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  • Sans issue

     

     

    Nous sommes les participants enthousiastes ou réfractaires d'un business planétaire et nous ne pouvons pas en sortir. Et c'est justement parce que nous n'avons plus la possibilité d'en sortir que ce business planétaire court à sa perte. Par épuisement des ressources, par une dévastation effrénée.

    Ça prendra un certain temps mais c'est inéluctable.

    Il ne nous reste qu'à nous y préparer et en fait pas grand monde, actuellement, n'a idée de ce que ça signifie. 

    L'explication est très simple.

    Le business. Nous sommes les proies du business et en même temps son moteur. Et c'est en cela que c'est effroyable. Car pour nous sauver, il faudrait que nous nous amputions de nous-mêmes tellement ce business est devenu une partie de nous.

    Il n'y a pas de solution. Nous allons donc poursuivre sur cette voie jusqu'à ce que la Nature vienne entraver le convoi.

    Le problème, c'est que ce convoi ne supporte aucunement l'entravement. Il ne sait pas ralentir, il sait encore moins s'arrêter. Il a donc décidé d'aller jusqu'au déraillement. Coûte que coûte. Persuadé que le progrès contient en lui-même la résolution aux problèmes qu'il génère.

    L'humanité vit hors sol et s'imagine que le convoi taille sa route dans une Nature qu'il domine. Ce fameux "environnement". Comme s'il y avait nous, les humains et puis le reste. Pure folie. Il n'y a qu'une réalité. C'est le Tout. Nous nous en sommes extraits, nourris par la puissance du business, nourris par le progrès.

    La Nature n'a pas besoin de nous. Elle est un Tout et elle peut se passer d'une partie. 

    Il nous reste à nous alléger, à réduire la vitesse de ce chaos en marche, à nous retirer autant que possible, non seulement pour les générations à venir mais pour nous épargner aussi, ceux tout du moins qui ont une part de conscience, de crever de honte un jour prochain car nous serons tous responsables aux yeux de nos descendants.

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    LE DESERT DES BARBARES

    CHAPITRE 46

    Figueras s'était levé au premier chant d'oiseau. Il s'était assis sur une roche moussue et il avait observé la montée de l'astre. De l'autre côté des cimes, à l'est, derrière les crêtes dentelées. L'air était frais, descendu des montagnes comme un voyageur curieux, mais il allait remonter avec la venue du maître des lieux.

    La lumière n'était encore qu'une esquisse, un placenta en croissance. Le ciel épuré avait bu tous les nuages de la veille et le bleu métallique de la nuit accueillait l'astre naissant. La lumière condensée tel un ventre rond annonçait la mise au monde. Puis vinrent les traits lumineux, des routes à suivre, des rayons écarlates lancés dans l'azur comme autant d'éclaireurs. Ils tracèrent leur chemin dans les échancrures, les cols et les versants et Figueras imagina les animaux engourdis s'étirer délicieusement.

    Des chapelets de gouttes de rosée, suspendus sur les fils des toiles d'araignée, s'illuminèrent comme autant de perles, des rêves de nuit dans l'attente du réveil. Les dentelles tendues sur les herbes drues dessinaient des étoiles.

    Plus bas, dans la vallée, au-dessus des forêts épaisses, traînaient nonchalamment des nappes de brouillard, larges marées immobiles, couvertures humides étirées comme des voiles protecteurs. Ces brumes éphémères s'évanouiraient dès les premières chaleurs et les frondaisons se gorgeraient de lumière.

    Tout était juste.

    Et Figueras s'en réjouit.

    Il avait rêvé de la Terre.

    Coulaient en elle des soifs d'apaisement. Il en avait senti le désir.

    L'hégémonie passée des hommes, leur déliquescence, l'effondrement de leur frénésie, la découverte des biens essentiels, les actes solidaires, quelques-uns, au fil des jours, au fil des drames, de plus en plus, des survivants qui organisaient les jours à venir, les uns après les autres, sans autre intention que la préservation de chacun et que chacun préserve les autres.

    Le silence des cieux, les avions cloués au sol, toutes ces flèches dorées qui cisaillaient l’atmosphère et l'empoisonnaient, toutes ces machines volantes immobilisées, tous ces moteurs éteints, toutes ces usines mortes, toutes ces exploitations figées, ces filets assassins qui raclaient les fonds marins, ces millions d'êtres vivants égorgés, éviscérés, emballés, vendus en barquettes, plus rien, plus aucune concentration de bêtes, elles étaient mortes ou enfuies, l'air des villes ne piquaient plus les gorges, plus de poubelles à trier, il n'y avait plus rien à manger, plus d'emballages, les magasins dévalisés, les routes désertes, les camions abandonnés, les pétroliers à quai, leurs citernes vides, les torchères éteintes des raffineries, les villes sombres dès la fuite du soleil, des feux de camp pour se réconforter, des étincelles fugaces de réconfort partagé.

    Le monde humain posé sur une balance à plateaux, d'un côté la fureur et de l'autre la paix. Les forces sombres ont pris le pouvoir, elles ont tout écrasé. Mais elles s'éliminent entre elles et le plateau se vide.

    La Terre montre la voie.

    Depuis longtemps, la lumière des montagnes n'a été aussi épurée.

    Tous ces actes meurtriers prendront fin, une sélection naturelle, par épuisement du contingent.

    Tous ces humains disparus, comme autant de virus éradiqués, les uns après les autres.

    Et la fièvre délirante de la Terre qui diminue.

    Une évidence.

    Le nombre était la plaie, l'extermination une guérison.

     

  • TOUS, SAUF ELLE

     

    Les heros sont tous morts

    La suite de "LES HEROS SONT TOUS MORTS"

    Publication prévue pour la fin de l'année.

    L'idée de départ est simple : les puissants, les maîtres de tous les peuples, ne laisseront pas l'humanité continuer à porter atteinte à la vie de la planète puisqu'eux aussi, les maîtres, seraient impactés. Il n'est pas d'autre solution que d'éliminer une part conséquente de cette masse humaine.

     

    TOUS, SAUF ELLE

    CHAPITRE 3

    L'hélicoptère survolait des forêts immenses. Au loin se dressaient les sommets partiellement enneigés du parc national d'Arthur's Pass.

    Début mai. L'hiver posait les premiers manteaux.

    L'appareil effectua une rotation au-dessus de vastes forêts puis se dirigea vers un immense assemblage de bâtiments rectilignes. Des routes goudronnées reliaient les différents éléments du complexe militaire disséminés sur plusieurs centaines d'hectares. Les bâtiments où vivaient les militaires, une serre de cent mètres carrés, des champs cultivés, un verger avec des dizaines d'arbres, un parc arboré de plusieurs hectares, un terrain d'entraînement pour les soldats, un gymnase, une salle pour le tir et un stade extérieur. Deux rangées de grillages ceinturaient l'ensemble sur quatre mètres de haut.

    L'appareil se posa sur l'hélisurface.

    Protégé par quatre hommes en arme, un couple descendit de l'hélicoptère et monta dans une Cadillac blanche.

    Le véhicule emprunta une voie rectiligne menant à une vaste demeure, à travers d'immenses étendues de pelouses soignées, ornées de bassins aux fontaines majestueuses.

    Domaine de Walter Zorn, Nouvelle-Zélande.

    Une architecture moderne, un bâtiment colossal, à la blancheur éclatante, une immense façade agrémentée d'étranges fenêtres, des hublots opaques comme des judas scrutateurs. L'ensemble figurant une citadelle redoutable mais dégageant pourtant une beauté stupéfiante.

    Une construction récente dont la magnificence contrastait si fortement avec l'ensemble militaire qu'un diamant au milieu de galets aurait eu le même effet.

    Une Maison-Blanche, bunkérisée, solidement implantée dans l'hémisphère sud, au milieu de nulle part.

    Arrivé à destination, le couple descendit du véhicule, accompagné jusqu'au perron par deux militaires en armes.

    Ils empruntèrent une allée couverte, un entablement soutenu par des colonnades de pierre blanche.

    Un majordome accueillit le couple et les salua.

    « Bienvenue, Monsieur Zorn. Bienvenue, Madame. 

    – Bonjour Zack. »

    L'homme prit les manteaux du couple qui emprunta immédiatement le hall en marbre blanc.

    Treize hommes et une femme réunis dans une salle ovale, une coquille d’œuf éclairée par des hublots dépolis, une bulle insonorisée, isolée du monde extérieur.

    Aucune décoration. Des murs nus, lisses, couleur crème, un sol marbré, une immense table en verre translucide, des sièges noirs à accoudoirs.

    « Combien avez-vous dit, cher Helmut ?

    –Douze milliards.

    –Quelle échéance ?

    –David, ce sont de simples prévisions avec leur contingent d’erreurs mais avant la fin de ce siècle, cette population mondiale semble tout à fait probable. Nous en avons déjà parlé et rien aujourd’hui ne vient contredire nos prédictions.

    – J'ai toujours du mal à enregistrer ce nombre tellement il semble fou.

    –Vous connaissez tous les problèmes planétaires que nous rencontrerons », intervint Walter Zorn, fondateur de l’Ordre des Immortels. 

    Carrure de rugbyman, quarante-deux ans, adepte du régime végétarien, cheveux courts taillés à la tondeuse, un visage imperturbable ciselé au cordeau, une large mâchoire, des yeux si marron qu’ils en paraissaient noirs, une profondeur de gouffre et simultanément une puissance de pénétration redoutable. Personne ne soutenait son regard.

    Les quelques femmes de la haute société qui avaient entendu parler de lui en rêvaient secrètement. Les rumeurs les plus exaltées se diffusaient inévitablement sur cet homme insaisissable. Les rares individus qui se permettaient d’évoquer son existence usaient de la déférence accordée habituellement à un saint : le saint le plus fortuné de toute la planète.

    « Je me permets de vous en brosser un petit descriptif afin que tout soit clair pour les trois jours à venir, continua-t-il. Je vous rappelle également que nous accueillons aujourd’hui la première femme de notre communauté. C’est un honneur, un privilège, une très grande satisfaction que notre projet corresponde à une personnalité aussi charismatique que Fabiola Mesretti et je me réjouis de sa venue. Vous connaissez tous le parcours exceptionnel de Fabiola et ses extraordinaires compétences. Elle tient à ce que ses talents nous servent et je l’en remercie, au nom de l’Ordre des Immortels.»

    Tous les visages se tournèrent vers la beauté fatale, assise aux côtés du maître des lieux. La trentaine, tailleur clair vantant des formes parfaites, une longue chevelure brune couvrant les épaules, un visage fin, la femme hispanique dans toute sa grâce et son mystère. Présidente de la principale banque espagnole, un réseau de plus de cent vingt agences sur la péninsule et trente-deux succursales en Amérique du Sud. Une femme d’affaires de haut vol. Tous les hommes qui avaient tenté de s’opposer à ses projets avaient fini par abandonner. La détermination psychologique de Fabiola était à l’égal de sa flamboyance.

    Walter inclina la tête, un geste empreint d’un profond respect et un plaisir évident.

