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  • De la servitude moderne...Extraits...

    de la servitude moderne
    http://www.delaservitudemoderne.org/francais1.html




    Chapitre I : Épigraphe

    « Mon optimisme est basé sur la certitude que cette civilisation va s’effondrer.
    Mon pessimisme sur tout ce qu’elle fait pour nous entraîner dans sa chute. »




    la terre

     



     Chapitre II : La servitude moderne

    "Quelle époque terrible que celle où des idiots dirigent des aveugles."

    William Shakespeare



    foule

     


        La servitude moderne est une servitude volontaire, consentie par la foule des esclaves qui rampent à la surface de la Terre. Ils achètent eux-mêmes toutes les marchandises qui les asservissent toujours un peu plus. Ils courent eux-mêmes derrière un travail toujours plus aliénant, que l’on consent généreusement à leur donner, s’ils sont suffisamment sages. Ils choisissent eux-mêmes les maitres qu’ils devront servir. Pour que cette tragédie mêlée d’absurdité ait pu se mettre en place, il a fallu tout d’abord ôter aux membres de cette classe toute conscience de son exploitation et de son aliénation. Voila bien l’étrange modernité de notre époque. Contrairement aux esclaves de l’Antiquité, aux serfs du Moyen-âge ou aux ouvriers des premières révolutions industrielles, nous sommes aujourd’hui devant une classe totalement asservie mais qui ne le sait pas ou plutôt qui ne veut pas le savoir. Ils ignorent par conséquent la révolte qui devrait être la seule réaction légitime des exploités. Ils acceptent sans discuter la vie pitoyable que l’on a construite pour eux. Le renoncement et la résignation sont la source de leur malheur. 

        Voilà le mauvais rêve des esclaves modernes qui n’aspirent finalement qu’à se laisser aller dans la danse macabre du système de l’aliénation.

        L’oppression se modernise en étendant partout les formes de mystification qui permettent d’occulter notre condition d’esclave.
        Montrer la réalité telle qu’elle est vraiment et non telle qu’elle est présentée par le pouvoir constitue la subversion la plus authentique.
        Seule la vérité est révolutionnaire.



     Chapitre III : L’aménagement du territoire et l’habitat

    « L’urbanisme est cette prise de possession de l’environnement naturel et humain par le capitalisme qui, se développant logiquement en domination absolue, peut et doit maintenant refaire la totalité de l’espace comme son propre décor. »

    La Société du Spectacle, Guy Debord.

     

    immeubles


        À mesure qu’ils construisent leur monde par la force de leur travail aliéné, le décor de ce monde devient la prison dans laquelle il leur faudra vivre. Un monde sordide, sans saveur ni odeur, qui porte en lui la misère du mode de production dominant.
        Ce décor est en perpétuel construction. Rien n’y est stable. La réfection permanente de l’espace qui nous entoure trouve sa justification dans l’amnésie généralisée et l’insécurité dans lesquelles doivent vivre ses habitants. Il s’agit de tout refaire à l’image du système : le monde devient tous les jours un peu plus sale et bruyant, comme une usine.
        Chaque parcelle de ce monde est la propriété d’un État ou d’un particulier. Ce vol social qu’est l’appropriation exclusive du sol se trouve matérialisé dans l’omniprésence des murs, des barreaux, des clôtures, des barrières et des frontières… ils sont la trace visible de cette séparation qui envahit tout.
        Mais parallèlement, l’unification de l’espace selon les intérêts de la culture marchande est le grand objectif de notre triste époque. Le monde doit devenir une immense autoroute, rationnalisée à l’extrême, pour faciliter le transport des marchandises. Tout obstacle, naturel ou humain doit être détruit.
        L’habitat dans lequel s’entasse cette masse servile est à l’image de leur vie : il ressemble à des cages, à des prisons, à des cavernes. Mais contrairement aux esclaves ou aux prisonniers, l’exploité des temps modernes doit payer sa cage.


    « Car ce n’est pas l’homme mais le monde qui est devenu un anormal. »
    Antonin Artaud


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     Chapitre IV : La marchandise

    « Une marchandise paraît au premier coup d'œil quelque chose de trivial et qui se comprend de soi-même. Notre analyse a montré au contraire que c'est une chose très complexe, pleine de subtilité métaphysique et d'arguties théologiques. »
    Le Capital, Karl Marx


    publicité marchandise 


        Et c’est dans ce logis étroit et lugubre qu’il entasse les nouvelles marchandises qui devraient, selon les messages publicitaires omniprésents, lui apporter le bonheur et la plénitude. Mais plus il accumule des marchandises et plus la possibilité d’accéder un jour au bonheur s’éloigne de lui.

    « A quoi sert à un homme de tout posséder s’il perd son âme. »
                        Marc 8 ; 36

        La marchandise, idéologique par essence, dépossède de son travail celui qui la produit et dépossède de sa vie celui qui la consomme. Dans le système économique dominant, ce n’est plus la demande qui conditionne l’offre mais l’offre qui détermine la demande. C’est ainsi que de manière périodique, de nouveaux besoins sont créés qui sont vite considérés comme des besoins vitaux par l’immense majorité de la population : ce fut d’abord la radio, puis la voiture, la télévision, l’ordinateur et maintenant le téléphone portable.
        Toutes ces marchandises, distribuées massivement en un lapse de temps très limité, modifient en profondeur les relations humaines : elles servent d’une part à isoler les hommes un peu plus de leur semblable et d’autre part à diffuser les messages dominants du système. Les choses qu’on possède finissent par nous posséder.



     Chapitre V : L’alimentation

    « Ce qui est une nourriture pour l’un est un poison pour l’autre. »
    Paracelse

     
    nourriture

       
        Mais c’est encore lorsqu’il s’alimente que l’esclave moderne illustre le mieux l’état de décrépitude dans lequel il se trouve. Disposant d’un temps toujours plus limité pour préparer la nourriture qu’il ingurgite, il en est réduit à consommer à la va-vite ce que l’industrie agro-chimique produit. Il erre dans les supermarchés à la recherche des ersatz que la société de la fausse abondance consent à lui donner. Là encore, il n’a plus que l’illusion du choix. L’abondance des produits alimentaires ne dissimule que leur dégradation et leur falsification. Il ne s’agit bien notoirement que d’organismes génétiquement modifiés, d’un mélange de colorants et de conservateurs, de pesticides, d’hormones et autres inventions de la modernité. Le plaisir immédiat est la règle du mode d’alimentation dominant, de même qu’il est la règle de toutes les formes de consommation. Et les conséquences sont là qui illustrent cette manière de s’alimenter.
        Mais c’est face au dénuement du plus grand nombre que l’homme occidental se réjouit de sa position et de sa consommation frénétique. Pourtant, la misère est partout où règne la société totalitaire marchande. Le manque est le revers de la médaille de la fausse abondance. Et dans un système qui érige l’inégalité comme critère de progrès, même si la production agro-chimique est suffisante pour nourrir la totalité de la population mondiale, la faim ne devra jamais disparaitre.

    « Ils se sont persuadés que l’homme, espèce pécheresse entre toutes, domine la création. Toutes les autres créatures n’auraient été créées que pour lui procurer de la nourriture, des fourrures, pour être martyrisées, exterminées. »
    Isaac Bashevis Singer

        L’autre conséquence de la fausse abondance alimentaire est la généralisation des usines concentrationnaires et l’extermination massive et barbare des espèces qui servent à nourrir les esclaves. Là se trouve l’essence même du mode de production dominant. La vie et l’humanité ne résistent pas face au désir de profit de quelques uns.


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    Chapitre VI : La destruction de l’environnement

    « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain ne l’écoute pas. »
    Victor Hugo


    puits de petrole en feu 


        Le pillage des ressources de la planète, l’abondante production d’énergie ou de marchandises, les rejets et autres déchets de la consommation ostentatoire hypothèquent gravement les chances de survie de notre Terre et des espèces qui la peuplent. Mais pour laisser libre court au capitalisme sauvage, la croissance ne doit jamais s’arrêter. Il faut produire, produire et reproduire encore.

        Et ce sont les mêmes pollueurs qui se présentent aujourd’hui comme les sauveurs potentiels de la planète. Ces imbéciles du show business subventionnés par les firmes multinationales essayent de nous convaincre qu’un simple changement de nos habitudes de vie suffirait à sauver la planète du désastre. Et pendant qu’ils nous culpabilisent, ils continuent à polluer sans cesse notre environnement et notre esprit. Ces pauvres thèses pseudo-écologiques sont reprises en cœur par tous les politiciens véreux à cours de slogan publicitaire. Mais ils se gardent bien de proposer un changement radical dans le système de production. Il s’agit comme toujours de changer quelques détails pour que tout puisse rester comme avant.




     Chapitre VII : Le travail

    Travail, du latin Tri Palium trois pieux, instrument de torture.


    horloge 


        Mais pour entrer dans la ronde de la consommation frénétique, il faut de l’argent et pour avoir de l’argent, il faut travailler, c'est-à-dire se vendre. Le système dominant a fait du travail sa  principale valeur. Et les esclaves doivent travailler toujours plus pour payer à crédit leur vie misérable. Ils s’épuisent dans le travail, perdent la plus grande part de leur force vitale et subissent les pires humiliations. Ils passent toute leur vie à une activité fatigante et ennuyeuse pour le profit de quelques uns.

        L’invention du chômage moderne est là pour les effrayer et les faire remercier sans cesse le pouvoir de se montrer généreux avec eux. Que pourraient-ils bien faire sans cette torture qu’est le travail ? Et ce sont ces activités aliénantes que l’on présente comme une libération. Quelle déchéance et quelle misère !

        Toujours pressés par le chronomètre ou par le fouet, chaque geste des esclaves est calculé afin d’augmenter la productivité. L’organisation scientifique du travail constitue l’essence même de la dépossession des travailleurs, à la fois du fruit de leur travail mais aussi du temps qu’ils passent à la production automatique des marchandises ou des services. Le rôle du travailleur se confond avec celui d’une machine dans les usines, avec celui d’un ordinateur dans les bureaux. Le temps payé ne revient plus.

        Ainsi, chaque travailleur est assigné à une tache répétitive, qu’elle soit intellectuelle ou physique. Il est spécialiste dans son domaine de production. Cette spécialisation se retrouve à l’échelle de la planète dans le cadre de la division internationale du travail. On conçoit en occident, on produit en Asie et l’on meurt en Afrique.




     Chapitre VIII : La colonisation de tous les secteurs de la vie


    « C’est l’homme tout entier qui est conditionné au comportement productif par l’organisation du travail, et hors de l’usine il garde la même peau et la même tête. »

    Christophe Dejours


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        L’esclave moderne aurait pu se contenter de sa servitude au travail, mais à mesure que le système de production colonise tous les secteurs de la vie, le dominé perd son temps dans les loisirs, les divertissements et les vacances organisées. Aucun moment de son quotidien n’échappe à l’emprise du système. Chaque instant de sa vie a été envahi. C’est un esclave à temps plein.


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     Chapitre IX : La médecine marchande

    « La médecine fait mourir plus longtemps. »
    Plutarque


    laboratoire 


        La dégradation généralisée de son environnement, de l’air qu’il respire et de la nourriture qu’il consomme ; le stress de ses conditions de travail et de l’ensemble de sa vie sociale, sont à l’origine des nouvelles maladies de l’esclave moderne.
    Il est malade de sa condition servile et aucune médecine ne pourra jamais remédier à ce mal. Seule la libération la plus complète de la condition dans laquelle il se trouve enfermé peut permettre à l’esclave moderne de se libérer de ses souffrances.

        La médecine occidentale ne connaît qu’un remède face aux maux dont souffrent les esclaves modernes : la mutilation. C’est à base de chirurgie, d’antibiotique ou de chimiothérapie que l’on traite les patients de la médecine marchande. On s’attaque aux conséquences du mal sans jamais en chercher la cause. Cela se comprend autant que cela s’explique : cette recherche nous conduirait inévitablement vers une condamnation sans appel de l’organisation sociale dans son ensemble.

        De même qu’il a transformé tous les détails de notre monde en simple marchandise, le système présent a fait de notre corps une marchandise, un objet d’étude et d’expérience livré aux apprentis sorciers de la médecine marchande et de la biologie moléculaire. Et les maîtres du monde sont déjà prêts à breveter le vivant.
    Le séquençage complet de l’ADN du génome humain est le point de départ d’une nouvelle stratégie mise en place par le pouvoir. Le décodage génétique n’a d’autres buts que d’amplifier considérablement les formes de domination et de contrôle.

        Notre corps lui-aussi, après tant d’autres choses, nous a échappé.



     Chapitre X : L’obéissance comme seconde nature

    « À force d’obéir, on obtient des réflexes de soumission. »

    Anonyme


    rat de laboratoire 


        Le meilleur de sa vie lui échappe mais il continue car il a l’habitude d’obéir depuis toujours. L’obéissance est devenue sa seconde nature. Il obéit sans savoir pourquoi, simplement parce qu’il sait qu’il doit obéir. Obéir, produire et consommer, voilà le triptyque qui domine sa vie. Il obéit à ses parents, à ses professeurs, à ses patrons, à ses propriétaires, à ses marchands. Il obéit à la loi et aux forces de l’ordre. Il obéit à tous les pouvoirs car il ne sait rien faire d’autre. La désobéissance l’effraie plus que tout car la désobéissance, c’est le risque, l’aventure, le changement. Mais de même que l’enfant panique lorsqu’il perd de vue ses parents, l’esclave moderne est perdu sans le pouvoir qui l’a créé. Alors ils continuent d’obéir.

