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Robert Linssen.
- Par Thierry LEDRU
- Le 27/08/2010
Robert Linssen
Un vieil article synthétique et passionnant du site 3eme millénaire
(on ne peut pas mieux résumer le sujet)
CELA, en qui résident tous les êtres et qui réside en tous les êtres, qui est le dispensateur de la grâce à tous les êtres, l'Âme Suprême de l'univers, l'Être sans limite : JE suis CELA !
Amritbindu Upânishad
CELA, qui pénètre toutes choses, que rien ne dépasse, qui investit toutes choses dans l'intérieur et l'extérieur, ce Suprême Brahman : tu es CELA !
Sankaracharya
Les présentes réponses sont destinées à ceux qui sont sérieusement engagés dans le domaine de la recherche intérieure. Nos commentaires pourraient donner l'impression d'un caractère exceptionnel et des difficultés de l'Éveil. Rien ne devrait être plus simple et naturel que l'obéissance à la nature profonde de soi et des choses. Parce que nous sommes trop compliqués, il nous semble "compliqué" de réaliser la suprême simplicité. Certains y arrivent spontanément sans le recours aux informations qui sont présentées ici. Tout simplement la "divine surprise" leur est arrivée parce que le moment était venu. L'ère nouvelle est celle de la Plénitude de l'état sans ego...
D'un siècle à l'autre…
Question : Vous avez traversé ce siècle en croisant sur votre chemin bon nombre de guides et sages de premier plan : Krishnamurti, D. T. Suzuki, Wei Wu Wei... Que vous ont-ils apporté de plus précieux ? Au-delà de leurs différences, quelle est l'unité essentielle de leurs enseignements ?
Robert Linssen : Les "Éveillés" avec lesquels j'ai vécu m'ont appris à "être rien". Ils ont contribué à la prise de conscience de mes conditionnements et m'ont aidé à situer les révélations spirituelles spontanées et non recherchées, antérieures à leur rencontre. Le vécu de leur réalisation, la puissance d'Amour dont ils sont les instruments sont des aides précieuses dont ils nous apprennent à ne pas dépendre. Ils ne se prennent pas au sérieux et refusent tout témoignage de vénération. La qualité de leur simplicité, de leur amitié, de leur sourire ou parfois de leur gravité est remarquable. L'unité essentielle de leurs enseignements se traduit par l'exigence d'une vigilance d'attention et une intransigeance d'affranchissement des "énergies résiduelles" telles que mémoires, concepts, états d'autohypnose, identification superficielle au corps et à l'image de soi...
Question : Avec le recul, pensez-vous que le XXème siècle ait été, à sa manière, "spirituel", pour reprendre la formule d'André Malraux ?
Robert Linssen : Le XXème siècle est celui de la dématérialisation de la matière, paradoxalement mise en évidence par la physique, science de la matière par excellence. La physique moderne démontre que ce que nous concevions comme caractères spécifiques de la matière, tels que solidité, dureté, immobilité, est illusoire. Un bloc de marbre n'est pas immobile. Ses molécules effectuent plusieurs milliards d'oscillations par seconde. Les particules qui en constituent à nos yeux la matérialité ne possèdent aucune solidité, aucune dureté, ce ne sont qu'ondes et champs, n'ayant aucun contour défini. Ces particules vivent, possèdent une mémoire, se recréent toutes des milliards de fois par seconde, manifestent une forme supérieure de sensibilité et d'adéquacité.
Dans son dialogue avec le Dr Renée Weber, David Bohm met en évidence le caractère d'intelligence et de conscience des électrons. Ceux-ci observent leur environnement exactement comme le font les êtres humains. Le terme "observer" signifie "rassembler, prêter attention à". L'électron rassemble de l'information à notre propos, à propos de l'ensemble de l'univers. (Dr R. Weber, Dialogues avec des scientifiques et des sages, page 199) Non seulement les électrons observent mais ils agissent instantanément en conséquence. Ils expriment dans leur comportement une qualité de vigilance infiniment supérieure à la nôtre. Leur sensibilité à l'égard du milieu ambiant est admise officiellement dans la physique nouvelle sous la dénomination "effet Bohm-Aharonov". Telles étaient les raisons pour lesquelles les anciens Maîtres du Ch'an et du Zen déclaraient que toutes les choses, aussi bien les pierres que les êtres vivants, "sont les yeux de la Réalité Suprême". Il n'existe pas de "particule" séparée, toutes sont en interfusion réciproque avec les particules et les champs de l'univers. Cette "dématérialisation de la matière" a contribué de façon importante à la convergence grandissante entre les traditions spirituelles antiques et les sciences nouvelles.
Question : Comment voyez-vous le prochain siècle : une ère de mutation, d'éclosion ou au contraire de décadence ?
Robert Linssen : Votre question appelle obligatoirement une réponse impliquant le passé et l'avenir. Le XXème siècle se situe au début du déclin du matérialisme, tandis que ses découvertes ont abouti à une renaissance sans précédent d'une spiritualité nouvelle. Des expressions telles que "vision holistique", "vue pénétrante", "présence au Présent", "ici-maintenant" étaient presque inconnues jusqu'en 1960, mais dès 1970, elles se trouvent de plus en plus évoquées. La rapidité de ce développement dépasse ce qui était imaginable et laisse présager un XXIème siècle extraordinaire.
Selon certains "Sages", le XXème siècle se situe au croisement de deux cycles : le Kâli Yuga et le Satya Yuga. Dès la fin du XIXème siècle, la fin du Kâli Yuga s'annonce par la naissance de divers "Sages" qui seront pendant le XXème siècle les porte-paroles des enseignements qui prépareront le Satya Yuga : Sri Ramakrishna, Vivekananda, Sri Aurobindo, Sri Ramana Maharshi, Sri Nisargadatta, Wei Wu Wei, Sam Tchen Kâm Pâ, Krishnamurti, Ananda Moyi. Cette rubrique étant loin d'être limitative. Le Kâli Yuga est l'âge de la maturation du mental et des ego. C'est l'âge du fer et du sang, de l'activation du cerveau gauche, des cloisonnements, de la fragmentation, des analyses, des progrès techniques, de la matérialité. En revanche, le Satya Yuga est l'âge de la spiritualité, du dépassement des ego, de la vision holistique, du dépassement des parties au bénéfice du Tout. Le Satya Yuga est l'âge de l'activation du cerveau droit, inspirateur des synthèses et destructeur des séparations artificielles. La fin du Kali Yuga et le commencement du Satya Yuga se confondent au cours d'une période "charnière" de transition se situant entre 1869 et 2002. Quelques années après les naissances des "Sages" cités plus haut, apparaissent les travaux d'Einstein, Planck (1905), Louis de Broglie (1925-1941 : dématérialisation de la matière), etc... Les périodes de transition entre deux âges ou "Yugas" voient l'effondrement des valeurs et structures anciennes parallèlement à la naissance de valeurs nouvelles et d'innovations dans tous les domaines.
L'ampleur des crises du XXème siècle (crises économiques, sociales, politiques, corruption, violences, pollution, maladies nouvelles, guerres, cruautés, tortures, permissivité, etc...) est la matérialisation d'énergies négatives dont l'origine remonte à plusieurs siècles d'erreurs. Ces erreurs et les crises qui en résultent ont été mémorisées, enregistrées sous forme de champs. Selon les Éveillés, les crises sont des occasions permettant à l'inconscient des individus et des collectivités qui les enregistrent à leur insu, d'accéder à des prises de conscience nouvelles et découvrir les corrections nécessaires. La fin du XXème siècle est le théâtre d'une précipitation d'événements dramatiques libérant la dette énorme d'un karma collectif dont la part la plus importante devrait se liquider au cours des dix prochaines années. Le rythme des événements manifestant cette liquidation doit devenir de plus en plus rapide, intense et atteindre tous les secteurs et niveaux d'énergies ou activités.
