norme, puisqu’elles renseignent le système sur la norme.

    Cette reconnaissance et le respect associé sont fondateurs de l’identité de chaque membre de la communauté. Chaque partie du système me reconnaît comme étant une partie nécessaire pour le fonctionnement du tout.

    2. La notion de faute, présente dans les sociétés occidentales, est totalement inexistante.

    Il s’agit plus de déséquilibres physiques, psychologiques, sociaux, qui, une fois rétablis ne sont pas portés comme des sentences tout au long d’une vie.

    3. Le monde est compris comme un tout vivant et fragile dont les composantes sont en permanente interaction, ce qui oblige chacun à se sentir responsable de l’ensemble. Ce sont les liens de l’expérience sacralisée qui réunissent l’ensemble et lui donnent sens. Ce monde ne sépare pas, il réunit. La nature

    entière y est incluse : animaux, maïs, fleurs, nuages, pierres... Quand les Kogis se présentent en disant “Nous sommes des Kagabas...”, c’est à cet ensemble, ce tout, qu’ils font référence.

    4. Les problèmes, les difficultés doivent être formulés pour éviter les non-dits qui nuisent à l’harmonie des êtres et des lieux.

     Ce travail de “confession”, de verbalisation du corps au coeur, puis à l’esprit et à la parole, se doit d’être réalisé tant sur le plan des mots que sur celui du coeur et de l’énergie.

     

    5. L’interrelation, l’interdépendance lient les connaissances conceptuelles et expérimentales, coeur, conscience et esprits, hommes, nature et objet. Tout est équilibre entre un ensemble de composantes vivantes qui ont chacune un rôle et une fonction. L’ensemble ne fonctionne que parce que chacune des parties est reliée aux autres et remplit au mieux son rôle.

     

    6. Leur système de compréhension du monde est un système fragile qui se doit d’être préservé et entretenu.

    C‘est pourquoi ce même système permet de gérer en permanence les problèmes de pouvoir et de dogmatisme liés à tout groupe social structuré autour d’un projet collectif. De fait, leur système est en permanente évolution, et ce, afin de maintenir un équilibre subtil entre les forces internes et externes qui interagissent sur leur société où le changement, la confrontation des contraires et des subjectivités sont vécus comme des composantes essentielles de la vie.

     

  • Bon, ça c'est fait...

    J'ai fini ce matin le tome 2 de Jarwal. 1 mois d'écriture non-stop...Ca fait sept bouquins. Et le huitième est déjà bien en place dans ma tête.

    Il reste à faire une première relecture en m'attachant UNIQUEMENT à l'histoire, chercher les erreurs dans le déroulement, des incompréhensions etc...

    Une deuxième relecture en travaillant UNIQUEMENT sur la maîtrise de la langue, syntaxe, lexique, orthographe, concordance des temps ...

    Une troisième relecture pour travailler UNIQUEMENT sur le fond, les thèmes, les notions philosophiques etc...

    Une quatrième relecture pour voir si je n'ai rien oublié :)))

    En une semaine ça doit être bouclé. Il faut rester la tête dedans, c'est essentiel.

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  • Jarwal et les Kogis : Kalén

    Un extrait du tome 2.

    La rencontre entre Jarwal et Kalén.

     

    Jarwal a rejoint Marine, Rémi et Léo et leur raconte une nouvelle histoire de sa longue vie.

     


     

    CHAPITRE 2

     

    « Jarwal et les Kogis. » annonça le lutin.

     

    Ce matin-là, Gwendoline avait décidé de s’occuper du potager.

    Elle félicitait les tomates et les salades pour leur énergie, caressait les feuilles, aérait la terre, s’excusait auprès des quelques herbes envahissantes qu’elle devait arracher, elle répondait au rossignol qui chantonnait à ses côtés, prenait délicatement les limaces gourmandes et allait les déposer sous les arbres, tout ce travail empli d’amour et de bénédiction, d’hommages appuyés envers la terre nourricière.  

    Dans l’atelier attenant la maisonnée en pierres, Jarwal travaillait à la confection de potions. Il avait récolté de beaux champignons, cèpes jaunes des mélèzes, des entolomes livides, quelques chanterelles, des trémelles gélatineuses et douze morilles. Il avait bien entendu gardé les morilles pour une belle omelette. Gaspardine et ses trois copines se chargeraient bien de leur offrir quelques œufs bien frais quand elles daigneraient arrêter de se gaver de vers de terre et autres limaces dans les sous-bois.

    Le lutin mit bien de côté chaque espèce de champignons. Pas question de se tromper ou de mélanger par mégarde la moindre lamelle toxique. Il attrapa sur les étagères les nombreux pots de plantes, graines, carapaces d’insectes, chrysalides abandonnées, mues de moustiques, de libellules et de serpents, lambeaux d’écorces, sève de bouleaux, résine de pins cembro, fientes de corneilles, pelotes de réjection, boules de gui, de houx et de genévrier, argile verte, poussières de météorites, gélatine d’œufs de grenouilles, coquilles d’escargots, écailles de poissons, duvets d’aigles et autres éléments naturels, il ouvrit le grimoire des recettes et potions magiques et entreprit de confectionner quelques nouvelles mixtures stimulantes, baumes de guérison, tisanes apaisantes, grains de croissance, cataplasmes régénérant, mélanges expérimentaux de son cru.

    Reproduire les connaissances ancestrales ne le satisfaisait pas pleinement. Il tenait à découvrir, à s’aventurer dans une démarche créatrice, un progrès à diffuser, à partager, une amélioration continue.

