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Dino BUZZATI : "La leçon de 1980"
- Par Thierry LEDRU
- Le 18/09/2025
La Leçon de 1980 (La lezione del 1980 dans sa version originale en italien) est une nouvelle fantastique de Dino Buzzati, incluse dans le recueil Le K publié en 1966.
"Excédé à la fin par tant de querelles, le Père éternel décida de donner aux hommes une leçon salutaire.
À minuit précis, le mardi 31 décembre, le chef du gouvernement soviétique, Piotr Semionovitch Kurulin, mourut subitement. Il trinquait justement à la nouvelle année lors d’une réception donnée en son honneur –et il en était à son douzième verre de vodka– lorsque son sourire s’éteignit et qu’il s’écroula par terre comme un sac, au milieu de la consternation générale.
Le monde fut ébranlé par des réactions opposées. On était à l’une de ces périodes de crise aiguë de la guerre froide, comme il n’y en avait peut-être encore jamais eu. Cette fois-ci le motif de la tension entre le bloc communiste et occidental était la revendication de la possession du cratère de Copernic, sur la Lune, riche en métaux rares, où se trouvaient des forces d’occupation américaines et soviétiques ; les premières concentrées dans une zone centrale réduite, les autres sur le pourtour. Qui y était descendu le premier ? Qui pouvait se vanter d’un droit de priorité ? Justement, quelques jours avant, Kurulin, à propos du cratère, avait tenu des propos très violents.
Habitués comme ils l’étaient désormais à l’éloquence antipathique de leur grand adversaire, les Occidentaux n’avaient naturellement pas pris au pied de la lettre la menace mais ils ne s’en étaient quand même pas caché la gravité. La disparition soudaine de Kurulin fut donc un immense soulagement car comme ses prédécesseurs, il avait centralisé toutes les charges du pouvoir. Dans le camp russe, le désarroi fut grand.
Mais l’année à peine née devait décidément se révéler riche en imprévus. Une semaine après, à minuit précis, le 7 janvier, quelque chose qui ressemblait fort à un infarctus, terrassa à sa table de travail le président des États-Unis, Samuel E. Fredrikson, symbole de l’intrépide esprit national, premier Américain à poser le pied sur la Lune.
Le fait qu’à une semaine d’intervalle exactement, les deux plus grands antagonistes du conflit mondial aient disparu de la scène provoqua une émotion indicible. Et qui plus est à minuit tous les deux ? On parla d’assassinat fomenté par une secte secrète, certains firent des suppositions abracadabrantes sur l’intervention de forces supraterrestres, d’autres allèrent même jusqu’à soupçonner une sorte de jugement de Dieu. Les commentateurs politiques ne savaient plus à quel saint se vouer. Ce pouvait être une pure coïncidence mais l’hypothèse était difficile à avaler : d’autant que Kurulin et Fredrikson avaient joui jusqu’alors d’une santé de fer.
Pendant ce temps-là, à Moscou, l’intérim du pouvoir était assuré par un soviet collectif ; à Washington, selon la Constitution, la charge suprême passa au vice-président Victor Klement, sage administrateur et juriste sexagénaire. La nuit du 14 janvier, lorsque la pendule placée sur la cheminée eut sonné douze coups, M. Klement, qui était en train de lire un roman policier, assis dans son fauteuil, laissa tomber le livre, pencha doucement la tête en avant et ne bougea plus. Les soins que lui prodiguèrent les médecins accourus ne servirent à rien. Klement, lui aussi, s’en était allé dans le monde de la majorité.
Cette fois une vague de terreur superstitieuse déferla sur l’univers. On ne pouvait plus parler de hasard. Une puissance surhumaine s’était mise en mouvement pour frapper à échéance fixe, avec une précision toute mathématique, les grands de ce monde. Et les observateurs les plus perspicaces crurent avoir décelé le mécanisme de l’effroyable phénomène : par décret supérieur, la mort enlevait, chaque semaine, celui qui, à ce moment-là, était, parmi les hommes, le plus puissant de tous. Trois cas, même très étranges, ne permettent certes pas de formuler une loi. Cette interprétation toutefois frappa les esprits et un point d’interrogation angoissé se posa : à qui le tour mardi prochain ?
Après Kurulin, Fredrikson et Klement, quel était l’homme le plus puissant de l’univers destiné à périr ? Dans le monde entier une fièvre de paris se déclencha pour cette course à la mort. La tension des esprits en fit une semaine inoubliable. Plus d’un chef d’État était tiraillé entre l’orgueil et la peur : d’une part l’idée d’être choisi pour le sacrifice de la nuit du mardi le flattait parce que c’était un critère évident de sa propre autorité ; d’autre part, l’instinct de conservation faisait entendre sa voix. Le matin du 21 janvier, Lu Tchi-min, le très secret chef de la Chine, convaincu plus ou moins présomptueusement que son tour était venu, et pour bien manifester son libre arbitre vis-à-vis de la volonté de l’Éternel, athée comme il l’était, se donna la mort.
Dans le même temps, le très vieux de Gaulle, désormais seigneur mythique de la France, persuadé lui aussi d’être l’élu, prononça, avec le peu de voix qui lui restait, un noble discours d’adieux à son pays, parvenant, de l’avis presque unanime, au sommet de l’éloquence, malgré le lourd fardeau de ses quatre-vingt-dix ans. On constata alors combien l’ambition pouvait l’emporter sur toute autre chose. Il se trouvait des hommes heureux de mourir du moment que leur mort révélait leur prééminence sur le reste du genre humain. Mais avec une amère désillusion, de Gaulle se retrouva minuit passé en excellente santé.
Cependant, celui qui mourut brutalement, à la stupéfaction générale, ce fut Koccio, le dynamique président de la Fédération de l’Afrique occidentale, qui jusqu’alors avait surtout joui d’une réputation de sympathique histrion. Et puis la nouvelle se propagea qu’au centre de recherches qu’il avait créé, on avait découvert le moyen de déshydrater gens et choses à distance, ce qui constituait une arme redoutable en temps de guerre.
Après quoi –la loi c’est le plus puissant qui meurt se trouvant confirmée– on constata un sauve-qui-peut général des charges les plus élevées et hier encore les plus recherchées. Presque tous les sièges présidentiels restèrent vacants. Le pouvoir, auparavant convoité avec avidité, brûlait les mains de ceux qui le détenaient. Il y eut, parmi les gros bonnets de la politique, de l’industrie et de la finance, une course désespérée à qui serait le moins important. Tous se faisaient petits, repliaient leurs ailes, affichaient un noir pessimisme sur le sort de leur propre patrie, de leur propre parti, de leurs propres entreprises. Le monde renversé. Un spectacle divertissant, n’eût été le cauchemar du prochain mardi soir.