    Elle lui répondit en posant délicatement une main sur son avant-bras.

    L’assemblée observa silencieusement la scène. Walter et Fabiola. Dix ans d’écart, le couple dont rêve la presse people. La classe, la fortune, la beauté, la réussite. Tout le monde savait que la venue de la banquière ne pouvait souffrir de la moindre contestation. Et d’ailleurs, contempler une aussi belle femme ne déplaisait à aucun des hommes présents.

    « Avec cette densité planétaire, reprit Walter, l’approvisionnement alimentaire sera un problème majeur. L’accès à l’eau potable tout autant. Aux environs de 2050, selon nos modélisations, les deux tiers de la population mondiale, c'est-à-dire de nos fameux douze milliards, seront affectés par une pénurie d’eau. Entre quatre et cinq milliards de personnes déjà vers 2030. Dans un avenir très proche, quelques années, il faudra compter sur un milliard de réfugiés climatiques avec toutes les tensions que cela va générer et qui ne pourront que s'étendre. Nous entrerons par conséquent dans une période très troublée. Un peuple qui meurt de faim et de soif se révolte parfois avant d’être trop faible et il est toujours possible de le ramener au silence. Nous en avons une longue expérience. Mais si dix peuples se révoltent, cela s'apparente à une contagion beaucoup plus difficile à enrayer. Nous pourrions évidemment trouver quelques moyens pour circonscrire ces mouvements de masse durant quelque temps. Nous pouvons toujours fomenter des guerres pour obtenir des traités qui nous servent, profiter des marchés issus de la reconstruction des pays ravagés par la vente de nos armes, bénéficier de la faiblesse des États pour nous accaparer leurs matières premières. Nous pouvons propager des virus pour réduire les populations et nous saisir de leurs territoires, nous pouvons soumettre des peuples par la force et instaurer une illusoire démocratie. Nous pouvons produire une alimentation suffisante pour les pays développés en pillant les pays pauvres. Mais il est un élément contre lequel nous sommes impuissants et dont nous aurons, nous aussi, à souffrir, un élément qui nous contraint à changer radicalement de modes d'intervention : le ré-chauf-fe-ment cli-ma-ti-que. »

    Chaque mot minutieusement articulé, un découpage syllabique qui intensifiait la portée.

    « Vous le savez, désormais, nous ne pouvons plus nous contenter d’inventer des procédés technologiques ou des lois qui nous avantagent sans nous préoccuper des dégâts que l’humanité entière a provoqués et amplifie encore, jour après jour, en utilisant ce que nous leur vendons. »

    Walter adressa un regard aimant à Fabiola qui versait de l'eau dans sa flûte de cristal puis il reprit son allocution.

    « D'un milliard d’individus en 1830, nous sommes passés à deux milliards en 1930. Désormais, nous approchons des huit milliards et la population mondiale augmente de quatre-vingt-dix millions d'individus par an. La consommation d’énergie a été multipliée par dix sur un siècle et elle ne cesse d'augmenter. La quasi-totalité de la planète court après le mode de vie occidental. On peut dire aujourd'hui que le matérialisme fait partie de l'ADN des humains. Vous savez également qu’aucune des restrictions énergétiques ou des technologies d’énergies renouvelables ne parviendront à stopper le processus du réchauffement climatique renforcé par les paramètres précédents. Tout au plus sera-t-il ralenti mais les phénomènes naturels ont pris déjà une ampleur considérable : inondations, cyclones, tornades, sécheresse, canicules et incendies gigantesques, atteinte générale à la biodiversité, épuisement des sols par surexploitation et empoisonnement, augmentation constante des températures, jusque dans les zones polaires, fonte des banquises et de l'inlandsis, réchauffement et élévation du niveau des océans auxquels il faut ajouter une pollution exponentielle par des millions de tonnes de plastique, épuisement des ressources halieutiques, affaiblissement considérable du corail à l'échelle mondiale, épuisement des nappes phréatiques et de l'eau potable, pollution de l'air dans toutes les mégalopoles, disparition des insectes et hyménoptères pollinisateurs et d’autres constats encore sur toute la biodiversité. Vous avez tous entendu parler de la sixième extinction de masse. Il serait absurde de croire que tout cela ne peut pas porter préjudice à l'Ordre des Immortels. »

    Walter balaya l'assemblée attentive et pensa soudainement à ce bref échange avec le jardinier en chef du domaine, au printemps dernier. L'homme, attristé, avait évoqué la disparition des abeilles dans le parc. « Des fleurs qui ne sont plus aimées, c'est à pleurer, » avait-il dit. Walter avait répondu qu'il allait très prochainement s'occuper du problème et qu'entre-temps, il invitait le jardinier à installer des ruches dans l'enceinte du domaine et à récolter le miel produit.

    Il considéra enfin, avec un certain amusement, que le projet Némésis contribuerait au retour des abeilles et que l'enjeu valait bien la disparition partielle de l'humanité.

    « Ces phénomènes, une fois enclenchés, poursuivit-il, deviennent exponentiels. Il serait ridicule de compter sur un retour à des données acceptables mais il faut surtout comprendre que l’inertie de ces courbes dépasse l’entendement. Très peu d’humains ont conscience de l’avenir parce qu’ils n’ont pas la volonté intellectuelle de s’y confronter. Nous ne sommes donc pas dans des délires apocalyptiques. Vous connaissez tous désormais la réalité indéniable de ce désastre. Pour résumer en une phrase, nous allons droit au bûcher. L’humanité se condamne mais condamne avec elle l’Ordre des Immortels et cela, nous ne pouvons l'accepter. »

    Walter laissa le silence inscrire dans les esprits les images que ses paroles provoquaient. Que chacun, encore une fois, prenne l’exacte mesure de la situation.

    « Nous savons également, Walter, qu’il n’est plus temps d’attendre et c’est bien pour cela que nous sommes tous réunis ici, intervint Fernando.

    –Et que nous devons tous nous entendre pour agir communément et définitivement, reprit Walter, sans qu’aucun intérêt personnel ne vienne entraver notre mission. Six ans que nous travaillons à élaborer ce projet. Le temps est venu de l’appliquer sur le terrain et cette dernière rencontre marquera le début d’un nouveau monde. Nous avons tous hérité de la sueur et de la détermination de nos pairs et ceux ou celles qui nous rejoignent sans être issus de cette lignée, adhèrent intégralement à nos idées. Nous devons donc nous montrer dignes de nos prédécesseurs et implacables pour le bien de nos descendants. Le plan que nous allons finir d’élaborer ici devra entrer en vigueur le plus efficacement possible. Nous possédons toutes les connaissances pour cela. Némésis entre dans sa phase finale, messieurs et chère madame, et nous ne pouvions l’appeler autrement.

    Walter accentua l’hommage en plongeant ses yeux dans ceux de Fabiola puis il invita l’assemblée à se lever. Chacun croisa les mains sur la poitrine. Comme des récitants respectueux, des prêtres antiques invoquant leurs dieux.

    La voix de Walter s’imposa :

    « Némésis est notre salut, Némésis nous libérera de l’humanité. »

    Tous les hommes et Fabiola répétèrent la sentence d’une même voix puis le silence retomba. Quelques secondes de réflexions ciblées, le scénario à venir.

    Les treize hommes se dispersèrent par petits groupes. Fabiola se joignit à l’un d’eux. Quatre salles furent investies puis les portes fermées.

    Trois jours pour finaliser le plan « Némésis. »

    Trois jours pour modifier à tout jamais la face du monde.

  • TERRE SANS HOMMES (2)

     

    Puisque le titre du tome 3 de la quadrilogie en cours, "LE DESERT DES BARBARES" vient du titre d'un roman existant, roman de Dino Buzzati, "Le désert des Tartares", j'ai décidé d'user du même procédé pour le titre du tome 4.

    J'abandonne "RESET" pour "TERRE SANS HOMMES".

    "Terre des hommes" de Saint-Exupéry m'avait marqué, considérablement. Pour la beauté de l'écriture et la force de vie des personnages. J'aurais pu titrer ce tome 4 par un "No man's land", expression que tout le monde connaît mais la référence à Saint-Exupéry me plaît. Il fait partie des auteurs qui m'ont invité à écrire.

    Et au vu de ce que je raconte, il s'agit bien d'une planète vidée de sa population dans les grandes dimensions...

     

     

     

    CHAPITRE 6

    Francis aurait aimé descendre en ville, longer la côte, voir ce qui restait du monde. L’isolement commençait à lui peser fortement et il s’imaginait mal continuer à vivre reclus avec Tim. Fendre du bois, travailler au potager, penser à filtrer l’eau des citernes pour leur consommation quotidienne, changer le poteau d’une barrière, désherber les allées entre les rangs de pommes de terre et les oignons, écraser les doryphores et les chenilles qui dévoraient les feuilles des légumes. L’été était sec et chaud, trop sec et trop chaud d’après Tim. On atteignait même la zone critique et les incendies de forêts risquaient de faire des ravages. Les anciens, disaient Tim, n’avaient jamais connu de méga feux et n’auraient jamais cru ça possible. Pas en Nouvelle-Zélande.

    « En Australie, tu n’imagines pas l’étendue des incendies. C’est une catastrophe, des centaines de milliers d’animaux brûlés vifs, des millions d’arbres. Tous les scientifiques qui bossent sur le dérèglement climatique avaient prévenu les gouvernements et pas un seul n’a été foutu de revoir la copie. Croissance, croissance, on continue et on verra bien le moment venu. Tous des connards. Le moment venu, c’est trop tard. Le changement climatique, c’est pas un truc à la petite semaine mais tous ces politiciens n’ont qu’un seul repère temporel, celui de leur mandat. L’humanité est en vrac et aujourd'hui les sources de pollution sont anéanties mais il faudra cent ans avant qu’on ne voit une amélioration sur le climat de la planète. Et quand je dis cent ans, c’est un grand minimum. Les phénomènes extrêmes ne vont pas s’arrêter du jour au lendemain. Six limites planétaires sur huit sont dépassées.

    - Explique.

    - Putain, tu vivais vraiment dans une bulle, toi !

    - Oui, je sais. Une bulle de merde.

    - T’es pas tout seul, tu faisais même partie du groupe humain le plus vaste, des milliards de connards.

    - Bon, tu m’expliques ? Pour le reste, t’inquiète, j’ai plus besoin de toi pour savoir que j’étais un de ces connards. Et même un fou. »

    Une voix cassante.

    Tim sentit la honte, un regard fuyant, la douleur d’être soi était la pire.

    « Pardon, Francis, je ne voulais pas te faire de mal.

    - Pas grave, Tim. C’est juste que c’est long à admettre. Ce que j’étais et ce que j’ai fait. Vas-y, raconte.

    - Ouais, alors, les limites planétaires.Ce sont des seuils à ne pas dépasser pour que les écosystèmes restent viables. On a le climat, la biodiversité, le cycle de l’azote, le cycle du phosphore, l’eau douce souterraine, l’eau douce de surface, la préservation des sols, la pollution atmosphérique. Et bien évidemment, chaque entité est considérablement impactée par l’exploitation humaine.