        C’est la peur qui a fait de nous des esclaves et qui nous maintient dans cette condition. Nous nous courbons devant les maîtres du monde, nous acceptons cette vie d’humiliation et de misère par crainte.
        Nous disposons pourtant de la force du nombre face à cette minorité qui gouverne. Leur force à eux, ils ne la retirent pas de leur police mais bien de notre consentement. Nous justifions notre lâcheté devant l’affrontement légitime contre les forces qui nous oppriment par un discours plein d’humanisme moralisateur. Le refus de la violence révolutionnaire est ancré dans les esprits de ceux qui s’opposent au système au nom des valeurs que ce système nous a lui-même enseignés.
        Mais le pouvoir, lui, n’hésite jamais à utiliser la violence quand il s’agit de conserver son hégémonie.




     Chapitre XI : La répression et la surveillance

    « Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, la place de l’homme juste est aussi en prison. »
    La désobéissance civile, Henry David Thoreau


     foule 1984


        Pourtant, il y a encore des individus qui échappent au contrôle des consciences. Mais ils sont sous surveillance. Toute forme de rébellion ou de résistance est de fait assimilée à une activité déviante ou terroriste. La liberté n’existe que pour ceux qui défendent les impératifs marchands. L’opposition réelle au système dominant est désormais totalement clandestine. Pour ces opposants, la répression est la règle en usage. Et le silence de la majorité des esclaves face à cette répression trouve sa justification dans l’aspiration médiatique et politique à nier le conflit qui existe dans la société réelle.

       

     Chapitre XII : L’argent

    « Et ce que l’on faisait autrefois pour l’amour de Dieu, on le fait maintenant pour l’amour de l’argent, c’est-à-dire pour l’amour de ce qui donne maintenant le sentiment de puissance le plus élevé et la bonne conscience.»

    Aurore, Nietzsche


    billet 


        Comme tous les êtres opprimés de l’Histoire, l’esclave moderne a besoin de sa mystique et de son dieu pour anesthésier le mal qui le tourmente et la souffrance qui l’accable. Mais ce nouveau dieu, auquel il a livré son âme, n’est rien d’autre que le néant. Un bout de papier, un numéro qui n’a de sens que parce que tout le monde a décidé de lui en donner. C’est pour ce nouveau dieu qu’il étudie, qu’il travaille, qu’il se bat et qu’il se vend. C’est pour ce nouveau dieu qu’il a abandonné toute valeur et qu’il est prêt à faire n’importe quoi. Il croit qu’en possédant beaucoup d’argent, il se libérera des contraintes dans lesquels il se trouve enfermé. Comme si la possession allait de paire avec la liberté. La libération est une ascèse qui provient de la maitrise de soi. Elle est un désir et une volonté en actes. Elle est dans l’être et non dans l’avoir. Mais encore faut-il être résolu à ne plus servir, à ne plus obéir. Encore faut-il être capable de rompre avec une habitude que personne, semble-t-il, n’ose remettre en cause.


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     Chapitre XIII : Pas d’alternative à l’organisation sociale dominante

    Acta est fabula
    La pièce est jouée


    horloge 


        Or l’esclave moderne est persuadé qu’il n’existe pas d’alternative à l’organisation du monde présent. Il s’est résigné à cette vie car il pense qu’il ne peut y en avoir d’autres. Et c’est bien là que se trouve la force de la domination présente : entretenir l’illusion que ce système qui a colonisé toute la surface de la Terre est la fin de l’Histoire. Il a fait croire à la classe dominée que s’adapter à son idéologie revient à s’adapter au monde tel qu’il est et tel qu’il a toujours été. Rêver d’un autre monde est devenu un crime condamné unanimement par tous les médias et tous les pouvoirs. Le criminel est en réalité celui qui contribue, consciemment ou non, à la démence de l’organisation sociale dominante. Il n’est pas de folie plus grande que celle du système présent. 



     Chapitre XIV : L’image

    « Sinon, qu’il te soit fait connaitre, o roi, que tes dieux ne sont pas ceux que nous servons, et l’image d’or que tu as dressé, nous ne l’adorerons pas. »

    Ancien Testament, Daniel 3 :18


     panneaux


        Devant la désolation du monde réel, il s’agit pour le système de coloniser l’ensemble de la conscience des esclaves. C’est ainsi que dans le système dominant, les forces de répression  sont précédées par la dissuasion qui, dès la plus petite enfance, accomplit son œuvre de formation des esclaves. Ils doivent oublier leur condition servile, leur prison et leur vie misérable. Il suffit de voir cette foule hypnotique connectée devant tous les écrans qui accompagnent leur vie quotidienne. Ils trompent leur insatisfaction permanente dans le reflet manipulé d’une vie rêvée, faite d’argent, de gloire et d’aventure. Mais leurs rêves sont tout aussi affligeants que leur vie misérable. 

        Il existe des images pour tous et partout, elles portent en elle le message idéologique de la société moderne et servent d’instrument d’unification et de propagande. Elles croissent à mesure que l’homme est dépossédé de son monde et de sa vie. C’est l’enfant qui est la cible première de ces images car il s’agit d’étouffer la liberté dans son berceau. Il faut les rendre stupides et leur ôter toute forme de réflexion et de critique. Tout cela se fait bien entendu avec la complicité déconcertante de leurs parents qui ne cherchent même plus à résister face à la force de  frappe cumulée de tous les moyens modernes de communication. Ils achètent eux-mêmes toutes les marchandises nécessaires à l’asservissement de leur progéniture. Ils se dépossèdent de l’éducation de leurs enfants et la livrent en bloc au système de l’abrutissement et de la médiocrité.

        Il y a des images pour tous les âges et pour toutes les classes sociales. Et les esclaves modernes confondent ces images avec la culture et parfois même avec l’art. On fait appel aux instincts les plus sordides pour écouler les stocks de marchandises. Et c’est encore la femme, doublement esclave dans la société présente, qui en paye le prix fort. Elle en est réduite à être un simple objet de consommation. La révolte elle-même est devenue une image que l’on vend pour mieux en détruire le potentiel subversif. L’image est toujours aujourd’hui la forme de communication la plus simple et la plus efficace. On construit des modèles, on abrutit les masses, on leur ment, on crée des frustrations. On diffuse l’idéologie marchande par l’image car il s’agit encore et toujours du même objectif : vendre, des modes de vie ou des produits, des comportements ou des marchandises, peu importe mais il faut vendre.



     Chapitre XV : Les divertissements

    « La télévision ne rend idiots que ceux    
    qui la regardent, pas ceux qui la font. »

    Patrick Poivre d’Arvor


    public télévision 


        Ces pauvres hommes se divertissent, mais ce divertissement n’est là que pour faire diversion face au véritable mal qui les accable. Ils ont laissé faire de leur vie n’importe quoi et ils feignent d’en être fiers. Ils essayent de montrer leur satisfaction mais personne n’est dupe. Ils n’arrivent même plus à se tromper eux-mêmes lorsqu’ils se retrouvent face au reflet glacé du miroir. Ainsi ils perdent leur temps devant des imbéciles sensés les faire rire ou les faire chanter, les faire rêver ou les faire pleurer.
        On mime à travers le sport médiatique les succès et les échecs, les forces et les victoires que les esclaves modernes ont cessé de vivre dans leur propre quotidien. Leur insatisfaction les incite à vivre par procuration devant leur poste de télévision. Tandis que les empereurs de la Rome antique achetaient la soumission du peuple avec du pain et les jeux du cirque, aujourd’hui c’est avec les divertissements et la consommation du vide que l’on achète le silence des esclaves.


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     Chapitre XVI : Le langage

     « On croit que l'on maîtrise les mots, mais ce sont les mots qui nous maîtrisent. »

    Alain Rey


     bouche vendetta


        La domination sur les consciences passe essentiellement par l’utilisation viciée du langage par la classe économiquement et socialement dominante. Étant détenteur de l’ensemble des moyens de communication, le pouvoir diffuse l’idéologie marchande par la définition figée, partielle et partiale qu’il donne des mots.
        Les mots sont présentés comme neutres et leur définition comme allant de soi. Mais sous le contrôle du pouvoir, le langage désigne toujours autre chose que la vie réelle.
        C’est avant tout un langage de la résignation et de l’impuissance, le langage de l’acceptation passive des choses telles qu’elles sont et telles qu’elles doivent demeurer. Les mots travaillent pour le compte de l’organisation dominante de la vie et le fait même d’utiliser le langage du pouvoir nous condamne à l’impuissance.
        Le problème du langage est au centre du combat pour l’émancipation humaine. Il n’est pas une forme de domination qui se surajoute aux autres, il est le cœur même du projet d’asservissement du système totalitaire marchand.

        C’est par la réappropriation du langage et donc de la communication réelle entre les personnes que la possibilité d’un changement radical émerge de nouveau. C’est en cela que le projet révolutionnaire rejoint le projet poétique. Dans l’effervescence populaire, la parole est prise et réinventée par des groupes étendus. La spontanéité créatrice s’empare de chacun et nous rassemble tous.
       


     Chapitre XVII : L’illusion du vote et de la démocratie parlementaire

    « Voter, c’est abdiquer. »
    Élisée Reclus

     
    parlement


        Pourtant, les esclaves modernes se pensent toujours citoyens. Ils croient voter et décider librement qui doit conduire leurs affaires. Comme s’ils avaient encore le choix. Ils n’en ont conservé que l’illusion. Croyez-vous encore qu’il existe une différence fondamentale quant au choix de société dans laquelle nous voulons vivre entre le PS et l’UMP en France, entre les démocrates et les républicains aux États-Unis, entre les travaillistes et les conservateurs au Royaume-Uni ? Il n’existe pas d’opposition car les partis politiques dominants sont d’accord sur l’essentiel qui est la conservation de la présente société marchande. Il n’existe pas de partis politiques susceptibles d’accéder au pouvoir qui remette en cause le dogme du marché. Et ce sont ces partis qui avec la complicité médiatique monopolise l’apparence.  Ils se chamaillent sur des points de détails pourvu que tout reste en place. Ils se disputent pour savoir qui occupera les places que leur offre le parlementarisme marchand. Ces pauvres chamailleries sont relayées par tous les médias dans le but d’occulter un véritable débat sur le choix de société dans laquelle nous souhaitons vivre. L’apparence et la futilité dominent sur la profondeur de l’affrontement des idées. Tout cela ne ressemble en rien, de près ou de loin à une démocratie.
        La démocratie réelle se définit d’abord et avant tout par la participation massive des citoyens à la gestion des affaires de la cité. Elle est directe et participative. Elle trouve son expression la plus authentique dans l’assemblée populaire et le dialogue permanent sur l’organisation de la vie en commun. La forme représentative et parlementaire qui usurpe le nom de démocratie limite le pouvoir des citoyens au simple droit de vote, c'est-à-dire au néant, tant il est vrai que le choix entre gris clair et gris foncé n’est pas un choix véritable. Les sièges parlementaires sont occupés dans leur immense majorité par la classe économiquement dominante, qu’elle soit de droite ou de la prétendue gauche social-démocrate.
        Le pouvoir n’est pas à conquérir, il est à détruire. Il est tyrannique par nature, qu’il soit exercé par un roi, un dictateur ou un président élu. La seule différence dans le cas de la « démocratie » parlementaire, c’est que les esclaves ont l’illusion de choisir eux-mêmes le maitre qu’ils devront servir. Le vote a fait d’eux les complices de la tyrannie qui les opprime. Ils ne sont pas esclaves parce qu’il existe des maitres mais il existe des maitres parce qu’ils ont choisi de demeurer esclaves.



     Chapitre XVIII : Le système totalitaire marchand

    « La nature n’a créé ni maîtres ni esclaves,
    Je ne veux ni donner ni recevoir de lois. »
    Denis Diderot


     satelite


        Le système dominant se définit donc par l’omniprésence de son idéologie marchande. Elle occupe à la fois tout l’espace et tous les secteurs de la vie. Elle ne dit rien de plus que : « Produisez, vendez, consommez, accumulez ! » Elle a réduit l’ensemble des rapports humains à des  rapports marchands et considère notre planète comme une simple marchandise. Le devoir qu’elle nous impose est le travail servile. Le seul droit qu’elle reconnait est le droit à la propriété privée. Le seul dieu qu’elle arbore est l’argent.
        Le monopole de l’apparence est total. Seuls paraissent les hommes et les discours favorables à l’idéologie dominante. La critique de ce monde est noyée dans le flot médiatique qui détermine ce qui est bien et ce qui est mal, ce que l’on peut voir et ce que l’on ne peut pas voir.

        Omniprésence de l’idéologie, culte de l’argent, monopole de l’apparence, parti unique sous couvert du pluralisme parlementaire, absence d’une opposition visible, répression sous toutes ses formes, volonté de transformer l’homme et le monde. Voila le visage réel du totalitarisme moderne que l’on appelle « démocratie libérale » mais qu’il faut maintenant appeler par son nom véritable : le système totalitaire marchand.

        L’homme, la société et l’ensemble de notre planète sont au service de cette idéologie. Le système totalitaire marchand a donc réalisé ce qu’aucun totalitarisme n’avait pu faire avant lui : unifier le monde à son image. Aujourd’hui, il n’y a plus d’exil possible.



    Chapitre XIX : Perspectives


     le pouvoir n'est pas à conquérir, il est à detruire


        A mesure que l’oppression s’étend à tous les secteurs de la vie, la révolte prend l’allure d’une guerre sociale. Les émeutes renaissent et annoncent la révolution à venir.

        La destruction de la société totalitaire marchande n’est pas une affaire d’opinion. Elle est une nécessité absolue dans un monde que l’on sait condamné. Puisque le pouvoir est partout, c’est partout et tout le temps qu’il faut le combattre.

        La réinvention du langage, le bouleversement permanent de la vie quotidienne, la désobéissance et la résistance sont les maîtres mots de la révolte contre l’ordre établi. Mais pour que de cette révolte naisse une révolution, il faut rassembler les subjectivités dans un front commun.