Et puis, toujours à minuit, le cinquième mardi, le sixième et le septième, Hosei, le vice-président de la Chine, Phat el-Nissam, l’éminence grise du Caire, ainsi que le vénérable Kaltenbrenner, furent éliminés du jeu. Par la suite, les victimes furent fauchées parmi des hommes de moindre envergure. La défection des titulaires épouvantés avait laissé inoccupés les postes éminents de commandement. Seul, le vieux de Gaulle, imperturbable comme toujours, n’avait pas lâché le sceptre. Mais la mort, qui sait pourquoi, ne lui accorda pas satisfaction. Il faut bien reconnaître qu’il fut même l’unique exception à la règle.
En revanche, des personnages moins importants que lui tombèrent à l’échéance du mardi soir. Peut-être le Père éternel, en faisant semblant de l’ignorer, voulait-il lui donner une leçon d’humilité ? Au bout de deux mois, il n’y avait plus un dictateur, plus un chef de gouvernement, plus un leader de grand parti, un président-directeur général de grosse industrie. Tous démissionnaires. Il ne resta à la tête des nations et des grandes firmes que des commissions de collèges paritaires où chaque membre se gardait bien d’attirer l’attention sur lui. Dans le même temps, les hommes les plus riches du monde se débarrassaient en toute hâte de leur incroyable accumulation de milliards par de gigantesques donations à des œuvres sociales, à des mécénats artistiques.
On en arriva à des paradoxes inouïs. Lors de la campagne électorale en Argentine, le président Hermosino, craignant une majorité des voix comme la peste, se diffama tellement lui-même qu’il tomba sous le coup de l’accusation d’outrage au chef de l’État. Dans L’Unità de Rome, les éditoriaux endeuillés proclamaient la complète dissolution du Parti communiste italien, en réalité encore très actif : c’était le député Cannizzaro, leader du parti, qui, attaché comme il l’était à sa charge dont il n’avait pas voulu se démettre, cherchait ainsi, subrepticement, à écarter les coups du destin. Et le champion mondial des poids lourds, Vasco Bolota, se fit inoculer le paludisme pour s’étioler, car une belle prestance physique était un signe dangereux de puissance.
Dans les litiges, qu’ils soient internationaux, nationaux ou privés, chacun donnait raison à l’adversaire, cherchait à être le plus faible, le plus soumis, le plus dépouillé. Le cratère de Copernic fut équitablement partagé entre Soviétiques et Américains. Les capitalistes cédaient leurs entreprises aux travailleurs et les travailleurs les suppliaient de bien vouloir les conserver. En quelques jours on arriva à un accord sur le désarmement général. On fit exploser les vieux stocks de bombes dans les environs de Saturne qui en eut deux anneaux brisés.
Six mois ne s’étaient pas écoulés que toute ombre de conflit, même local, s’était dissipée. Que dis-je, de conflit ? Il n’y avait plus de controverses, de haines, de disputes, de polémiques, d’animosité. Finies la course au pouvoir et l’idée fixe de la domination ! Et l’on vit alors s’établir partout la justice et la paix, dont, grâce au Ciel, nous jouissons toujours 15 ans après. Car si quelque ambitieux oublieux de la leçon de 1980 tente de lever la tête au-dessus des autres, la faux invisible, tzac ! la lui tranche, toujours le mardi, à minuit. Les exécutions hebdomadaires cessèrent vers la mi-octobre. Elles n’étaient plus nécessaires. Une quarantaine d’infarctus judicieusement distribués avaient suffi pour arranger les choses sur la Terre.
Les dernières victimes furent des figures de second plan, mais le marché mondial n’offrait rien de mieux en fait de personnages puissants. Seul de Gaulle continua à être obstinément épargné."
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MONO : "Hear the wind sing"
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/09/2025
Je me doute bien que ça ne plaira pas à tout le monde. C'est particulier, je le conçois totalement.
Je peux l'écouter vingt fois de suite.
J'en ai besoin. Quand je cours, quand je pédale, quand je m'occupe du potager, du jardin, de planter des arbres, de fendre du bois, de tamiser une allée en graviers pour la remettre en état... J'ai besoin de ces musiques répétitives, de ces leit-motiv et de leurs crescendos et le groupe MONO est une référence dans ce domaine.
Je sais d'où vient ce goût profond pour ces musiques lancinantes et puissantes.
J'ai mis longtemps à en retrouver la source. Je veillais mon frère, dans sa chambre d'hôpital et il était entouré de machines dont les "bip, bip" rythmaient les heures. Et il m'arrivait de fabriquer intérieurement des mélodies qui se joignaient à ce tempo.
J'ai souvent regretté de ne pas avoir appris à jouer d'un instrument et de ne rien connaître au solfège mais je construis souvent des musiques dans ma tête et celles de MONO y ressemblent.
J'aime infiniment la puissance. Même si je sens qu'elle diminue en moi, ces musiques en réveillent les échos et je devine dans mon corps des mémoires enfouies qui se réjouissent. Il y a si longtemps aussi que j'écoute ce genre de musique qu'elles sont pour beaucoup associées à des moments forts, des moments inscrits, jusque dans mes chairs.
J'ai beaucoup écouté ces musiques quand j'étais cloué au lit et que personne ne pouvait me dire si j'en sortirai un jour, ni dans quel état. Ces mélodies répétitives, elles me nourrissaient, elles étaient des flux d'énergie qui coulaient en moi, des pentes enneigées, des sommets lumineux, des forêts immenses, des courses sur les chemins élevés.
J'aime infiniment le silence, c'est un besoin vital mais la musique l'est tout autant.
"JUSQU'AU BOUT"
Il sortit et reçut la lumière du soleil comme un don.
Il quitta son sous-pull. Son torse devait se nourrir des ondes divines. Il aurait aimé courir nu mais les esprits pervers n’auraient pas compris.
Il partit sur la route.