    Il finissait l’ajout d’un accélérateur de particules à une ancienne potion lorsque sa bien aimée entra dans l’atelier.

     

    « J’ai fini mon travail au potager lutin de mon cœur. Et toi ?

    -Plus qu’à laisser macérer ma potion pendant deux jours et je pourrai la tester.

    -Et de quoi s’agit-il ?

    -Hum…J’espère avoir réussi à stimuler la pousse des plantes dans n’importe quel endroit, sans même qu’il y ait de terre pour accueillir les graines. Il suffirait que ça soit un élément vivant afin que les semences se servent du flux vital.

    -Tu peux être plus clair ?

    -Ces graines n’auraient pas besoin de sol pour pousser. Elles se serviraient de l’énergie originelle de l’élément receveur.

    -Tu veux dire qu’elles pourraient pousser au cœur de n’importe quoi de vivant ?

    -Exactement. Elles utiliseront ce qui constitue la vie elle-même pour croître.

    -Elles pourraient donc pousser en les plaçant dans une souche d’arbre ?

    -Tout à fait. Si cet arbre est encore vivant, elles aspireront la vie qui est en lui. Et d’un arbre qui finirait peut-être par mourir jaillirait une nouvelle plante sans même qu’un contact avec la terre nourricière soit nécessaire. Les racines se développeront par la suite et atteindront le sol pour que la croissance continue.

    -Tu m’étonneras toujours mon amour.

    -Tu voulais me demander autre chose ?

    -J’aimerais bien aller faire une promenade près de la mare aux chevreuils. Juste pour m’asseoir avec toi au bord de l’eau.

    -Mais volontiers ma belle. Je range un peu mon atelier et on y va. »

     

     

    Il rejoignit Gwendoline qui se coiffait d’un chapeau en feuilles de fougères tressées. Une robe à bretelles en toile de lin agrémentée de fleurs séchées laissant paraître ses chevilles et ses sandales de lianes, un collier de pierres de lacs que lui avait fabriqué Jarwal.

    « Tu es vraiment la plus belle des lutines ma princesse. Ce chapeau te va à merveille mais sans toi dessous, il ne serait pas aussi beau.

    -Et toi, tu es le plus gentil et le plus attentionné des lutins. Mais alors, par contre, tu es aussi élégant qu’un coq déplumé. Je veux que tu me donnes ce soir tes braies et ton gilet, que je recouse toutes ces pièces déchirées.

    -Bouh ! Tu sais bien que j’aime bien mes habits comme ça, je suis un lutin des bois moi et je n’ai pas besoin d’être élégant.

    -Et bien, moi, ça me déplait que mon compagnon de vie soit fagoté comme un asticot en vadrouille ! »

    Jarwal marmonna dans sa barbe.

    « Et j’aimerais bien aussi que tu tailles ta barbe ! C’était bien plus doux quand tu l’entretenais davantage. Je sais bien que tu travailles beaucoup ces temps-ci mais tout de même. Un peu d’entretien ne te ferait pas de mal. Et puis ça gratte vraiment beaucoup pour les bisous dans le cou ! » ajouta la lutine, espiègle.

     

    Jarwal lui prit la main.

    « C’est promis. »

     

    Ils s’engagèrent dans le sous-bois. Gwendoline chantonnait et sa voix cristalline montait dans les feuillages comme une vapeur translucide, des flocons si légers qu’ils retournaient vers les nuages, comme des mélodies d’anges. Jarwal se laissait envoûter par ces notes sublimes, ces communions enchanteresses avec les arbres et le vent dans les frondaisons, les frémissements de feuilles comme des chorales délicates, cette impression merveilleuse d’entendre respirer la Terre sur le tempo du cœur de Gwendoline, comme un accord inexplicable au cœur de l’amour.

    Gwendoline aimait la Terre autant que la Terre l’aimait.

    Un échange indissociable, un partage constant, un respect ineffable, indéfini.

     

    Jarwal repensait secrètement à ce chagrin incommensurable de Gwendoline lorsque cette tempête effroyable avait abattu des dizaines d’arbres. L’an passé. Un grondement de montagnes qui s’écroulent, des hurlements barbares, comme des cris interminables, les craquements répétés des arbres vaincus, des branches fouettant les murs lacérés de la maison, des heures durant. Elle n’avait pas quitté les bras de Jarwal, sursautant à chaque coup de tonnerre, pleurant douloureusement, sans un mot. Des trombes d’eau sur le toit, des cascades verticales tombant des nuages éventrés.

    Dès le lendemain, elle avait parcouru la forêt, se couchant contre les troncs brisés et pleurant contre les écorces, caressant les fûts couchés, enlaçant les jeunes arbustes écrasés par leurs aînés, s’allongeant contre les racines mises à nu, mêlant ses larmes à l’humidité de la terre ravagée.

    Un désastre dont elle n’avait pu guérir totalement tant cette certitude que les hommes étaient responsables l’avait hantée jours et nuits, cette impression terrifiante que la Terre connaîtrait de plus en plus de sursauts colériques et destructeurs, comme si la présence et les dégâts irrémédiables de cette humanité envahissante condamnait le vaisseau terrestre et que la Terre incessamment agressée ne pourrait étouffer en elle la multiplication de crises dévastatrices, comme des rebellions incontrôlables, des courroux insoumis, des hystéries aussi puissantes que son désarroi et sa détresse. Elle imaginait les catastrophes à venir, une croissance exponentielle, comme si ce désamour des humains envers la planète ne pouvait que s’amplifier et la désillusion de la Terre se renforcer. Il fallait tenter de contrer ce phénomène dévastateur par un amour amplifié, préservé, partagé, des bénédictions et des hommages quotidiens, des paroles et des actes emplis d’un respect infini. C’était la seule solution, comme un antidote au poison diffusé par certains hommes.