        C’est à l’unité de toutes les forces révolutionnaires qu’il faut œuvrer. Cela ne peut se faire qu’à partir de la conscience de nos échecs passés : ni le réformisme stérile, ni la bureaucratie totalitaire ne peuvent être une solution à notre insatisfaction. Il s’agit d’inventer de nouvelles formes d’organisation et de lutte.

        L’autogestion dans les entreprises et la démocratie directe à l’échelle des communes constituent les bases de cette nouvelle organisation qui doit être antihiérarchique dans la forme comme dans le contenu.

        Le pouvoir n’est pas à conquérir, il est à détruire.




    Chapitre XX : Épilogue
     
    « O Gentilshommes, la vie est courte… Si nous vivons, nous vivons pour marcher sur la tête des rois. »

    William Shakespeare



    lance pierre contre police

    émeutes coktail molotov

    explosion parlement



    Jean-François Brient

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  • Intermittents du spectacle...

    C'est l'impression que j'en ai quand je regarde la façon dont se déroule l'existence.Je suis un intermittent du spectacle.

    Des rôles à tenir quasiment en permanence et puis, parfois, des périodes de paix intérieure.

    Mari, père, instituteur, montagnard, "écrivain...,", endetté pour une maison qui appartient encore à la banque...Mes enfants hériteront de murs que j'aurai payés trois fois au regard des intérêts versés. Totalement absurde. Il aurait mieux valu que j'achète cinq vélos et qu'on parte sur les routes du monde. Un regret...

    Spectateur du monde aussi et là, c'est une scène dont j'aimerais parfois ne plus entrevoir la moindre noirceur. 500 milliards alloués aux banques européennes aujourd'hui...Du dégoût.

    Comment se libérer de cette pression constante de ces rôles et de ce spectacle alors qu'il s'agit pourtant de "choix" personnels ?

    Je sais que la réalité de ces "choix" est particulièrement illusoire. Il me reste à les assumer au mieux. Ils m'apportent de réels bonheurs en alternance avec les difficultés qui s'y greffent.

    Pour ce qui est du spectacle du monde, il me reste à décider de ma participation, de ma situation passive de voyeur ou de mon retrait.

    Le problème vient du fait que mes rôles m'enchaînent. Les choses qu'on croit posséder finissent par nous posséder. Les choix qu'on croit avoir pris sont des décisions imposées.

    J'oeuvre par conséquent à user de cette vie faussée en ajustant mes actes à ces fameux choix. J'ai vu passer dans mes classes plus de mille enfants. Je leur ai donné beaucoup d'énergie. Je ne sais pas ce qu'il en restera et il est inutile que je m'en inquiète. Sur le moment, j'ai fait ce que je jugeais bon et utile. J'ai au moins cette satisfaction-là.

    J'aime autant que je le peux les gens que j'aime. J'accompagne au mieux nos trois enfants. Je vis auprès de ma princesse avec le même bonheur qu'au premier jour. Ces rôles-là sont les plus beaux de mon existence.

    J'écris parce que c'est le moyen le plus efficace dont je dispose pour prendre le recul nécessaire à l'observation de ces rôles. Ceux que j'ai tenus, ceux d'aujourd'hui et si possible en prévision des rôles futurs en espérant que je n'y succomberai pas avec le même aveuglement.

    Il s'agit d'identifier les maîtres du spectacle. Les metteurs en scène sont multiples mais pas tous connus. Il est de leur intérêt de ne pas se montrer au grand jour. Il est préférable de laisser les intermittents du spectacle jouir de la chance qu'ils pensent détenir en ayant été "choisis" pour tenir un rôle. C'est gratifiant d'avoir un rôle, c'est ce qu'on apprend depuis l'école maternelle.

    Esclavage moderne auquel voudraient participer tous les peuples opprimés, déshérités, affamés, maltraités. L'image d'un progrès salvateur et d'une vie épanouie, protégée, assurée.

    Je ne meurs pas de faim, je peux me faire soigner, j'ai un abri solide, je ne suis pas en danger de mort.

    Beaucoup ne disposent même pas de ça. Comment pourrait-on les juger ? Indécence absolue.

     

    Je sais pourtant, au coeur de cette vie protégée, que le bonheur n'est pas encore là. Après avoir observé le spectacle, ce dégoût qui me monte à l'âme, que dois-je en faire ?

    M'investir pour tenter d'en changer le processus ? Me retirer en abandonnant la masse ? Quelle est cette prétention qui me laisse à penser que j'ai un quelconque pouvoir ? Quelle est cette lâcheté qui me laisse à penser que je ne peux rien faire ? Ou est l'équilibre ? Existe-t-il ?

    J'essaie désormais de quitter la scène autant que possible, de sortir de la salle elle-même. Etre spectateur est aussi avilissant que de tenir un rôle. Le même jeu de marionnettes. Le metteur en scène lui-même est la marionnette de ses conditionnements mais il a su en tirer un certain pouvoir. Je lui laisse la place sans aucune hésitation. Le dégoût de ce rôle me protège au moins du dégoût de moi-même.

    Je suis manipulé mais je ne manipule personne.

    Quoique... Les enfants qui passent dans ma classe reçoivent nécessairement des données qui les préparent à ces rôles. Les "connaissances" qu'ils absorbent avec plus ou moins de facilité les mèneront à faire des "choix"...Mais qui fera ces choix ? Des individus conscients et lucides ou des individus dirigés, conduits, influencés au fil des expériences ?...Liberté...Quelle liberté ?

    La seule qui soit réelle consiste à cartographier l'espace qui nous enferme. L'espace social, familial, professionnel, passionnel, historique, économique, intellectuel, médiatique...

    L'homme n'agit pas, il est agi. Il faut juste agir pour parvenir à cette conscience-là. Et là encore, il ne s'agira que d'une réaction, pas d'un acte. Mais cette réaction-là a au moins le mérite d'être menée par l'individu lui-même. 

    Juste la possibilité d'atténuer la sensation de dégoût.

    "L'existence précède l'essence" disait-il. J'y ai cru longtemps. Mais la "nausée" a fini par être la plus forte. Le spectacle du monde est redoutablement toxique.

    Il arrivera un jour où je ne le regarderai plus. Je chercherai en marchant sur la terre à exister par mon essence. Peut-être serais-je déshumanisé alors et que c'est là que se trouve l'humain. Pour l'instant, je ne sais où il se cache.

     

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  • Marinaleda, alternative au capitalisme.

    Marinaleda : un modèle d’auto-gestion unique en Europe

    Andrea DUFFOUR


    Depuis l’alerte google Alternatives au capitalisme j’ai récemment découvert l’existence de MARINALEDA, une commune de 2645 habitants en Andalousie « où Marx vivrait s’il était encore en vie, avec zéro chômage, zéro policier et des habitations à 15 euros par mois » (1). Une alternative au capitalisme réalisée à moins de 2000 km de chez nous et qui fonctionne depuis plus de 30 ans sans que je n’en aie jamais entendu parler ? A la première occasion, c’est donc sac à dos, train, bus et autostop que j’irai pour vérifier si cette belle utopie existe vraiment…

    Comme c’est Pâques, je tombe en pleine Semana Santa. Au village voisin on m’avertit : « Leur maire est un fou, quand nous autres, Espagnols, faisons des processions religieuses, eux ils font la fête pendant 5 jours »

    J’apprends que la fête de la paix qui tombe durant la Semaine Sainte y est effectivement une tradition depuis plusieurs années et beaucoup de jeunes de Sevilla, Granada ou Madrid ont rejoint les villageois. Des lectures, des films ou une conférence, en solidarité avec la Palestine, ainsi qu un appel au boycott des produits israéliens ouvrent les soirées de concerts et de fête. Pour les nuits, l’immense complexe poly-sportif reste ouvert pour loger les visiteurs de l’extérieur. Une première auberge est en construction.

    En tant que membre de l’association de solidarité Suisse-Cuba, je m’étais déplacée pour voir s’il existait effectivement une expérience socialiste un peu similaire à la révolution cubaine ici en Europe et j’en ai eu pour mon compte.

    Le droit à la terre et au travail

    A Marinaleda aussi, il a fallu d’abord passer par une réforme agraire. « La lutte révolutionnaire du peuple cubain a été une lumière pour tous les peuples du monde et nous avons une grande admiration pour ses acquis », m’explique Juan Manuel Sanchez Gordillo, maire communiste, réélu depuis 31 ans. Il était le plus jeune édile d’Espagne en 1979. En 1986, après 12 ans de luttes et d’occupations où les femmes ont joué le rôle principal, ce village a réussi à obtenir 1200 ha de terre d’un grand latifundiaire, terre qui a aussitôt été redistribuée et transformée en coopérative agricole de laquelle vit aujourd’hui presque tout le village. « La terre n’appartient à personne, la terre ne s’achète pas, la terre appartient à tous ! ».

    A la ferme de la coopérative, EL HUMOSO, les associés travaillent 6.5h par jour, du lundi au samedi, ce qui donne des semaines de 39 h. Tout le monde a le même salaire, indépendant de la fonction. 400 personnes du village les rejoignent pendant les mois de novembre à janvier (olives), et 500 en avril (habas, haricots de Lima).

    La récolte (huile d’olive extra vierge, artichauts, poivrons, etc.,) est mise artisanalement en boite ou en bocal dans la petite fabrique HUMAR MARINALEDA au milieu du village où travaillent env. 60 femmes et 4-5 hommes en bavardant dans une ambiance décontractée. Le tout est vendu principalement en Espagne. Une partie de l’huile d’olive part pour l’Italie qui change l’étiquette et la revend sous un autre nom. « Nous avons la meilleure qualité, mais malheureusement, c’est eux qui ont les canaux pour la commercialisation » m’explique un travailleur de la ferme. Avis donc aux magasins alternatifs de chez nous pour leur proposer un marché direct…

    Les bénéfices de la coopérative ne sont pas distribués, mais réinvestis pour créer du travail. Ça a l’air si simple, mais c’est pour cela que le village est connu pour ne pas souffrir du chômage. En discutant avec la population, j’ai pourtant appris qu’à certaines époques de l’année, il n’y a pas assez de travail dans l’agriculture pour tous, mais que les salaires sont tout de même versés. Comme à Cuba, l’habitation, le travail, la culture, l’éducation et la santé sont considérées comme un droit. Une place à la crèche avec tous les repas compris coûte 12 euros par mois. A nouveau, ça rappelle Cuba où l’éducation est gratuite, depuis la crèche jusqu’à l’université.

    Les maisons auto-construites

    Plus de 350 maisons ont déjà été construites par les habitants eux-mêmes. Il n’y a pas de discrimination et l’unique condition pour une attribution est de ne pas déjà disposer d’un logement. La municipalité met à disposition gratuitement la terre et les conseils d’un architecte, Sevilla fait un prêt des matériaux. Les maisons ont 90m2, deux salles d’eau et une cour individuelle de 100m2 où on peut planter ses légumes, faire ses barbecues, mettre son garage ou agrandir en cas de besoin. Comme dans certaines régions à Cuba, un groupe de futurs voisins construisent ensemble pendant une année une rangée de maisons mitoyennes sans savoir encore laquelle sera la leur. Une fois le logement attribué, les finitions, l’emplacement des portes, les ouvertures peuvent être individualisées par chaque famille. Le loyer se décide en réunion du collectif. Il a été arrêté fixé à moins de 16 euros par mois. Les constructeurs deviennent ainsi propriétaires de leur maison, mais elle ne pourra jamais être revendue. (En dehors de l’auto-construction, j’ai rencontré une famille qui loue à 24 euros par mois ainsi que la seule ouvrière de la fabrique Humar Marinaleda qui vient de l’extérieur et qui paye, elle, 300 euros pour son logement. Les personnes qui souhaitent vivre à Marinaleda doivent y passer deux ans d’accoutumance avant une décision définitive).

    Le coiffeur, qui fait plutôt partie de la minorité de l’opposition, est propriétaire de sa maison et se plaint de devoir travailler quand même. A ma question, pourquoi il ne vend pas sa maison à une des nombreuses familles espagnoles qui aimeraient venir rejoindre ce village, il dit qu’il y a tout de même aussi des avantages de rester ici. (L’opposition serait financée par le PSOE, Partido socialisto obrero espagnol, selon certaines sources).

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    MARINALEDA - http://www.npa2009.org

    Ce samedi de Pâques, les intéressé-e-s sont invités à la mairie pour une petite conférence. Le maire nous explique son point de vue sur différents points avant de répondre à nos questions. En voici quelques extraits ou résumés :

    S’organiser

    « Il faut lutter unis. Au niveau international, nous sommes connectés avec Via campesina, puis nous nous sommes organisés syndicalement et politiquement », nous communique le maire. Esperanza, 30 ans, éducatrice de profession, conseillère sociale bénévole de la municipalité, m’avait déjà expliqué ceci la veille au « syndicat », bar et lieu de rencontres municipal : « Ici, nous avons fait les changements depuis le bas, avec le SAT, syndicat de travailleurs d’Andalousie, anciennement SOC, syndicat fondé en 76, juste après Franco, et avec la CUT, collectif unitaire de travailleurs, parti anticapitaliste ».

    Pas de gendarme

    « Nous n’avons pas de gendarmes ici - ça serait un gaspillage inutile » Les gens n’ont pas envie de vandaliser leur propre village. « Nous n’avons pas de curé non plus –gracias à Dios ! » plaisante le maire. La liberté de pratiquer sa religion est pourtant garantie et une petite procession religieuse timide défile discrètement, sans spectateurs, dans le village en évitant la place de fête.