Dès les premières minutes, il chercha à se concentrer sur le rythme de ses foulées, la musique de son souffle et de ses pas, le tempo de son cœur, se coupant du monde extérieur, n’acceptant que les rayons solaires et la brise fraîche, sans objectif précis, il s’enfonça dans les forêts, traversa le plateau granitique de la Pierre Levée, suivit un temps le ruisseau du Ninian, rejoignit une route qu’il ne chercha pas à reconnaître, refusant de construire un parcours, limitant le travail de son esprit à la précision de ses gestes et quand il sentit que les muscles des jambes durcissaient, que le ventre et le dos supportaient de plus en plus difficilement les chocs répétés, il s’interdit de penser à un probable retour et, peu à peu, il sentit s’installer en lui la mécanique hypnotique de la course, s’engloutissant à l’intérieur de lui-même, insensible à toutes les sensations extérieures, ne vivant que dans l’infini profondeur de son propre abîme, il ne distingua de son corps que le passage rapide devant ses yeux d’un pied puis d’un autre, le premier disparaissant, immédiatement remplacé par le second et cela sans fin, et il trouva magnifique la mélodie répétitive de ses pas sur le corps de la Terre, comme des étreintes répétées, un don d’énergie partagée, il buvait à la source de vie et s’enivrait de jouissance, cette alternance rapide et saccadée et cette absence de volonté, le corps agissant indépendamment de tout contrôle, sans crainte et donc sans fatigue, le cerveau, submergé de douleurs ayant abandonné l’habitacle, s’évaporant dans un ailleurs sans nom, il la trouva magnifique cette musique en lui, chaque foulée se répercutant dans l’inextricable fouillis de ses fibres musculaires, dans les souffles puissants jaillissant de ses poumons vivants, comme une alarme infinie qui retentit, un appel à la vie, un cri de nouveau-né qui emplirait le ciel et gonflerait les nuages, ses perles de sueur comme des semences inondant la Terre, les râles de sa gorge comme des mots d’amour et il comprit pleinement, par-delà les pensées, que les poumons, le cœur, le sang et les cellules n’existaient que dans ces instants d’extrême exploitation, que les jours calmes étaient des jours morts, des jours sans éveil, des jours d’abandon et de faiblesse, des heures disparues dans le néant de la mort, des pourritures rongeant l’extase, des impuissances de verge éteinte, des mollesses de cadavres agités dans l’attente des vers, c’était inacceptable et il ne l’accepterait plus, sa vie devait être comme cette course, sans cassure, sans déchet, sans seconde évaporée, un cri de vie dans le silence des cimetières, une rage aimante comme un hommage, il plongerait son âme dans le calice du monde jusqu’à noyer les derniers résidus des morales apprises, il couvrirait la Terre de son corps embrasé, il emplirait le vide de son amour enflammé, il sentit les larmes couler, c’était si beau ce moment de vie, enfin la vie.
Il courut si longtemps qu’il ne sut pas quand il rentra."
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Association CANOPEE
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/09/2025
Une des associations que je soutiens, financièrement et sur le terrain parfois et dont je partage les informations.
Vous pouvez les retrouver sur YOUTUBE
Voici le dernier mail reçu ce jour :
Bonjour Thierry,
Je n’aime pas tirer sur l’ambulance mais franchement… quel gâchis !
Aujourd’hui, le gouvernement de François Bayrou est tombé. Huit mois d’existence seulement — et pourtant, pour la première fois, la forêt était rattachée au ministère en charge de l’écologie. Une opportunité historique de faire progresser notre politique forestière. Et pourtant, que d’occasions manquées. Tétanisée par la pression des représentants de la filière, la ministre n’a pas trouvé le chemin pour faire bouger les lignes.
Dernier exemple en date : le Label Bas Carbone. La semaine dernière, nous avons lancé l’alerte dans une enquête factuelle et détaillée. Vous avez été plus de 1 000 à poster des contributions sur le site du ministère. Des contributions qui ne seront jamais publiées, balayées d’un revers de main par la ministre, qui a choisi de céder aux entreprises. Résultat : démission des scientifiques et un article du Monde qui fait sérieusement tache.
Coupes rases : le statu quo n'est plus possible
C’était le sujet brûlant sur lequel la ministre était attendue. Partout, la colère monte face à cette pratique, en total décalage avec l’urgence climatique et la nécessité de faire évoluer les modes de gestion. D’autant que de nombreux forestiers partagent aujourd’hui les préoccupations des citoyens, des élus locaux et des scientifiques.
La priorité est claire : mettre fin à la transformation de forêts semi-naturelles en plantations de résineux (je précise « semi-naturelles », car presque toutes nos forêts ont été façonnées, de près ou de loin, par l’action humaine).
La ministre disposait pourtant de deux atouts majeurs :
La directive européenne sur les énergies renouvelables (RED III), qui aurait dû être transposée en France avant le 21 mai 2025. Non seulement la France est en retard, mais le gouvernement prépare une sous-transposition flagrante. Exemple : un seuil maximum de 10 hectares pour les coupes rases et jusqu’à 25 hectares pour les coopératives forestières. Autant dire… rien : cela ne concernerait que 2 à 3 % des coupes, comme nous allons le démontrer dans un rapport inédit basé sur des données satellites (publication prévue en décembre 2025). La directive impose aussi de s’assurer que les prélèvements de bois-énergie ne dégradent pas la biodiversité dans les zones les plus riches. Or le gouvernement veut limiter cette obligation aux seules zones sous protection forte, plutôt que d’ouvrir un débat plus large et d’identifier, région par région, les forêts réellement concernées.
Le règlement européen contre la déforestation (RDUE), un texte historique qui interdit la mise sur le marché de produits issus de la déforestation (soja, huile de palme, etc.), mais aussi de bois issu de la transformation de forêts semi-naturelles en plantations. Une avancée majeure. Mais si officiellement, la France soutient cette loi, le ministère de l’Agriculture, sous la pression de la filière, tente, lui, de saboter son application sur notre territoire en affirmant qu’ « il n’y a pas de gestion intensive en France et donc pas de forêts de plantation ». Un argument juridiquement intenable, mais politiquement plus confortable que d’assumer un poil de confrontation avec la filière.
La chauve-souris qui dérange la filière
Vous vous en souvenez sûrement : en juin, nous sommes intervenus in extremis pour stopper une coupe rase en Creuse qui aurait détruit l’habitat de chauves-souris protégées. L’affaire a fait grand bruit, jusqu’à me valoir une convocation au cabinet ministériel pour avoir « provoqué de l’émotion dans la filière ».