L'envers et l'endroit
Question : Depuis votre enfance, vous avez eu le pressentiment du caractère partiellement illusoire du monde matériel : ''J'ai toujours eu l'impression que l'essence de la matière est spirituelle" écrivez-vous. Vous rejoignez en cela la nouvelle physique ‘’gnostique’’, représentée notamment par David Bohm, selon laquelle ‘’le monde extérieur perçu par nos sens n'est que l'Envers, aux formes multiples, d'un Endroit unique et fondamental de nature spirituelle.’’ Dans L'Univers, corps d'un seul vivant, vous précisez cette intuition. Loin d'être une dimension chimérique et inexpérimentable, la perception de l'invisible passe par une sorte de toucher spirituel : ‘’faculté tactile nouvelle nous permettant de nous sensibiliser à la haute concentration d'énergie des dimensions spirituelles de l'Univers...’’ En quoi consiste cette faculté tactile supérieure ? N'y a-t-il pas là le risque de tomber dans le piège d'une sorte de ‘’matérialisme spirituel’’ ?
Robert Linssen : La sensibilisation à la substantialité des niveaux spirituels résulte de notre obéissance à la Nature profonde des choses et à la non-identification au corps. Il est impossible, au niveau verbal, de trouver des expressions adéquates de la substantialité des énergies impliquées dans la vision holistique. On peut tenter d'utiliser des images capables de suggérer les aspects qualitatifs de la perception globale immédiate. Le "toucher de la grâce" est souvent évoqué par les mystiques. Ce "toucher" est une conséquence du caractère "substantiel" des énergies spirituelles. Mais une mise au point importante s'impose sans laquelle une confusion regrettable semble inévitable. Les plus hautes concentrations d'énergie se trouvent aux niveaux et dimensions spirituelles. L'ouverture aux énergies de ces niveaux confère à notre sensibilité psychique un contact d'une intensité telle que nous sommes tentés d'évoquer celui que le toucher physique éprouve en relation avec la substantialité des objets matériels. Mais dans ce domaine, les comparaisons sont souvent dangereuses.
Krishnamurti lui-même, très sévère, prudent et dépouillé dans ses tentatives d'expression de la "vision pénétrante", utilise l'expression de "penser-sentir". Mais avant de formuler son commentaire du mot "sentir", il prend la précaution d'exposer certaines réserves : "Le mot sentir est trompeur, il contient plus que l'émotion, plus que le sentiment, plus que l'expérience, plus que le toucher, l'odorat. Malgré son imprécision, l'emploi de ce mot s'impose surtout quand il est question de l'Essence. La sensation de l'Essence ne passe pas par le cerveau." (Carnets, pages 94) Toujours dans ses Carnets (pages 59 et 115), Krishnamurti utilise des termes évoquant encore plus directement le caractère "substantiel" des énergies spirituelles en leur attribuant une impression de solidité, mais conscient du danger de ce terme, il en souligne ensuite l'inadéquacité. Nous lisons : "Dans ce vaste silence survint ce qui était devenu l'être solide, inépuisable. Solide, sans poids, sans dimensions ; il était là et plus rien d'autre n'existait. Il était là, seul. Les mots solide, immuable, impérissable ne transmettent aucunement cette qualité de stabilité intemporelle." Et page 115 : "Cette force qui est bénédiction était avec nous. Elle est d'une solidité énorme, impénétrable. Aucune matière ne pourrait être d'une telle solidité." Il est évident — répétons-le à dessein — que les termes "solidité", "substantialité" sont utilisés dans le seul but d'évoquer l'intensité et le caractère prioritaire de l'Essence ultime. Telle est également la raison pour laquelle les expressions "Corps de Bouddha", "Corps du Christ" ou "Corps de Vérité" (Dharma Kaya) sont fréquemment utilisées. Le terme "Corps" est ici dégagé de toutes les qualités de la matière et se réfère à l’intensité de ce que nous désignons par "l'holomouvement-conscience-amour".
Question : Pouvez-vous éclairer cette image trinitaire d’ "holomouvement-conscience-amour" ?
Robert Linssen : En raison de l'impossibilité absolue de représentation mentale, de formulation mathématique du divin, les tentatives d'explication verbale sont inadéquates, malaisées. L'Univers est le Corps d'un seul vivant. Et ce Vivant a et est un mouvement : mouvement suprême, à jamais inconnaissable pour l'intellect, mouvement intemporel, non-linéaire, soutenant et alimentant la Totalité des dimensions de tous les Univers en parfaite instantanéité. C'est ce que David Bohm nomme "holomouvement" : un mouvement sans cause, sans direction, un mouvement de création porteur d'une énergie infinie qui est elle-même conscience-intelligence suprême et amour. L'ampleur des difficultés d'expression verbale met le chercheur dans l'obligation du vécu intérieur par la méditation. Toute tentative de conceptualisation est ici vouée à l'échec. Cet interdit est donc utile. Pour ces raisons, les Éveillés déclarent que seul le Silence est l'éloquence suprême dépassant le langage familier en évitant ses malentendus.
Il est utile de rappeler ici que l'Essence nouménale, tout en étant la Source et le niveau de la plus haute concentration d'énergie est "Shunyata", le Vide. Le "vide" n'est pas le néant mais l'absence de toutes nos qualités familières : "nirguna", l'absence d'attributs. Ceci montre à quel point des mots tels que "corps", "corporéité cosmique", "substantialité", "solidité" parfois utilisés par des Éveillés ou mystiques doivent être pris dans une autre acception. Les spécialistes de la nouvelle physique sont confrontés avec les mêmes difficultés et paradoxes. Ils déclarent que "seuls les champs sont substantiels et que, par contraste, le monde matériel qui nous est familier serait presque insubstantiel".
Deux conclusions s'imposent concernant notre réponse.
• Premièrement : l'impossibilité dans laquelle se trouve le langage ordinaire pour exprimer adéquatement l'Essentiel, non seulement au niveau ultime mais déjà aux niveaux des champs intermédiaires. Cette impossibilité ne disparaîtra pas par les tentatives de création d'un langage nouveau tel par exemple "le rhéomode" suggéré par David Bohm. Cette tentative intéressante et louable donne priorité aux verbes par rapport aux substantifs. Elle est inspirée par la priorité absolue de l'holomouvement et du Vivant par rapport au résiduel.
• Deuxièmement : l'impossibilité et l'inexistence de langages et commentaires adéquats est excellente parce qu'elle nous oblige à nous vider l'esprit des mots, concepts, pour mourir à nous-mêmes en plongeant dans l'Inconnu et intégrer ce qui nous reste de nous dans le Vivant.
Il n'existe aucun danger de tomber dans le piège d'un matérialisme spirituel, la dématérialisation de la matière étant enseignée par les Éveillés et la nouvelle physique.
Pensée et lucidité
Question : A vos yeux, l'humanité actuelle est minée par son hyper-intellectualité. Sans jeter de discrédit sur la fonction mentale, vous dites qu'elle est surestimée et surtout utilisée d'une manière mécanique et aveugle, qui la pervertit. Dans La méditation véritable, vous écrivez : ‘’Pour la plupart d'entre nous, un instant donné est vécu lucidement dans la mesure où il est "pensé" formulé, circonscrit dans les limites définies d'un ou plusieurs symboles. Consciemment ou inconsciemment, les empreintes de notre formation cartésienne nous conduisent à supposer qu'un moment vécu sans le recours à des idées, à des jugements de valeur où interviennent nos paramètres physiques ou psychologiques, serait chaotique, nébuleux, dépouillé de toute intelligence. Il faut qu'une fois pour toutes nous sachions que la pensée n'est pas l'intelligence. La pensée peut être la négation absolue de l'intelligence. (...) Il existe un état de lucidité sans idée, sans pensée. Un état d'observation naturelle peut être réalisé sans intervention des jugements, des choix, des mesures et des calculs qui nous sont familiers. Le degré d'attention et de lucidité pure d'un moment donné est directement proportionnel à son absence d'idée, à son affranchissement de l'emprise des automatismes anémiques.’’ En quoi la lucidité est entravée par la complexité, le désordre et la rapidité du déroulement des pensées ?
Robert Linssen : La lucidité est un état d'ordre, de clarté, d'intensité d'attention dans la momentanéité de chaque instant. Toute irruption de pensée sous forme d'images, de mots est un écho du passé qui fait écran à la lumière du Présent. Il en résulte une dispersion des énergies faisant obstacle à la "Vision pénétrante". Celle-ci requiert une convergence de toutes les énergies d'attention et de sensibilité dans la momentanéité de l'instant. La rapidité des pensées, leur complexité, leur désordre confèrent à la conscience un caractère de continuité. Elle s'éprouve comme un glissement uniforme dans la durée. Cette apparente continuité et ce glissement uniforme dans la durée constituent l'autodéfense du "Vieil homme". Tel est le véritable bouclier protecteur élaboré par l'instinct de conservation du "moi".