    - Donc, ça va aller mieux maintenant.

    - Oui, mais ça prendra du temps. En fait, il faudrait que je connaisse le nombre d’humains encore en vie et l’état des pays industrialisés puisque ce sont eux les principaux responsables. C’est à partir de ça que je pourrai calculer approximativement le rétablissement des équilibres. Mais pour ça, il me faudrait aussi mon ordinateur et une connexion internet. Et des mois de travail. Donc, on oublie. »

  • Claire NOUVIAN

     

     

    EntretienCulture

    Claire Nouvian : « Il faut prendre le pouvoir pour le réinventer »

     

    https://reporterre.net/Claire-Nouvian-Il-faut-prendre-le-pouvoir-pour-le-reinventer

     

    Claire Nouvian : «<small class="fine d-inline"> </small>Il faut prendre le pouvoir pour le réinventer<small class="fine d-inline"> </small>»

    Comment réinventer notre rapport au politique ? Comment articuler les différentes formes d’engagement ? Pourquoi entrer dans le jeu démocratique de l’élection ? Claire Nouvian, dans cet entretien, explique pourquoi elle a quitté la posture de l’observatrice pour faire face aux périls fasciste et écologique.

    Reporterre poursuit une série d’entretiens de fond avec celles et ceux qui renouvellent la pensée écologique aujourd’hui. Parcours, analyse, action : comment voient-elles et voient-ils le monde d’aujourd’hui ? Aujourd’hui, Claire Nouvian, présidente de l’ONG Bloom pour la conservation des écosystèmes marins, et cofondatrice du mouvement politique Place publique.

    Reporterre – D’où vient votre appétence pour l’écologie ?

    Claire Nouvian — J’ai grandi en Algérie, où on passait nos week-ends à la plage, à pêcher, à jouer avec les animaux marins. L’hiver, on partait dans le désert chercher des fossiles et guetter les scorpions. Au contact de la nature, j’ai développé une curiosité intellectuelle pour le vivant. Aujourd’hui, les enfants qui vivent en ville sont effrayés par des mouches… c’est dingue !

    Dans les années 1990, je suis partie avec mon mari en Argentine, où j’ai découvert la « grande nature » : les toucans, les condors, les baleines. Quelle émotion ! C’est ce qui a forgé mon envie de faire du documentaire scientifique et animalier.



    Quelles sont les sources de votre engagement ?

    J’ai constitué une conscience écologique et scientifique au contact des chercheurs rencontrés pour mes documentaires. Ma prise de conscience est montée comme le niveau de l’eau actuellement : petit à petit, mais très sûrement. Pas seulement sur le changement climatique et la pollution, mais surtout sur la destruction des habitats. Quand on travaille en Afrique, c’est vraiment tangible.

    Ma rencontre avec Pilai Poonswad a été un vrai moment de bascule. Cette femme, ornithologue et biologiste thaïlandaise, a reçu une récompense Rolex pour son travail de préservation des calaos. Ces magnifiques oiseaux sont en train de disparaître très rapidement, parce qu’ils sont très braconnés. Des collectionneurs sordides veulent leur casque comme trophée. C’est grâce, entre autres, au travail inlassable de cette femme que ces oiseaux existent toujours.



    En 2004, vous avez laissé tomber la caméra pour créer Bloom. La posture d’observatrice ne vous suffisait-elle plus ?

    J’étais dans mon métier de communication, et ça m’allait très bien… jusqu’à ce que je découvre les grandes profondeurs de l’océan, et l’ampleur de leur destruction, lors d’un documentaire pour France 2. Quand j’ai pris connaissance des menaces qui pesaient sur ces fonds marins, personne ne s’en occupait. Des gens s’occupaient de la préservation de la forêt en Thaïlande, des gibbons en Malaisie, de la savane en Afrique, mais sur les océans profonds, il n’y avait rien. C’est ce qui m’a décidé à me lancer.



    Comment vivez-vous le délitement de cette biodiversité que vous aimez tant ?

    Quand on a une vision de l’ensemble des effondrements de la biodiversité, du climat, de notre projet de société… c’est désespérant. Les scientifiques sont en première ligne : ils enregistrent le déclin de la biodiversité, sonnent l’alarme. Tous ceux que je connais sont angoissés. Ils vivent une sorte de syndrome prétraumatique, lié à leur connaissance de la situation. À l’inverse du stress post-traumatique, propre aux personnes ayant déjà vécu un événement grave, un choc, eux vivent dans l’angoisse de ce qui va advenir.

    Quand j’ai découvert, dans un article scientifique, ce stress prétraumatique, ça m’a fait le même effet que quand j’ai lu Kant pour la première fois. Cette sensation de rencontrer quelque chose qui décrit exactement ton état. À 17 ans, quand j’ai lu les Fondements de la métaphysique des mœurs, je me suis rendue compte que toute ma colonne vertébrale morale avait été théorisée par Kant.

    « Macron a poussé l’exercice du mensonge sémantique tellement loin qu’on ne peut plus le supporter, ça en devient épidermique » - Claire Nouvian pour Reporterre en 2019. © Mathieu Génon/Reporterre

    Qu’est-ce qu’être kantienne ?

    Je vis avec un impératif catégorique sur la vérité. Thomas Porcher dit de moi que je suis rugueuse. Par rapport à des gens de culture latine, avec un rapport plus élastique à la vérité, je suis germaniste, au sens caricatural : je ne rigole pas du tout avec le mensonge.

    Avec l’avènement de la société industrielle et du marketing, on est entré dans l’ère du mensonge permanent et institutionnalisé. Les élites, économiques comme politiques, mentent. Et ceci n’est plus toléré. Les gens recherchent de la sincérité.

    Une société qui est fondée sur le mensonge voit son langage détruit. On ne sait plus ce que les mots veulent dire, puisqu’ils veulent dire l’inverse de ce qu’ils sont supposés signifier. Macron utilise des mots comme « bienveillance » ou « société civile ». Il a poussé l’exercice du mensonge sémantique tellement loin qu’on ne peut plus le supporter, ça en devient épidermique.



    Qu’entendez-vous par « effondrement de notre projet de société » ?

    À la sortie de la guerre, on avait une visée progressiste, mais la croissance des inégalités montre que nous avons eu tout faux. En très peu de temps, on a réussi à faire complètement fausse route.

    Dans Notre mal vient de plus loin, un petit livre sorti juste après les attentats du 13 novembre 2015, Alain Badiou écrit que le rêve d’une narration alternative au libéralisme capitaliste s’est effondré avec la chute du mur de Berlin. Dès lors, une seule possibilité se présentait à nous : un repli sur l’individualisme. L’individualisme est apparu comme la seule valeur sûre : un individu ne va jamais trahir sa propre entité physique. On pourrait donc lui faire confiance pour trouver un équilibre bon pour lui et donc pour tous.

    La destruction de nos idéaux collectifs s’est ainsi accélérée. L’échec du communisme nous a retiré la possibilité d’avoir un rêve alternatif. Il s’agit donc, désormais, de réinventer un autre discours, une autre narration, fondé sur la mutualisation, sur la conscience, sur la valorisation des liens plutôt que des biens, sur la liberté aussi.



    Comment construire cet autre discours ?

    Notre génération peut s’y atteler, parce que nous sommes détachés de l’héritage du communisme. Nos parents étaient socialisés dans ces appareils, le Parti communiste structurait la vie sociale et familiale des ouvriers. Ils ont donc eu une résistance psychologique à faire le bilan du communisme, avec ses côtés sombres. Nous, nous avons fait le bilan, et donc nous pouvons passer à autre chose. Tout réinventer.

    Il n’empêche que, si notre rêve n’est pas communiste, il doit être communautaire au sens large. On doit faire communauté. Parce qu’aujourd’hui, on voit combien l’individualisme est l’un des pires aspects du libéralisme économique hyperfinanciarisé et dérégulé. On voit à quel point le libéralisme est une menace pour la société et pour la planète.



    Ce rêve alternatif, quels en sont les germes aujourd’hui ?

    Il est éparpillé. On a d’un côté la Macronie et tout ce qu’il y a à sa droite. Ce sont des valeurs claires : le libéralisme économique et une croyance en l’entreprise comme vecteur d’emploi et de solutions. On a également le souverainisme populiste, qui prône un repli sur les frontières.

    Entre le libéralisme économique dérégulé et le populisme souverainiste nationaliste, il existe un espace occupé par toute une famille de valeurs… mais qui est éparpillée dans des chapelles qui se font la guerre : les hamonistes avec le PS, le PS qui nous a trahis et qui est en scission profonde…

    Les électeurs ne s’y retrouvent pas, alors que nos valeurs [celles de Place publique] sont claires : on est humanistes, européens, profondément démocrates. On trouve que la démocratie ne va pas assez loin, qu’il faut passer à la VIe République. On sait faire la critique de l’Europe actuelle, une Europe marchande, libérale, opaque, cynique, trustée par des lobbys. Mais on tient à l’Europe, parce que la bonne échelle pour combattre les fléaux du XXIe siècle sera européenne. Et, évidemment, on est écologiste.

    « Les marchands de peur et de haine montent les gens les uns contre les autres, avec toujours plus de succès. Et nos cerveaux répondent très bien à la peur. C’est un réflexe de survie. »

    Que risquons-nous si cette famille de valeurs reste éparpillée ?

    Il ne faut pas sous-estimer la possibilité d’un péril fasciste : l’extrême droite représente 40 % des intentions de vote aux élections européennes. D’après certains sondages, l’extrême droite au « sens strict » serait à 20 %. Mais le Parti populaire européen (PPE, droite) est crédité de 25 %. On pensait que seuls nos grands-parents connaîtraient la guerre… Mais le pire devient possible. Les marchands de peur et de haine montent les gens les uns contre les autres, avec toujours plus de succès. Et nos cerveaux répondent très bien à la peur. C’est un réflexe de survie. Peur de l’autre, peur de l’étranger… ça marche !

    La trahison violente des élites, avec une réalité de l’évasion fiscale qui est à vomir sur un fond de croissance des inégalités constitue le terreau de cette évolution. Il suffisait ensuite à l’extrême droite de laisser monter le rejet des élites, le « dégagisme » des élus, et de mettre là-dessus un discours qui joue pile sur ce qui marche dans le cerveau archaïque de l’homme… et le résultat est là. Se battre contre cela n’est pas simple.



    L’écologie fédère, mais de quelle écologie parlez-vous ? Défendez-vous une écologie anti-capitaliste, anti-productiviste ?

    Au sein de Place publique, nous ne sommes pas contre le capitalisme, au sens familial ou entrepreneurial. L’innovation est une des merveilles de l’esprit humain, si elle est faite avec une contrainte impérieuse d’économie de moyens. Renouveler des gammes d’iPhone en allant chercher des terres rares au fonds des océans, ce n’est pas une innovation compatible avec les limites de la planète. L’écologie doit être une condition sine qua non de toute décision, mesure publique, texte de loi ou initiative. C’est l’impératif catégorique du XXIe siècle.