Soyons clairs : si nous avons commandité à nos frais un inventaire naturaliste, c’était pour démontrer qu’Alliance Forêts Bois ne faisait pas son travail. Il ne s’agit pas d’interdire tous les travaux forestiers au nom des espèces protégées, mais de rappeler une évidence : raser une vieille forêt et découvrir ensuite qu’on détruit des habitats d’espèces protégées relève d’une négligence caractérisée — bien différente d’un accident sur un chantier où le forestier a réellement tenté de limiter les impacts.
Pire : le bois devait être vendu sous label FSC, qui interdit de telles pratiques. Résultat : chantier suspendu, procédure en cours. Notre demande est simple : renforcer le cadre réglementaire. Car nous ne pourrons pas financer un inventaire naturaliste pour chaque parcelle.
La réaction de la filière ? Pressions, tentatives d’exclusion des espaces de concertation, et multiplication des procédures-bâillons. Je vous invite à découvrir la vidéo où Bruno raconte sa dernière convocation lunaire au commissariat.
Ne rien lâcher
Vous nous connaissez : nous ne lâchons rien.
D’abord, parce que nous ne sommes pas seuls. Vous êtes toujours plus nombreux à nous rejoindre, et votre soutien est essentiel face à la procédure lancée pour retirer notre agrément d’association environnementale.
Ensuite, parce que de plus en plus de propriétaires et de gestionnaires s’engagent vers des pratiques plus écologiques. L’association Pro Silva est en plein essor : une excellente nouvelle.
Enfin, parce que sur le terrain, les citoyens s’organisent. Exemple : le 4 octobre, trois associations locales (la Bresseille, Adret Morvan et Autun Morvan Écologie) organisent les « Glands d’Or », un prix satirique pour dénoncer les pires coupes rases du territoire. Une belle initiative que nous soutenons avec enthousiasme.
Et maintenant, Bruxelles
Comme en France, les lobbys se déchaînent à Bruxelles pour détricoter les lois environnementales au nom de la « simplification ». Sachant que leur tentative d’échapper au règlement anti-déforestation en France est fragile juridiquement, ils veulent saboter le texte directement au niveau européen.
Ce sera notre prochaine bataille — et nous aurons besoin de vous :
Si vous pouvez, rejoignez-nous sur place les 15 et 16 octobre : écrivez à Suzie.
Sinon, participez à la consultation publique en cours jusqu’au 10 septembre. Klervi et nos partenaires ont conçu un outil pour vous faciliter la tâche. C’est ici
CHOUARD : La cause des causes
- Par Thierry LEDRU
- Le 07/09/2025
Une vidéo essentielle
470 937 vues 14 avr. 2012
Etienne Chouard - Looking for the mother of all causes - TEDxRepubliquesquare - Mars 2012 Plus d'information sur http://www.tedxrepubliquesquare.com/ - Cette vidéo est sous-titrée en anglais, bulgare, catalan, espagnol, français,grec, italien, portugais, roumain, suedois. Merci à tous les traducteurs bénévoles pour leur aide si précieuse
Etienne Chouard est un homme doux, parfaitement en colère. Poil à gratter de la pensée unique, il agace, perturbe, fait réfléchir. Et en attendant, il bosse. C'est le marathon man des salles des fêtes, l'égérie des résistants, le citoyen d'or d'Agoravox. Calomnié, encensé, il ne laisse pas indifférent. C'est probablement qu'il a quelque chose à dire.
Enseignant l'économie et le droit, à l'occasion du Référendum de 2005, Etienne se plonge dans les textes du projet de Constitution Européenne. Ce qu'il découvre le change à jamais. Depuis, loin des organisations partisanes, il dénonce notre apathie et veut redonner au mot démocratie sa véritable signification. Son credo : une constitution écrite par les citoyens et des représentants tirés au sort.
Etienne CHOUARD : Responsables de notre impuissance
- Par Thierry LEDRU
- Le 07/09/2025
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas Etienne CHOUARD.
Tout est là.
Une eau mortelle.
- Par Thierry LEDRU
- Le 07/09/2025
Donc, il y a des millions de Français qui ne bénéficient plus d'eau potable (mais qui la payent quand même) et les mesures pour réparer les dégâts ont un coût tellement exorbitant que ça se fait au "compte-gouttes" et bien évidemment, après moults palabres qui durent des décennies.
Merveilleux.
Mais qu'en est-il des études sur le long terme avant d'officialiser l'emploi d'une technologie ? Faut-il donc que les fortunes à gagner soient si grandes que le principe de précaution ne soit plus utilisé ?
Qu'il s'agisse des pesticides, des PFAS, du chlorure de vinyle monomère ou autres produits issus de la chimie, ne serait-ce pas plus bénéfique de payer des études a priori plutôt que de devoir payer a postériori.
Et je ne parle pas des gens qui meurent de cancers qu'ils n'auraient jamais dû contracter...
La sphère politique n'a-t-elle pas pris conscience que c'est son rôle d'anticiper ou a-t-elle plus simplement choisi d'emblée la manne financière représentée par les produits et technologies qu'elle autorise ?
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La liste des communes françaises où l’eau du robinet n’est plus potable ne cesse de s’allonger
Eau potable cancérigène : 50 ans de « scandale sanitaire »
Par Lorène Lavocat16 janvier 2025 à 09h06Mis à jour le 16 janvier 2025 à 09h26
https://reporterre.net/Eau-potable-cancerigene-50-ans-de-scandale-sanitaire
Des milliers de km de tuyaux d’eau potable sont contaminés par un agent cancérogène, le CVM. Un problème connu depuis les années 1970. Des analyses inédites révèlent l’ampleur du scandale sanitaire et de l’inaction de l’État.
Pour des centaines de milliers de Françaises et Français, l’eau du robinet n’est plus potable. En cause, le CVM, ou chlorure de vinyle monomère, un gaz reconnu comme cancérogène. Cinquante ans après les premières alertes, Reporterre livre des analyses inédites dévoilant une pollution d’ampleur… et l’inertie de l’État.
Lire aussi : Dans la Sarthe, une eau du robinet cancérigène
Des révélations permises grâce à un lanceur d’alerte, le chercheur en sciences politiques Gaspard Lemaire. Il a obtenu — non sans mal — des milliers d’analyses d’eau auprès des autorités sanitaires. Les résultats, que Reporterre a pu consulter, montrent une pollution significative. Au total, 6 410 prélèvements d’eau potable sont contaminés par ce composé toxique, dans neuf régions [1]. De quoi parler d’un « scandale sanitaire majeur », selon le doctorant.