    Elle avait pleuré autant de larmes que tous les flocons d’hiver. Elle avait murmuré pendant des lunes entières tout l’amour qu’elle portait, elle avait cajolé la nature comme on câline un nouveau-né, priant pour la mémoire des arbres tombés, des animaux écrasés, des fleurs hachées.

    Cette tristesse au fond de ses yeux, comme un cœur noyé.   

    Il avait fallu que leurs amis des bois interviennent pour lui redonner le sourire. Les farfadets dans leurs habits de fougères avaient dégagé les arbustes blessés du poids faramineux des troncs couchés ; munis de haches de pierre, ils avaient taillé dans les fûts des réserves de bois de chauffage, remerciant chaque bûche des chaleurs à venir. Des gnomes, sortis de leurs terriers, armés de leur mauvais caractère légendaire, entreprirent de mettre un peu d’ordre, trop de galeries effondrées, trop de repaires éventrés, un capharnaüm insupportable qui les rendaient encore plus grognons qu’à l’accoutumée. Des elfes aux ailes translucides se regroupèrent pour soulever des hêtres centenaires, des bouleaux enchevêtrés, des châtaigniers tourneboulés. Les ondines des cours d’eau dégagèrent les barrages de végétaux, nettoyèrent les mares et les bassins, d’autres lutins des bois se joignirent à l’armée des travailleurs, un chantier immense pour lequel tout le Petit Peuple s’organisa, dans une communion immédiate. Ils acceptèrent même que Jarwal et Gwendoline supervisent le travail, guident les groupes, établissent des priorités.

    Cette solidarité bienfaisante avait eu un effet régénérateur sur Gwendoline. Comme un rêve de complicité planétaire, l’exemple parfait de ce que les hommes pouvaient réussir s’ils étaient capables de s’entendre et non uniquement  se supporter pour des enjeux lucratifs. Mais pour s’entendre, il convient au préalable de faire taire en soi, le tohu-bohu des pensées vénales. Le Petit Peuple savait le faire. Tous ses membres comprenaient que le maintien de la Nature était vital. Les intérêts personnels ou de castes n’avaient aucun droit. 

     

    Jarwal avait aidé sa bien-aimée à dégager les arbres qui n’étaient pas tombés mais qui supportaient des troncs brisés et pliaient douloureusement, ils avaient replanté ensemble des graines variées et des potions de croissance leur étaient venues en aide mais tout ça ne cautérisait pas la plaie et cette inquiétude néfaste d’un avenir chargé de deuils et de noirceurs.

    Le village du Pontet avait d’ailleurs été balayé par une coulée de boue en pleine nuit et beaucoup d’humains avaient disparu.

    Personne, malgré ce désastre, ne voulait voir la vérité. La Terre était en souffrance. L’humanité ne voulait pas ouvrir ses yeux ni encore moins son cœur.

    Que serait le prochain millénaire ? Ils en avaient longuement parlé. Ni l’un, ni l’autre ne parvenait à imaginer ce que le Progrès apporterait comme nouvelles dérives. Comme autres désolations.

     

    « Je sais à quoi tu penses mon amour, murmura Gwendoline.

    -Oui, je sais bien.

    -Nous faisons ce que nous pouvons.

    -Et nous ne pouvons rien faire de plus. Ce qui importe, c’est que nous soyons fidèles à nos valeurs et que nous ne sombrions pas dans les pensées sombres au point de tout abandonner.

    -L’avenir n’est qu’une illusion de nos pensées, c’est ça ?

    -Oui, mon amour, acquiesça Jarwal. Le Temps n’existe pas. Ni le passé, ni le futur. La vie est là et maintenant. Il est inutile de regretter l’harmonie ancienne, ni craindre les temps à venir. Demande à un arbre ce qu’il fera demain. Il sera incapable de te répondre. Les humains sont les seuls à se fourvoyer dans ces angoisses malsaines. Nous ne devons pas les imiter.

    -Mais si nous ne tentons pas de prévenir les calamités, elles surviendront immanquablement.

    -Pas si nous nous appliquons dans l’instant présent. Il ne s’agit pas de vouloir préserver ce qui reste en imaginant que ça peut disparaître mais d’honorer ce qui est là. Et parce que cette Nature se sentira aimée, elle oeuvrera elle-même à son maintien. L’idée d’un temps à venir est la mort préméditée de l’instant qui est là.

    -Oui, mon prince, tu as raison. Je dois penser à aimer ce qui est là. »

     

    Ils arrivèrent au bord de la mare aux chevreuils et abandonnèrent les pensées. Ils s’installèrent, côte à côte au bord de l’eau et laissèrent l’immobilité de l’étendue couverte de nénuphars envahir leur esprit silencieux. Une eau limpide sur un fond de galets.

    Des hydromètres et des gerris glissaient sur la surface lisse, tournoyant autour des tiges de potamots, cherchant allègrement quelques denrées à saisir. Un foisonnement d’insectes au milieu d’une végétation luxuriante. Quelques libellules chassant sans répit, une aeschne bleue scintillant dans un rayon de soleil, un papillon vagabondant dans des arabesques sautillantes. Le murmure léger du filet d’eau glougloutant à l’extrémité de la mare et vidant le trop plein. 