La pensée n'est jamais créatrice. Stan Grof en a exposé clairement les raisons dans sa préface au livre de David Bohm, La plénitude de l'Univers (page 15) : "La pensée humaine en tant que telle est une réponse active de la mémoire qui inclut des éléments intellectuels, émotionnels, sensoriels et somatiques dans un processus unifié et inextricable, celle-ci ne fait que répéter quelques vieux souvenirs ou bien recombine et organise leurs éléments en de nouvelles structures. Il est impossible de créer quoi que ce soit qui soit nouveau dans son principe : dans ce contexte, même la nouveauté est mécanique." Telles sont les raisons pour lesquelles Krishnamurti dénonce le caractère mécanique, répétitif de la pensée et considère que l'apparente continuité de la conscience est une prison : "Psychologiquement, nul ne peut vous emprisonner. Vous êtes déjà en prison !"
Question : Selon vous, l'homme actuel dit "normal" est en fait prisonnier du "règne de la sous-conscience" et reste bloqué à un stade "pré-humain". Ce type de remarque ne risque-t-il pas d'être utilisé d'une manière élitiste, voire "raciste", par certains esprits en mal de domination ?
Robert Linssen : Dès la naissance, nous sommes prisonniers, par notre hérédité, notre éducation. Nous sommes piégés par la prééminence des perceptions sensorielles et l'identification excessive au corps. Que l'on situe la naissance de l'humanité à cent mille ou un million d'années, cette période qui nous semble immense ne représente que quelques heures par rapport aux siècles de vie possible. La phase de maturité des "ego" est à peine ébauchée. Nous considérons les races actuelles comme sous-humaines. Pourquoi ? Parce qu'une espèce, quelle qu'elle soit, est pleinement réalisée lorsqu'elle accomplit complètement, à la mesure de son degré d'organisation, les possibilités que la nature est en droit d'attendre d'elle. La complexité d'organisation et la finesse de l'architecture du cerveau humain, son patrimoine caché d'informations permettent la réalisation d'une plénitude d'intelligence et d'amour.
Il est inconcevable que l'exposé de ces processus conduise à une sorte d'élitisme ou de racisme ! L'Éveillé sait qu'il n'est rien. Dans la méditation véritable, il n'y a plus de "méditant". L'Éveil est un processus naturel, aussi naturel et simple que l'épanouissement d'une fleur. Dans une même plante, les fleurs du sommet sont épanouies tandis qu'au ras du sol des boutons non éclos sont encore refermés sur eux-mêmes. Il n'y a là aucun prétexte autorisant des discriminations d'infériorité ou de supériorité. Il en est de même pour les êtres humains dans leur considération et leur approche de tous les êtres quels qu'ils soient.
Question : En quoi les koans Zen peuvent justement nous permettre de dépasser les limites de la pensée et du mental et participer ainsi à l'éveil de la lucidité ?
Robert Linssen :Certains koans et "mondo" sont assez suggestifs. Ils se présentent soit sous la forme d'énoncés très brefs volontairement absurdes, soit sous forme de questions. En voici quelques exemples :
- Un moine tient une bouteille dans une main et une oie dans l'autre dans l'intention de l'y introduire.
- Un moine en rencontre un autre frottant deux briques l'une contre l'autre pendant des journées entières. Il lui demande : "que fais-tu là ?" "Je m'efforce de les polir pour en faire un miroir." (Symbole de l'inadéquacité du travail mental en vue de l'Éveil.)
- Autre koan classique : "Découvre ce que tu étais et est avant que tes parents t'aient conçu."
- Mondo : Au début de la recherche, les montagnes sont des montagnes. Au milieu de la recherche, les montagnes ne sont plus des montagnes. A la fin de la recherche, les montagnes sont des montagnes.
Le rôle des koans consiste à briser la mécanicité et la routine du processus mental. Les Maîtres Zen présentent à leur élève des problèmes qui ne peuvent pas être résolus par la pensée. Ils conduisent au moment où le méditant déclare enfin "qu'il ne sait pas." Ce non-savoir brise la situation apparemment confortable de l'endormissement et des automatismes du mental. Une ouverture au dépassement du mental peut se produire dans la momentanéité de l'instant neuf.
Le vivant et le résiduel
Question : La spiritualité est encore vue et vécue, par beaucoup, de façon dualiste et antagoniste, celle-ci visant non la réconciliation et l’interfusion des dimensions de l'Être, mais le refoulement ou la suppression du corps au profit d'un "pur esprit"...
Robert Linssen : L'identification superficielle au corps est l'entrave la plus fréquente à l'Éveil. La vision pénétrante nous révèle la nature "non-née", intemporelle, omniprésente, omnipénétrante et libre de notre Être véritable. Le corps n'est qu'un instrument, mais il doit être soigné. Ce que nous sommes réellement, nous l'étions avant que nos parents nous aient conçus. Telle est la Plénitude de "l'holomouvement-conscience-amour" qui est le cœur du Grand Vivant universel : notre cœur. Sans un affranchissement de la prédominance des perceptions sensorielles, la vision pénétrante ou holistique est irréalisable.
Aucun rejet des apparences phénoménales n'est requis mais un renversement complet de l'importance prioritaire que nous leur accordons s'impose. Le noumène ou "l'Absolu" doit occuper la place et le rôle prioritaires lui permettant de trouver dans ce qui reste de nous un champ libre où s'exprime l'Extase lumineuse de Son Jeu créateur. Pour les commodités du langage, disons qu'il existe, pour nous, deux aspects dans l'Univers : le Vivant et le résiduel. La prédominance de ce dernier est notre ennemie. "Satan", terme qui selon certains provient du vieil arabe "Sheit-An" (je résiste), est la personnification du "résiduel" s'opposant au jaillissement toujours renouvelé de la spontanéité divine (la "Lila" en Inde).
L'obstacle majeur à l'Éveil résulte du fait que quatre-vingt-dix pour cent de ce que nous sommes physiquement et psychologiquement est résiduel : habitudes, cristallisations de milliards de mémoires s'accumulant dès la naissance d'un univers, noms, formes, images de nous-mêmes et d'autrui... Mais ces oppositions sont provisoires. La pratique de l'attention parfaite les volatilise. Dès lors le "résiduel" deviendra l'auxiliaire du Vivant dans la Plénitude de ce que le Vivant n'a jamais cessé d'être. La compréhension intellectuelle de ceci est insuffisante. Elle peut même être un piège. En toute bonne foi nous croyons "y être", suite au surgissement d'une joie inattendue. Mais nous n'y sommes pas. Pourquoi ? Parce que nous sommes encore là ! Les habitudes associatives de notre mental possèdent une force d'inertie considérable. Le "Vieil Homme" refuse d'abdiquer. Les mots, les images des enseignements spirituels peuvent nous conduire à des réalisations qui ne sont que conceptuelles.
Il n'y a rien à construire, rien à acquérir, rien à "faire", mais plutôt à défaire. L'Éveil n'est pas un "état auto-projeté". Il y a lieu d'être vigilant sur ce point. Au cours de la méditation véritable, il n'y a plus de "méditant". Un corps reste tout simplement, vidé de toute identification personnelle. Ce corps, dont le cerveau est extraordinairement vigilant, s'intègre naturellement à celui du Grand Vivant Universel dont il ne s'éprouve pas distinct. "Nous" ne méditons plus, mais "nous" ou ce qui reste de "nous" est médité, respiré, agi par l'infinitude de "l'holomouvement-conscience- amour". Le niveau verbal est ici inadéquat, ridicule et sacrilège.
L'ego et son dépassement
Question : Dans L'Univers, corps d'un seul vivant, vous écrivez : "La méditation véritable consiste à prendre conscience du caractère illusoire de l'ego et des processus rapides conférant à la conscience une impression de continuité pour finalement provoquer la volatilisation des murs psychiques qui l'emprisonnent." Comment expliquer l'apparition de l'ego, le durcissement de cet écran, de cette barrière psychique ? Une des raisons du durcissement du "moi" n'est-elle pas justement la peur, notamment la peur ne pas durer ?