Un scandale sanitaire minimisé
Afin de bien saisir l’affaire, remontons quelques décennies en arrière. Le CVM est employé dans la fabrication d’objets en plastique PVC, en particulier les tuyaux. Or depuis les années 1930, les preuves de sa toxicité se sont accumulées. Jusqu’en 1987, quand le Centre international pour le cancer l’a classé comme cancérogène certain pour l’humain.
Malgré les alertes, « les producteurs de PVC se sont efforcés de dissimuler durant des années la toxicité du CVM et les dangers encourus par les travailleurs comme par les consommateurs », note Gaspard Lemaire dans un article. Ainsi, à partir des années 1960, ce plastique a inondé le marché des canalisations, en plein boum. En France, « l’adduction d’eau dans la partie ouest du pays n’est survenue que dans les années 1960-1970 », raconte Frédéric Blanchet, de l’Association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement (Astee). Beaucoup de hameaux, de fermes isolées ont été raccordés à cette époque-là.
Dans les années 1980, de nouveaux procédés de fabrication ont permis d’éliminer la majeure partie du CVM dans le PVC. Mais le mal était déjà fait. Le ministère de la Santé estime à environ 140 000 km le linéaire de canalisations en PVC posé avant 1980 ou dont la date de pose est inconnue [2]. « C’est considérable », remarque Franco Novelli, de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).
« Les législateurs ont gravement
manqué de diligence »Pourtant, il a fallu attendre plusieurs décennies avant que les pouvoirs publics ne prennent la mesure du problème. « Informés des risques liés à la contamination des réseaux d’eau par cette substance, les législateurs ont gravement manqué de diligence », observe ainsi Gaspard Lemaire dans son article. Ce n’est qu’en 1998 que l’Union européenne a fixé un seuil à ne pas dépasser pour le CVM dans l’eau potable : 0,5 microgramme par litre (µg/L).
Puis, « alors que l’État français aurait dû mettre en place des mesures visant à éviter ces dépassements, la première campagne systématique visant à détecter la présence de [cette substance] dans l’eau ne date que de 2011 », indique le chercheur. Interrogé par Reporterre, le ministère de la Santé livre une version différente : « L’analyse du chlorure de vinyle monomère (CVM) dans l’eau du robinet est systématique depuis 2007 », nous a-t-il indiqué par courriel.
Une vision enjolivée de l’histoire : en 2007, le gouvernement a pris un arrêté qui prévoit enfin la mise en place d’analyses des eaux potables. Mais la première mission de détection du composé toxique dans les réseaux n’a été menée qu’en 2011, nous a affirmé l’Astee, qui a participé à ce programme. Des recherches tardives, qui ont confirmé les craintes des autorités.
Depuis une dizaine d’années, les signaux rouges se sont ainsi multipliés. Des habitants ont découvert du jour au lendemain qu’ils ne pouvaient plus consommer l’eau du robinet, comme Reporterre le racontait en 2017. Des communes se sont retrouvées à devoir distribuer de l’eau en bouteille. En urgence, des syndicats des eaux ont ouvert les vannes de leurs canalisations et mis en place des purges pour vider les réseaux des eaux contaminées [3]. Bref, c’est le branle-bas.
Des petites communes laissées-pour-compte
Mais pas question de laisser s’ébruiter le scandale ! Comme Reporterrel’a raconté, les habitants sont souvent peu ou pas informés de la pollution. Et les autorités sanitaires renâclent à livrer leurs analyses. Après plusieurs réclamations et un passage par la Commission d’accès aux documents administratifs, Gaspard Lemaire a cependant obtenu de neuf agences régionales de santé (ARS) les résultats des prélèvements effectués.
D’après ces résultats, transmis à Reporterre et aux médias Le Monde, Politis, France culture et « Envoyé spécial », 6 410 non-conformités ont été identifiées entre 2014 et 2024 dans neuf régions. Les dépassements de limites de qualité atteignent jusqu’à 1 400 fois le seuil fixé par la réglementation européenne. Avec des disparités fortes entre territoires : en Normandie, 11 % des prélèvements d’eau se sont révélés non conformes, alors que ce taux tombe à 0,5 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Les neuf régions analysées : Normandie, Haut-de-France, Bourgogne-Franche-Comté, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine, Grand Est, Bretagne, Corse. Pxhere/CC0
Globalement, les petites communes en bout de réseau sont les plus affectées, car l’eau ayant tendance à stagner dans les canalisations se charge en CVM [4]. Au total, d’après une instruction du ministère de la Santé publiée en 2020, « plus de 120 000 analyses de CVM ont été réalisées sur le réseau de distribution d’eau depuis octobre 2012 avec un taux de conformité proche de 97 % ».
Pas très rassurant, estime Gaspard Lemaire : « Un taux de non-conformité de 3 % laisse penser qu’un nombre important de Français sont manifestement exposés au CVM. » Aucune estimation précise du nombre de communes et de personnes affectées n’a été diffusée. Mais selon une note de position de l’Institut de veille sanitaire publiée en 2010, 600 000 personnes seraient concernées par des niveaux de CVM non conformes. Le chercheur dénonce ainsi une « dissimulation du problème de la part de l’État […] qui a systématiquement minimisé les risques ».
Des solutions trop coûteuses
Comment expliquer une telle attitude des pouvoirs publics ? Nous avons posé la question au ministère, qui estime — comme nous l’avons écrit plus haut — avoir réagi dès 2007. Soit, tout de même neuf ans après l’adoption de la directive européenne sur ce sujet. Dans son courriel, l’exécutif indique aussi être allé « plus loin que la réglementation européenne », qui ne requiert pas de prélèvements ni d’analyses poussées de l’eau potable. Pour le reste, il nous renvoie vers les collectivités propriétaires des réseaux, « en charge des travaux nécessaires en cas de présence de CVM ». En clair : circulez, il n’y a rien à voir.
Pour Frédéric Blanchet, de l’Astee, la prise de conscience (tardive) des autorités s’explique par un manque d’expertise : « Dans le domaine de l’eau, il existe une barrière analytique : on ne peut évaluer que ce qu’on sait analyser, indique-t-il. Pendant longtemps, on ne savait pas quantifier du CVM à 0,5 µg/L. » Autant chercher une aiguille dans une botte de foin sans bonnes lunettes.