    Le capitalisme

    « La crise ? Le système capitaliste a toujours été un échec, la crise ne date pas d’aujourd’hui. L’avantage de la crise : le mythe du marché est tombé (...) Les réalités sont toujours les mêmes : quelque 2% détiennent 50% de la terre (…). Ceux qui veulent réformer le capitalisme veulent tout changer pour que rien ne change ! Dans le capitalisme, on a des syndicats de régime et non pas des syndicats de classe, il y a beaucoup d’instruments d’aliénation, pas de liberté d’expression, seulement la liberté d’acquisition (...) A Marinaleda, nous serons les premiers quand il s’agit de lutter et les derniers à l’heure des bénéfices. »

    Démocratie

    « Nous pratiquons une démocratie participative, on décide de tout, des impôts aux dépenses publiques, dans des grandes assemblées. Beaucoup de têtes donnent beaucoup d’idées. Nos gens savent aussi qu’on peut travailler pour d’autres valeurs qu’uniquement pour de l’argent. Quand nous avons besoin ou envie, nous organisons un dimanche rouge : par exemple certainement dimanche après cette fête, il y aura assez de jeunes volontaires qui viendront nettoyer la place ou préparer un petit déjeuner pour les enfants et tout ceci pour le plaisir d’être ensemble et d’avoir un village propre (…). La démocratie doit être économique et sociale, pas seulement politique. Quant à la démocratie politique, la majorité 50%+1 ne sert à rien. Pour une vraie démocratie, il faut au moins 80-90% d’adhérents à une idée. D’ailleurs, toutes nos charges politiques sont tous sans rémunération ».

    Luttes futures et amendes…

    Le maire appelle à participer à la grève générale annoncée par le SA pour ce 14 avril, en solidarité avec les sans terres en Andalousie qui ne bénéficient pas encore de leur droit à la terre et aussi pour nos revendications à nous. Il préconise aussi la nécessité de nationaliser les banques, l’énergie, les transports, etc. Nous devons 20-30 millions de pesetas d’amendes pour nos luttes différentes…

    La culture, les fêtes

    « Nous faisons beaucoup de fêtes avec des repas communs gratuits, et il y a toujours assez de volontaires pour organiser tout cela. La joie et la fête doivent être un droit, gratuites et pour tous. Ce n’est pas la mayonnaise des médias qui vont nous dicter ce qui doit nous plaire, nous avons une culture à nous. »

    Expérience sociale unique en Europe

    Avec un sol qui n’est plus une marchandise, mais devenu un droit pour celui qui veut le cultiver ou l’habiter, une habitation pour 15 euros par mois, du sport ou la culture gratuits ou presque (piscine municipale 3 euros pour la saison), un sens communautaire de bien-être, je pense pouvoir dire que Marinaleda est une expérience unique en Europe.
    Chaque samedi d’ailleurs, le maire répond également aux questions des villageois présent-e-s à la maison communale sur la chaîne de la TV locale. Cela nous rappelle l’émission « Alô présidente » de Hugo Chavez, un autre leader pour lequel Gordillo a exprimé son admiration.

    La désinformation

    Apaga la TV, enciende tu mente - Eteins la TV, allume ton cerveau, ce premier mural m’avait frappé, il se trouve jusqu’en face de la TV locale… A ma question en lien avec la désinformation, Juan Miguel Sanchez Gordillo me fait part de son plan d’écrire un livre sur « Los prensatenientes » – la demi-douzaine de transnationales qui possèdent les médias dans le monde. « Pendant que la gauche écrit des pamphlets que personne ne lit, la droite économique, la grande bourgeoisie, installe chez toi plein de canaux de télévision racontant tous les mêmes valeurs et propageant la même propagande mensongère. (…) Au niveau de l’information, l’éducation est très importante » et, en ce qui concerne le programme national de l’éducation, cela ne lui convient pas. Jean Manuel Sanchez Gordillo me confie donc qu’il compte venir bientôt en Suisse pour étudier notre système d’éducation qui est organisé au niveau cantonal... Probablement il pense que nous sommes une vraie démocratie avec des programmes scolaires indépendants du pouvoir…

    Des expériences alternatives au capitalisme qui font peur

    Par rapport aux médias, la question que je me pose à nouveau est la suivante : Pourquoi l’expérience de Marinaleda est si mal connue en Espagne ainsi qu’auprès de nos édiles ? Pourquoi Cuba, cas d’école au niveau mondial en ce qui concerne la désinformation, mérite un budget annuel de 83 millions de dollars de la part des Etats-Unis, consacrés uniquement au financement de la désinformation et des agressions contre ce petit pays ?

    Y aurait-il des alternatives au capitalisme qui fonctionnent depuis longtemps et qui font si peur à certains ?

    Andrea Duffour
    Association Suisse-Cuba
    http://www.cuba-si.ch

    Pour plus d’information : http://www.marinaleda.com

    (1) Nouveau Parti Anticapitaliste, http://www.npa2009.org, article du 10.1.2010

    URL de cet article 10424
    http://www.legrandsoir.info/Marinaleda-un-modele-d-auto-gestion-unique-en-Europe.html

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  • Médecine de l'âme.

     

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    Une discussion sur un blog que j'aime beaucoup.

    medecine de l'âme:

    http://medecinedelame-leblog.fr/

     


    *Thierry

    Ce que je trouve un peu désolant, c’est que tous les jours, nous sommes des survivants, tous les jours, nous sommes dans cette situation de « miraculés », mais nous prenons tous ces jours qui défilent comme des évidences, comme des dus, des propriétés, des choses éternelles. C’est absurde. Tous les jours, nous sommes ces survivants et tous les jours, à chaque instant, cette vie en nous se doit d’être bénie, honorée, pleinement absorbée. Il faut vivre comme des affamés et non comme des repus apathiques. Ne pas attendre cet instant de rupture dans notre endormissement mais rogner chaque instant, non pas seulement dans les actes, mais dans la dimension spirituelle.

     *Pierre

    Merci pour votre commentaire, je partage assez ces idées qui décrivent bien nos tendances. Je suis sensible aussi à ce côté pratique que vous proposez, empli de gratitude d’une part, et de décision pleine et entière de se mettre au travail d’autre part. Qu’entendez-vous par « rogner chaque instant, non pas seulement dans les actes, mais dans la dimension spirituelle.

    *Thierry

    Henry David Thoreau disait qu’il s’agit de « vivre profondément et sucer toute la moelle de la vie ». Bien plus encore que de rogner l’os, il faut explorer jusqu’aux fibres qui constituent l’os, percevoir l’énergie qui crée la structure. C’est cela « l’Illumination ». Etre capable d’expérimenter la réalité telle qu’elle est, sans interférence, sans distorsion, sans apport personnel, dans une complète acceptation, sans projection, sans peur, sans attente, sans espoir, c’est un état d’illumination. Cela revient à déposer ses charges, ses fardeaux, son passé et toutes les identifications qui s’y sont greffées. Il s’agit des fardeaux d’ordre mental. Ils peuvent bien entendu avoir des répercussions sur le physique. Cette conscience temporelle dont nous disposons peut se retourner contre notre plénitude. Elle installe une charge émotionnelle, majoritairement inconsciente. Pour entrer dans cette acceptation libératrice il est indispensable d’établir la liste de ces fardeaux, de les identifier et de prendre conscience qu’ils ne sont pas ce que nous sommes. Ils sont l’image que nous avons donnée de la vie mais ils ne sont pas la vie. Les pensées commentent la vie et si nous n’y prêtons pas attention, nous finissons par considérer que ce commentaire est la vie elle-même. La vie n’est rien d’autre que l’énergie qui vibre en chacun de nous. Elle ne doit pas être salie, alourdie, morcelée par cette vision temporelle à laquelle nous nous attachons. Les pensées que nous avons établi comme l’étendard de notre puissance est un mal qui nous ronge. L’égo y prend forme et se détache dès lors de la conscience de la vie. L’individu se couvre d’oripeaux comme autant de titres suprêmes. Ca n’est que souffrance et dans la reconnaissance que nous y puisons nous créons des murailles carcérales. L’illumination consiste à briser ce carcan. L’individu n’en a pas toujours la force, il manque de lucidité, d’observation, il est perdu dans le florilège d’imbrications sociales, familiales, amoureuses, professionnelles. Il se fie à son mental nourri inlassablement par les hordes de pensées.

    Survient alors, parfois, le drame. L’évènement qui fait voler en éclat les certitudes, les attachements, les conditionnements. La douleur physique se lie à la souffrance morale. Les repères sont abolis, les références sont bannies. L’individu sombre dans une détresse sans fond, il en appelle à l’aide, il cherche des solutions extérieures, condamne, maudit, répudie, nie, rejette, conspue, insulte le sort qui s’acharne sur lui alors qu’il est lui-même le bourreau, le virus, le mal incarné. Il a construit consciencieusement les murs de sa geôle et jure qu’il n’est pour rien. Dieu, lui-même, peut devenir l’ennemi juré alors qu’il avait jusque là été totalement ignoré. Tout est bon pour nourrir la révolte.

    S’installe alors peu à peu l’épuisement. Le dégoût de tout devant tant de douleur. Ca n’est qu’une autre forme de pensée, une autre déviance, une résistance derrière laquelle se cache l’attente d’une délivrance, un espoir qui se tait, qui n’ose pas se dire. Une superstition qu’il ne faut pas dévoiler. La colère puis le dégoût, des alternances hallucinantes, des pensées qui s’entrechoquent, des rémissions suivies d’effondrements, rien ne change, aucune évolution spirituelle, juste le délabrement continu des citadelles. Cette impression désespérante, destructrice de tout perdre, de voir s’étendre jour après jour l’étendue des ruines.

    Il ne reste que l’illumination. Elle est la seule issue. Car lorsqu’il ne reste rien de l’individu conditionné, lorsque tout a été ravagé jusqu’aux fondations, lorsque le mental n’est plus qu’un mourant qui implore la sentence, lorsque le corps n’a plus aucune résistance, qu’il goûte avec délectation quelques secondes d’absence, cette petite mort pendant laquelle les terminaisons nerveuses s’éteignent, comme par magie, comme si le cerveau lui-même n’en pouvait plus, c’est là que les pensées ne sont plus rien, que le silence intérieur dévoile des horizons ignorés.

    Révélation. Illumination.

    Je ne suis pas ma douleur, je ne suis rien de ce que je veux sauver. Je ne suis rien de ce que j’ai été.

    Je suis la vie en moi. Je suis l’énergie, la beauté de l’ineffable.

     *Hélène :


    Merci, c’est très beau et très bien écrit …
    J’ai l’impression d’avoir déjà entrevu ce type de descente aux enfers …
    Ce qui m’a permis de, finalement, surnager, est ce socle de valeurs éternelles, indissociables, tout en haut, du divin. En ce sens, pour répondre à l’auteur de l’article, pour moi ce « rapport conscient au divin » a une grande importance dans une pratique quotidienne de valeurs humaines. Mais cette illumination, pour reprendre vos termes Thierry, je l’ai ressentie plus comme un présent que comme le résultat d’un effort de ma part. Je me suis tournée dans la bonne direction certainement, sincèrement probablement, mais c’est tout. La suite, je l’ai reçue comme un cadeau. Même si je reste persuadée que ce petit effort, il fallait tout de même le faire.

     

    *Thierry.


    Pour ma part, le « choc », je l’ai reçue sans en être l’instigateur. C’est à une médium magnétiseuse que je dois une guérison, jugée comme « miraculeuse » par le corps médical. Trois hernies discales (deux déjà opérées), paralysie totale de la jambe gauche, une opération envisagée mais qui comportait comme probabilité le fauteuil roulant. Je l’ai refusée. J’ai eu la « chance » alors de croiser la route d’Hélène. Une séance de quatre heures, un « au-delà » dont j’ignorais l’existence, la rupture totale de toute résistance. Trois mois après je reprenais le ski et la haute montagne. Une incompréhension absolue et puis un long cheminement intérieur qui m’a mené vers cette absorption complète de la Vie, non pas d’un point de vue intellectuel mais dans un domaine spirituel, c’est à dire à mon sens, une compréhension qui va bien au-delà du mental. Le « rapport conscient au Divin » que vous évoquez.

     

    *Hélène


    Expérience intéressante !
    Ca me fait réfléchir un peu plus à cette idée de causalité, qui me travaille depuis l’article en question sur ce blog … Quand il s’agit de guérison inexpliquée, ou de guérison explicable d’ailleurs, quels sont les chemins causaux qui ont été empruntés et, si on remonte ces causes, de cause en cause, dans quelle mesure l’impact d’une « cause des causes » s’est révélé déterminant de manière directe ?

     

    *Pierre :

    Oui, c’est un exercice que je trouve passionnant, remonter la trame de la causalité !
    Dans un but de compréhension, de ce qui nous entoure, comme de nous-mêmes.
    Dans un but d’accomplissement, en mettant en œuvre les causes appropriées pour les effets recherchés.
    Par rapport à une cause des causes, et à son impact plus ou moins direct dans notre vie de tous les jours : je ne pense pas que Dieu, ou une Source, le divin, ou autre appellation de cette entité qui serait une Cause Première, agisse directement dans la chute d’un objet qu’on lâche et qui tombe et se brise … En revanche nous sommes dans le réseau de cette trame causale qui fonctionne très bien, avec ses lois, et tous les jours nous l’expérimentons dans tous les domaines de notre vie … cette trame causale pourrait être en elle-même le fruit de cette cause initiale, qui la permet, la pense, la perpétue et la maintient en place. Histoire de causalités primaire et secondaire, ou de Cause Première et de causes secondaires.