Robert Linssen : Le durcissement de l'ego ne résulte pas seulement de la peur. Il résulte de la pesanteur des milliards de mémoires accumulées. Celles-ci sont formées — au niveau psychique — par des champs qui font l'objet d'un processus néguentropique. Ces mémoires peuvent être comparées à des poussières se déposant sur notre écran intérieur et masquent à nos yeux le niveau des énergies spirituelles. Seules les énergies de la "non-pensée" ou attention parfaite volatilisent les poussières résiduelles du passé. En fait, au niveau psychique, l'ego n'est que l'ensemble résiduel des mémoires accumulées. Telle est la raison pour laquelle Krishnamurti déclare souvent que nous ne sommes qu'un "paquet de mémoires" : "you are a bundle of memories". La naissance de l'ego s'explique par la naissance d'un courant secondaire se manifestant dès le dépassement d'un certain degré de densité des champs.
Question : Les champs et les mémoires qui forment l'ego sont-ils purement "psychiques" ou ont-ils un niveau de matérialité, une certaine forme d'autonomie ?
Robert Linssen : Les champs psychiques sont "matériels", mais cette matérialité est différente de celle qui nous est familière. Les principes de compensation de la psychanalyse jungienne nous en démontrent la mécanicité et la subtile matérialité. Exemple typique de compensation : les frustrations ou refoulements sexuels résultant des disciplines et de l'abstinence de certains religieux contribuent à des visions oniriques érotiques. Freud déclarait qu' "il n'y a pas de rêves plus impurs que ceux d'un saint homme." Il est donc utile de se souvenir du caractère "substantiel" des champs. Il faut considérer les mémoires comme des champs ayant provisoirement une certaine autonomie, en dépit du fait qu'ils sont solidaires de tous les autres champs et, qu'aux niveaux psychiques, la non-séparabilité est un fait. Les Éveillés voient psychiquement les champs ou réseaux de mémoires des ego comme des nuages flous et colorés d'images résiduelles. Seule l'irruption explosive de la Pure Lumière (holomouvement-conscience-amour) volatilise au niveau psychique les poussières mnémiques du passé, mais ceci n'entraîne pas la perte des mémoires au niveau physique.
Question : Le dépassement de cette identification illusoire ne peut donc pas se faire par un asservissement brutal, un refoulement rigide de l'ego...
Le silence de la pensée ne peut résulter de la discipline du "moi" parce que celle-ci crée une tension et une division entre le pseudo-sujet (le "moi") et les objets (ses pensées) prétendument distinctes de lui. Le "moi" possède dans les profondeurs de sa psyché la somme intégrée de milliards de mémoires. Celles-ci ne sont pas seulement des échos résiduels du passé restant passifs. La compréhension de la complicité du rôle des mémoires dans la formation du mirage de l'ego peut être un facteur de libération. Le processus de l'Éveil est étranger à tout acte de volonté ou de refoulement. Le "moi" ne peut jamais se délivrer lui-même de ses conditionnements. Après information de l'existence de ceux-ci, une qualité d'attention plus profonde se réalise simultanément à un nettoyage des fausses associations mentales. Ainsi que le dit Krishnamurti : "Le caquetage perpétuel du cerveau n'est que de l'auto-occupation." Le faux et l'artificiel sont clairement vus comme faux et artificiel. Une réponse surgit des profondeurs supra-mentales simultanément au silence de la pensée. Le silence intérieur permet à l'Essence d'opérer en nous la transformation fondamentale grâce à notre ouverture et notre disponibilité.
Question : Existe-t-il un "ego de l'humanité", une sorte d'enfermement au niveau collectif, qui expliquerait le désordre et le peu d'unité dans laquelle nous vivons sur cette planète ?
Robert Linssen : L'ego de l'humanité est la somme des mémoires de tous les êtres humains depuis l'apparition de l'espèce humaine. C'est l'inconscient collectif. La force d'inertie des milliards de mémoires est considérable. Par une certaine osmose psychique, tous les êtres en subissent l'influence à des degrés divers. L'expression "ego de l'humanité" a été utilisée par Krishnamurti lors d'un dialogue mémorable avec Alain Naudé et Mary Zembalist. Ces derniers lui avaient posé une question précise sur la réincarnation. La ronde des morts et naissances successives emprisonne les êtres humains aussi longtemps qu'ils restent conditionnés par leur soif de durée et de continuité. Les exposés de C. G. Jung sur l'inconscient collectif se trouvent dans les traditions tibétaines (le "Kunyi" : entrepôt des mémoires) et indiennes ("Alaya Vijnana"). C. G. Jung en reprend l'essentiel en présentant l'inconscient collectif comme la somme des mémoires résiduelles de l'humanité depuis la préhistoire. En d'autres termes, les champs psychiques émis par les pensées de tous les êtres humains sont indestructibles et de ce fait le patrimoine informationnel de l'humanité est en augmentation constante. Nous ne posons pas assez la question de savoir son contenu et notamment les résidus de milliards d'avidités, de violences, d'intrigues, de jalousies, de guerres, de cruautés, de tortures, de tyrannies résultant de la déification de l'ego et de la volonté de puissance. Indépendamment des mémoires dites "positives" ou neutres, l'inconscient collectif ou "ego de l'humanité" est une poubelle. Les "Éveillés" sont des catalyseurs efficients contribuant, sans le vouloir, à la purification de ces résidus négatifs.
La voie et ses pièges
Question : Les pièges ne manquent pas sur la Voie : risques d'une scission entre vie spirituelle et vie ordinaire, stérilité des rituels trop rigides et systématisés, confusion entre "lâcher-prise" et laisser-faire, tentation de la fuite hors du monde, dépendance vis-à-vis des gourous ou des fausses hiérarchies... Pouvez-vous préciser la nature de ces pièges ?
Robert Linssen : La scission entre les exigences des enseignements spirituels dont nous sommes informés et le comportement quotidien fait obstacle à l'Éveil. Notre conduite doit matérialiser en actes concrets les exigences d'attention, de bienveillance, de non-violence, d'ouverture, d'harmonie, de juste mesure, d'équilibre, d'obéissance à la Nature suprême des êtres et des choses. La négliger entraîne la fragmentation, les tensions conflictuelles, les pertes ou gaspillages d'énergie, les maladies telles que névroses, angoisses ou schizophrénie. Les tentatives de fuite du monde constituent des évasions, des pertes de temps et d'énergie. La devise des maîtres de l'Éveil est d'affronter, de transpercer et non de fuir, ni par un simple déplacement géographique ni par une "politique de l'autruche".
Les voies trop rigides résultent souvent d'une impatience ou d'une avidité inconsciente de l'ego. Tout acte de volonté engendre des tensions intérieures et solidifie notre musculature psychique tandis que l'Éveil nécessite la suppression de toute contracture ou fixité intérieure. La plupart des techniques ou systèmes modernes se présentant comme recettes de l'Éveil doivent être l'objet de notre vigilance et notre sens critique. Ce sont très souvent des moyens d'exploitation spirituelle exigeant des participations financières énormes. Ceci est déjà un signe.
La confusion entre le "lâcher-prise" et le "laisser-faire" ou la permissivité est fréquente et grave. Le refus de toute discipline, le "laisser-aller" négatif conduisent à l'inertie ou l'endormissement confortable. Ils nous éloignent de la transparence intérieure, de l'équilibre et entraînent des gaspillages d'énergie. Cette confusion fait d'ailleurs l'affaire du "Vieil homme", en l'alimentant consciemment ou inconsciemment. Les véritables "gourous" ou "Éveillés" ne nous mettent jamais dans une situation de dépendance à leur égard. "Gourou" signifie "celui qui montre la voie". En Chine, le "Gourou" est celui qui offre la nourriture spirituelle, mais il ne peut pas la manger ni la digérer pour le chercheur.
Question : On confond facilement aujourd'hui spiritualité et intégrisme, ascèse et moralisme intransigeant. Pourtant, dans les formes élevées du bouddhisme par exemple, la moralité ne peut se confondre avec l'illumination : elle en est tout au plus une conséquence...
Robert Linssen : L'intégrisme moralisateur est apparu dans toutes les religions et sectes du monde à la suite de la faillite, consciente ou inconsciente, des enseignants : soit l'orgueil, soit la recherche du pouvoir, soit la fixation excessive du mental sur une technique particulière conduisant à une sorte d'impérialisme spirituel ordonnant systématiquement la pratique de cette technique. Ceci peut conduire à la violence et même à des génocides. L'histoire en fournit hélas de nombreux témoignages.
Question : Le désir d'atteindre un objectif spirituel, quel qu'il soit, peut facilement s'inverser en son contraire...