    Avec l’essayiste Raphaël Glucksmann et l’économiste Thomas Porcher, vous avez fondé en 2018 Place publique. Pourquoi avoir créé une structure politique en plus ?

    On ne se reconnaissait dans aucune des chapelles existantes. On a tous été abordés pour être sur des listes européennes, et on a tous refusé. La politique est un sacerdoce, un sacrifice. Si on se met aujourd’hui en position d’assumer un mandat, c’est vraiment parce que l’heure est grave, qu’il faut qu’on prenne notre part. Il y a péril. La menace fasciste est réelle, la menace écologique est totale. Il faut faire la guerre au libéralisme dérégulé et, en même temps, ne pas laisser cet espace-là à une confrontation entre nationalistes, populistes et libéraux.

    Ce n’est donc pas de gaieté de cœur qu’on se lance dans l’aventure. On a tous des vies très remplies, des projets familiaux. Dans un monde qui irait bien, aucun d’entre nous ne ferait de la politique. Si les politiques remplissaient vraiment leurs missions, en respectant une certaine éthique, on ne ferait pas de politique. Mais ce n’est pas le cas : quand on s’approche des appareils politiques, nous, les citoyens normaux à peu près normalement constitués, on part en courant.

    « C’est tout notre rapport au politique, à l’autre et à nous-même qu’il faut repenser pour devenir des citoyens sympathiques. »

    Pourquoi ?

    C’est la guerre ! Les appareils politiques sont des espaces fratricides. Le philosophe Patrick Viveret considère les partis comme les seuls endroits où l’on est sûr de perdre ses amis. C’est exactement la raison pour laquelle je n’ai jamais voulu rejoindre aucun parti, même s’ils ne sont pas tous logés à la même enseigne. On ne peut pas mettre Europe Écologie - Les Verts (EELV) et ses élus combatifs et ultracohérents, au même niveau que le Parti socialiste (PS), qui a trahi tout le monde. Il n’empêche qu’EELV a aussi ses guerres fratricides. Je suis tellement proche de la politique, depuis tellement longtemps, que je sais pourquoi je n’irai jamais dans ces partis-là.

    Avec Place publique, on a comme ambition de se faire des amis et de les conserver dans le temps. Si on arrive à transformer cette initiative en aventure humaine, on aura une chance de réussir l’aventure politique. Mais on n’est pas à l’abri, nous non plus, d’un échec total. On y va modestement… Si tout le monde s’est planté, pourquoi ne pas essayer ?



    Comment faire de la politique différemment ?

    Les appareils actuels sont condamnés. Il faut inventer des formes politiques complètement nouvelles. Jusqu’à présent, on a été d’une grande immaturité dans notre rapport consumériste à la démocratie. Dès l’instant où l’on a voté, on se dit que c’est à l’élu de représenter nos intérêts, en pensant qu’on peut tourner le dos, s’occuper de notre bien-être plutôt que du collectif. C’est tout notre rapport au politique, à l’autre et à nous-mêmes qu’il faut repenser pour devenir des citoyens sympathiques.

    Au sein de Place publique, on a lancé des consultations citoyennes à partir de lundi 14 janvier, « place aux idées », portant sur du contenu mais aussi sur des modalités. On essaie d’inventer un mouvement qui réinvente les codes de la politique. Cela commence par l’organisation interne : il va falloir apprendre à se parler, à s’écouter, à poser nos désaccords et identifier nos accords. Apprendre à vivre ensemble nous transformera profondément. C’est ça être démocrate.



    N’était-ce pas l’idée de départ de la France insoumise ou de la République en marche ?

    Les partis les moins démocratiques sont la République en marche (LREM) et la France insoumise (FI). LREM a prôné la consultation citoyenne, l’établissement d’un programme à partir des citoyens, mais la méthode Macron a été de créer un écran de fumée épais et efficace entre des discours bien ficelés et une réalité très différente. Depuis, l’écran de fumée s’est dissipé et le réel visage de ce mouvement et de son chef est apparu.

    « Voilà toute l’ambiguïté de la démocratie : pour aller nous battre pour l’intérêt général, nous devons nous faire élire, donc développer un rapport de séduction et une certaine forme de clientélisme. »

    Aujourd’hui, le mouvement écologiste s’incarne davantage dans des associations ou des collectifs que dans des partis. Ne faut-il pas chercher d’autres modes d’action que la politique institutionnelle ?

    Il n’existe pas de modalité d’action plus efficace qu’une autre pour réinventer le monde. C’est la complémentarité de ces outils qui contribue au basculement de nos représentations mentales et donc de la réalité de notre société. Le succès des campagnes de Bloom vient de cette association entre action médiatique, plaidoyer, sensibilisation, recherche scientifique.

    Chaque jour, des centaines d’amendements passent devant des parlements, européen ou nationaux, plus ou moins toxiques pour le collectif, pour la sauvegarde des écosystèmes. Les parlementaires ont un pouvoir énorme. Or, les deux logiques politiques qui ont pris le dessus sont le libéralisme dérégulé et le conservatisme. On ne peut pas laisser faire ça : les deux sont destructeurs des hommes et de la planète. Négliger le pouvoir des politiques publiques et leur laisser ce pouvoir est ultra dangereux.



    Faut-il se battre de l’intérieur ?

    Il faut prendre le pouvoir. Certes, c’est un peu de la schizophrénie. Je ne suis pas une femme de pouvoir, il ne m’intéresse pas. Mais comme il y a un péril majeur, il nous faut prendre ce pouvoir pour le réinventer. Voilà toute l’ambiguïté de la démocratie : pour aller nous battre pour l’intérêt général, nous devons nous faire élire, donc développer un rapport de séduction et une certaine forme de clientélisme. Les modalités de la démocratie induisent une dérive des égos, accentuée notamment dans les médias. On va devoir réinventer tout ça et ce n’est pas gagné.



    Comment conjuguer écologie et justice sociale ?

    Sans justice sociale, aucune politique ne marchera. La Macronie tente, en vain, de faire passer des mesures présentées comme sociales après avoir fait sauter l’impôt sur la fortune, fait passer la Flat Tax et baissé la contribution des entreprises de 33 à 25 %. En commençant le quinquennat ainsi, tous les discours qui viennent ensuite sur la lutte contre la pauvreté sont morts d’avance, inaudibles.

    Grâce au travail de Thomas Piketty, on sait qu’aujourd’hui les fortunes proviennent aux trois quarts du capital qui est transmis, alors que c’était 40 % il y a 50 ans. Le fait de connaître ces chiffres de l’inégalité change notre compréhension du monde. De même que le travail réalisé par le consortium international de journalistes d’investigation sur l’évasion fiscale nous a permis de connaître l’ampleur de la restriction du partage des richesses.

    La justice est la colonne vertébrale de toute communauté. Elle permet de faire société, d’avoir une vision commune. La justice sociale, écologique, climatique, fiscale, économique est un impératif. Pourquoi certains territoires seraient-ils privés de services publics ? Pourquoi investir plusieurs milliards d’euros pour accélérer un TGV sur une ligne déjà ultrarapide et démanteler quotidiennement des lignes secondaires ? Macron s’est présenté comme le rempart contre le Front national. Il a été élu comme tel, mais il a pensé qu’on lui avait donné un mandat ultralibéral pour faire du Margaret Thatcher avec trente ans de retard. Il a tout faux.

    « Le corps social bourgeois me déçoit parce qu’il se regarde le nombril et ne voit pas plus loin que les écoles de commerce de ses enfants, leurs stages dans des banques à New York. »

    Au quotidien, comment mettez-vous en cohérence vos convictions avec vos actes ?

    Il faut à la fois combiner l’exigence et le pardon vis-à-vis de soi-même. Mon exigence est de ne pas être dans un consumérisme débile. C’est une lutte quotidienne avec les enfants, qui reviennent de l’école en ayant envie d’acheter des tas de cochonneries Made in China. Et même si on a les moyens de prendre l’avion à chaque vacances, on ne le fait que rarement. Un beau voyage, une fois de temps en temps. L’exigence climatique se retrouve aussi dans notre hygiène quotidienne, avec une consommation ultramodérée de viande rouge.



    Vous avez notamment grandi à Hong Kong, dans un milieu aisé. Faut-il encore attendre des riches qu’ils cessent de détruire la planète ?

    Il y a un vrai problème avec nos riches, mis en lumière par le scandale de l’évasion fiscale. Mais il faut leur donner de l’espace pour se racheter. Mon appel aux riches, c’est d’être plus généreux, d’être fier de contribuer à un projet social par l’impôt, sans faire des combines infernales avec des niches fiscales.

    Quand on est riche, on a un niveau d’éducation supérieur à la moyenne. Ceci oblige à plus de responsabilité morale, de générosité, de largesse d’esprit. Le corps social bourgeois me déçoit parce qu’il se regarde le nombril et ne voit pas plus loin que les écoles de commerce de ses enfants et leurs stages dans des banques à New York. Avoir le ventre bien rempli ne doit pas empêcher de réfléchir ! C’est impardonnable.



    Vous avez évoqué les enfants, et vous avez vous-même une fille. Comment vivez-vous cette parentalité, à l’heure où l’on parle d’effondrement ?

    Je flippe. Quel monde leur laisse-t-on ? Avoir des enfants oblige à l’action. C’est la plus grande des responsabilités car elle implique de s’assurer qu’on leur laisse un monde vivable. C’est pour être disponible pour ma fille que je ne veux pas de mandat. Si on aime et on structure nos enfants, le monde peut devenir empathique et juste.



    Vous vous donnez énormément. Vos nuits et vos week-ends doivent être très courts. Qu’est-ce qui vous fait tenir ?

    Notre cerveau a le pouvoir de nous transformer. Autrement dit, nous pouvons changer notre vision du monde, notre rapport aux autres, au fur et à mesure des lectures, des rencontres… Et si on peut tout transformer, on peut tout surmonter. C’est fou ! Mais il faut se battre. La clé, c’est la persévérance.

    Propos recueillis par Alexandre-Reza Kokabi et Lorène Lavocat

    Pour lire les autres entretiens de cette série consacrée à celles et ceux qui renouvellent la pensée écologique aujourd’hui, cliquez-ici.

  • La spiritualité ? Quel intérêt ?

    Oui, le titre est provocateur...Disons qu'il répond partiellement à une interrogation qui me poursuit. J'ai bien conscience que le contenu de ce blog a beaucoup changé ces dernières années. Les archives des premières années listent les thèmes liés à la spiritualité, la conscience, l'ego, le mental, le soi, les émotions, la passion, l'amour, la sexualité, les relations humaines, la réalité et le réel, l'illusion, l'intuition, la méditation, le silence,  etc...La liste est longue.