     

    *Thierry :

    Pour ma part, j’ai écrit, écrit, écrit pendant des mois afin d’essayer d’éclairer ce cheminement et de remonter à « la » cause initiale. Le problème, ou la nécessité, c’est qu’il a fallu que je sépare ce que mon mental apportait comme réponse (et qui en soi n’en est pas une) et essayer d’envisager ou d’identifier ce que mon âme avait choisi comme chemin. Prajnanpad disait que le mental créait une multitude de problèmes et s’efforçait ensuite de les résoudre. Juste un fonctionnement qui lui donne un rôle adoré, même s’il s’agit d’une accumulation de tourments jusqu’à la destruction. Il s’agit pour lui de rester le Maître. Mais il est l’ouvrier et pas l’architecte. Et il est très rapidement dépassé par les actes anarchiques qu’il occasionne. Il faut le faire taire tout en usant de sa maîtrise dans le domaine du langage. Il faut se « dé-penser ». C’est là que l’activité physique dans l’effort long est un épurateur formidable. Ca n’est pas la performance qui importe mais l’ouverture spirituelle que l’effort long procure. La vie, prioritairement, ne se commente pas, elle s’éprouve. Et c’est dans cette mise au silence du mental que la lucidité s’éveille.
    La connaissance de soi consiste à se libérer du connu, comme le disait Krishnamurti. Le mental est cet espace connu dans lequel nous errons.

    Je vois dans l’expression de Krishnamurti la nécessité d’affronter « une pulsion de mort » qui consiste à survivre dans les conditionnements auxquels nous nous sommes identifiés. Celui-là est « mort » qui n’existe que dans l’hébétude et la futilité.

    « La pulsion de vie » impose au contraire de s’extraire de cette routine érigée en réussite parce qu’elle annihile en les analysant les inquiétudes et les tourments. Bien entendu, on ne voit souvent l’étreinte consciente des traumatismes que comme une auto flagellation, un goût pervers pour la souffrance, une exacerbation narcissique de l’égo qui se complait dans le malheur ressassé. S’il ne s’agit effectivement que d’une exploitation malsaine du statut de victime afin d’amener vers soi la compassion, la plainte et l’identification à ce rôle adoré, il n’y a dans cette dérive qu’un enfoncement néfaste dans le bourbier des douleurs irrésolues.

    La pulsion de vie n’est pas cela. Elle demande à explorer l’inconnu en nous, cet inconnu qui nous terrorise et que nous ne voulons pas affronter parce qu’il porte tous les stigmates des coups reçus, les souffrances enkystées, les malheurs fossilisés. En nous accrochant désespérément à nos habitudes, à nos croyances, à nos chimères, nos sempiternelles répétitions, en vissant nos yeux aux veilleuses qui repoussent les noirceurs, nous restons figés dans la pulsion de mort. Rien n’est possible et nous irons ainsi jusqu’à la mort réelle. Hallucinés de certitudes et de mensonges maintenus. Bien sûr que l’existence nous aura paru aussi douce que possible, tant que nous serons parvenus à résister aux assauts de l’inconscient. Encore faudra-t-il que notre enveloppe corporelle parvienne à échapper aux somatisations de toutes sortes…Ca n’est pas gagné…Cette pulsion de mort n’est par conséquent qu’une errance enluminée. Il n’y a aucun éveil mais un cinéma hollywoodien. C’est le mental le metteur en scène.

    C’est le chaos des étoiles qui créé la splendeur de l’Univers. La pulsion de vie qui détruit les dogmes personnifiés nous pousse vers le chaos en nous-mêmes. C’est un chemin de clarté et une épreuve. Il ne s’agit pas de dolorisme mais une quête de lucidité. Rien n’empêchera d’admirer le cosmos dans les nuits calmes.

    Refuser la pulsion de mort, celle qui maintient l’individu dans le carcan de ses traumatismes, par peur, par déni, par accoutumance, c’est refuser de se nourrir de l’élan vital qui veut que la vie soit une évolution verticale et non l’extension horizontale de l’individu.

    De toute façon, il suffit de regarder autour de nous, nos proches, quelques connaissances, pour réaliser que si ce travail n’est pas entamé, consciemment, maintenu, préservé, encouragé, les dégâts collatéraux finissent la plupart du temps par jaillir comme si l’âme étouffée gangrenait l’enveloppe qui la porte. Je l’ai vécu. J’en suis sorti. La médecine ne l’explique pas. Nous sommes nombreux dans ce cas.

    La connaissance de soi peut se présenter comme une tentative de l’individu à ramener l’inconscient à la conscience ou à ouvrir le conscient à l’inconscient. De nombreuses pratiques sont envisageables. L’écriture m’a servi de support. La haute montagne est un écrin.
    Ca n’était donc plus « LA » cause qui m’importait mais l’intention qui s’y trouve.
    Lorsque j’ai faim, je sais que la cause de cette sensation est la dissolutiond es éléments nutritifs dans mon organisme. Il faut donc que j’apporte de nouveaux éléments. Mais c’est l’intention qui importe. Continuer à fonctionner organiquement.
    Dans le domaine spirituel, les tourments du mental ont une cause. Mais l’essentiel du travail associé à la résolution de cette énigme n’est pas d’identifier simplement ces causes mais de comprendre l’intention de l’âme derrière tout ce fatras. Où doit-elle aller ? Quel est son chemin de vie ? Et ça n’est pas le mental qui peut répondre à cette interrogation. Il n’est pas l’architecte.

    *Pierre.


    Concernant l’idée de la causalité, pour moi la recherche d’une cause n’est effectivement pas un but en soi. Elle doit s’intégrer de manière naturelle dans une démarche de médecine de l’âme. L’analogie avec la médecine du corps fonctionne très bien. On ne fait pas des découvertes sur les causes des maladies, juste pour les découvrir, l’idée est de comprendre pour mieux cerner les conditions d’une bonne santé comme celles de l’émergence de telles maladies, et dans ce dernier cas pour les traiter. Je l’ai développé, à mon niveau bien entendu, dans un article tout récent en mai sur le blog. En ce sens je vous rejoins assez quand vous dites : « Mais l’essentiel du travail associé à la résolution de cette énigme n’est pas d’identifier simplement ces causes mais de comprendre l’intention de l’âme derrière tout ce fatras » : l’identification d’une cause n’a pas de valeur en soi si c’est juste pour cocher une case et l’archiver. Il faut que ce soit suivi d’une décision qui traite justement la cause. Ou qui utilise cette compréhension d’une relation cause-effet pour un autre traitement. Je pense en revanche que l’identification d’une cause ne se fait pas « comme ça » mais qu’elle est le fruit d’un travail de connaissance sur soi acharné. D’une démarche de recherche et d’identification des dysfonctionnements voire des maladies de notre âme qui font que justement, pour reprendre notre discussion précédente, on n’est pas altruiste à 100%, voire, dans certains cas, sous des dehors pseudo-altruistes ce n’est que l’amour de soi même que nous mettons en pratique.
    « Où doit-elle aller ? Quel est son chemin de vie ? Et ça n’est pas le mental qui peut répondre à cette interrogation. Il n’est pas l’architecte. » : je vous rejoins, toute cette démarche de reste indissociable d’une idée précise de la finalité de notre création.

     

    *Thierry

    Je vous rejoins totalement dans ce principe de causalité mais pour avoir pu en juger de par mon parcours, dans le domaine de la médecine, la causalité reste au niveau organique et ne prend pas suffisamment en compte, à mes yeux, la part spirituelle de l’individu. Comme si la mécanique n’avait pas de conducteur, ni même de concepteur, ce qui est encore plus grave…Yvan Amar écrivait : « Si un médecin me guérit de mon mal, il ne doit pas oublier d’évoquer ce que mal cherchait à me faire comprendre, sinon il me prive d’une avancée spirituelle en limitant mon individu à une mécanique. »
    On peut estimer que cela ne relève pas du médecin. Mais alors, dans ce cas-là, si le médecin doit rester un « mécanicien », l’éducation spirituelle doit être mise en avant afin que l’individu cherche en lui-même l’intention de cette douleur. Le corps est un révélateur des maux de l’âme, pour moi. C’est ainsi que j’ai vécu mon parcours en tout cas.
    On peut d’ailleurs étendre cette attitude « mécaniste » à bien d’autres domaines que celui de la médecine. Cette fameuse causalité apparaît dans l’esprit occidental comme une finitude alors qu’elle n’en est que le seuil. C’est l’horizon qu’elle propose qui devrait être exploré.
    Qu’en est-il par exemple de l’affectivité ? On peut, assez facilement, identifier les causes d’une émotion (ou alors c’est que le travail spirituel à entamer est immense ) mais ce qui importe à mon sens, c’est bien davantage le travail de conscientisation qu’elle propose. Si je m’arrête à la causalité de l’affectivité, je ne suis pas un explorateur mais un scribe…
    La conscience est-elle soumise à l’affectivité ? Si je suis heureux ou triste, ma conscience en subit-elle les effets ou est-ce uniquement ma perception de l’existence à travers mon affectivité ? Lorsque nous alternons entre les moments euphoriques et les moments de détresse, est-ce que notre conscience est touchée ou reste-t-elle dans une dimension parallèle ou même englobante ? A-t-elle la capacité à identifier les causes de ces fluctuations et à les analyser ou est-elle saisie elle-même par les effets épisodiques de nos conditions de vie ?

    Prendre conscience, c’est se donner les moyens d’observer tout en ayant conscience d’être l’observateur. Un détachement qui permet de ne pas être totalement saisi par les émotions générées par cette observation mais de rester lucide. Il ne s’agit pas non plus de rester inerte mais d’être capable de cerner les raisons profondes des émotions. Etre emporté par une bouffée de bonheur ou de colère n’implique pas nécessairement une perte de contrôle tant que l’individu parvient à observer cette émotion exacerbée en lui-même. La perte de contrôle survient dès lors que les émotions ne sont plus regardées par cette conscience macroscopique et que le mental se soumet à ce flot de perceptions. Il suffit de penser à la peur pour en prendre conscience…Si j’observe ma peur, je m’offre un point de contrôle. C’est la conscience qui dépasse l’affectivité, qui la surplombe ou l’englobe. Je vais pouvoir me servir de cette peur pour exploiter les poussées d’adrénaline, je vais même pouvoir l’entretenir parce qu’elle m’offre des capacités physiques insoupçonnées. Sans l’adrénaline, les hommes préhistoriques auraient succombé aux prédateurs. La peur est un carburant, une source de forces, une énergie redoutablement efficace. Mais elle l’est encore plus lorsque la conscience reste le chef d’orchestre.
    Un homme préhistorique poursuivi par un prédateur connaissait parfaitement les causes de sa terreur mais en l’observant intérieurement, il se donnait les moyens d’user de cette énergie au lieu de succomber à une stupéfaction fatale…On court vite quand on se sert de sa peur.
    Il ne s’agit pas de rejeter l’affectivité mais de prendre conscience du potentiel qu’elle propose. Lorsque j’écris avec une musique que j’aime, il m’arrive de voir les mots débouler en cascades, des flots d’émotions surpuissants, une osmose avec ce que je porte, c’est une affectivité que j’entretiens, je ne cherche pas à l’effacer, je la laisse m’emporter et en même temps, je l’observe, je la nourris, je l’honore et la vénère, j’ai pleinement conscience de sa présence, du « jeu » que j’instaure et des règles à suivre. Cette affectivité ne dépend pas de moi à la source mais la conscience que j’en ai sait l’entretenir. De la même façon, un sportif saura avec l’expérience faire monter l’adrénaline, la tension, le stress, avant une épreuve mais en apprenant à l’observer et à en avoir pleinement conscience, il parviendra à l’entretenir, à s’en servir, alors que si l’absence de conscience l’emporte, cette adrénaline l’enverra au décor. Le fil du rasoir est très affûté. Il faut l’effleurer, jouer avec la lame avec délicatesse sans appuyer comme une brute.

    On pourrait à travers cette description assimiler la conscience avec la raison. Et c’est là que je me heurte à une problématique qui me tracasse.

    Je ne vois pas la raison comme une entité observant l’observateur mais comme une entité œuvrant à la neutralité. La raison est déterminée à ne pas laisser les émotions se développer. Elle est davantage éducative, formative, un conditionnement qui agit comme un étouffoir. Elle va chercher à convaincre l’individu que sa peur est injustifiée ou que ce bonheur ne durera pas. Elle n’existe que dans le maintien du contrôle. Elle est le piédestal du « raisonnable ». Je ne la vois que comme une incapacité à recevoir les émotions en toute conscience. Cette conscience qui est au contraire de la raison capable d’assumer pleinement les élans émotionnels, à s’en servir pour la création artistique par exemple. Si je m’interdisais d’être bouleversé par une musique, je n’ouvrirais pas en moi les horizons littéraires et si je laissais de la même façon, les émotions m’emporter, je ne parviendrais pas à écrire une seule phrase. La conscience devient dès lors le trait d’union entre la raison qui me sert de transcripteur des émotions pendant que ma conscience observe l’ensemble. C’est en cela que je vois la conscience comme englobante. Elle est le placenta qui permet le lien.
    Les causes sont du domaine de la raison. L’Eveil va plus loin et se sert de la Conscience.
    C’est sans doute dans cette osmose qu’apparaît l’individu unifié.

    *Pierre

     

    Cher Thierry
    Je ne pourrais pas répondre de manière aussi détaillée, j’ai vu de nombreux autres développements sur votre blog d’ailleurs. Juste quelques commentaires rapides :
    - tout à fait d’accord pour la causalité à étudier dans le domaine de la part spirituelle de l’individu : c’est l’un des points essentiels que j’essaie de développer, à savoir la connaissance de la trame causale qui gère notre esprit, notre âme. Étudions-la avec autant de sérieux qu’on étudie la causalité dans la science matérielle et on arrivera à des résultats !
    - je suis médecin, et je peux vous dire que pour moi toute guérison, même si elle n’est pas le fruit d’un antibiotique, d’une chirurgie, même si elle est apparemment « surnaturelle », suit une loi causale propre qui débouche sur la guérison, dans votre cas de ces problèmes rachidien. Ce qui n’enlève rien à la force de l’expérience vécue, mais c’est ainsi. Un effet particulier provient d’une cause particulière. Même si cela fait appel à cette dimension spirituelle de l’individu.
    - d’accord pour ne pas s’arrêter à la causalité de l’affectivité : une fois trouvée, ou qu’une hypothèse est posée, tout dépend de ce qu’on en fait. Cette part de connaissance, de compréhension, cette « prise de conscience » dont vous parlez est pour moi aussi essentielle. et elle est indissociable d’une pratique.
    - la raison est un potentiel qui s’éduque, je ne parle pas seulement de la raison au sens du QI et des capacités intellectuelles strictement – qui est reste très utile, d’autant plus utile qu’elle est développée – mais aussi de cette part de la raison qui devient capable de s’intéresser aux vérités spirituelles, à l’existence de l’âme et à son devenir, à la bonne gestion de nos émotions justement, pour qu’elles concourent à notre perfectionnement et non à notre avilissement. En lien avec la foi, la conscience, etc.