Robert Linssen : Tout objectif spirituel ou tout pouvoir que l'on se propose d'atteindre par un acte de volonté nous enferme dans l'étau d'un processus d'auto-projection. Il ne peut en résulter qu'une situation d'autohypnose. La guérison de l'autohypnose ne peut se faire que par l'exercice de l'attention parfaite. Les caractères spécifiques de l'autohypnose sont la fixation mentale, la continuité de formes, de mots ou d'images toujours identiques, entraînant un climat de stagnation, des névroses résultant d'un monoïdéisme, conduisant à l'obsession et divers états psychopathiques. La pratique maladroite des "mantras" ou "japa" peut entraîner des états de calme, de quiétude intérieure que beaucoup de chercheurs confondent avec l'Éveil. Ce ne sont que des situations d'autohypnose qui peuvent être utilisées à titre provisoire dans des cas très graves d'intoxication par la drogue.
Question : La croyance en un Dieu n'est-il pas, tout compte fait, un des principaux obstacles à l'éveil ? Dans Le Sens du Zen, vous rappelez : "Les Éveillés considèrent que le Dieu dont parlent les Occidentaux n'est très souvent qu'une projection mentale de leur propre esprit portant les empreintes des limitations de celui-ci."
Robert Linssen : Non seulement la croyance en Dieu, mais toute croyance quelle qu'elle soit est un obstacle dans la mesure où elle entraîne la fixation du mental sur une idée, une forme, des images, des mots particuliers. L'accès à l'Éveil ne peut se faire sans la disparition de tout a priori mental.
Question : Nous avons lu et relu l'Advaïta Védanta, le Ch'an, le Zen, le Taoïsme, le Bouddhisme, le Soufisme, Maître Eckhart, St Jean de la Croix, Teilhard de Chardin, Alexandra David-Neel, Roger Godel, David Bohm, Fritjof Capra, Renée Weber, Ken Wilber, Sri Aurobindo, Sri Nisargadatta, Sri Ramana Maharshi, Krishnamurti, etc., etc... Munis de tant d'informations aussi précieuses comment se fait-il que "cela ne va pas" ?
Robert Linssen : Si nous avons lu plus ou moins ce qui vient d'être cité, il est urgent, à titre provisoire, d'arrêter nos lectures. A quoi bon citer Jésus, Lao Tseu, Platon, Socrate ou Einstein, si nous ne pouvons accueillir avec sérénité non affectée les insultes ou la nouvelle que notre compagne s'est donnée à notre meilleur ami. Nous sommes souvent asphyxiés par la densité de nos informations. L'Éveil est l'état de "non-savoir". La tradition rapporte qu'au moment de son Éveil, Socrate aurait déclaré "je sais que je ne sais rien", car les "savoirs" ne sont pas la connaissance. L'illusion majeure est donc de confondre l'état de concentration intellectuelle avec la véritable attention... L'obstacle fondamental réside dans une erreur de perception : très souvent, notre perception reste fragmentaire dans le temps et l'espace. Elle est absente de tout "sentir supra-mental". Elle n'est pas "décérébralisée" et reste étrangère à tout "sentir psychique" aux niveaux du plexus solaire, du cœur et du centre ombilical "Hara".
Dans les techniques japonaises ou leur équivalent taoïste, le "Hara" est le centre psychique de la sagesse instinctive du corps. Cette intelligence corporelle est non-mentale ou supra-mentale. Elle est en rapport direct avec l'énergie cosmique ou "holomouvement-conscience-amour". En revanche, la pensée est destructrice de l'intelligence du corps. Le caractère fragmentaire de notre perception masque à nos yeux les niveaux d'énergies et les dimensions psychiques et spirituelles fondamentales. Le caractère prioritaire de ces énergies par rapport à celles qui nous sont familières nous échappe complètement. Nous sommes de ce fait "exilés", spirituellement dévitalisés, parce que coupés des racines fondamentales de notre être plongeant directement dans la Source de l'Inépuisable.
En dépit de nos savoirs théoriques, notre identification avec le corps, celui des autres et les apparences surfacielles reste totale et nous suggère des images dont la pesanteur est affligeante. Malgré nos informations théoriques relatives à la non-séparativité des êtres et des choses, au caractère illusoire de l'apparente immobilité de la matière, nous restons prisonniers de notre isolement surfaciel et demeurons figés dans la routine d'une continuité inerte. Brisons la routine, sortons de notre torpeur, levons-nous sans attendre et sans rien attendre. Sur la route de l'Éveil, "la fortune ne sourit qu'aux audacieux." Si nous sommes dépendants du bruit, de la foule, de la TV, de la compagnie, de la conversation, de la fumée, pratiquons silence et solitude complets un ou deux jours par mois, mais ne l'érigeons pas en système. Nous découvrirons une foule de choses à la condition de ne rien en attendre. Ne perdons pas de vue que la routine contribue à la diminution de l'acuité de nos perceptions.
Parmi les causes majeures du manque d'acuité de nos perceptions, il importe de signaler le fait que nous ne sommes jamais pleinement attentifs. A chaque instant, se présentent à notre esprit des pensées, mots, images qui n'ont aucun rapport avec l'actualité des circonstances. Les énergies de notre attention sont distraites, diluées, éparpillées dans le processus horizontal et apparemment continu du Temps. Notre conscience est l'objet d'un glissement apparemment continu dans la durée. "Ce qui est continu emprisonne" déclare Krishnamurti. Telle est "Tanha", la soif de durée évoquée dans la sagesse indienne. Notre attention est prisonnière d'un processus horizontal et temporel. Celui-ci surgit des profondeurs du passé pour se plonger dans les anticipations imaginaires de l'avenir. Les richesses du présent nous échappent continuellement. Il n'est qu'un passage rapide et souvent inaperçu. L'Éveil ne se réalisera que dans la verticalité d'une présence totale au Présent, en étant neufs dans l'instant neuf. L'infini réside dans le fini de chaque instant.
La réalisation d'une pleine concentration de l'attention dans la momentanéité de chaque instant présent confère à notre faculté de perception une profondeur et une puissance de pénétration nouvelles. A ce propos, l'image du parfait miroir évoquée par Tchouang-Tseu peut provisoirement nous être utile. Le parfait miroir voit tout mais il ne prend rien, ne rejette rien, ne compare rien, ne choisit rien, ne désire rien, ne juge rien, ne nomme rien, n'attend rien. Il voit, c'est tout, mais il voit complètement. "Qui" est attentif lorsque cessent la totalité de nos automatismes mémoriels, nos noms, nos images, nos préférences, nos répulsions ? Une telle attention n'est plus seulement la "nôtre". La source profonde et toute puissante dont elle émane volatilise, sans notre intervention, les cadres qui prétendaient la contenir ainsi que l'influence des noms et des formes qui l'invoquaient. Ceci est une clé.
Dans le silence et l'intensité de l'attention parfaite surgit une joie qui décentralise la concentration de conscience du cerveau, le "décérébralise" et envahit la contrepartie psychique du plexus solaire, du cœur et du "Hara". Telle peut être l'aube d'un "penser-sentir" naturel, global, immédiat, prélude à la vision pénétrante ou Éveil. La perception n'est enfin plus fragmentaire. "Nous" ne sommes plus là ! Ceci n'est que le résumé caricatural d'un ensemble infiniment plus vaste et pourtant rien n'est plus simple. La décérébralisation de l'attention est très importante. Elle peut être aidée par la pratique du yoga. Cette dernière contribuera à l'exercice de l'attention parfaite au cours des activités concrètes de la vie quotidienne. Celles-ci seront aidées par la relaxation et la respiration lente et complète quelles que soient les circonstances. Le dialogue avec des êtres sérieusement concernés ou toute autre personne, en réalisant une parfaite écoute de l'autre, peut être également utile. En revanche, l'absence de tout dialogue et celle de toute écoute adéquate de l'autre, entretient nos obstacles à l'Éveil.
Question : La négligence ou le refoulement du corps, considéré comme négatif ou antagoniste à l'Esprit, est aussi une source majeure de conflit intérieur et de blocage...
Robert Linssen : Une interprétation erronée de la spontanéité de l'Éveil conduit le méditant dans une impasse. L'équilibre du corps est régi par des rythmes biologiques mécaniques. Ceux-ci doivent être préservés par une stricte discipline. La spontanéité de l'Éveil, sa non-mécanicité se trouvent à un autre niveau que celui de notre structure psychosomatique. Cette confusion engendre une peur fréquente des techniques et disciplines. Le cas est fréquemment observé.