     

    « Je t’aime Jarwal.

    -Moi aussi Gwendoline. Et je suis immensément heureux que la vie nous ait réunis.

    -Tout à l’heure, tu disais que nous devions œuvrer à vivre l’instant présent mais il me reste toujours cette obligation que je m’impose à tenter d’améliorer la situation, à protéger cette nature que j’aime.

    -Bien sûr et je ne le conteste pas. Je pense simplement qu’une fois que tu as fait ce que tu penses être juste, il est inutile de t’alourdir de la projection temporelle qui voudrait que tes actes aboutissent. Ce qui importe, c’est que tu agisses. Le reste n’est pas de ton domaine. Il est celui de la vie.

    -Inutile que je m’inquiète envers mes actes dès lors qu’ils sont justes, c’est bien cela ?

    -Dès lors que tu penses avoir fait ce que tu penses être juste. C’est encore différent.

    -Parce que les conséquences de mes actes ne seront pas forcément justes, c’est cela ?

    -Exactement. Mais là encore, dès lors que tu as agi en ton âme et conscience, dans une absolue lucidité, tu n’as pas à te reprocher la tournure des évènements. Par exemple, nous avons replanté des arbres après cette tempête mais en le faisant, nous avons peut-être perturbé la pousse des arbres qui avaient survécu, nous avons créé une injustice en aidant nos graines avec des potions de croissance. Les arbustes qui n’en ont pas bénéficié vont peut-être se retrouver dépassés par ces nouvelles pousses et ils vont devoir lutter pour user de tout leur potentiel. Nous avons agi par amour pour la forêt. Mais en voulant rétablir une communauté d’arbres, nous avons peut-être troublé un ordre naturel. Ce qui était bon à nos yeux ne l’était pas forcément pour tous. La forêt nous le montrera et nous devrons en tirer les leçons. D’ailleurs, je m’inquiète peut-être inutilement. Il est dès lors vain que j’y pense. La vie sera le juge de paix. C’est toujours ainsi. »

     

    Gwendoline posa sa joue sur l’épaule du lutin et serra sa main. Une bouffée d’amour en elle, comme une chaleur remontant du plus profond de ses fibres.

     

    Jackmor…Une pensée subite dans l’esprit du lutin, comme une intrusion violente, sans aucun prémices, un temps qui ne s’effacerait sans doute jamais, des images ancrées dans une mémoire fossilisée. Et puis cette inquiétude sourde qui jaillissait ponctuellement, nourrie par ce combat lointain, cette certitude inexplicable que Jackmor ne pouvait pas disparaître, qu’il trouverait quelque part, un jour, dans les ego tourmentés des hommes  l’énergie sombre, nécessaire à son retour.

     

    Gwendoline serra la main de Jarwal, une intuition, elle devinait ses pensées. Cette raideur de son dos, comme une menace, il était prêt à bondir, elle sentait ses muscles tendus, des cordes d’arc.

     

    Une risée sur l’eau attira son regard, des ridules discrètes puis une agitation amplifiée, un courant d’air glissant entre les plantes, les insectes surpris cherchant un abri entre les racines des lentilles et des nénuphars, sous les feuilles étalées, une ombre courant sur l’eau comme un nuage chutant des firmaments, un vol de colombes s’enfuyant dans un claquement d’ailes. Une spirale inexplicable se forma sur la surface troublée, un tourbillon qui accéléra, des vaguelettes ondulant en courbes régulières.

     

    Jarwal s’était redressé, les sens aux aguets.

     

    Une colonne d’eau s’éleva soudainement, au centre de la mare, dans un silence absolu, un cylindre de la taille d’un homme, un tube vertical dans lequel les particules liquides tournoyaient frénétiquement, comme animées par une force inconnue, aimantées par l’espace, libérées de la pesanteur, aspirées vers le ciel. Jarwal et Gwendoline, fascinés, virent à travers les parois de la colonne une forme s’installer, une ombre s’épaissir, une ébauche qui se matérialisait progressivement. Ils se levèrent et reculèrent de quelques pas, subjugués par le spectacle, ébahis par ce placenta vertical à travers lequel ils distinguaient clairement une silhouette humaine. Le tournoiement des molécules d’eau s’amplifia et un bourdonnement apparut, remplacé aussitôt par des martèlements réguliers, comme un tambour imitant des pulsations cardiaques, un gonflement des parois s’installa au rythme des battements, des contractions qui tendaient le tube comme un ventre, les mouvements de l’eau augmentèrent encore, des courants ascendants croisaient des cascades puis dans une gerbe tonitruante, comme le cri condensé de toutes les particules, le tube explosa.

     

    Jarwal et Gwendoline se protégèrent de l’averse avec leurs bras.

     

    Quand ils relevèrent la tête, au milieu de la mare, se tenait un jeune garçon. De l’eau jusqu’à la taille.

     

    Ils se regardèrent intensément.

     

    Lui. Le teint mât, les cheveux longs, noirs comme la nuit, ruisselant, tombant sur ses épaules, des yeux sombres. Il était bien bâti et il était difficile de lui donner un âge. Quinze ans peut-être. Mais une attitude particulière, une tenue singulière, un port de tête altier, un regard transperçant.

    Il entreprit de sortir de l’eau, de monter sur la berge.