    *Luc :

    @Pierre
    « Étudions la avec autant de sérieux qu’on étudie la causalité dans la science matérielle et on arrivera à des résultats ! » : message très motivant. Si on accordait à ces question quelques % du temps et de l’intérêt que l’on consacre à ce qui est dévolu au bien être éphémère, on irait loin. Il faudrait équilibrer. Enfin de mon point de vue.

    *Thierry

    Cher Pierre. J’avais bien compris que vous êtes médecin et c’est bien par rapport à ce statut et la richesse de votre blog dans votre démarche spirituelle que j’ai choisi d’intervenir. Un parcours qui me ravit au regard de mon vécu avec le milieu médical…
    Vous avez écrit :  » …cette part de la raison qui devient capable de s’intéresser aux vérités spirituelles, à l’existence de l’âme et à son devenir… »
    Et là, je ne parviens pas à « croire » ^^ que la raison puisse explorer certains espaces inconnus…

    « Du jour au lendemain. »

    Un film avec Benoit Poolvoerde.
    Totalement désespérant…L’histoire d’un homme qui « du jour au lendemain » va voir sa vie passer d’un long marasme quotidien, avec une rupture sentimentale, une situation professionnelle humiliante et de multiples désagréments quotidiens à un bonheur parfait, sans aucune explication, sans avoir changé quoique ce soit en lui, une transformation totalement irrationnelle. Et cette absence d’explication va rendre pour lui ce bonheur totalement insupportable, il ne va pas s’y retrouver, l’image à laquelle il est attachée, dans laquelle il se reconnaît s’est effacée, les autres, ses proches, ne le voient plus de la même façon, tout ce qu’il vit est empli d’un bonheur immédiat, sans qu’il élabore le moindre projet, sans qu’il intervienne le moins du monde dans cette accumulation de situations positives. On sent alors, au fil des jours, que cette situation l’angoisse, qu’il semble attendre, guetter sans cesse l’instant où tout va s’arrêter, que ça ne peut pas continuer ainsi alors que rien ne l’explique…Cette disparition de ce qu’il était va le conduire à la folie…Alors que sa femme est revenue à ses côtés et qu’elle attend un bébé, il est interné en hôpital psychiatrique. C’est un homme inapte au bonheur et qui sombre.
    Le médecin explique à sa femme que seul un évènement déclencheur pourrait le ramener à la vie.
    C’est la cafetière qui va s’en charger, cette cafetière, qui au lieu de dysfonctionner chaque matin s’était mise à faire normalement du café, de façon irrationnelle, alors qu’il n’avait nullement cherché à la réparer, cet engin anodin va de nouveau s’emballer. Ce retour à une vie passée, celle qu’il voulait retrouver, celle qui correspond à ce rôle de « perdant », va le sortir de sa torpeur et le ramener à la vie…Mais quelle vie ?…Celle d’un homme qui n’a pas su saisir ce que la vie réelle lui proposait, celle d’un homme qui préfère rester enfermé dans ses conditionnements, sa « raison », son histoire…Il préfère être ce qu’il a toujours été que d’accepter cette irrationalité, ces phénomènes inexpliqués, qui n’ont aucune « logique » pour lui…

    « Mais qu’est-ce que vous avez tous avec votre amour? »

    Tout le problème est là. Cet homme ne peut pas être aimé, pas de façon aussi universelle, la vie ne peut pas être aussi belle, pas avec son histoire… »Se libérer du connu. » Voilà ce qui aurait pu le sauver.
    Et c’est là que ce film passe, à mes yeux, de la comédie, ou satire sociale à une vision désespérante de l’humain.

    Cet enfermement « rationnel » est avant tout éducatif et social. L’identification de cet homme à son histoire, une histoire qu’il a lui-même fabriquée par une attitude constamment négative, va l’emporter sur le changement « irrationnel » qui lui est proposé par la vie elle-même. Il ne s’agit pas de « chance », de « destin », mais de l’opportunité d’appréhender la vie d’une autre façon. Mais la peur va être la plus forte, la peur de ne plus exister dans un rôle, la peur de ce changement considérable d’existence. Celui qui ne change pas est avant tout un être qui a peur, ça n’est pas une question d’incapacité mais d’interdiction. C’est en cela que le conditionnement est une enceinte, un carcan, une geôle adorée. Se plaindre de cet enfermement est plus rassurant que d’en sortir…C’est effrayant…

    J’ai longtemps eu peur, après la rémission inexpliquée de mes trois dernières hernies discales, que le mal me retombe dessus. Ca n’était pas rationnel, les médecins n’y comprenaient rien, moi non plus. Je savais bien que j’avais vécu une situation incompréhensible, que j’avais basculé à un moment dans une dimension inconnue mais cette absence d’explication était une torture. J’avais peur. Ca ne pouvait pas durer cette rémission, ça allait me retomber dessus sans prévenir, revenir aussi brutalement que ça avait disparu. Ce bonheur n’était pas pour moi…L’identification…Je devais me libérer du connu, de ce passé morbide, de cette détresse à laquelle je m’étais attaché parce qu’elle m’offrait un rôle en « or »…La victime, le malheureux, le supplicié…C’est là que j’ai compris que je devais écrire, aller chercher au plus profond de mes traumatismes les plus anciens la source de cette inaptitude à être heureux…Comprendre aussi que le seul instant réel, c’est celui dans lequel j’existe, que je n’avais aucune réalité dans ce passé assassin, que je n’étais rien dans cet avenir incertain, mais que le fait de me lever librement de ma chaise, sans tituber, sans canne, de pouvoir marcher, puis courir, puis skier était la seule réalité, la seule vie réelle.
    J’ai enfin appris à vivre. Ca m’aura pris quarante-deux ans. Six ans que je vis pleinement, librement. Libre de moi-même, de l’autre, celui qui est mort lorsque je suis né.
    Et ça n’est pas à la raison que je dois tout ça. C’est à elle par contre que je devais l’épaisseur de ma geôle.

    *Pierre

    Cher Thierry me voici de retour … J’aime vous lire dans la mesure où je vois encore beaucoup de points communs avec ce que je pense … Le rapport entre spiritualité et rationalité est des plus intéressants. Et des plus surs, quand on voit la nuée de pseudo-spiritualités et divers mouvements qui surfent sur la vague de recherche de vérité des hommes et qui au final les trompent et profitent d’eux … Si un peu de raison était présente, le risque de se faire berner par des mirages conceptuels et contes féériques serait moins important …
    En réalité, quand je lis votre histoire, votre analyse de vous-mêmes par vous-mêmes (vos émotions, pensées, parcours, vie intérieure), la description fine et détaillée de votre processus de pensée, la manière dont il a évolué, la critique ciblée de votre vie « d’avant », les conclusions très hiérarchisées que vous avancez : et bien j’y vois une part énorme de … raison ! Dans la mesure où tout ce processus, même s’il est nourri par votre vie spirituelle intérieure, par des expériences qui sont inexplicables rationnellement, par votre foi, par votre amour inextinguible pour une transcendance, ou autre domaine de pensée ou de conscience qui ne soit pas traditionnellement attribué à la raison, et dont on a aussi absolument besoin : si vous le vivez et le partagez, et bien c’est parce que votre raison l’accepte, accepte qu’il y a des choses qu’elle ne peut pas comprendre, accepte la logique de croire en quelque chose que l’on ne voit pas mais parce qu’elle valide les effets qu’elle a perçus au travers de nombreuses expériences et de votre état actuel … Alors que d’autres personnes, vous leur racontez votre expérience, leur faites part de l’idée d’une part spirituelle en l’homme, vous leur donnez vos conclusions et l’idée que vous vous faites du divin, pour eux, et même s’ils ont des capacités intellectuelles très élevées, peuvent très bien rire doucement et vous dire que tout ceci n’a ni queue ni tête, n’est pas « rationnel » … Ils sont effectivement peut être emmurés par leur « raison-QI » ou leur manque de « raison disons spirituelle » dans la geôle dont vous parlez … Donc la raison-QI stérile qui emmure, non. Celle qui s’allie à l’intelligence-QI habituelle pour ouvrir l’esprit en restant garante d’une progression sure, acceptant ce qui dépasse sa compréhension parce qu’elle a senti et constaté les effets de quelque chose qui la dépasse et qu’elle va essayer de comprendre, oui. Développer cette attitude pour moi s’apparente, à l’inverse de m’enfoncer dans ma geôle, à justement ne pas rester figé, ne pas abdiquer ma raison face aux questions spirituelles : réfléchir, chercher, ne pas avoir l’esprit fermé et borné, accepter de me remettre en question, avoir un avis objectif sur des parcours spirituels que j’estime dangereux pour la santé de mon âme …
    J’avais mis en lien dans mon article sur la causalité un post intéressant concernant cette idée d’un entendement spirituel, c’est peut être ce mot qui est le mieux choisi, plus que « raison spirituelle » :
    http://www.e-ostadelahi.fr/eoe-fr/lentendement-spirituel-et-le-systeme-causal/, blog passionnant par ailleurs.
    Bonne soirée

    Thierry

    Merci Pierre pour ce lien, je vais aller voir ça de près.
    Si tout ce que j’ai connu et ce que je vis a bien un rapport avec la raison, au-delà du travail de mise en forme écrite, et bien j’en serais le premier ravi car cela signifie que c’est accessible à n’importe qui et qu’il ne s’agit pas d’une rupture incompréhensible et limitée à « une mystique sauvage ». Effectivement, je rencontre des individus qui rejettent furieusement tout ce cheminement spirituel et qui ne voit dans mes propos qu’un délire mystico-religieux-affabulatoire. Je m’y suis habitué depuis le temps…Si ma raison accepte ce cheminement, je pense que c’est justement parce qu’elle a repris sa juste place et qu’elle n’est plus ce costume de capitaine de vaisseau dont elle s’était affublée et qui est trop grand pour elle.
    Tu n’es pas Je.
    Qui es-Tu, toi, qui m’étouffes sous tes certitudes
    entassées comme autant de fêlures ?
    Tu as établi ta prétention au royaume des altitudes,
    miasmes enluminés d’infinies convenances,
    soumissions passives, perverses accoutumances.
    Qui es-Tu pour vouloir ainsi me perdre alors que Je t’héberge ?
    Tu as voulu te nourrir des amitiés soudoyées,
    honorer les vénérations, les reconnaissances
    Te gaver sans répit des amours galvaudés.
    Tu as cru prendre forme, pâte malléable
    abandonnée langoureusement aux caresses versatiles
    Tu réclamais ta pitance, le cœur éteint
    et l’égo malhabile, prêt à t’humilier pour calmer Ta faim,
    l’euphorie anarchique Te servait de remède et
    Tu refusais d’écouter en ton sein
    vibrer une âme éteinte qui tendait vers sa fin.
    Mais la Vie a trouvé la faille et t’a mené vers le tombeau
    nulle crainte pour elle tu n’étais qu’un vaisseau
    Tu pouvais bien sombrer dans les abysses lointaines
    elle était l’Océan, Tu te croyais capitaine,
    au creux des montagnes mouvantes Tu as eu peur enfin,
    Tes pensées se sont tues et Je suis revenu.
    De mon corps paralytique ont jailli des lumières,
    des étreintes amoureuses ruisselant de semence,
    palpitations d’univers comme autant de naissances,
    J’ai compris les douleurs car Tu n’étais plus là,
    dressé à la barre d’un navire perdu Tu n’avais pas le choix,
    Ta solitude morbide t’emplissait de morve,
    il fallait que Tu craches toutes tes nuisances,
    pour échapper enfin aux avides noirceurs.

    Je ne t’en veux pas, Tu sais,
    Tu as fait ce que Tu croyais juste,
    le courant était bien trop fort pour Toi,
    Je te tends la main,
    il n’y a plus rien à fuir, ni peur à nourrir,
    Tu as rejoint ton âme et Tu t’y sens bien,
    laisse -toi porter la Vie sait ce dont elle a besoin,
    l’Océan n’existe que là où Je me trouve,
    cesse de regarder les horizons lointains,
    ils ne sont que chimères et Je te le prouve.

    Je suis là maintenant, Tu es mort pour ton bien.

    *Pierre

    Très beau poème, Thierry. Vraiment. Merci !

    *Thierry

    J’ai lu votre lien Pierre et c’est effectivement très parlant. Merci. Une idée qui me vient d’ailleurs ou une expression à laquelle je dois réfléchir : l’écosystème spirituel. J’y reviendrai.

     

    *Pierre

    Excellente idée ! Sujet passionnant.

     

    *Thierry

    Le fond de mon prochain roman…

     

  • Ostad Elahi

     

    http://www.e-ostadelahi.fr/eoe-fr/la-pensee-dostad-elahi-en-7-points/ 

    La pensée d’Ostad Elahi en 7 points

    Par Emmanuel Comte, le 7 sept. 2008, dans la catégorie Articles - Imprimer ce document Imprimer - English version

    La pensée d’Ostad Elahi se présente comme l’élaboration à la fois systématique et pratique d’une spiritualité naturelle. « Naturelle » peut s’entendre en deux sens : au sens d’une spiritualité qui correspond à la nature véritable de l’être humain, à ses dispositions et à ses besoins profonds, mais aussi d’une spiritualité moderne, adaptée à l’esprit et aux mœurs des femmes et des hommes de notre époque, par différence avec la spiritualité classique incarnée par la plupart des grands saints ou mystiques du passé, et qui privilégiait systématiquement l’émotionnel aux dépens du rationnel.