L’expert se souvient aussi du « flou total » à la fin des années 2000, quand il est apparu urgent de traiter cette contamination. « On voyait apparaître de plus en plus de non-conformités [d’eau potable avec trop de CVM], et on ne savait pas quoi faire, se souvient-il. On avait très peu d’exemples d’autres pays et de référentiels réglementaires pour gérer ces situations. »
Un argument nuancé par Gaspard Lemaire : « Aux États-Unis, dès 1975, l’Agence de l’environnement avait été en mesure de détecter la présence de CVM dans l’eau avec un seuil de détection de 0,03 µg/L », note-t-il dans son article. Pour le chercheur, la raison de l’inaction étatique tient plutôt à la complexité du sujet : une fois que le problème est connu et reconnu, il faut agir. Or les solutions sont coûteuses et difficiles à mettre en place.
« C’est vraiment un casse-tête »
« Quand on constate des dépassements répétés de la limite de 0,5 µg/L, l’eau est déclarée non conforme, et on a trois ans pour gérer le problème, détaille Franco Novelli. On peut diluer l’eau contaminée, distribuer de l’eau en bouteille, purger les canalisations… Mais à terme, la seule solution, c’est de remplacer les tuyaux. »
Or cette dernière — et unique — solution prend du temps, beaucoup de temps. Il faut d’abord déterminer les canalisations à risque à l’aide de modèles informatiques complexes, puis effectuer une série de prélèvements. Dans les Côtes-d’Armor, il a ainsi fallu plus de deux ans pour juste identifier précisément les 77 km problématiques, sur les 4 500 km de tuyauterie départementale. « Si l’on veut faire les choses bien, avec précision, il faut prendre du temps », indique Joël Rivallan, ancien directeur de syndicat départemental des eaux.
Mais même une fois les tronçons incriminés bien identifiés, encore faut-il pouvoir les changer ! Le changement de 1 kilomètre de canalisation coûte entre 50 000 et 200 000 euros selon la configuration des lieux, d’après les chiffres transmis par le ministère.
Une somme colossale, que les petites communes rurales — principalement concernées — n’ont généralement pas. « C’est vraiment un casse-tête, soupire Bertrand Hauchecorne, premier élu de la commune de Mareau-aux-Prés dans le Loiret et membre de l’Association des maires ruraux de France. Comme on n’a pas les moyens de renouveler les réseaux, on fait des emprunts, mais cela augmente le prix de l’eau, parfois à des montants difficilement acceptables par les usagers. »
Car malgré les promesses du président Macron, les aides ne sont pas à la hauteur. « Le plan eau n’a pas eu d’effet sur le terrain, constate l’édile. Les Agences de l’eau ont des moyens en baisse, le Fonds vert se réduit peu à peu et les dotations des départements ne sont pas systématiques. » Face à ce mur d’investissement, les pouvoirs publics semblent ainsi tentés par la stratégie de l’autruche.
« C’est difficile d’informer le public sur le fait que les canalisations sont cancérogènes, et que pendant des années on n’a rien fait », résume Gaspard Lemaire. Ainsi, pour le chercheur, « la gestion de cette affaire ne relève nullement d’un cas isolé, mais témoigne d’une incapacité généralisée de l’État à protéger les citoyens contre les menaces sanitaires croissantes ».
Plusieurs centaines de milliers de Français exposés à la pollution des canalisations d’eau au chlorure de vinyle monomère, classé cancérogène
Cette substance toxique est relâchée dans l’eau potable par la dégradation de certains tuyaux en PVC installés dans les années 1970. Des recours en justice viennent d’être engagés contre l’Etat pour « négligences fautives ».
XAVIER LISSILLOUR
Saint-Antonin, Homps et Sérempuy dans le Gers, mais aussi Châtenoy, Sury-aux-Bois et Viglain dans le Loiret, Luzillé en Indre-et-Loire, ou encore Saint-Martin-le-Bouillant dans la Manche… La liste des communes françaises où l’eau du robinet n’est plus potable ne cesse de s’allonger. La faute aux polluants éternels ? Non. Aux pesticides ? Non plus. La contamination des ressources en eau dans ces communes essentiellement rurales porte une autre signature, moins connue du grand public : CVM, pour chlorure de vinyle monomère.
Classée cancérogène certain pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer depuis 1987, cette substance chimique a été utilisée dans la fabrication des canalisations publiques en PVC (polychlorure de vinyle) déployées, en France, dans les années 1970, pour remplacer celles en plomb. Près d’un demi-siècle plus tard, certaines de ces canalisations continuent de relarguer des résidus de CVM et plusieurs centaines de milliers de foyers français y sont exposés, la plupart du temps sans le savoir, en buvant l’eau du robinet.
« Un scandale sanitaire majeur », dénonce le chercheur Gaspard Lemaire, doctorant au sein de la chaire Earth du Centre Jean-Bodin, de l’université d’Angers, et enseignant en droit de l’environnement à Sciences Po. Dans un article académique publié jeudi 16 janvier sur le site de sa chaire de rattachement et qui s’appuie sur l’analyse de rapports publics, de publications scientifiques et de données transmises par les agences régionales de santé (ARS), l’auteur pointe du doigt l’inertie des autorités européennes et françaises.
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La directive européenne sur la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine fixe depuis 1998 une valeur limite de 0,5 microgramme par litre (µg/l) de CVM à ne pas dépasser. Plus d’un quart de siècle plus tard, elle n’est toujours pas respectée en France. Ce n’est qu’en 2003, soit cinq ans après l’adoption de la directive, que les exigences européennes sont transposées en droit français. Il faudra attendre quatre années supplémentaires pour que les premières analyses de CVM dans l’eau soient diligentées, et 2011 pour une première campagne nationale.
« Je veux que les responsables paient »
L’avocate Gabrièle Gien dénonce la responsabilité de l’Etat et en particulier du ministère de la santé. Selon nos informations, elle a déposé, jeudi 16 janvier, un premier recours devant le tribunal administratif d’Orléans, pour faire reconnaître « les négligences fautives de l’Etat ». Les requérants, la famille Hue, habitent depuis 1995 à Châtenoy, petite commune du Loiret. En juillet 2014, l’ARS commence à dépister le CVM dans le réseau qui alimente le village (159 habitants) : les résultats mettent en évidence des dépassements. Pourtant, ce n’est qu’en juillet 2023 que la famille Hue, à l’instar d’une cinquantaine de foyers, reçoit un courrier du Syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable (Siaep) de Châtenoy, Sury-aux-Bois et Combreux, lui interdisant de consommer l’eau du robinet sur recommandations de l’ARS.