    J'ai beaucoup, beaucoup lu pendant une longue période de ma vie, depuis l'adolescence. J'avais seize ans quand j'ai découvert les écrits de Krishnamurti. Puis ont suivi Swami Prajnanpad, Arnaud et Denise Desjardins, Thoreau, Thomas Merton, Gilles Farcet, Anthony de Mello, Gurdjieff, Ouspensky, Spinoza, Dürckheim, Jung, Joelle Mauraz, René Barbier, Alexandre Jollien, Sri Aurobindo, le Dalaï Lama, Matthieu Ricard, Lovelock, Peter Russel etc... La liste est longue.

    Qu'en est-il aujourd'hui ? Ces lectures ne font plus partie de mon quotidien parce que l'urgence n'est pas là. Peut-être que la quête de spiritualité n'est compatible qu'avec un monde en paix. Peut-être même qu'il n'est pas légitime de chercher à vivre mieux en soi dans une humanité malade. Peut-être qu'il s'agit d'un paravent, d'une fuite, d'un déni de réalité. On pourrait me répondre qu'aucun individu en souffrance n'aurait l'énergie pour prendre en considération que l'urgence de la vie sur Terre est prioritaire, que la quête d'un bonheur personnel est la voie d'accès vers un engagement général.

    Mais pourtant, je ne vais pas bien...Je vis avec une menace physique qui est comme une épée de Damoclès et dont la corde s'effiloche année après année. Les prévisions sont sombres. Je tente de me maintenir en sachant que l'issue est relativement inévitable. Compression de la moelle épinière et développement progressif de la sténose. Depuis trois mois, j'ai des fourmillements dans les doigts, nouvelle étape...

    Ajouté à cela, je m'occupe de mes parents depuis six ans. je suis devenu parent de mes parents, tous les deux victimes d'un AVC. Mon père est aveugle, quasiment sourd, il ne lui reste que très peu de souvenirs. Il me reconnaît encore mais ne se souvient pas d'avoir eu un autre fils, mon frère décédé. Ma mère, pour sa part, est dans un autre monde, totalement décorellée de tout. Elle ne sait pas qui je suis. Ils sont tous les deux en fauteuil roulant. J'ai réussi à leur trouver un EHPAD à quarante km de chez moi. Je les vois partir à petit feu.

    Alors, la spiritualité, la gestion des émotions, de la peur, de la colère, de l'abattement, des alternances entre le bonheur de l'énergie en moi et de la tristesse des limites qui s'accroissent, tout cela j'y travaille, intérieurement.

    Mais bien au-delà de cette démarche personnelle, la situation de la vie sur Terre reste cruciale. Cette problématique majeure occupe toutes mes lectures, tout ce que je visionne. Nul catastrophisme là-dedans mais une recherche lucide. Il est de toute façon impossible de ne pas être un minimum informé tant les medias les plus basiques se font l'écho de la situation. Est-ce que cela a un impact sur les comportements de chacun ? J'en doute fortement. L'ancrage dans le fonctionnement matérialiste est similaire à une dalle de béton armé et des centaines de millions d'individus y ont les pieds figés. Rien de bon à attendre de la part des instances dirigeantes. Elles sont sous l'emprise des financiers et de leurs plans de carrière. Point à la ligne. 

    Il ne reste donc que le renforcement des phénomènes d'ampleur pour que les populations réalisent vers quoi nous allons.

    Et c'est là que je pense que la spiritualité n'a plus la même valeur. Elle reste beaucoup trop centrée sur l'individu lui-même. Et il suffit de voir comment sont considérés les "écologistes" pour imaginer à quel point ils seraient conspués, moqués, ridiculisés s'ils adjoignaient à leur "étiquette" celle de "spiritualité".

    Et c'est pourtant bien la seule spiritualité qui aurait du sens : une spiritualité écologique.

    Si vous avez un moral à toute épreuve, je vous encourage à écouter cette dame :

     

    Claire Nouvian

     

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    Claire Nouvian

    Claire Nouvian en 2018.

    Fonction

    Présidente
    BLOOM

    depuis 2004

    BiographieNaissance

    19 mars 1974

    (49 ans)
    Bordeaux (Gironde, France)

    Nationalité

    française

    Activités

    Productrice de télévision, femme politique, documentariste, écologiste

    Autres informationsParti politique

    Place publique (novembre 2018 - 2019)

    Mouvement

    Écologisme

    Distinctions

    Trophées Femmes en or (2012)
    Chevalier de l'ordre national du Mérite (2013)
    Prix Goldman pour l'environnement (2018)

    modifier - modifier le code - modifier WikidataDocumentation du modèle

    Claire Nouvian est une militante écologiste française, née le 19 mars 1974 à Bordeaux, ancienne journaliste, productrice, réalisatrice de documentaires animaliers et scientifiques. En 2004, elle fonde l'association BLOOM dont elle est la présidente. Elle est l'autrice du livre Abysses et commissaire de l'exposition du même nom.

    En 2018, elle cofonde le parti politique Place publique, avant de le quitter dès l'année suivante.

    Biographie

    Origines et formation

    Claire Nouvian naît le 19 mars 1974 à Bordeaux1. Elle est la petite-fille de Pierre Péricard, maire de Civaux dans la Vienne. Il est à l'instigation de l'installation d'une centrale nucléaire dans sa commune2. Elle affirme avoir hérité d'une part de son tempérament et de ses valeurs intransigeantes, notamment en ce qui concerne la vérité3.[pertinence contestée]

    Dans son enfance, elle voyage en suivant ses parents, son père étant cadre chez Total4. Lors du divorce de ceux-ci, elle suit à Hong Kong sa mère, qui y dirige une entreprise textile. Dans un entretien, elle évoque sa détestation de l'école au cours de son enfance, ses difficultés émotionnelles et son hypersensibilité, liée à une précocité non détectée. À l'âge de 35 ans, elle suit une psychanalyse pendant sept ans3. Polyglotte, elle parle six langues dont le russe3. Elle est diplômée d'histoire de l’université Paris-Sorbonne en France5,6.

    Parcours

    Elle est dans un premier temps journaliste, productrice et réalisatrice dans l’audiovisuel. Elle travaille sur une suite de films pour Télé Images Nature. La visite à l’aquarium de Monterey en Californie, en 2001, et les images des créatures vivant 4 000 m sous la surface de l’océan, constituent pour elle un tournant. Elle se focalise sur la protection des océans et la défense de la faune marine7.

    Elle écrit deux documentaires primés, dont Expeditions dans les Abysses, en suivant une expédition scientifique menée par le chercheur excentrique Craig Smith8. En 2004, Claire Nouvian fonde et devient directrice de BLOOM, association loi de 1901 qui milite pour la protection des écosystèmes marins9.

    En 2006 le livre Abysses, traduit en dix langues, est plusieurs fois primé10. En 2007, elle monte l’exposition du même nom au Muséum national d'histoire naturelle, présentant une grande variété d'animaux abyssaux. L’exposition, dont elle est commissaire, voyage dans plusieurs pays11,12.

    Puis elle devient militante écologiste en s’engageant contre l’exploitation des océans. Elle œuvre à sensibiliser le public et les autorités aux problèmes posés par l’exploitation d’espèces et de milieux marins vulnérables tels que les requins et les océans profonds. Elle est une défenseuse des océans et des équilibres socio-économiques qui en dépendent, notamment de la pêche artisanale, qu'elle juge laissée pour compte des décisions publiques. Son implication, avec un groupe d’ONG, dans le Grenelle de la mer a conduit à des avancées notables pour la conservation du milieu marin, telle que l’engagement de la France de protéger 20 % de son territoire maritime d’ici 202013,14. Elle s’attaque à la pêche électrique et dépose plainte contre les Pays-Bas, qui en sont adeptes pour les poissons des fonds marins15. En janvier 2018, après une forte médiatisation, le Parlement européen bloque la généralisation de cette technique en Europe16.

    Fin octobre 2018, elle participe à la fondation de Place publique, parti politique « citoyen, écologiste et solidaire », avec l'essayiste Raphaël Glucksmann17,18. Elle forme un tandem avec ce dernier pour présenter une liste aux élections européennes de 2019, dans laquelle elle ne se place qu'en position non éligible19. Elle s'engage dès lors dans le combat politique20, tout en refusant de participer à ce qu'elle appelle la lutte « entre les égos surdimensionnés » qui y règne19.

    Invitée le 6 mai 2019 sur le plateau de CNews pour l'émission L'Heure des pros animée par Pascal Praud, Claire Nouvian accuse un discours ambiant de nature « climato-sceptique » de la part de l'animateur et des autres invités. Elle juge « complètement taré » de remettre en cause les conséquences et les causes du réchauffement climatique21, tandis que Pascal Praud déclare que Claire Nouvian donne une image « hystérique » de sa pensée22. Claire Nouvian évoque la « misogynie » du plateau, un « guet-apens de climatosceptiques »23 et dénonce un « négationnisme climatique »24. Le CSA reçoit à la suite de cette émission une centaine de plaintes de la part d'auditeurs pour le traitement qu'il lui a été réservé, sans que soient clairement établies les motivations de ces plaintes25.

    Au début de l'été 2019, elle quitte le comité exécutif de Place publique, et coupe tout contact avec l'organisation26. Après Thomas Porcher, c'est le deuxième départ d'un cofondateur du parti, environ un an après son lancement27. Elle fait part de regrets devant l'échec de cet engagement, qu'elle juge totalement dénaturé au regard de l'idée première qui l'a constitué. Elle dénonce la récupération du mouvement par des politiques professionnels issus du Parti socialiste et déclare que Place publique n'a pas réussi à se garder de vieux procédés pour écarter les contradicteurs internes. Tout en précisant que les députés élus sont « tout à fait corrects », elle constate que les systèmes politiques en général restent inchangés, condamnés à la médiocrité et au clientélisme28,29. Claire Nouvian annonce son renoncement à tout engagement politique s'avouant incompatible avec les « tambouilles politiques » au regard de ses conceptions de l’honnêteté et de l'intégrité. Elle décide toutefois de poursuivre son engagement pour l'environnement au travers de l’association BLOOM30.

    Distinctions

    Claire Nouvian est l'une des six lauréates et lauréats (un par continent) du prix Goldman pour l'environnement 2018, une des plus hautes distinctions dans le domaine environnemental31, pour son combat gagné en 2016 contre le chalutage en eaux profondes dans les eaux de l'Union européenne32.

    En 2013, elle est reçue dans l'Ordre national du Mérite33

    En 2012, elle reçoit le trophée des femmes en or, catégorie « femme en or de l’environnement »34.

     

  • Tous les animaux morts.

    Ce que j'éprouve aujourd'hui lorsque je passe à proximité des rayons de viande ou de conserves animales. Et ça ne m'arrive plus dans les magasins que je connais déjà. Je fais un détour.

     

     

    TOUS, SAUF ELLE.

    CHAPITRE 27

    Laure était descendue au supermarché de la ville. Elle devait se réapprovisionner. Elle voulait manger des fruits. Une envie si forte qu’elle en avait rêvé. Elle ne comprenait pas sa réticence à manger de la viande depuis son réveil. Elle avait refusé les plats de l’hôpital et ne s’était alimentée qu’en fruits et légumes. Elle avait pensé que ça passerait, que les médicaments pendant son coma avaient perturbé ses perceptions puis elle avait fini par accepter l’évidence.
    L’idée de manger un animal lui était devenue insupportable. Elle s’était munie d’un simple panier à roulettes.