Les Éveillés chinois, tibétains, indiens ou autres avec lesquels nous avons vécu pratiquent tous des techniques corporelles s'approchant soit des yogas, de l'Aïkido, du Judo, du Tai-Qui-Chouan, ou d'exercices physiques tels que natation, marche, travail de la terre, expressions corporelles artistiques ou d'autres encore. Krishnamurti et Sam Tchen Kâm Pa que nous avons connus intimement depuis soixante-quatre et soixante-sept années ont pratiqué ces diverses techniques quotidiennes jusqu'à l'âge de 90 et 95 ans, tout en respectant au niveau spirituel la spontanéité et la non mécanicité du Vivant Suprême.
Le refus des techniques ou exercices corporels est un éteignoir psychologique et spirituel assurant la prédominance nocive du mental et la stagnation. La pensée n'est pas l'Intelligence, elle bloque la sagesse instinctive du corps. Les Maîtres chinois et japonais déclarent "qu'un mouvement pensé est un mouvement raté". Plus de cinquante années d'enseignement nous ont permis d'observer à quel point le refus d'exercices et de techniques conduit à des états dépressifs au cours desquels le chercheur se borne à lire et relire les mêmes textes. De tels êtres semblent éteints.
Parmi nos auditeurs, nous avons eu pendant plusieurs années deux amis profondément consacrés à la recherche spirituelle, mais systématiquement opposés aux exercices par "peur de la mécanicité des techniques". L'un était ingénieur, l'autre médecin. Nous leur avons suggéré de faire un essai qui semble ridicule. Il consistait à imaginer que les oreilles et le cerveau étaient reliés par des fils invisibles branchés sur un centre d'écoute prioritaire situé à hauteur du "Hara" (centre ombilical) et un autre centre d'écoute au niveau du plexus solaire. Il n'a fallu qu'un seul exposé d'une heure environ, exactement semblable à celui que nous avions donné l'année précédente, pour voir les deux amis approcher dès la causerie terminée et nous déclarer avec le sourire "ça y est, le déclic est amorcé". Notre joie était immense. L'aube d'un "penser-sentir" était apparue et préparait la "dé-cérébralisation" excessive de la conscience, seule capable de réaliser une perception globale immédiate.
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Le moi et le Soi.
- Par Thierry LEDRU
- Le 26/08/2010
Le moi est une idée que l'on a de soi, une connaissance directe, immédiate, sans le passage par le raisonnement.
Il convient de préciser qu’il se construit bien entendu, du premier jour au dernier. Il n’est pas figé, fixe, constant. Il évolue, en "bien ou en mal". Cette intuition est fondamentalement « expérientielle. » Toutes les situations, tous les évènements, des plus anodins aux plus traumatisants concourent à cette intuition et à sa progression dans le temps.
Mais je vois une distinction profonde entre cette « existence » perçue par ce moi et la « vie » perçue par bien autre chose. L’existence est constituée par tout ce que le moi accumule. La vie n’a pas besoin d’accumuler quoique ce soit. Elle est. constante et immuable.
Est-ce que le moi peut réellement la saisir, est-ce que le moi, dans le chaos de ses pensées, dans le fatras incommensurable de son existence peut réellement percevoir cette conscience du soi et de la vie. Le Soi. Qu’en est-il ?
Le moi est une entité individuelle modelée par d’autres entités individuelles, par d’innombrables imbrications dans lequel le moi s’identifie. On peut clairement se demander si la notion de Soi et la conscience de la vie lui sont accessibles. Que peut-il saisir dans son fonctionnement, sinon, une idée mentalisée ? La vision d’un Tout et l’appartenance du Soi à ce Tout sont-ils de pures hallucinations d’un mental qui se gargarise d’un cheminement spirituel, comme un piédestal à sa magnificence ?
Il serait bien plus profitable et honnête que ce soit le Soi qui conçoive le moi, que ce soit lui qui observe les agitations frénétiques de ce petit individu mais dans cette soumission de l’individu à son identification, c’est le moi qui part à la recherche d’un Soi dont il a entendu parler et qui comblerait son désir de séduction. Car celui-là qui est au cœur de son Soi est beau et sage…Vaste mystification.
Que peut saisir une entité centrée sur elle-même quand elle se dit être en quête du Tout. La fourmi a t-elle conscience de la forêt dans laquelle elle travaille, de la planète sur laquelle elle existe, de l’Univers ? Possédons-nous une conscience plus élaborée que celle de la fourmi ? Oui, bien évidemment ou alors c’est que la fourmi cache bien son jeu… Bien, et alors ? Dès lors que le moi part à la recherche d’un Graal qui dépasse son entendement, que peut-il trouver d’autre qu’une entité à sa dimension, c'est-à-dire bien autre chose que le Soi ?
Alors, il nous faut chercher sur le chemin des religions…Mais les religions sont issues du mental. Aucune religion ne peut être un tremplin. Elles ne sont qu’une boucle qui ramène le moi vers lui-même. Puisqu’il en est l’instigateur.
De toute façon, tant que le raisonnement, la linguistique, la dialectique, la logique, la rhétorique entrent en action, c’est le moi qui cherche ce qui ne lui est pas accessible. Dès lors qu’il y a un observateur et une quête, c'est à dire l’objet observé, l’individu reste dans un cheminement mentalisé et par conséquent le moi…Il a conscience de sa recherche et s’en glorifie et imagine dès lors être sur la voie. C’est juste celle qui le ramène à lui-même. Mais par des chemins enluminés de métaphysique, ce qui donne un aspect valorisant à la quête…Vaste mystification.
La métaphysique est lucide quand elle est capable de juger de son insuffisance. C’est le moi qui se regarde par des fenêtres plus larges. Mais il n’y a pas de nouvel horizon. Pas celui du Soi.
Faut-il donc passer par un autre canal que le moi pour saisir le Soi ? Mais s’il n’y a plus de moi, il n’y a plus de conscience, de vigilance, il n’y a plus rien qui puisse saisir puisque tout a disparu… Ca serait considérer que seul le mental a la capacité de saisir… Je ne pense pas que ça soit le cas. Là, il s’agit juste d’un formatage. On a appris à penser pour saisir. « Je pense donc je suis. » Sacrée catastrophe que cette affirmation. « Je pense donc je fuis. » Je fuis la possibilité d’entrer dans une dimension qui m’échappe dès lors que je pense.
Ca ne nous donne pas de piste quant à la quête de ce Soi. Pour l’instant, il reste insaisissable.
Mais n’est-ce pas justement la solution à l’énigme ? Puisque le moi ne peut pas saisir un Soi, autre qu’une enveloppe grossie de son propre moi, puisque le Soi ne peut pas être conscience de lui-même puisque cela reviendrait à concevoir un Soi détaché du Tout, c'est-à-dire immanquablement une individualité, ce qui serait antinomique dans l’idée du Tout, il n’est dès lors pas possible de saisir le Soi par le moi. Tout simplement. Le Soi aperçu par le moi est nécessairement une entité séparée du Tout et par conséquent autre chose que le Soi.
Le Soi est Conscience et non conscience. Il ne peut pas être conscientisé car il faudrait qu’il s’individualise et qu’il s’identifie à l’observateur. Le ciel ne peut pas voir le ciel. Il faudrait qu’il prenne de la hauteur !! L’Univers ne peut pas s’observer. Le Soi ne peut pas se connaître. Ni par lui-même puisqu’il ne serait plus le Soi mais une entité séparée du Soi, ni par le moi qui ne peut pas connaître ce qui le contient.
Bon, ça semble à peu près se tenir tout ce charabia. Mais alors qu’en est-il des expériences mystiques ? Des révélations qui font basculer parfois en quelques instants, des individus « basiques » à des êtres éveillés ? (cf le post sur Virgil.) Qu’ont-ils aperçu, ressenti, perçu, « compris » (pas de façon rationnelle bien entendu…), que leur est-il arrivé ?
Est-ce que le moi peut basculer dans une dimension qui ne serait pas le Soi mais un « simple » état de conscience modifiée ? Comment considérer que ces gens puissent évoluer dans un monde mentalisé en ayant eu accès à une vision unifiée de la vie ? Comment gérer ce genre d’antagonismes ? Comment passer du haut en bas, de l’intériorité mentalisée à l’universalité dés-identifiée ?