     

    Jarwal et Gwendoline ne bougèrent pas. Cette intuition qu’ils ne risquaient rien. Trop de dignité, cette élégance princière, cette grâce que portent les hommes bons. Aucun mépris. Mais une force intérieure immense.

     

    Il se posta devant eux.

    Ils devaient lever les yeux pour croiser son regard.

    Il posa un genou au sol, comme un chevalier devant son suzerain et sa reine.

     

    « Je m’appelle Kalén. Ça veut dire être autre, différent.

    -Je suis Jarwal et voici Gwendoline, ma compagne.

    -Je sais vous êtes. »

     

    Un accent inconnu et des difficultés dans la langue. Un voyageur au long cours.

     

    « Je viens voir vous de très loin. Pays des Kogis. Par-dessus la grande eau.

    -Comment se fait-il que tu connaisses notre langue ?

    -Je suis fils de Izel, l’Unique, le chaman des Kogis. Izel a dit comment savoir.

    -Comment es-tu arrivé ici ?

    -L’eau est partout et les Kogis vont avec l’eau. »

    Il se releva et alla s’asseoir dans un rond de soleil.

    « Soleil chauffe Kalén. »

    Il secoua sa chevelure. De longs fils noirs comme le charbon. Un large sourire.

    « Kalén heureux avoir trouvé vous. »

     

    Une outre en bandoulière. Une longue tunique blanche, un pantalon dans la même toile souple et des sandales à lanières.

     

    « Tu veux venir à notre maison Kalén ? Nous t’offrons l’hospitalité. »

    Un haussement d’épaules du jeune garçon, un froncement des sourcils, un visage interrogateur.

    « Pour manger et dormir. Et parler, expliqua Jarwal.

    -Oui, Kalén vient vous avec. »          

     

    Le jeune garçon se retourna vers la mare, joignit les mains et s’inclina respectueusement.

    « Un remerciement, » pensa Jarwal.

     

    Jarwal l’invita d’un signe de main, un bras tendu en avant. Gwendoline à ses côtés.

    Il marchait comme un félin. Une fluidité fascinante. Le balancement de ses bras comme une danse.

     

    « Je sais étrange pour vous. Kalén expliquer.

    -Dans notre langue, tu peux dire « je » quand tu parles de toi. Pas Kalén mais « je ».

    -Très bien, je comprends.

    -Comment Izel t’a appris notre langue ? C’est difficile.

    -Izel était le plus grand chaman du peuple des Kogis. Il disait la langue s’apprend dans l’amour. Pas vouloir apprendre mais vouloir aimer. Il faut aussi un sens, une direction, un objectif. Une mission. Des mots importants pour Izel.

    -Pourquoi parles-tu de lui au passé ? Qu’est-il devenu ?

    -Jackmor a tué mon père. »

     

      

    Un choc effroyable, un coup de sabre comme un éclair fulgurant, le corps pétrifié. Jarwal figé comme un fossile. Un vent glacial dans ses veines. Une mort en visite.

    Gwendoline qui se blottit contre lui. Qui lui serre les bras, comme si la peur soudaine risquait de l’emporter.

     

    « Je viens voir vous pour Jackmor. »

     

    Cette certitude que le monstre reviendrait un jour le tourmenter, que cet esprit malsain ne pouvait pas disparaître, qu’il reprendrait forme ailleurs, dans un autre temps, que les noirceurs des humains nourriraient sa haine, qu’il retrouverait l’énergie nécessaire à sa soif de pouvoir, de soumission, de manipulation.  

     

    Kalén s’était arrêté aussi et observait le lutin.

     

    « Beaucoup de choses je dois expliquer à toi. »

     

    Le silence, le regard lointain de Jarwal, tellement de souvenirs, cette validation de ses inquiétudes, il savait que rien n’était fini. Jackmor trouverait toujours dans la partie sombre des humains l’énergie destructrice, les forces malsaines, la puissance nécessaire à sa matérialisation. Gwendoline craignait que les méfaits des hommes n’accroissent les désordres de la Nature. Jackmor, pour sa part, en rêvait.

     

    Jarwal se força à bouger, comme pour échapper à l’emprise de Jackmor, à sa peur, à tout ce qu’il imaginait.

     

    Ils rejoignirent la maison sans un mot. Gwendoline ne lâcha jamais la main de son  compagnon. Elle savait ce qui le hantait.

     

    Ils s’installèrent sur un banc accolé au mur de pierres. Gwendoline alla chercher du pain et de la confiture, une cruche d’eau, un tissu pour que Kalén se sèche un peu. Elle le lui tendit.

    Il déclina la proposition avec un sourire.

    « Non, je pas besoin. Pas enlever l’eau, l’eau partir quand elle décidera. Un Kogi n’efface pas l’eau. Mais je prends bien de la nourriture. Merci.»

    Il joignit les mains et inclina la tête devant la tartine de pain à la confiture de myrtilles que Gwendoline lui tendit. Il remerciait la nourriture autant que celui qui la donnait.

     

    Jarwal pensa qu’il ne s’était pas trompé. Ce jeune garçon portait en lui une infinie sagesse. Malgré son âge. La curiosité l’emporta sur sa torpeur, il délaissa ses sombres pensées, il repoussa les souvenirs de Jackmor.

     

    Léontine, attirée par l’odeur de confiture de myrtilles, arriva comme un bolide vrombissant et vint se poser sur l’épaule de Gwendoline. Celle-ci trempa un doigt dans le pot et l’offrit à la mouche bleue.