    Ses besoins alimentaires n’obéissaient à aucun désir. Juste une nécessité de survie. 
    Lorsqu’elle traversa l’allée des conserves, ses yeux se posèrent sur des boîtes de sardines et de maquereaux.

    Elle en avait mangé souvent, pendant des années, elle en adorait le goût. 
    Elle eut un haut-le-cœur, une douleur dans la poitrine, l’impression d’être enfermée dans des tôles étroites, des noirceurs huilées baignant des cadavres.
    Elle s’échappa du couloir et se dirigea vers le rayon des fruits et légumes. 
    Le rayon boucherie et charcuterie se trouvait sur sa route et c’est en approchant des présentoirs que le malaise s’amplifia au point qu’elle s’arrêta. 

    Un vertige qui l’obligea à fermer les yeux. 

    Une odeur détestable l’enveloppa. Un sirop épais et amer coula dans sa gorge, un étouffoir, un filtre bouché, la suspension involontaire de son souffle. C’est là qu’elle entendit les cris aigus des bêtes et elle en eut si peur qu’elle sursauta en regardant autour d’elle. Le sol était jonché de viscères. Des flaques de sang où trempaient des abats.

    De chaque présentoir à viande ruisselaient des coulées épaisses, des vomis d’entrailles lacérées. Des têtes de veau aux yeux exorbités la fixaient.
    Des groins tranchés de porcs vociférants. Des serpentins d’intestins dégueulant des excréments. Des pyramides de boudins gélifiés couverts de mouches verdâtres, des agneaux agonisants suspendus par leurs pattes, le bruit de la viande martelée, le sursaut des corps électrifiés, les beuglements de terreur, les carotides tranchées et les giclées de sang, les soubresauts de la vie qui s'enfuit.

    Un vacarme de guerre dans son crâne, le chaos des massacres.

    Elle étouffait sous le poids du charnier, elle se noyait dans les biles déversées.

    Elle sentit ses jambes se dérober et elle dut s’appuyer au montant d’une étagère.
    Le souffle haletant, le cœur aux abois. Elle recula en s’interdisant de hurler. 
    Elle ne comprenait pas sa solitude. Plus aucun client, plus aucune activité humaine.

    Juste ces monceaux de cadavres et les tressaillements des mourants.


    Elle recula encore, anéantie par le dégoût. Elle chercha une issue.

    Elle devina alors au bout d’une allée interminable un espace lumineux, la sortie d’un tunnel. Elle s’efforça de respirer calmement et n’y parvint pas. De chaque côté des parois circulaires, les yeux globuleux des animaux morts la fixaient. Elle devait sortir, au plus vite, s’enfuir, s’éloigner de ce charnier, ne plus jamais y revenir.


    Elle en mourrait.

    Elle se lança dans une course folle, paniquée, elle sentit les pattes des cadavres qui tentaient de la retenir, s’accrochaient à ses vêtements, des poids morts qui la ralentissaient, elle courait dans une glu sanglante, écrasant des viscères, elle entendait les plaintes, comme des prières, des gémissements qui la poursuivirent jusqu’à la lumière du jour.

  • Importation d'abeilles.

    Regardez les dates de ces deux articles...J'ai cherché des informations plus récentes sans rien trouver. Non pas que la situation se soit améliorée, c'est fortement improbable. Quand je lis que des abeilles sont importées depuis l'Australie par avion, comment pourrait-on suggérer que ça s'améliore ?

     

    Biodiversité

    Les abeilles menacées par la production d'amandes en Californie

     

    https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/biodiversite/les-abeilles-menacees-par-la-production-d-amandes-en-californie_105277

     

    Par Morgane Le Poaizard le 04.10.2016 à 09h00, mis à jour le 04.10.2016 à 09h00 Lecture 4 min.

    Depuis 2007, la production d’amandes, qui a explosé en Californie, requiert un nombre toujours plus important de pollinisateurs. Un rythme que les abeilles états-uniennes ne peuvent tenir.

    abeille et fleur d'amandier

    Les abeilles fertilisent les amandiers en Californie.

    © Vaclav Salek/AP/SIPA

    BOUM. Pour le meeting annuel de la Société américaine de géologie le 27 septembre 2016, Kelly Watson, professeur assistant de géosciences à l’Eastern Kentucky University et son étudiante Larissa Watkins, ont présenté les résultats de leur étude d’imagerie aérienne réalisée grâce au Programme National d’Imagerie de l’Agriculture (NAIP), en Californie. Entre 2007 et 2015, elles ont observé la superficie des terrains cultivés et se sont particulièrement penchées sur la culture d’amandes. La production de ce produit a connu un véritable boum depuis 2007 à cause d’une forte demande et d’une montée du prix des amandes. Or cette effervescence a des conséquences sur les abeilles pollinisatrices puisqu’elles sont importées chaque année dans la Central Valley pour féconder les fleurs d’amandiers.

    Un marché florissant aux conséquences redoutables

    Selon les auteurs, la consommation mondiale d’amandes a haussé de 200% depuis 2005 et les prix ont augmenté d’1 dollar par livre (soit 0,45 kg) pour atteindre un pic de 5 dollars la livre en 2014. Or la Californie répond à 80% de la demande mondiale d’amandes. Le boum de la production d’amandes est particulièrement visible sur les imageries aérienne : l’étude révèle qu’entre 2007 et 2014, la superficie des terrains d’amandiers a augmenté de 14%, or ces cultures ont pris la place de champs de maïs, de coton ou de tomates. Ces derniers utilisaient moins d’eau que les amandiers, ce qui a provoqué une augmentation annuelle de l’irrigation globale de 27% entre 2007 et 2014, malgré la sécheresse historique que connaît l’état. « Si vous regardez les terrains exploités, plus de 16.000 ont été classés comme terrains humides pour les amandes », s’alarme le professeur Watson.

    70% de nos abeilles apprivoisées aux USA vont polliniser les amandes en Californie."

    « La prochaine chose que nous voulons pointer du doigt est ce que signifie l’augmentation de la culture d’amandes pour la demande de pollinisateurs », explique Watson. Les fleurs d’amandiers californiens sont presque toutes auto-incompatibles (elles ne peuvent pas se féconder toutes seules), elles ont donc besoin d’insectes pollinisateurs pour produire des amandes. La culture d’amandes est par conséquent dépendante de la pollinisation par les abeilles domestiques. Or la Californie ne possèdent pas assez d’abeilles, et les Etats-Unis encore moins. Alors comment permettre aux cultures de se développer ? Les apiculteurs semblent avoir trouvé un moyen de répondre à cette demande : ils louent leurs abeilles aux agriculteurs à travers tous les états. Ainsi 60% des abeilles "commerciales", soit 1.6 million de colonies d’abeilles états-uniennes, sont importées en Californie chaque année. Les Apis mellifera, abeilles domestiques européennes, visitent plus de 800.000 parcelles chaque année, de Sacramento à Los Angeles. Leur circuit débute en février avec les amandes californiennes pour finir en hiver en Floride avec le poivre brésilien.

    Les abeilles sont transportées aux quatre coins du pays pour polliniser les cultures. © Dooley John / SIPA

    DÉTRESSE. Le transport de ces insectes leur cause énormément de stress et les pics de chaleur affectent les reines. Les abeilles se restreignent à un régime de nectar d’amandiers au lieu de se délecter d’un mélange de fleurs aux protéines diverses. Elles sont potentiellement exposées aux pesticides, aux nuisibles, aux fongicides et autres produits chimiques qui affaiblissent leur système immunitaire. Les pollinisateurs deviennent les hôtes de virus qui les font voler plus lentement, agir de façon insensée ou mourir prématurément. « Si vous cherchez ce qui cause le déclin des abeilles, l’agriculture industrielle tient certainement un rôle majeur. » affirme Watson.

    Certains cultivateurs tentent de trouver des alternatives à la pollinisation. Une espèce d’amandier, l’Independance, éviterait tous ces transports d’abeilles à travers les états. Il s’agit d’un croisement d’amandier et de pêcher auto-fertile, vendu exclusivement par Dave Wilson Nursery, le laboratoire qui a développé l'espèce. Mais qu’en est-il du rendement et de la qualité du fruit obtenu ?

     

     

    https://www.lesechos.fr/2011/04/la-californie-malade-de-ses-abeilles-1089619

    Publié le 14 avr. 2011 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

    Pour la première fois, une enquête scientifique, portant sur tout le territoire américain, démontre l'inquiétant déclin des abeilles pollinisatrices. Un enjeu crucial pour les cultivateurs d'amandes californiens, gros exportateurs.

    La période de pollinisation des amandiers vient tout juste de se terminer et la Californie s'inquiète pour ses abeilles.

    Il faut dire que, ici, l'enjeu est de taille. Depuis cinq ans, le Golden State investit massivement dans les amandiers, après avoir volontairement abandonné ou négligé plusieurs autres cultures agricoles traditionnelles - fruits et légumes, notamment -, devenues moins rentables à cause de l'augmentation du coût des fertilisants. Avec plus de 320.000 hectares de vergers d'amandiers plantés dans tout l'Etat, la Californie produit 80 % du marché mondial. Désormais, les amandes représentent la principale exportation agricole californienne, devant le vin et les fruits et légumes. Paradoxe économique, une part croissante de sa production va désormais vers la... Chine. Depuis peu, les Californiens embauchent même des acteurs vedettes de l'empire du Milieu pour vanter les mérites de l'amande locale.

    Mais si cette industrie ne connaît pas la crise, surfant sur un marché loin d'être saturé - surtout en Asie -, un danger menace néanmoins les 6.000 cultivateurs de la région. La récolte dépend en effet de millions d'abeilles pour la pollinisation des amandiers. Sans elles, pas de fertilisation. Or les producteurs californiens ne trouvent plus assez d'insectes sur place pour polliniser leurs centaines de milliers d'hectares. A tel point qu'ils louent désormais des abeilles en dehors des Etats-Unis (certaines viennent maintenant d'Australie) pendant la période de fertilisation. Et cela leur coûte de plus en plus cher...

    Un phénomène mondial
    Au-delà de l'aspect purement financier, les difficultés rencontrées par les producteurs locaux illustrent un phénomène mondial, de plus en plus inquiétant. « Si le nombre d'abeilles continue de diminuer en Californie, c'est l'ensemble de cette filière qui est menacée, car elle dépendra des réserves d'abeilles disponibles dans d'autres pays, or il est bien possible que la population des abeilles soit globalement en train de diminuer dans le monde », explique le docteur Sydney Cameron, entomologiste à l'université Urbana Champain de l'Illinois.