Les voyageurs des NDE ? Les guérisons « spontanées » et inexpliquées ? Que s’est-il passé ? Le moi, dans ces expériences extrêmes, n’a rien à voir. Il est bien trop futile et insignifiant pour s’engager dans des voies aussi radicales. Ecoutons les paroles des « expérimentateurs »…C’est stupéfiant. Tellement éloigné de notre vision mécaniste et rigoriste de la vie.
Le Tout s’est-il laissé découvrir, le Soi s’est-il révélé ?
Mais alors, tout ce que j’ai écrit au-dessus ne tient pas. Tout ça ne serait donc bel et bien que du charabia métaphysique.
C'est qu'il reste autre chose à saisir. Et sans doute pas par le langage.
Je vais aller regarder les étoiles.
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France info.
- Par Thierry LEDRU
- Le 20/08/2010
France info.
Pendant nos virées en montagne, nous voyageons avec un fourgon aménagé. Pendant la journée, en VTT, nous trouvons souvent les coins perdus où nous allons nous installer le soir pour dormir. Jamais en camping, sur une aire de stationnement, dans un village ou sur un parking.
Uniquement, le plus haut possible, dans les forêts, sur une piste forestière, un chemin, sous les arbres, là où il n’y a personne. Le silence de la nuit. Aucun bruit humain. Un ruisseau, le vent, une chouette.
Parfois, nous écoutons les infos.
Et là, cette scission entre la nature et le monde humain prend toute son ampleur. Violence, agression, terrorisme, exclusion, guerre, misère, violence, violence, violence, de toutes sortes, de celle des voyous à celle des gouvernements, de celle des caïds à celle du ministre de l’intérieur…
Nous nous sommes surpris parfois à ne pas nous sentir en sécurité en descendant vers les vallées, traverser une ville, nous garer, faire des courses, laisser le fourgon pendant une randonnée…De la crainte…Nous avions envie de remonter vers les hauteurs. Réaction exacerbée par les infos, conditionnements effrayants qui nous amènent à craindre tout et n’importe quoi parce que les infos relaient systématiquement les actes violents et en oublient tout le reste, parce que cette paix de l’altitude nous ravit et nous apaise et que l’agitation des vallées nous effraie, comme si nous étions menacés, surveillés, attendus…Paranoïa dont le gouvernement use et abuse, dont les médias se nourrissent sans comprendre qu’elles font le jeu des politiques…Qu’on ne vienne pas me dire qu’il n’y a pas dans ces vallées des gens respectueux, honnêtes, intègres, ouverts, accueillants. Pourquoi cette activité des villes nous est devenue si inquiétante ? Est-ce un sentiment généré par notre amour de la solitude, est-ce une cassure si forte qu’elle en devient une peur ?
Dans l’Aubrac, nous avons pris vraiment conscience de cet éloignement des deux mondes. Ces paysans rivés à leur terre, témoins de la désertification des plateaux, du changement inéluctable de la vie, je les imagine descendre dans une grande ville, une hospitalisation, un évènement néfaste qui brise cette vie des hauteurs, ou une visite à la fille partie vivre à Marseille, Lyon, Grenoble…Le choc…Mais comment est-ce possible d’être allé aussi loin dans la concentration humaine, dans l’isolement humain au milieu d’une fourmilière humaine. Tokyo compte plus de 30 millions d’habitants, 14 000 habitants au km/2…Qu’on me dépose au milieu et je meurs.
Impossible de nier cette violence latente, ce sentiment étouffant d’être inséré dans un engrenage fou, une machine à broyer les êtres. Créer par les êtres eux-mêmes. Un système ? Qui le contrôle ? Y a-t-il un pilote dans l’avion ou les flux créés par la masse elle-même constituent-ils une marée sans retour, un vent dominant que plus rien ne peut contenir ? Cette impression effroyable que l’évolution humaine est une chute sans fin…Involution alors ? Une régression spontanée ? L’Univers est en extension et nous serions en contraction spirituelle ? Emportés par un mouvement de foule. Mondialisation, croissance démographique, économique, technologique…Oui, et alors ? Pour aller où ? J’ai 48 ans et déjà l’impression d’avoir assisté à une évolution non contrôlée…Qu’en sera-t-il pour la prochaine génération, dans deux générations, dans mille ans ?
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L'effort physique.
- Par Thierry LEDRU
- Le 20/08/2010
Une nouvelle virée de quatre jours dans les Hautes Alpes. Considérablement surpris par la "désertification" de la montagne. Dans toutes nos virées de l'été, le même constat. L'impression qu'aujourd'hui l'effort physique est lié au ludique. Dans les stations de ski en été, on voit les remonte pentes qui déposent quelques marcheurs au sommet, ils vont faire un pique nique et ils redescendent, certains de la même façon, d'autres à pied quand même. Les VTT sont montés sur les remonte pente de la même façon et les gens font de la descente parce que c'est marrant...Les guides de haute montagne galèrent comme jamais pour finir leurs mois, obligés de se tourner vers des activités ludiques, de courte ampleur, via ferrate, rando aquatique, les gens ont besoin d'être "encadrés", très peu essaient d'apprendre par eux-mêmes, il faut pratiquer vite et tout de suite, sans se soucier d'un apprentissage, d'un objectif sur le long terme. On a fait deux sorties VTT dans des coins perdus, des paysages extraordinaires, il n'y avait personne...On a découvert une gorge perdue au fond d'une vallée, on a remonté la rivière vers la source, aucun chemin, des passages d'escalade, de la broussaille, des épineux, des détours, des impasses, un jeu constant dans une nature vierge de toute trace, un silence incroyable, à des kilomètres de la première route, une eau pure, transparente, des falaises gorgées de soleil, une solitude totale. Je me souviens quand j'avais vingt ans que des coins comme ça étaient explorés, on rencontrait du monde, des amateurs qui se lançaient dans des sorties un peu aventureuses, sans savoir si ça allait passer, si ça ne finirait pas en galère totale ^^Mais ils y allaient et moi avec. Années après années, cet état d'esprit disparaît. L'alpinisme, c'est à Chamonix parce que c'est à la mode. mais des grandes voies il y en a ailleurs. Mais quand on donne leur nom, ça ne parle pas, ça n'a pas l'impact "médiatique" de la voie Rébuffat à l'aiguille du Midi, il faut du tape à l'oeil aussi, de l'aventure dans laquelle on va acquérir un statut, une reconnaissance...C'est sûr que si je dis qu'on a fait le pilier nord du Grand Ferrand, personne ne connaît et pourtant, faut la sortir cette voie là...Cette reconnaissance, cette valorisation est générale désormais. Les gens vont dire qu'ils ont fait du canyonning, de la via ferrate, de l'escalade, du VTT mais tout ça est aseptisé, encadré, sécurisé à outrance, il n'y a pas d'engagement, pas de découverte réelle, pas de recherche personnelle, c'est juste du ludique et du tape à l'oeil...
Et je ne parle pas des enfants qui ont totalement disparu...On a essayé en rentrant tout à l'heure de se souvenir si on avait vu des enfants dans nos sorties, pas les plus dures bien entendu mais au moins les sorties comme celles que nos enfants faisaient. Pas un seul...En deux mois de crapahutage...Pas un seul...Par contre on se souvenait de ces deux garçons qui râlaient en montant un petit chemin dans une forêt parce qu'il faisait trop chaud et qu'ils voulaient aller à la piscine. Ils étaient à 5 minutes du parking.
C'est désolant...Une génération perdue. Je le vois tous les ans avec les enfants de ma classe. Le sport ne les intéresse, parfois, que s'il y a de la compétition (du foot de préférence pour les garçons, pas grand-chose pour les filles...)et qu'ils vont pouvoir aller boire aux vestiaires à tous moments...Mais alors, aller en montagne, là, il faut se battre... Ils n'y voient aucun intérêt, les sportifs qu'ils connaissent et vénèrent ne vont pas marcher sur des chemins...Et puis, ça ne rapporte rien...Ni argent, ni médaille, ni gloire...Le même fonctionnement que les adultes, il faut que l'effort physique apporte une récompense qui se montre, qui se partage. L'effort "gratuit" est une abomination. Il faut que ça soit rentable...Si je dis à mes élèves que la marche est un sport, eux n'y voient qu'une corvée, comme celle de venir à l'école à pied...La plupart vienne d'ailleurs en voiture...Je me souviens de mes premiers élèves en Bretagne, ils venaient à l'école à pied, à travers champs, sur des chemins, ils se retrouvaient en cours de route, ils n'arrivaient pas toujours à l'heure :) Mais comme ils étaient heureux...Les petites écoles de campagne ont fermé, remplacées par des gros groupes scolaires avec un ramassage en car...Et la montagne est déserte. Au grand bonheur des chamois et des marmottes.