Nicolas Hue est « révolté ». « Je veux que les responsables paient, explique-t-il. On a trouvé des milliards pour rendre la Seine baignable pour les Jeux olympiques mais nous, dans les petits villages, on nous a laissés boire de l’eau pendant des années alors qu’on savait qu’elle était contaminée par un produit cancérogène. » Le père de Nicolas Hue est mort d’un cancer du foie, mais c’est surtout pour sa fille de 4 ans qu’il s’inquiète : « Aujourd’hui, elle est en bonne santé mais qui sait si, dans quelques années, elle ne développera pas un cancer ou d’autres maladies. »
La famille a également engagé, en novembre 2024, une action devant le tribunal judiciaire d’Orléans contre le Siaep, pour violation de son obligation de distribuer de l’eau potable et d’information. Contacté, le président du syndicat, Jacques Lemercier, assure n’avoir « rien caché ». Selon lui, les résultats étaient « disponibles sur le site du Siaep » et « portés à la connaissance des élus » des trois communes concernées. Il explique avoir lancé un diagnostic de l’état du réseau dès 2019, qui a conduit à engager le remplacement de neuf tronçons sur 75. Les travaux ont débuté le 13 janvier.
L’audience est programmée le 13 mars. La première d’une longue série. Me Gien a saisi le tribunal judiciaire d’Orléans dans 16 autres dossiers et lancé, jeudi 16 janvier, une plateforme numérique nationale pour permettre à d’autres « victimes du CVM », partout en France, d’aller devant les tribunaux pour obtenir des indemnisations ou un diagnostic CVM de leur eau potable. Contactée, la Direction générale de la santé se défend : « La France va plus loin que la réglementation européenne en mesurant directement le CVM dans l’eau, alors que la réglementation européenne ne prévoit que d’estimer par calcul la présence théorique de CVM dans l’eau, sans mesure. »
Absence d’état des lieux complet
L’avocate fait le parallèle avec le scandale du chlordécone aux Antilles : « Depuis plus de cinquante ans, l’Etat français a laissé des centaines de milliers de consommateurs d’eau ingérer du CVM, une substance classée cancérogène. Il doit aujourd’hui à la fois réparer sa faute et assurer la mise en conformité des canalisations d’eau. » Avec comme différence de taille que l’impact sanitaire réel de l’exposition chronique au CVM est inconnu.
« On dispose d’études épidémiologiques sur les travailleurs exposés à de fortes doses en usine, qui montrent l’effet sur les cancers du foie, dit Hervé Conraux, responsable de l’association Action Comité Citoyen-France Nature Environnement (ACC-FNE), qui documente cette pollution dans la Sarthe depuis plus de huit ans. En revanche, il n’y a que des données toxicologiques et non épidémiologiques, sur les effets d’une exposition chronique par le biais de l’eau potable. Lorsque l’administration prétend qu’il n’existe aucune preuve d’un effet par cette voie d’exposition, c’est parce que les pouvoirs publics ne se sont pas donné les moyens de répondre à la question. »
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Quelle est la part de canalisations qui pose problème à l’échelle de la France ? Faute d’un état des lieux complet du patrimoine du réseau d’eau potable français, les chiffres divergent. Environ 140 000 kilomètres de canalisations seraient concernés (sur un réseau total estimé à plus de 900 000 kilomètres), selon le ministère de la santé. Jusqu’à 340 000 kilomètres, selon les délégataires de service public d’eau. Même grand écart concernant l’estimation du nombre de Français exposés au CVM. Selon une note de 2010 de l’Institut de veille sanitaire (aujourd’hui Santé publique France), 600 000 personnes consommaient une eau dont les niveaux de CVM dépassaient la limite de qualité, fixée à 0,5 µg/l. Une instruction publiée en 2020 par la direction générale de la santé mentionne un « taux de conformité proche de 97 % », sur la base de plus de 120 000 analyses de CVM effectuées depuis 2012. Trois pour cent de non-conformité, donc, soit potentiellement 2 millions de personnes exposées à des niveaux de CVM qui ne respectent pas la réglementation.
Dordogne et Orne, les départements les plus touchés
Les données obtenues par Gaspard Lemaire auprès de huit ARS (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Bretagne, Grand-Est, Hauts-de-France, Normandie, Nouvelle-Aquitaine et Provence-Alpes-Côte d’Azur) confirment ce chiffre, avec un total de 6 410 dépassements du seuil de qualité sur la période 2014-2023, soit près de 3 % des prélèvements. Cela représente près de 10 % des communes concernées par au moins un résultat non conforme. L’essentiel des cas de pollution est constaté en zone rurale en bout de réseau : plus l’eau stagne, plus la charge en CVM est élevée. Elle augmente aussi avec l’ancienneté des tuyaux et la chaleur.
Selon l’analyse des données transmises par les ARS, le record de France reviendrait à la commune de Val de Louyre et Caudeau (réunion de trois villages de Dorgogne), avec un pic mesuré à 738 µg/l en juillet 2022, soit plus de 1 400 fois le seuil légal. Contactée, la municipalité n’a pas répondu. Avec l’Orne (1 196 dépassements répertoriés), la Dordogne (912) fait partie des départements les plus touchés.
Ces chiffres sont sans doute largement sous-estimés. Parmi les ARS qui n’ont pas transmis leurs données, celles du Centre-Val de Loire, des Pays de la Loire et d’Occitanie comptent parmi les régions où les canalisations en PVC datant d’avant 1980 sont les plus fréquentes. On apprend tout de même sur le site de l’ARS Centre-Val de Loire que 7 % des 1 542 analyses effectuées en 2022 dépassaient encore la limite de qualité.
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Que valent ces estimations ? Si on se réfère à la base nationale de la qualité des eaux alimentée par les ARS, le taux de non-conformité moyen se limiterait à 2 % en 2023 et en 2024 au niveau national. Des chiffres qui minorent le problème pour Hervé Conraux, de l’ACC-FNE. L’association a utilisé la loi sur l’accès à la documentation administrative pour exiger l’ensemble des mesures conduites par l’ARS des Pays de la Loire, dans le département de la Sarthe. « A partir de ces données, nous nous sommes rendu compte que le taux de dépassement pour le CVM était de 21 % entre 2013 et 2023 sur le département, ce qui ne correspond pas aux 2 % de dépassement environ, qui ressortent de l’analyse de la base de données nationale sur la qualité de l’eau », explique M. Conraux.