     

    Parce qu’elle tente de préciser le sens même de la spiritualité en revenant pour cela à ce qui constitue ses fondements, la pensée d’Ostad Elahi fournit également une réponse à la question : Pourquoi l’homme ne peut-il se passer du spirituel ? C’est le premier aspect qu’il faut examiner, pour mieux saisir la manière dont Ostad Elahi parvient à situer la spiritualité dans le cadre de l’existence humaine.

    [Cet article est téléchargeable ici dans sa version complète au format PDF]

    Introduction : quelle place pour la spiritualité ?

    Cette question, posée de la sorte, n’a plus aucune évidence aujourd’hui. Non pas que le problème du spirituel ait disparu de notre horizon : l’éclatement et la redéfinition des cadres religieux de l’existence humaine, la prolifération des courants spiritualistes ou sectaires dans les marges des grandes religions monothéistes, l’émergence d’une spiritualité « sur mesure » où chacun trouve ce qui lui convient sur fond de désarroi, la recherche inquiète des « valeurs » ou du « sens », tous ces phénomènes montrent bien que le sentiment d’insatisfaction et de manque qui poussait les hommes d’autrefois vers les formes traditionnelles de la religion n’a jamais cessé de tarauder l’humanité, quitte à s’exprimer sous des formes détournées ou dévoyées. Cependant, ni l’usage du terme « spirituel », ni même la référence à des principes ou à des dogmes religieux, ne suffisent par eux-mêmes à définir une démarche spirituelle ; a fortiori, rien ne garantit qu’une ligne de conduite qui s’appuierait sur de tels dogmes et principes serait bénéfique à celui qui la mettrait en œuvre. De ce point de vue, le terme de « spiritualité » continue à désigner à peu près tout et son contraire. Il est donc vital de préciser ce que l’on est en droit d’attendre de la spiritualité, et la fonction qu’il faut lui reconnaître dans nos vies.

    Or un des intérêts de la réflexion menée par Ostad Elahi est justement qu’elle permet de définir la forme, ou si l’on préfère la place et la fonction de la spiritualité, avant d’avoir à en préciser le contenu. L’exemple même de sa vie, tout comme le point de vue développé à travers ses écrits, témoignent de ce que, contrairement à une conception courante, la vie spirituelle ne saurait être pensée comme une alternative à la vie matérielle. La vie spirituelle n’est pas quelque chose qui doit être mené à l’écart de la vie matérielle, que ce soit en renonçant radicalement au monde, ou en s’en retirant périodiquement pour se « ressourcer ». L’orientation qui conduisait certains mystiques du passé à renoncer complètement aux avantages de leur position et aux biens de ce monde pour mener une vie solitaire et retirée, était fondamentalement juste : elle témoignait, quoique sur un mode extrême, du fait que quelque chose manque irrémédiablement dans la simple existence sociale des animaux-humains que nous sommes. Cependant, cet exemple risque aujourd’hui d’alimenter une idée fausse, selon laquelle il conviendrait de définir la démarche spirituelle dans une relation de séparation avec la vie « normale ».

    C’est parce qu’on se figure que le spirituel est un domaine séparé qu’on lui associe parfois l’idée que la spiritualité relève d’une forme de connaissance ésotérique, réservée aux seuls initiés, ou encore qu’elle réclame le développement de facultés d’un genre spécial. Bien des dérives trouvent là leur explication : obéissance aveugle aux maîtres, goût pour les phénomènes paranormaux et les états de conscience « altérés », etc. L’attirance pour l’occulte répond sans doute chez l’homme à une pulsion profonde, mais elle nourrit des formes ostentatoires ou dévoyées de la spiritualité. Quant à l’idée selon laquelle la spiritualité serait un luxe, une espèce de supplément d’âme ou d’accompagnement thérapeutique destiné à alléger le poids d’existences trop rudes, elle traduit une conception encore très mondaine et finalement très matérielle – pour ne pas dire matérialiste – du spirituel : on y cherche une tranquillité et une sécurité psychiques relatives, susceptible de remédier aux maux de la vie moderne, comme l’alimentation « bio » sur un autre terrain.

    Mais si la spiritualité naturelle peut finalement conduire à une forme de tranquillité et de sérénité, elle n’en fait pas le but premier ni la motivation principale de sa démarche. La spiritualité, selon Ostad Elahi, n’est pas une technique de bien-être que l’homme pourrait choisir d’utiliser ou non, ou pour laquelle il existerait des substituts durablement efficaces. La spiritualité vise en réalité tout autre chose, que le mot de perfection parvient mieux à évoquer.

    En redéfinissant le sens de la spiritualité, Ostad Elahi la replace au cœur de l’affaire : elle n’est pas quelque chose qui viendrait « en plus », comme un luxe ou un soulagement, elle n’est pas quelque chose qui se pratiquerait « à côté », en retrait du monde ; elle est au centre, ou plutôt elle est partout, accompagnant chaque instant de l’existence. D’une certaine façon, nous n’avons pas le choix. On peut négliger ce qui concerne la dimension spirituelle de notre être ; on ne peut jamais s’y soustraire intégralement.

    Ce n’est pas là une pétition de principe. Pour Ostad Elahi, la place de la spiritualité dans l’existence humaine peut se justifier par sa fonction et ses conditions de mise en œuvre. Si la spiritualité doit occuper une place centrale, c’est qu’elle n’est rien d’autre finalement que la science expérimentale par laquelle l’être humain, en menant une existence gouvernée par des principes justes et une raison saine, peut parvenir à transformer son être et à le parfaire pour ainsi dire substantiellement. Or c’est là, comme on va le voir, une finalité qui est naturelle à tout être humain, car elle coïncide en fait avec l’idée d’un bonheur parfait et sans mélange, auquel chacun aspire. Mais les conditions extérieures du plus grand bonheur ne suffiraient pas à nous rendre heureux si nous demeurions nous-mêmes l’être inquiet et imparfait, que nous sommes dans le cours ordinaire de nos vies. Pour atteindre un bonheur infini, il faut développer en soi les facultés qui nous permettront de le goûter vraiment, c’est-à-dire d’en comprendre et d’en ressentir pleinement les effets : autrement dit, pour jouir du bonheur parfait, il est nécessaire de se parfaire soi-même. Quels que soient les objectifs qu’on se fixe dans la vie à plus ou moins long terme, c’est bien à cette question que chacun est finalement renvoyé lorsqu’il prend la peine de réfléchir sur sa condition et le sens de son existence : non pas « Que vais-je devenir ? », Mais plus profondément, « Que puis-je faire de moi ? », « Quels potentiels suis-je capable de développer ? ». Et d’abord, qui est ce « moi » ?

    Résumons. Qu’une vie humaine digne de ce mot ne se réduise pas à l’affairement de nos existences ordinaires, c’est ce que traduit le besoin de se référer à une forme de transcendance. Peu importe ici le terme : Dieu, Sens, etc. Ce besoin traditionnellement pris en charge par les religions se manifeste aujourd’hui de diverses manières. Mais le point important est que cette dimension de transcendance n’implique nullement que la spiritualité soit un domaine réservé ou séparé. Elle est au contraire l’axe générateur de toute existence humaine, dès lors que l’être humain se ressaisit lui-même comme un être perfectible, capable de transformer sa propre substance, de s’arracher à tout ce qui le détourne de sa vocation véritable.

    Le premier point qu’il faut examiner est donc le concept de perfection, ou plutôt de perfectionnement. Tous les autres en découlent. Une fois reconnu que le mouvement de perfectionnement est l’axe générateur de l’existence, il faut se demander ce qui se perfectionne ainsi, et selon quel processus. Autrement dit, il faut s’interroger sur ce qui constitue la nature véritable de l’homme, son essence, son « moi » réel. Il faut ensuite se demander quelle forme prend en pratique le perfectionnement, et quel peut-être son rapport avec ce qu’on entend d’ordinaire par l’éthique : Ostad Elahi envisage justement le perfectionnement comme une pratique, ou un travail. Il faut enfin se demander quelle forme prend le parcours du perfectionnement, et la fonction qu’y remplit la vie terrestre, rapportée à une scène plus vaste où elle prend son sens.

    7 points permettent de résumer, dans leurs grandes lignes, ces différents aspects de la pensée d’Ostad Elahi.

    1. Le perfectionnement
    2. L’homme est un être bidimensionnel
    3. La spiritualité comme médecine de l’âme et la perfection
    4. Les fondements de l’éthique : l’éducation de la pensée et le respect des droits
    5. L’entendement spirituel et le système causal
    6. Mondes, intermondes, vies successives
    7. La place du divin : la relation à la source


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    Consulter également :

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  • Les Prix littéraires

    Les prix littéraires tuent (l'édition, les auteurs et les livres)

    LE PLUS. Goncourt, Renaudot, Interallié, Fémina... Pour Luis de Miranda, directeur éditorial de la maison d'édition indépendante Max Milo, ces distinctions littéraires contribuent au pourrissement du marché du livre.

    Luis de Miranda

    > Par Luis de Miranda Philosophe et romancier

    Edité et parrainé par Hélène Decommer

     

    http://leplus.nouvelobs.com/contribution/213478;les-prix-litteraires-tuent-l-edition-les-auteurs-et-les-livres.html

    À l'approche de Noël, dans des librairies gangrénées malgré elles par l'esprit de lucre, on nous sert la haine sous forme de livres tièdes. En tant qu'auteur d'une douzaine d'ouvrages et directeur éditorial d'une maison d'édition indépendante, je dois vous parler de l'agonie du livre et notamment du roman contemporain, ainsi que de ses assassins présumés : une poignée d'éditeurs parisiens conservateurs, avec la complicité des jurés moribonds des prix littéraires dominants et des critiques littéraires les plus installés, souvent écrivains eux-mêmes. Tout ce beau monde se tient par la barbichette des intérêts croisés. Une histoire de meurtre de la poésie véritable aux multiples coups de poignards, qui pourrait s'intituler Mort sur le Nihil.

     

     Une grande-surface à Massy, en 2007 (NIKO/SIPA)

    Une grande-surface à Massy, en 2007 (NIKO/SIPA) 

     

    Le pourrissement du marché

     

    Les prix littéraires tuent. Les mauvaises langues affirment qu'ils seraient le résultat de transactions économiques à peine voilées, orchestrées par un oligopole d'éditeurs dont les règles ne tiendraient pas deux secondes devant un tribunal européen : concurrence déloyale vis-à-vis des petits éditeurs écartés d'office de la compétition, dumping artificiel du marché, entente entre quelques "grandes" maisons, conflits d'intérêts des jurés... Sont-ce d'infâmes rumeurs ? Alors que la fête continue ! D'ailleurs, les Français semblent dupes, puisqu'ils achètent. Mais leur donne-t-on le choix ?

     

    Les prix littéraires tuent car, chaque année, ces offices du bon goût élèvent artificiellement au rang de best-seller une littérature parfois frelatée, sans dimension épique, sans réelle ambition stylistique, créative ou sociétale. Je ne compte plus les lecteurs qui m'avouent, entre la honte et la colère, avoir été déçus par l'achat d'un livre portant la mention Prix Goncourt, Renaudot ou autre.

     

    Puisque le budget littéraire moyen du Français ne dépasse guère un ou deux livres contemporains par an, nous comprenons en partie pourquoi les éditeurs indépendants vivent aujourd'hui une crise sans précédent : les prix littéraires sont en partie responsables du pourrissement du marché, en décevant trop souvent la candeur du lecteur. Que répondent les grandes maisons ? Qu'il y a de toute façon trop de petits éditeurs qui produisent trop de livres.

     

    Principales victimes : les auteurs et petits éditeurs


    Comment sont choisis les livres qui intègrent les listes des prix ? Celles-ci sont elles-mêmes faussées. Sur le millier de romans qui paraissent chaque année, les jurés n'en lisent que quelques uns, une dizaine à tout prendre. C'est comme si les correcteurs d'un concours national se contentaient de lire 1% des copies pour y choisir l'élite de demain. Pire, imaginez qu'au lycée on laisse de côté 99% des élèves, sans même considérer leur travail. On ne donnerait des notes et l'opportunité de poursuivre des études qu'à ceux qui fréquenteraient les bonnes écoles et seraient issus des bons réseaux.

     

    Les autres auteurs ? Qu'ils meurent et cessent de se prendre pour des poètes ! Qu'ils se contentent de vendre 300 exemplaires de leur roman, la réelle moyenne nationale, soit comme par hasard 1% des ventes moyennes d'un prix Goncourt. Exagéré ? Non : chaque année des auteurs confirmés se voient refuser la publication de leur nouveaux manuscrits au prétexte qu'ils ne sont pas bankables. La notion d’œuvre, c'est-à-dire de l'auteur étrange, difficile, exigeant, élitaire, qui a besoin du soutien d'un éditeur sur la durée, est à peu près caduque.

     

    La plupart des gros éditeurs ne laissent plus aux auteurs qu'une seule chance : si leur livre ne se vend pas et s'il n'a pas l'heur de toucher une presse littéraire souvent snob ou sectaire, la comptabilité analytique passera l'ambition de l'écrivain au broyeur du refus automatique. On ne compte plus les auteurs SDF de l'édition, ballotés, pour les plus chanceux, d'enseigne en enseigne.