     

    « Tu as beaucoup de choses à nous raconter Kalén. Acceptes-tu de répondre aux questions qui se bousculent dans ma tête. Et tu rajouteras ensuite ce qui est important pour toi.

    -Oui, Jarwal, c’est très bien comme ça.

    -Tu as dit qu’Izel t’avait appris notre langue. Mais comment ton père la connaissait-il ?

    -Mon père connaissait ce qu’il aimait connaître. Et il disait toujours que cet amour était la nourriture essentielle pour apprendre. Il voulait connaître les autres langues pour communiquer avec les peuples qui traversent la grande eau et viennent dans nos montagnes. Les Espagnols, les Portugais.

    -Qui sont ces gens ?

    -Des Conquistadors. Mon père pensait qu’il était possible de lier amitié avec eux. Alors, il voulait apprendre. Et il a m’appris. Et maintenant que je suis là, je vais apprendre tout. Parce que je pense comme vous. Ici, je suis Kogi mais je suis d’abord celui qui apprend.

    -Tu veux dire que quand tu penses, tu le fais en Français et pas en Kogi ?

    -Oui, c’est ça.

    -Mais, il faut tout de même une grande mémoire pour y parvenir. Je pense que tout le monde ne peut pas faire ce que tu réussis.

    -Je sais. Je suis chaman. Et mon père était le plus grand chaman de l’histoire de mon peuple.

    -Donc, si j’ai bien compris, demain tu parleras encore mieux que maintenant ?

    -Pas demain. Maintenant. Tes phrases corrigent les miennes. »

     

    Aucune prétention dans son attitude. Une simplicité naturelle. Ce qu’il disait n’avait rien de supérieur pour lui et ne lui donnait aucun droit de domination sur les autres.

     

     

    Rémi leva la main, comme s’il était en classe.

    Jarwal arrêta sa lecture en souriant.

    « Oui Rémi ?

    -Tu as parlé des Conquistadors mais alors cette histoire se passe à peu près en 1500 si je me souviens bien de ce que j’ai lu là-dessus ?

    -C’est tout à fait ça Rémi. Nous sommes exactement en 1501 et Vasco Nunez de Balboa, un aventurier espagnol a entrepris avec son armée de conquérir tous les territoires qu’on appelle aujourd’hui la Colombie et le Venezuela.

    - Mais alors ça fait à peu près deux cents après ta première histoire ?

    -Oui, c’est encore exact.

    -J’ai toujours du mal avec des durées de vie pareilles !

    -Ben moi aussi, lança Léo, ébahi.

    -Vas-y Jarwal continue, » coupa Marine, impatiente.

     

     

     

    Le lutin se concentra de nouveau sur le texte et reprit sa lecture.

     

    « Comment es-tu venu jusqu’ici Kalén ?

    -C’est l’eau le chemin. Les Kogis vouent une adoration absolue à l’eau. Elle est la vie et la vie est partout. Chez les Kogis, un chaman sait utiliser l’eau pour aller où il veut. Nous avons beaucoup d’eau dans notre corps, comme dans tous les corps vivants. Les animaux, les plantes, les humains. La Terre est entourée d’eau. Les nuages, la vapeur, l’atmosphère. Il y a de l’eau partout. Mais pas en quantité égale. Izel m’a appris à fragmenter mon corps dans les molécules d’eau et à rejoindre les particules d’eau qui entourent la Terre. »

    Jarwal et Gwendoline étaient stupéfaits de la vitesse avec laquelle le jeune garçon augmentait sa connaissance de la langue. Comme des années d’apprentissage en quelques minutes. L’impression que leurs propres pensées servaient d’instructeur à Kanél.

    « Oui, Jarwal, effectivement, même les pensées peuvent emprunter ce canal de transmission. C’est comme ça que j’apprends. C’est comme ça aussi que Izel a su où tu étais. »

    Le jeune garçon lisait donc dans les pensées…

    « Non Jarwal, je ne lis pas dans les pensées. Ce sont les pensées qui viennent se dire en moi.

    -Je ne comprends pas, dit Jarwal. Les pensées peuvent voyager en empruntant les molécules d’eau ?

    -Oui. C’est cela. Izel avait rencontré plusieurs fois Jackmor. Et Jackmor pense très souvent à toi. Avec une colère immense. Les pensées de Jackmor sont comme des cris de haine.»

    Une révélation, une surprise totalement inattendue. Jackmor aussi n’avait rien oublié. Il lui en voulait. Au point que ses pensées se lisaient.

    « Il était facile pour mon père de savoir où tu étais, continua Kalén. Il voulait venir te rencontrer mais il ne trouvait pas le temps. La souffrance de mon peuple est trop grande. Il ne pouvait pas s’absenter. Izel était le seul à tenir tête à Jackmor. Jackmor était fasciné par les connaissances de mon père.

    -Jackmor est fasciné par la savoir. Et son ambition est sans limite. Pourquoi Izel voulait-il me voir ? Je ne pouvais pas l’aider dans le voyage de l’eau.

    -Il espérait que tu l’aiderais à vaincre Jackmor une fois que notre peuple serait à l’abri dans les montagnes. Il ne voulait pas laisser Jackmor et les hommes blancs détruire la forêt.

    -J’ai entendu parler des pays de l’autre côté de l’océan Atlantique, c’est comme ça ici que s’appelle la grande eau. C’est là-bas que tu es ?