Contactée, l’ARS des Pays de la Loire ne conteste pas ce hiatus, et précise qu’une part des mesures ciblent les secteurs des réseaux les plus susceptibles d’être concernés par des excès de CVM. « Du fait de la localisation ciblée de ces prélèvements, les résultats d’analyses obtenus ne sont pas représentatifs de la qualité de l’eau consommée par l’ensemble des abonnés des unités de distribution concernées [c’est-à-dire la totalité d’un réseau de distribution, dont la qualité est supposée homogène], explique-t-on à l’agence. Pour cette raison, l’ARS ne fait volontairement pas remonter les valeurs associées sur le site national. » Une méthode qui, selon l’ACC-FNE, masque en partie le problème. Toutefois, l’ARS Pays de la Loire assure qu’« une communication spécifique a été faite aux abonnés concernés pendant la campagne ».
Ardoise astronomique
Combien de kilomètres de canalisations en PVC posées avant 1980 reste-t-il à changer, et pour quel coût ? La direction générale de la santé renvoie vers le ministère de la transition écologique. Contacté, ce dernier renvoie… vers le ministère de la santé. L’agence de l’eau Loire-Bretagne, dont le bassin hydrographique couvre près de 30 % du territoire hexagonal (34 départements pour 13 millions d’habitants) est l’une des premières à avoir accompagné les collectivités rurales touchées par des dépassements de norme pour les aider à financer le remplacement des canalisations concernées. Sur son programme 2019-2024, elle a participé au remplacement de 550 kilomètres de réseau d’eau potable relarguant du CVM. Selon ses estimations, le coût moyen s’est envolé, pour passer en cinq ans de 75 à 90 euros hors taxe par mètre linéaire. « Localement, la facture peut même grimper à 200 euros le mètre », ajoute Régis Taisne, chef du département « cycle de l’eau » à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies.
La facture du remplacement de l’ensemble des canalisations contenant du CVM s’élèverait donc entre 12,6 milliards – avec l’hypothèse basse de 140 000 kilomètres de linéaires concernés – et 30,6 milliards (340 000 kilomètres). L’étendue du problème est en réalité très difficile à établir. « Les canalisations qui relarguent du CVM ne sont pas toutes clairement identifiées, car ni un fabricant ou une usine spécifiques, ni même une date précise de fabrication n’est en cause, dit M. Taisne. Le défaut de ces tuyaux provient de petites variations de la température lors du processus de fabrication : on parle de “mauvaise polymérisation” du matériau. Il est donc impossible de tracer la localisation des canalisations posées avant 1980 qui doivent effectivement être remplacées. »
Dans tous les cas, l’ardoise est astronomique pour les petites collectivités : 3 millions d’euros pour le village de Viglain (854 habitants) dans le Loiret, jusqu’à 46 millions pour le syndicat des eaux de Mirande qui couvre 22 communes dans le Gers. « On constate que les communes, en particulier les plus rurales, qui exercent seules la compétence eau potable sont en difficulté pour identifier les réseaux à risque, réaliser les analyses et les travaux », indique-t-on à l’agence de l’eau Loire-Bretagne. En octobre 2024, le sénateur du Gers, Alain Duffourg (Union centriste, UC) a interpellé le gouvernement pour obtenir « une participation de l’Etat à cette charge importante pour les collectivités ». A ce jour, il n’a pas reçu de réponse.
Stéphane Foucart et Stéphane Mandard
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L'argent public
- Par Thierry LEDRU
- Le 06/09/2025
A celles et ceux qui l'ignoreraient, les partis politiques reçoivent de l'argent public. Beaucoup d'argent public.
Personnellement, ça me met en rage.
Que ça soit le RN ou n'importe lequel, je m'en fiche. Le problème n'est pas là.
Il va falloir que je passe à autre chose. Le sujet "politique" est sans aucun doute celui qui m'irrite au plus haut point.
Le Rassemblement national devient le premier bénéficiaire de l'aide publique aux partis en 2025 et va percevoir près de 15 millions d'euros
Le parti d'extrême droite tire ainsi profit de ses résultats aux élections législatives anticipées de 2024.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
France Télévisions
Publié le 06/09/2025 18:25 Mis à jour le 06/09/2025 18:36
Temps de lecture : 2min
Conséquence de sa poussée aux dernières législatives, le Rassemblement national va percevoir cette année près de 15 millions d'euros d'aide publique aux partis politiques, devenant pour la première fois le principal bénéficiaire de ce dispositif, devant le camp présidentiel et le Parti socialiste.
Plus d'un an après les élections législatives anticipées, et maintenant que tous les recours ont été purgés par le Conseil constitutionnel, les partis politiques vont enfin pouvoir toucher leur dû : soit un peu plus de 64 millions d'euros pour l'année 2025, selon un décret paru samedi 6 septembre au Journal officiel(Nouvelle fenêtre).
Cette somme est répartie en fonction du nombre de voix au premier tour des législatives et du nombre de parlementaires élus. Deux critères qui profitent pleinement au RN, avec un total de 14,8 millions d'euros d'aide publique. Le parti d'extrême droite détrône ainsi la coalition présidentielle (Renaissance, MoDem et autres) pour l'année 2025, qui passe de 19,5 à 11,3 millions de financement public.
La subvention de LFI et LR en baisse
Le Parti socialiste voit sa subvention bondir de 4,7 à 7,9 millions, à la faveur de l'accord scellé l'an dernier avec les autres partis de gauche sous la bannière du Nouveau Front populaire. Une alliance dont La France insoumise paye en revanche le prix, puisque son aide fond de 7,9 à moins de 6,7 millions d'euros, alors que les subventions des Ecologistes (3,5 millions) et du Parti communiste (2,1 millions) sont globalement stables.
Autres perdants, Les Républicains voient leur dotation chuter de 9,5 à 7,4 millions, en grande partie par leur faute : plus d'un million d'euros leur est en effet retiré pour non-respect de la parité car Les Républicains ont présenté deux fois plus de candidats que de candidates. Idem pour l'Union des droites pour la République : la formation d'Eric Ciotti avait investi cinq fois plus d'hommes et a été privé de plus de 1,3 million d'euros.
La formation Reconquête d'Eric Zemmour perd elle la quasi-totalité de ses financements (de 1,5 million à 200 000 euros), à cause de la parité mais surtout de sa débâcle aux législatives anticipées.