     

    Chaque année aussi, au moment des résultats des prix littéraires, des voix s'élèvent pour dénoncer l'engeance parisienne des grandes maisons. En vain – mais aujourd'hui l'heure est plus que jamais grave, elle est funèbre : dans une édition en panique, lors même que les librairies semblent plus ou moins désertées, la rumeur dit que beaucoup d'éditeurs indépendants ne passeront pas l'hiver, tandis que le cartel des grandes maisons doublera grâce aux sapins son chiffre d'affaires annuel, en comptant notamment sur le trafic des prix littéraires. Ces maisons ne seraient pas longtemps florissantes sans cette concurrence illégale. Un exemple ? Il y a plus de 1000 maisons d'édition publiant des romans en France. Or depuis 2000, en onze ans, Gallimard et ses filiales a obtenu le prix Goncourt 7 fois – soit un taux de réussite de 64% et une somme que j'estimerais à 30 millions d'euros de chiffre d'affaires (basée sur le prix de vente moyen d'un livre) pour ces seuls 7 ouvrages, une part de marché dont aucun monopoliste du CAC 40 n'oserait rêver. Quand bien même les Goncourt de Gallimard seraient tous des chefs-d’œuvre, il y aurait là quelque chose de pourri au royaume du papier.

     

    Pour un moratoire sur les prix littéraires

     

    On me trouvera naïf. Il est temps que les éditeurs et les jurés se souviennent de la raison pour laquelle ils ont aimé lire, lorsqu'ils étaient "naïfs" : souvent, ce fut en découvrant des Rimbaud, des Nietzsche et autres auteurs à peine lus de leur vivant, parfois publiés pour la première fois à compte d'auteur, souvent morts dans des conditions misérables. Romantisme ? Alors soyons réalistes : tuons les marginaux, étouffons les authentiques, castrons les petits, la plupart de ces auteurs assez fous pour écrire encore "avec leurs tripes". Je songe par exemple à Fernando Pessoa, reconnu, maintenant que son cadavre est plus que froid, comme "l'un des plus grands poètes du XXe siècle", mais dont on méprisait les manuscrits lorsqu'il était vivant, ce qui l'obligeait à écrire ses poèmes derrière ses factures de comptable :

     

    Un jour, dans un restaurant hors de l'espace et du temps,

    On me servit l'amour sous la forme de tripes froides...

     

    Messieurs, Mesdames les grands éditeurs, Chers membres-des-jurys-des-prix-ayant-pignon-sur-rue, vos seigneuries les "critiques" littéraires, je vous propose, le temps de relancer l'économie du livre, un moratoire sur les prix littéraires. Ou alors que les romans bénéficiant d'un prix soient tirés au sort. Le hasard ferait mieux les choses. Nous aurions alors un système un peu plus respectable, le seul apparemment qui puisse être fiable dans ce milieu, faute de compter sur l'honnêteté intellectuelle de l'édition parisienne dominante, souvent incestueuse, poussiéreuse, mesquine, pathétique, même si des êtres de qualité s'y battent – y compris dans les petits bureaux des grandes maisons – pour de plus grandes idées. Et nous profiterions du temps ainsi dégagé par la pause des tractations oligopolistiques pour relire le Château de Kafka, une belle métaphore de l'auteur perdu face au Leviathan éditorial.

     

    Pendant ce temps, tandis que les grands groupes multinationaux rachètent les librairies à tour de bras et interdisent aux libraires de lire sur leur lieu de travail, de manière à ce qu'ils ne puissent plus conseiller que des best-sellers, trop d'éditeurs de tout poil, mimétiques, favorisent une littérature du minimum vital : sujet-verbe-complément. Mais le sujet est assujetti au marché des consommables – vite lu, vite oublié. Mais le Verbe n'est plus ni au commencement, ni à la fin – adieu l'incantation, so long la poésie. Mais le livre dominant n'est plus que rarement le complément des âmes.

     

    Des exceptions ? Oui, il y en a. Mais les fleurs sauvages de la littérature contemporaine, cherchez-les plutôt, si vous êtes tenaces, sur... Internet, car elles ne poussent en rayon que quelques jours, avant de partir au pilon. C'est qu'il faut faire, sur les tables, la place aux prix.

     

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  • Education nationale et mensonges.

    http://blogs.lexpress.fr/l-instit-humeurs/2011/12/17/education-nationale-une-annee-de-communication-mensongere/

     

    Education Nationale : une année de communication mensongère


    La parution cette semaine d’un article dans Le Monde sur les petites et grandes manipulations du ministère de Luc Chatel est venue confirmer une dérive de la communication ministérielle vers la propagande. Rien de très surprenant pour ceux qui suivent ce blog avec assiduité.

    On se souvient que la Cour des comptes avait durement pointé, en novembre dernier, les dépenses de communication des ministères. Celui de l’Education Nationale notamment, dont le budget com’ a progressé de 41% en cinq ans (passant de 6 844 000 euros en 2006 à 9 647 000 euros en 2010). Et bien voilà à quoi sert cet argent.

     

    « Dissimulées ou retardées, les données sur l’école sont jugées peu fiables »

    L’article de Maryline Baumard est assez édifiant. La journaliste cite nombre de dossiers dérangeants pour le ministère et restés soigneusement dans les tiroirs pendant que seuls ceux pouvant avaliser sa politique générale sortent et sont commentés. Les statisticiens de DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) sont priés de se taire quand l’INSEE publie un dossier allant dans le sens inverses des propos ministériels. Quant à leurs enquêtes, « [elles] sont bienvenues lorsqu’elles accompagnent la communication du ministre. Sinon, elles attendent ».

    Les informations émanant du ministère et destinées au grand public sont en très forte baisse : au début des années 2000, une soixantaine de « notes d’information » sont publiées chaque année ; depuis 2009, moins de 20. Cette année encore une cinquantaine étaient prévues, entre bilans d’expériences menées sur le terrain et études diverses : bilan sur les internats d’excellence (mis en place il y 4 ans !), bilan sur l’expérimentation du sport l’après-midi les collèges (prévu pour novembre), bilan sur le dispositif d’accompagnement éducatif (avril), étude sur  le niveau de lecture en 6ème, sur la vision du collège par les parents, bilan sur l’évaluation de l’assouplissement de l’affectation dans les collèges et les lycées, etc. Les informations sur ce dernier sujet existent, nous dit un statisticien, mais elles sont accablantes pour la politique menée…

    Le ministère préfère d’ailleurs que certains travaux et certaines études soient directement menés par ses services : on n’est jamais mieux servi que par soi-même…  D’autres informations voient leur sortie différée, enfin mise sur la place publique quand le dossier ne fait plus l’actualité. Noyer le poisson en misant sur la dictature de l’instant : peu importe si les vrais chiffres sortent, tant que ce n’est pas au moment où ça pourrait faire mal.

     

    Je ne sais pas vous, mais dans ma conception de l’état de droit, la transparence sur la communication des chiffres et des rapports en possession d’un ministère doit être au centre de l’information due à tout citoyen. Les méthodes pratiquées ici relèvent purement et simplement de la propagande et constituent un déni de démocratie.

     

    Quand on jette un coup d’œil dans le rétroviseur, on s’aperçoit qu’en 2011 de nombreuses communications du ministre Chatel n’avaient finalement pour objectif que de laisser passer l’orage et de faire passer un message contre vents et marées, quitte à asséner des contre-vérités sans le moindre scrupule afin de justifier la politique du gouvernement en matière d’éducation.

     

    Suppression de postes

    Ca a été la grande affaire du début d’année. Dès la fin décembre 2010, en pleine période de fêtes (c’est mieux ça passe inaperçu) sortaient les chiffres des suppressions de postes pour la rentrée 2011. Il a fallu quelques semaines avant que la grogne monte, non plus chez les profs mais chez les parents d’élèves, les inspections et finisse par s’étendre, jusqu’aux mairies et aux collectivités.

    Quand est publié en avril le chiffre de 1500 classes fermées, c’est l’émoi. Depuis 2007, ce sont 66 000 postes qui ont été supprimés au total.

    La communication de Chatel : « Nous avons 35.000 postes d’enseignants de plus qu’il y a quinze ans alors que nous avons 500.000 élèves de moins. Nous restons l’un des pays de l’OCDE qui investit le plus dans l’éducation. » (Figaro, 4 avril)

    Pourtant en février paraissait une étude de l’OCDE révélant que la France possède l’un des taux d’encadrement les plus faibles de l’OCDE avec 6,1 profs pour 100 élèves, et même 5 pour 100 dans le primaire.

    Quant au nombre d’élèves à la rentrée 2010, il a fallu attendre un an pour l’obtenir : + 40 000 élèves… On aura attendu seulement 4 mois pour les chiffres de cette rentrée 2011, Luc Chatel ayant été un peu bousculé sur RTL a lâché + 25 000 uniquement dans le secondaire. 

    Pour ce qui est de l’investissement, l’OCDE dit l’exact contraire. Dans son rapport paru en septembre, «Regards sur l’Education», la France apparaît comme le canard boiteux de l’OCDE pour ce qui est de la part de dépense publique consacrée à l’éducation. De 6,5% du PIB en 1997, elle est passée à 6% en 2007, une baisse supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE. « Alors que la part de l’éducation dans les budgets publics est passée de 11,8% en 1995 à 12,9% en 2009, en moyenne dans l’OCDE, en France, la part dans l’éducation dans ces mêmes budgets a diminué, passant de 11,5% en 1995 à 10,6% en 2008 »

     

    La masterisation

    C’est l’une des grandes réformes du quinquennat côté éducation : les profs passent une année de plus sur les bancs de la fac, au détriment d’une formation solide et d’une entrée progressive dans le métier. Surtout, ça fait une année de salaire d’apprentis profs d’économisée…

    Sur le terrain, c’est la catastrophe : de tous côtés remontent des témoignages de jeunes profs désabusés, perdus, écœurés (ici même…). Près d’un tiers déclare songer à quitter le métier, qui peine déjà à attirer les jeunes.

    Interrogé au sénat sur cette question, Luc Chatel répond ceci :

    « La nouvelle formation initiale des enseignants répond aux enjeux de notre école. Cette réforme permettra de la mettre en phase avec la société de la connaissance qui se met en place.[…] L’Inspection générale de l’éducation nationale, dans son rapport, indiquait que les premiers éléments de bilan étaient bien éloignés de la catastrophe annoncée. Seuls 1 % des professeurs stagiaires ont été en difficulté et les arrêts maladie et les démissions pas plus nombreux qu’auparavant. » (16 avril)

    Au moment où il dit cela, le ministre a en sa possession depuis quelques temps un rapport sur le sujet qui dit clairement : « La situation actuelle semble la pire ».

    Le 7 décembre dernier, un rapport parlementaire UMP est adopté à l’assemblée, destiné à améliorer les imperfections de la masterisation. La supercherie a assez duré.

     

    Les évaluations nationales

    En CE1 et en CM2, les élèves français passent des évaluations nationales dont les résultats sont abondamment commentés par le ministère. Ces évaluations sont censées montrer la progression des élèves et dont avaliser la politique ministérielle. J’ai dit ici dès la mi-janvier ce que beaucoup de profs sur le terrain constatent depuis deux ans : ces évaluations ne sont pas fiables.

    En juin, Luc Chatel se gargarise au Conseil de Ministres, s’appuyant sur ces évaluations mises en place en 2009. Il déclare : « Les élèves de CE1 constituent la première cohorte à avoir bénéficié de la réforme [du primaire] depuis la grande section de maternelle. Les résultats obtenus sont encourageants, puisque près de 80% des élèves arrivent en fin de CE1 en ayant de bons acquis en français et en mathématiques. Plus précisément : 78,4% en français, en progression de 3,8 points par rapport à l’année 2010 et de 5,6 points par rapport à l’année 2009 ; 78,7% en mathématiques, contre 77,4% en 2010 et 74,8% en 2009. » (29 juin)

    Il faut dire que la réalisation de ces évaluations a été retirée à la DEPP pour être centralisée en interne, dans les bureaux du ministère de la DGESCO, conception et synthèse incluse…

    On apprend cette semaine que le ministre Chatel, quand il a fait cette déclaration au conseil des ministres, avait « sous le coude les résultats d’une autre évaluation des acquis des élèves à l’école, l’enquête CEDRE – réalisée selon des règles scientifiques –, qui montrait que les résultats des écoliers n’avaient pas progressé significativement de 2003 à 2009 et que les élèves rencontrant des difficultés scolaires en compréhension de l’écrit étaient nombreux. Il faut aussi savoir que la publication de cette enquête a été bloquée par le ministère pendant une petite année et n’a été rendue publique que la semaine dernière. » (étude visible ici)

    En septembre paraît un rapport du HCE (Haut Conseil de l’Education), sans appel pour le ministre Chatel : « Les indicateurs annuels fournis au Parlement ne sont pas satisfaisants […], partiels, peu exigeants et donc trompeurs [...]. Ils ne sont pas fiables pour des raisons de méthode ». Le HCE demande même la suppression pur et simple de l’évaluation de CE1 « Etant donné son caractère très partiel et son niveau d’exigence très insuffisant ».

    Les dernières phrases du rapport sont lourdes de sens concernant la méthode du gouvernement : « Le moment est venu de confier à une agence d’évaluation indépendante la mise en œuvre d’un tel programme (…). Il est essentiel en effet que, dans notre démocratie, les données concernant les résultats de notre système éducatif soient objectives, donc incontestables ».

     

    Le problème, pour Luc Chatel, c’est que l’élection présidentielle approchant, il va falloir présenter un bilan positif de l’action gouvernementale en termes d’éducation, et qu’il devrait avoir du mal à le faire sans continuer à traficoter un peu les chiffres et « égarer » les rapports gênants…

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  • Et c'est reparti...

    Courrier du tribunal. Dépôt de bilan pour la maison d'éditions Laura Mare. Une bien triste fin pour quelqu'un qui a donné énormément d'énergie pour faire vivre son rêve jusqu'au bout.

    J'ai fini le tome 3 de Jarwal le jour où le courrier est arrivé. 

     

    Plus qu'à reprendre mes recherches...

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