    -Oui, les hommes blancs ont appelé notre terre la Colombie. Ils sont là pour tout voler. L’or en premier. Et rien ne les arrête. Même pas le crime et la destruction de notre peuple et de notre terre. »

     

    Jackmor et les Conquistadors. Le monstre avait trouvé des alliés à sa mesure. Des hommes sans scrupules, avides, destructeurs, violents, sans aucune morale. La puissance de Jackmor devait être immense désormais.

     

    « Explique nous davantage cet usage de l’eau Kalén, c’est fascinant.

    -Là où il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de vie. Ou une vie très réduite, infime, comme dans les grands déserts. Dans nos montagnes, l’eau est partout et la vie est florissante. Nous, les chamans, avons appris à comprendre l’eau. Elle contient tout le mystère. Et ce mystère est en nous car nous sommes constitués d’eau. »

     

    D’entendre parler autant de l’eau donna soif à Rémi qui sortit sa gourde. Jarwal s’arrêta.

    « Même qu’un adulte a 60% d’eau dans son corps, ça fait environ quarante-deux litres pour une personne de soixante-dix kilos, annonça Léo qui profitait de l’intermède, lui aussi, pour boire une longue gorgée.

    -Tout à fait exact Léo. Et les Kogis le savaient déjà, commenta Jarwal.

    -Je n’avais jamais entendu parler de ce peuple, s’étonna Marine.

    -Ces peuples sont oubliés de tous parce qu’ils représentent ce que les hommes ont perdu. L’amour de la Terre. Alors, ne comptez pas sur votre monde moderne pour vous les présenter ou même les donner en exemple. Ils seront plutôt rabroués, rabaissés, on vous dira que ce sont des peuples primitifs, des sauvages. A mes yeux, les sauvages sont ceux qui détruisent, pas ceux qui protègent et respectent. Il y a une effroyable manipulation. Mais la raison en est simple et en même temps inavouable. C’est la honte. Une honte tellement forte que les peuples modernes ont tout fait pour l’étouffer sous les artifices de ce fameux progrès. Et le conditionnement a si bien fonctionné qu’aujourd’hui, plus personne ou presque ne parvient à voir l’erreur. Il se dit que les peuples qui exploitent la Terre sont des peuples évolués et que ceux qui vivent en respect avec elle sont des peuples primitifs.

    -On est en droit de se demander par conséquent si l’humanité a bien fait de progresser.

    -Oui, Marine, mais ça n’est pas le progrès l’ennemi mais l’avidité que certains hommes ont laissé croître en eux au point de faire du progrès une arme de destruction massive.

    -C’est donc l’homme le problème essentiel.

    -Ceux-là ne sont pas encore des hommes Rémi. Ce sont des ébauches, des prototypes. L’homme réel n’existe pas encore.

    -Comment pourrait-on le définir alors ?

    -On en reparlera les enfants. Mais, il vaut mieux d’abord que je finisse mon histoire.

    -Oh, oui, pardon Jarwal, on s’emballe, on s’emporte mais tout ça est tellement passionnant. Continue, s’il te plaît. »

     

    Un sourire du lutin.

     

    « Je vous aime très fort tous les trois. »

     

    Les yeux des enfants qui brillent, des étoiles scintillantes dans leur univers intérieur, des sourires gênés, un parfum de bonheur autour d’eux. Comme des pensées qui embaument.

     

    Le lutin reprit sa lecture.

     

    « Il est possible de retourner à l’origine de la vie, dans l’état où elle s’est développée. L’eau couvrait la Terre aux temps anciens. Et puis, elle a libéré les premières formes de vie. Parce que c’était en elle et que les conditions étaient réunies pour que ce gigantesque potentiel se développe. Tout est toujours enregistré en elle. Elle est la mémoire de la vie et son avenir. C’est dans le présent que nous l’oublions.

    -Il te fallait donc un espace liquide pour te matérialiser après ce voyage ? Tu avais besoin de cette mare ?

    -Exactement Gwendoline. C’est pour cela qu’il est si délicat pour les hommes de vivre dans le désert. Il n’y a pas assez d’eau pour cela. Non seulement pour la vie quotidienne mais pour se matérialiser également.

    -Tu veux dire que les esprits ont besoin de la présence de l’eau pour incorporer une enveloppe matérielle, que ça soit un animal, une plante ou un humain ?

    -Tu vas plus vite que mes explications Jarwal. Mais c’est exactement ça. Tout embryon de vie est constitué d’eau. Chez les humains, le bébé baigne même dans l’eau. Pour descendre dans ce calice, il faut que l’esprit suive un chemin constitué d’eau. Pendant mon voyage, dans l’atmosphère, j’ai croisé d’innombrables esprits en attente. Des plantes, des animaux, des humains.

    -C’est fascinant, commenta Gwendoline. Je sais bien que les arbres, comme tout ce qui vit dans cette forêt, possèdent un esprit mais je ne savais pas qu’ils avaient besoin de l’eau pour trouver une enveloppe pour les accueillir.

    -Moi non plus, ajouta Jarwal. 

    -Les Kogis le savent depuis toujours. Nous voulons diffuser ce savoir. Mais les Conquistadors ne veulent que notre or. Certains disent même que nous ne sommes que des animaux sans âme parce que nous ne croyons pas dans leur Dieu. Nous ne comprenons pas cette idée. Dieu, c’est la Nature. Et la vie qu’elle propage. Dieu est un brin d’herbe, un oiseau ou un humain. Nous sommes tous Dieu puisque la Nature est en nous.