    Cette scientifique sait de quoi elle parle. Spécialisée dans l'étude des abeilles, elle vient de rendre publique une enquête qui, pour la première fois, a étudié sur l'ensemble du territoire américain les raisons pour lesquelles le nombre des abeilles est en train de diminuer outre-Atlantique. Publiée dans la revue de l'Académie nationale des sciences, cette étude tire un véritable signal d'alarme. « Nous n'avons étudié en profondeur que huit des cinquante espèces de bourdons vivant aux Etats-Unis, mais la moitié d'entre eux sont sérieusement en danger », assure-t-elle. Dans certains cas, la presque totalité d'une race d'abeilles a disparu, le nombre des autres ayant diminué de 23 à 87 % ! L'étude a duré trois ans, sur plus de 400 sites répartis sur l'ensemble du pays, en constituant des bases de données sur des dizaines de milliers de ruches et en les comparant, quand c'était possible, à des statistiques plus anciennes.

    Les conséquences de la disparition éventuelle des bourdons seraient considérables. Si cette race d'abeilles est celle qui produit du miel, son rôle primordial est la pollinisation des fleurs et - plus important encore pour l'espèce humaine -celle d'une grande majorité de fruits et de légumes. Sans ces abeilles qui assurent la reproduction des végétaux, c'est la disparition assurée d'au moins la moitié des aliments d'origine végétale qui composent notre assiette. L'enjeu avait été perçu par Albert Einstein lui-même, assurant que « si l'abeille venait à disparaître, l'humanité ne pourrait lui survivre que quelques années ».

    Car c'est tout l'écosystème de la planète qui serait alors menacé. Les forêts tropicales, la végétation de nombreuses régions côtières, toutes les fleurs sauvages, même les plantes de régions désertiques seraient en danger s'il n'y avait plus d'abeilles pour assurer cette pollinisation, assure Sydney Cameron.

    L'inquiétude n'est pas nouvelle. Les premières diminutions d'abeilles observées en Amérique remontent au début des années 1990. Mais c'est la première fois qu'une étude réellement scientifique vient la confirmer dans les faits. « Le problème est que, comme c'est la première fois que nous réalisons une étude si globale aux Etats-Unis, nous manquons d'éléments pour savoir si ce phénomène est ancien ou pas. Si c'est seulement le début, c'est particulièrement inquiétant, car le phénomène de diminution que nous avons observé est particulièrement rapide », poursuit la scientifique.

    Pour l'équipe du docteur Cameron, il ne fait guère de doute que la diminution significative des abeilles pollinisatrices s'accompagne d'une baisse des abeilles sauvages. Mais, pour l'instant, on ne sait pas quelles sont les espèces les plus menacées, ni dans quelles proportions. D'autres études ont donc été lancées, aux Etats-Unis mais aussi ailleurs dans le monde, depuis 2007. Leurs résultats devraient être connus prochainement.

    En attendant de savoir « combien » d'insectes ont disparu, on peut déjà parler des causes de leur disparition. Parmi les raisons avancées dans l'enquête américaine, celles liées à l'activité humaine sont évidemment placées en première ligne. Si l'emploi de pesticides dans l'agriculture est à l'évidence néfaste, il y a bien d'autres facteurs. Par exemple la monoculture intensive (en particulier de cultures qui n'ont pas besoin de pollinisation) réduit sensiblement la biodiversité, donc la végétation sauvage dont les abeilles ont besoin pour se reproduire et vivre dans un environnement qui leur convient. Sydney Cameron n'écarte pas non plus le réchauffement climatique comme facteur aggravant, même si là non plus aucune étude scientifique n'a encore fourni de conclusions incontestables. Le résultat cumulé de ces facteurs se traduit par ce que les scientifiques appellent le « colony collapse disorder », qui voit les abeilles quitter leur nid, pour ne jamais y revenir. « Le problème avec la diminution rapide du nombre des abeilles c'est qu'il y a un effet de seuil, au-delà duquel on ne pourra plus rien faire. Et l'on ne sait pas si l'on en est proche ou pas », résume la spécialiste. Quoi qu'il en soit, certains scientifiques américains estiment que la situation empire. « La situation s'est aggravée ces quatre dernières années », assure Jeff Pettis, directeur du Bee Research Laboratory, au ministère américain de l'Agriculture.

    Engouement citoyen
    En Californie, en tout cas, on n'attend pas le résultat de nouvelles études sur le sujet pour se mobiliser. Et les initiatives en tout genre se multiplient. Par exemple celle du docteur Gretchen LeBuhn, spécialiste des abeilles au département de biologie à la San Francisco State University. Il y a presque deux ans maintenant, elle a lancé le Great Sunflower Project (GSP), dont l'ambition est de constituer un outil scientifique d'observation en mobilisant la population. N'importe qui peut donc devenir membre de ce projet en acceptant des graines d'une variété spéciale de tournesol, envoyées par les responsables du GSP. Il faut alors observer le manège des abeilles autour de cette fleur (choisie parce qu'elle attire particulièrement les abeilles pollinisatrices) pendant au moins quinze minutes, plusieurs fois par semaine. « D'un point de vue scientifique, ce que l'on cherche à faire, c'est d'obtenir la carte la plus complète possible des Etats-Unis pour savoir où fonctionne la pollinisation et où elle ne fonctionne pas, ou mal », explique Gretchen LeBuhn. Aujourd'hui, plus de 100.000 personnes ont accepté de planter des tournesols dans leur jardin, y compris en zone urbaine ou suburbaine, dont une majorité se trouvent en Californie. « Les données que nous avons recueillies nous permettent maintenant de disposer d'éléments pour savoir, par exemple, si les abeilles sont sensibles à un type d'urbanisation ou à la densité de la population. On peut aussi relier ces informations aux facteurs environnementaux pour déterminer quels liens il peut y avoir. » Les données sont également suffisamment nombreuses pour identifier les endroits où la recolonisation est la plus nécessaire et ces endroits font donc l'objet d'incitations plus fortes pour trouver des volontaires.

    Maintenant qu'il a prouvé qu'il pouvait susciter un réel engouement citoyen, le Great Sunflower Project aimerait se donner une dimension réellement planétaire. « Il ne faut pas s'y tromper, confirme en effet Gretchen LeBuhn, la majorité de ceux qui acceptent de participer au projet suit également nos conseils pour améliorer la survie de cette espèce. Notamment en ce qui concerne l'amélioration de leur environnement d'habitation, afin qu'elles puissent mieux se reproduire. » High-tech oblige dans le Golden State, l'initiative est relayée sur les réseaux sociaux, notamment sur Flickr, où les participants échangent des photos de leurs jardins pollinisateurs pour obtenir en retour des conseils d'autres membres du projet.

    Certaines entreprises industrielles californiennes sont également très actives pour aider à résoudre le problème des abeilles. C'est le cas du glacier Häagen-Dazs, installé au nord de la Silicon Valley, sensibilisé au problème, puisque 40 % des ingrédients qui composent ses parfums ont besoin d'abeilles pollinisatrices. Depuis deux ans, le groupe finance des programmes de recherche universitaire. Il a même fait installer un immense jardin, sur le campus Davis de l'université de Californie, composé de fleurs qui attirent les abeilles afin de mieux les étudier. Plus original, l'entreprise encourage, sur son site Web, les internautes à exploiter eux-mêmes des jardins susceptibles de plaire aux abeilles. Elle assure également reverser la totalité du chiffre d'affaires généré par son magasin virtuel HelpTheHoneyBees.com aux recherches scientifiques, ainsi qu'une partie des revenus générés par sa glace au miel d'abeilles. Sponsor du Pollinator Partnership (une association à but non lucratif de San Francisco, créée il y a quinze ans pour protéger tous les animaux pollinisateurs), Häagen-Dazs joue même un rôle de lobbyiste à Washington sur ce sujet, en réunissant régulièrement des parlementaires pour les pousser à agir.

    Le Congrès sensibilisé
    Pour quel résultat ? Le Congrès semble désormais prendre très au sérieux l'alarmante diminution du nombre des abeilles américaines. Un comité, formé d'élus républicains et démocrates, s'est ainsi formé l'année dernière. Il s'est fixé pour objectif d'attribuer un financement important pour réaliser de nouvelles recherches sur les causes de la mortalité des abeilles et tenter d'y remédier. Plusieurs dizaines de millions de dollars devraient ainsi être débloqués dans la prochaine « Farm Bill », qui sera votée en 2012. « Pour l'instant, nous ne connaissons même pas l'état exact de la situation, reconnaît Laurie Adams, directrice du Pollinator Partnership. Nous espérons que ces financements permettront enfin de dresser un véritable état des lieux et ensuite pouvoir agir. »

    Michel Ktitareff, À PALO ALTO

  • Une alerte de plus : le phosphore

    Une situation qui concerne encore une fois le milieu agricole : dépendance à une ressource exportée, détérioration de la biodiversité, gaspillage, régime alimentaire carné... De la nécessité de revoir le système agricole intensif...

     

    Phosphore : faut-il craindre une pénurie ?

     

    Par Sophie Gosselin et David Gé Bartoli , publié le 10 janvier 2022

    https://www.socialter.fr/article/le-phosphore-de-l-or-pour-un-tas-de-fumier

    Élément indispensable à toute vie mais pouvant avoir des conséquences désastreuses sur les écosystèmes, le phosphore a participé à l’essor de l’agriculture industrielle de l’après-guerre en étant utilisé massivement dans les engrais de synthèse. Alors que la demande mondiale en roches phosphatées n’a jamais été aussi forte, les craintes sur le caractère plus ou moins durable de cette ressource amènent à reconsidérer les usages que nous en faisons.

    Les lecteurs versés dans la science-­fiction le connaissent principalement comme l’inventeur des trois lois de la robotique ou de la « psychohistoire », concept au cœur de la saga Fondation, actuellement adaptée en série par Apple TV+. Mais Isaac Asimov, accessoirement docteur en biochimie, a également fait de la vulgarisation scientifique son terrain de jeu littéraire. Dans un essai publié en 1959, l’écrivain américain souligne l’importance du « P » figurant sur la droite du tableau de Mendeleïev. Ce « P », la lettre symbolisant le phosphore, n’est rien moins que le « goulot d’étranglement de la vie ». Supprimez-le et le moindre être vivant aura toutes les peines du monde à exister sur notre planète. « Nous pouvons remplacer le charbon par l’énergie nucléaire, le bois par le plastique, la viande par la levure et la solitude par l’amitié. Pour le phosphore, il n’y a ni substitut ni remplaçant », insiste Isaac Asimov.

    Des animaux à la moindre molécule d’ADN en passant par les enzymes et les parois de bactéries cellulaires, il y a donc du phosphore partout dans la nature, mais seulement sous une forme oxydée (phosphate). Le phosphore compte pour environ 1 % de la masse corporelle d’un humain, l’essentiel se nichant dans nos tissus osseux et nos dents. « Peu importe ce que nous mangeons, cette nourriture provient plus ou moins directement des plantes et les plantes croissent grâce au phosphore », ajoute Stuart White, directeur de l’Institut des futurs durables à l’université de technologie de Sydney. Pour stimuler cette croissance et leurs rendements, les agriculteurs enrichissent leurs sols en phosphore avec des fertilisants pouvant également contenir de l’azote (N) et du potassium (K), autres nutriments essentiels. Cette ubiquité apparente ne doit pas occulter le fait que le stock de phosphore disponible sur Terre n’est pas illimité mais fini, ce qui confère à cette ressource un caractère d’autant plus précieux.