    -Que s’est-il passé pour ton peuple ?

    -Jackmor est arrivé un jour, avec des soldats, des armes à feu, des épées, des armures. Nous ne sommes pas des guerriers. Nous n’avons rien pu faire. Mon peuple maintenant est prisonnier et travaille jusqu’à la mort dans les mines d’or de nos montagnes. Nous prenions l’or des montagnes en petite quantité, pour faire des bijoux, des talismans, nous ne cherchons pas la richesse comme les hommes blancs. L’or est solide, il est beau, il ne s’abîme pas. C’est tout ce que nous aimons chez lui. Mais les Conquistadors en veulent toujours plus. Ils l’emportent chez eux, ils ont commencé par voler nos bijoux mais ça n’est jamais assez. Ils sont toujours inassouvis, ils se disputent même entre eux. Et surtout ils nous frappent, nous enchaînent, nous exploitent jusqu’à la mort.

    -Que s’est-il passé avec Izel ?

    -Jackmor a compris que mon père n’espérait plus rien des hommes blancs et qu’il allait entreprendre de sauver son peuple. Mon père voulait utiliser ses connaissances pour transporter par le chemin de l’eau mon peuple dans les montagnes. Très haut, très loin des hommes blancs. Mais il avait besoin d’énormément d’énergie pour parvenir à emporter tout le monde en même temps. Il ne pouvait pas le faire progressivement car Jackmor se serait vengé sur les derniers. Il fallait transporter tout le monde en même temps ou personne. Mon père avait besoin de s’isoler pour préparer ce voyage, il a refusé d’aller à la mine. Il devait rester près du torrent pour invoquer les forces de l’eau. Jackmor n’a pas accepté cette désobéissance, il a eu peur que ça déclenche une révolte. Il s’est senti humilié devant ses hommes. Alors il a poignardé mon père. Devant nous tous. Il savait qu’en tuant le chaman, les Kogis seraient prisonniers. »

     

    Les yeux perdus du jeune garçon, des images gravées à jamais dans son cœur.

     

    « Tu ne peux pas encore effectuer ce transport de ton peuple, c’est ça Kalén ? »

     

    Le visage du jeune garçon qui s’obscurcit, les épaules qui s’affaissent, comme une immense tristesse qui l’écrase.

     

    « Je ne suis pas encore assez puissant. »

     

    Une honte invalidante, une paralysie, tout le poids de son peuple sur ses épaules.

     

    « Je ne peux pas les sauver. »

     

    Gwendoline posa une main sur son bras. Elle ressentait toute sa détresse. Trop de douleurs pour une si jeune âme. Son père assassiné sous ses yeux, un héritage de connaissances qu’il ne parvenait pas encore à utiliser pleinement, son peuple en péril.

    Trop de douleurs.

     

    « Alors, tu as décidé de venir me voir pour que je t’aide ?

    -Oui, Jarwal. Tu as déjà vaincu Jackmor. Tu es le seul à y être parvenu. Mon père disait que tu pouvais nous aider. Avec les esprits de la Nature.

    -Je ne sais pas utiliser les pouvoirs de l’eau.

    -Mais tu peux apprendre. »

    Le jeune chaman souleva sa tunique et dénoua une lanière. Il gardait à l’abri une besace en peau de bête.

    « J’ai ici le parchemin qui donne accès à la connaissance de l’eau. Il te suffira d’en connaître le cheminement. Mon père disait que tu as l’énergie en toi.

    -Tu voudrais que j’aille chez toi ? »

     

    Un regard transperçant. Le corps droit, la force de la jeunesse, les certitudes comme ferments, une détermination sans faille, comme si le jeune garçon cherchait à transmettre à Jarwal les résolutions nécessaires.

     

    « Ça n’est pas moi qui le souhaite Jarwal. C’est mon peuple en moi. Je porte la mémoire de mon père, je porte l’avenir des miens, je porte la survie de mes forêts, de mes montagnes, de la terre que j’aime. Je porte le refus de la destruction, le refus de l’exploitation. C’est notre mère à tous que les hommes blancs sont venus saccager. Ma maman m’a porté dans son ventre mais nous avons tous une mère commune. C’est la Terre. Si nous ne la sauvons pas, nous condamnerons les mamans et les pères, les enfants à venir, les animaux, les plantes, les océans et les nuages. »

     

    Des larmes qui envahissent les yeux de Gwendoline, ce désir d’enlacer le jeune garçon, de lui prodiguer tout son amour, cet infini respect, cette joie incommensurable devant la sagesse incarnée.

    Comme un tourbillon de forces vives dans le corps de Jarwal. La nécessité de la lutte. La foi qui n’agit pas n’est pas sincère. Se contenter de croire, d’avoir des convictions, de les commenter, ça n’est que du verbiage.

    Il se devait de partir.

     

    « Tu as pris un risque en partant de ton village ? Ton absence risque d’être remarquée ?

    -Non Jarwal, j’avais cinq jours devant moi. Jackmor s’est absenté pour aller rejoindre un nouveau contingent de soldats. Les pertes sont nombreuses chez les Blancs. Ils ne sont pas adaptés à la vie de nos forêts. Ils ne regardent pas où ils posent les pieds et les serpents n’aiment pas qu’on leur marche dessus. Et il y a les fièvres, les moustiques, l’eau qu’ils boivent. Leurs organismes sont fragiles. Mais ils nous contaminent également par les maladies qu’ils transportent. Mon peuple subit aussi un lour