    Le raté en or d’un alchimiste

    Quand il fait par hasard la découverte de cet élément vers 1669, à Hambourg, Hennig Brandt est en quête d’un bien encore plus précieux : la pierre philosophale, censée transformer n’importe quel métal en or. Une nuit, l’alchimiste allemand pense être parvenu à ses fins après avoir distillé de l’urine humaine. La forme solide résultant de cette expérience intrigue Brandt par la lumière vert pâle qui en émane. C’est du phosphore. Passé à la postérité, Brandt était-il vraiment le premier à mettre au jour l’élément ? Dans son stimulant livre retraçant l’histoire du phosphore, John Emsley remarque qu’il était peut-être déjà connu des Romains dans l’Antiquité et que le secret de sa fabrication a pu se perdre avec le temps. Avec son caractère hautement inflammable, surtout sous sa forme blanche, particulièrement instable, le phosphore va hériter du surnom peu flatteur d’« élément du diable ». Le phosphore blanc sert par exemple aux bombes incendiaires qui s’abattent sur plusieurs villes allemandes ciblées par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale dont Hambourg, là-même où Brandt fit sa grande découverte près de trois siècles plus tôt.

    Des millénaires avant de l’exploiter pour semer la mort, l’humanité a tiré parti du phosphore pour cultiver le vivant, quand bien même elle ignorait tout de l’identité du bienfaiteur. D’abord grâce au feu et aux cendres contenant du phosphore utilisable par les plantes, puis en recouvrant les champs d’excréments animaux ou humains. Comme le mettra en évidence l’expérience de Brandt, les déchets produits par notre corps recèlent de ce « P » si convoité. Les paysans chinois en avaient déjà conscience il y a des milliers d’années de cela. « Grâce à l’engrais humain, la terre en Chine est encore aussi jeune qu’au temps d’Abraham », observe Victor Hugo dans le chapitre « La terre appauvrie par la mer » des Misérables,où l’écrivain se lamente de voir cet « or fumier […] balayé à l’abîme » à Paris et en France. C’est qu’au XIXe siècle, l’urbanisation commence à priver les paysans d’un fertilisant humain échouant désormais dans les cours d’eau. Dès lors, où trouver le phosphore ? Une première piste mène aux zones d’accumulation de guano, comme les îles Chincha, au Pérou, ou Nauru, autre bout de terre du Pacifique, au siècle suivant. Depuis, le stock s’est épuisé à Nauru et l’île, dont le PIB par habitant est le plus élevé du monde dans les années 1990, est maintenant exsangue.

    Des ressources inégalement réparties

    Au XXe siècle et jusqu’à nos jours, l’écrasante majorité du phosphate est tirée de l’extraction minière. « Tel qu’il est exploité aujourd’hui, le phosphore est une ressource fossile, comme les hydrocarbures, explique Fabien Esculier, chercheur au Laboratoire eau environnement et systèmes urbains (Leesu) à l’École des Ponts Paris Tech. Des conditions géologiques ont favorisé la sédimentation d’organismes et cela a créé au bout de plusieurs millions d’années une couche très riche en phosphore. » Les zones avec de fortes concentrations sont loin d’être également réparties sur la surface du globe. Pour la plupart, elles se trouvent en Afrique du Nord, en Chine, aux États-Unis, en Russie. Selon le dernier rapport annuel de l’Institut d’études géologiques américain (USGS), les seules réserves en roches phosphatées du Maroc et du Sahara occidental s’élèveraient à 50 milliards de tonnes, soit 70 % du total mondial. Durant la seconde moitié du XXe siècle, la production de ces roches a été multipliée par six et, en 2020, elle a atteint 223 millions de tonnes, dont 90 millions rien qu’en Chine.

    « Une partie de ce phosphore est utilisée comme détergent et une autre comme additif chimique pour la nourriture, mais 80 % du phosphore extrait est utilisé pour les fertilisants chimiques », souligne Bruno Ringeval, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) de Bordeaux. Ces engrais de synthèse, employés en masse, ont contribué à façonner l’agriculture moderne post-Seconde Guerre mondiale... et ses excès. En France et dans d’autres pays industrialisés, leur utilisation a atteint son pic dans les années 1970-1980 avant d’accuser une baisse. Julien Némery, chercheur à l’Institut des géo­sciences de l’environnement (IGE) de Grenoble, en détaille l’une des raisons : « Pendant longtemps, l’idée reçue dans le monde agricole était que plus on mettait de fertilisants, plus on produisait. Après des décennies d’essais, l’Inrae a montré que cette idée était fausse. Il n’y a pas besoin de mettre cinq fois plus d’engrais que nécessaire pour avoir un rendement cinq fois plus élevé. »

    L’autre raison expliquant cette diminution est la prise de conscience des problèmes environnementaux provoqués par le recours immodéré aux engrais phosphatés. Si les sols peuvent stocker une partie du surplus de phosphore, une autre partie terminera sa course dans les cours d’eau, du fait de l’érosion et du lessivage des sols par la pluie. En se cumulant avec le phosphore contenu dans les rejets d’eaux usées peu ou non traitées, ce surplus accentue les phénomènes d’eutrophisation, avec prolifération des algues vertes à la clé. Mais cette perturbation du cycle du phosphore peut avoir des conséquences bien plus graves, comme une désoxygénation des écosystèmes aquatiques et océaniques, fatale pour la vie marine. « Des événements anoxiques [épuisement d’un milieu aquatique en dioxygène, ndlr] ont déjà lieu dans de nombreux endroits, par exemple en mer Baltique. Une partie des scientifiques n’exclut pas des changements profonds des équilibres biogéochimiques des grands cycles marins menant potentiellement à des anoxies plus fortes », alerte Fabien Esculier. Le risque de voir ces phénomènes se multiplier est encore plus élevé en Chine, en Asie du Sud-Est ou en Amérique du Sud, où la demande en engrais phosphatés a explosé. Cette soif s’explique notamment par une montée en puissance de l’agriculture intensive dans ces régions, ainsi que la part de plus en plus grande occupée dans les régimes alimentaires locaux par les produits d’origine animale qui, rappelle Stuart White, « requièrent cinq à dix fois plus de phosphore que leur équivalent végétal ayant les mêmes caractéristiques nutritionnelles ».

    Le pic à l’horizon ?

    Avec toujours plus d’êtres humains à nourrir sur notre planète (près de 10 milliards en 2050 selon les projections démographiques de l’ONU établies il y a deux ans), autre facteur faisant grimper la demande en phosphore, une pénurie est-elle à prévoir ? Déjà, dans un message datant de mai 1938, c’est en président inquiet que Franklin Roosevelt demandait aux élus du Congrès de se pencher sur les ressources en phosphore des États-Unis pour assurer « des approvisionnements continus et suffisants […] au prix le plus bas ». Le sujet suscite toutefois un intérêt croissant depuis une dizaine d’années et les travaux menés par Dana Cordell et Stuart White. Dans un article publié en 2009, les deux chercheurs australiens ont situé le pic de production mondiale du phosphore dans un futur très proche, aux alentours de 2030. « Quand nous avons mené ces travaux, nous nous sommes basés sur les informations alors disponibles, souligne Stuart White. Peu après, le Centre international de développement des engrais (IFDC) a corrigé les chiffres des réserves, avec une réévaluation à la hausse vertigineuse pour le Maroc et le Sahara occidental. » Même après avoir refait ses calculs, le duo est parvenu à la conclusion que le pic sera passé au cours du XXIe siècle. Pour l’IFDC, qui n’intègre pas de hausse de la demande en phosphore dans ses estimations, les réserves sont amplement suffisantes pour plusieurs centaines d’années. « Il n’y a pas de pénurie imminente de roches phosphatées », assure pour sa part l’Institut d’études géologiques américain dans son dernier rapport.

    Indépendance et changement de régime

    Au-delà de ces résultats divergents, Bruno Ringeval souligne la difficulté de l’exercice sans une connaissance approfondie de la nature du phosphore disponible. « Il y a des réserves dont la qualité est plus faible, où l’extraction est plus compliquée et plus chère », précise-t-il. Sans parler des considérations géostratégiques compliquant l’accès à la ressource : « Même le phosphore existant peut ne pas être disponible parce que le pays le produisant ne veut pas l’exporter ou augmente ses prix. » En septembre dernier, la Chine a par exemple décidé de geler toutes ses exportations de phosphate au moins jusqu’en juin 2022, contribuant à une hausse du prix des engrais chimiques depuis le début d’année. À plus long terme, l’exploitation des immenses réserves de phosphate au Sahara occidental pose également question. Ce territoire, au statut juridique indéterminé pour l’ONU, est au cœur des tensions entre le Maroc, qui en contrôle effectivement la majeure partie, et l’Algérie, soutien du Front Polisario qui revendique l’indépendance du Sahara occidental.

    Même en écartant l’hypothèse de la pénurie, devenir de moins en moins dépendant de l’extraction de roches phosphatées est donc crucial pour les régions ne disposant pas de mines, comme la France et les autres membres de l’Union européenne (UE). En 2014, l’UE a ainsi placé les roches phosphatées comme matière première critique pour son approvisionnement. Quelles seraient les alternatives ? Pour Fabien Esculier, la première des priorités est d’avoir une « logique de sobriété dans les usages », et donc de réduire la quantité de phosphore consommée. « Dans les sociétés occidentales, les habitants mangent beaucoup plus de phosphore que ce dont ils ont besoin, explique le chercheur. En France, le régime alimentaire comprend globalement deux tiers de protéines d’origine animale et un tiers d’origine végétale. Inverser ces proportions aurait un impact très fort sur les produits phosphorés. »

    L’autre enjeu est celui d’avoir un cycle du phosphore plus vertueux, effectuant plusieurs boucles et non une seule ligne droite aboutissant au fond des océans. Le principal levier pour y parvenir, c’est un recyclage accru des excrétions animales ou humaines. Pour les secondes, outre la récupération des boues d’épuration où le phosphore est précipité, cela peut passer par une séparation à la source de l’urine et des matières fécales. « En France, il y a toujours eu des voix pour dire qu’il faut retourner les excréments au sol, note Fabien Esculier, qui a consacré une thèse à ce sujet. Elles ont juste été très peu audibles et marginalisées après la Seconde Guerre mondiale. » Ce retour aux pratiques les plus classiques de l’humanité pour valoriser davantage encore notre « or fumier » sonnerait comme une belle revanche pour Victor Hugo, qui écrivait également ceci dans Les Misérables : « Vous êtes maîtres de perdre cette richesse, et de me trouver ridicule par-dessus le marché. Ce sera là le chef-d’œuvre de votre ignorance. » 

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