L'humanité s'étend dans les plaines.
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Métaphysique
- Par Thierry LEDRU
- Le 15/08/2010
MÉTAPHYSIQUE
« Que l’esprit humain renonce une fois pour toutes aux recherches métaphysiques, on doit tout aussi peu s’y attendre qu’à nous voir, pour ne pas respirer un air impur, préférer suspendre totalement notre respiration. » Emmanuel Kant.
Cette métaphysique est pourtant bien souvent perçue comme une pure spéculation, une vue de l’esprit ne tenant pas compte de la réalité, cette fameuse « réalité » qui sert de fondement à tout esprit cartésien et logique. Kant s’est évertué à montrer, à juste titre, que le domaine de la métaphysique se situe hors de portée de la raison, que les procédures scientifiques de vérifications y sont inopérantes. Pour lui, « il est nécessaire d’abolir le savoir pour laisser place à la croyance. »
Cette croyance ne peut pas devenir une vérité ou une connaissance étant donné que les inquiétudes fondamentales qui la constituent sont individuelles dans leurs développements. Il n’y a pas d’universalité dans la métaphysique.
Alors que les scientifiques y voient la raison même de sa subjectivité et donc de son incapacité à devenir une vérité fondamentale, j’y vois l’opportunité d’une liberté. C’est parce que la métaphysique n’entre pas dans le champ de la connaissance scientifique qu’elle préserve son indépendance.
Bien entendu, elle reste du coup sous l’emprise des plus farfelus…Mais la science, elle-même, n’est pas à l’abri des développements les plus néfastes…Inutile d’en faire la liste. La raison n’a pas mis l’humanité à l’abri de la folie humaine.
La métaphysique s’attache aux intérêts théoriques les plus hauts de la raison sans répondre pour autant aux critères rigoristes de la science. Est-ce pour autant qu’elle ne mérite pas d’attention ? Doit-elle être considérée comme une illusion ou un cheminement vers une vision macroscopique du phénomène vital.
« Qui suis-je, où vais-je, dans quel état j’erre ? »
Tournure humoristique mais qui reflète quelque peu l’image associée à ce genre d’interrogations. Evidemment qu’aucune expérience scientifique ne pourra résoudre l’énigme. Certains se demanderont d’ailleurs le sens et l’intérêt de cette énigme, entrant par là même dans le champ de la métaphysique en s’imaginant la critiquer…
« Toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique. » René Descartes.
Il est curieux de constater à quel point les scientifiques ont fini par effacer cet intérêt primordial du discours cartésien…
Il convient de ne pas étouffer ce désir d’horizon.
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Maldevivre et Antidote (humanisme)
- Par Thierry LEDRU
- Le 14/08/2010
Est-ce que quelqu'un oserait dire que sa réponse est irrationnelle?
http://www.dailymotion.com/video/x9axew_regard-d-espoir-contre-le-cancer_news
Est-ce que l'amour est irrationnel ?
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La rationalité
- Par Thierry LEDRU
- Le 14/08/2010
J'en reviens à cette fameuse raison qui fait que bien souvent nous ne parvenons pas à saisir ce qui est proposé parce que cela ne correspond à rien de connu dans le domaine culturel de notre raison.
« L’irrationalisme » pose comme principe que la connaissance ne repose pas uniquement sur la raison. Cet irrationnel n’est pas simplement ce qui reste à expliquer. Il est bien davantage un aspect irréductible des phénomènes. Ceux concernés par la métaphysique notamment.
Hegel dit que « tout ce qui est réel est rationnel. » Cela voudrait dire que le refus bien réel de certains hommes de s’intéresser à l’irrationnel est rationnel…
Lancer une bombe atomique sur une population civile ne peut pas être une décision rationnelle… Empoisonner des vaches avec de la poudre de vaches mortes et vendre cette viande ne peut pas être un acte rationnel. Utiliser du sang contaminé pour faire des transfusions, vendre des produits alimentaires constitués d’organismes génétiquement modifiés, faire des essais d’explosions nucléaires, jeter dans les océans des containers de déchets radioactifs, rejeter dans l’atmosphère des poisons comme autant de bombes à retardement…, tout cela et le reste (la liste est longue) ne peut pas être rationnel.
Ou alors la raison est une abomination.
La raison de certains hommes est totalement déraisonnable si on se place du point de vue universel. Leur irrationalité a des fins mercantiles et égoïstes. C’est malheureusement réel. Et c’est leur « raison » d’être.
Tous les actes humains seraient donc générés par la raison, même si ces actes vont à l’encontre des hommes, de la planète, de la vie elle-même. On ne peut par conséquent se fier corps et âme à cette raison. Ca serait totalement déraisonnable…
Blaise Pascal avait démontré que la condition de l’homme était irrationnelle. Rien ne pouvant justifier le fait que nous existions. Leibniz se demandait « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? »
Sartre à son tour écrivait que « tout existant naît sans raison. »
C’est complètement irrationnel tout ça ! Ah oui, bien sûr, il suffit de faire intervenir Dieu et son projet pour que la raison l’emporte. Dieu serait donc rationnel ? Hum…Finalement, la raison émet des supputations que l’irrationnel adore… Certains sont très doués dans la dialectique pour détourner la raison…
Et si tout cela n’avait aucune raison, si le phénomène de la Vie n’avait aucun objectif, aucune raison d’être, sinon juste d’être là ? C’est notre raison cartésienne et obsessionnelle qui imaginerait une justification à l’ensemble. Mais l’imagination n’est pas rationnelle. Diantre, on tourne en rond !!
Si je reprends le film dont j’ai parlé hier « Du jour au lendemain », c’est bien parce que l’absence de solution rationnelle laisse libre cours à l’imagination que le personnage principal part en vrille et se retrouve interné. L’imagination ne peut pas expliquer les phénomènes rationnellement. Seule la science peut le faire. Mais si celle-ci se retrouve désemparée, que reste-t-il à nos âmes égarées ?
La folie ou la métaphysique. Guère d’autres choix. Ah, si, bien sûr, le sommeil éveillé ! Continuer à vivre comme un pantin, conditionné, formaté, cultivé, moulé, encapsulé. Ce modèle a beaucoup de succès d’ailleurs. Très à la mode. Reproductible à l’envie, facilement transmissible.
Pour la science, dire que l’eau est chaude ou froide n’est pas une vérité. Il convient d’en mesurer précisément la température pour établir une vérité vérifiable à l’infini. Il y a bien évidemment par conséquent des vérités scientifiques. Mais qu’en est-il de la souffrance, des espoirs, des rêves, des regrets, des pensées, des émotions, des perceptions sensorielles et extra sensorielles, des intuitions, des coïncidences, des synchronicités, des visions prémonitoires, des rémissions, des guérisons médicalement inexplicables, des miracles ?
N’y a-t-il pas également des « vérités » invérifiables, injustifiables, incompréhensibles mais pourtant répétées un nombre de fois incalculable par des millions d’individus dans une réalité visible, palpable, connue, à défaut d’être reconnue? Est-ce parce que tout cela n’est pas reproductible scientifiquement qu’il n’est pas possible d’y voir un phénomène autrement caractérisé par l’irrationalité ? Je peux me permettre d’en parler, j’ai déjà dit pour quelles raisons.
On se souviendra qu’Alfred Wegener en son temps était rabroué pour sa théorie de la tectonique des plaques. Il est mort au Groenland en tentant de prouver qu’il avait raison et que la raison scientifique de l’époque n’était tout simplement pas assez évoluée pour accéder à un système aussi étourdissant à l’échelle humaine.
Cette raison ne devrait-elle pas garder raison en s’interdisant d’interdire ?
Qui peut dire aujourd’hui ce que sera le niveau de connaissances dans mille ans ? Peut-être les hommes de ce temps à venir éclateront de rire en étudiant l’ignorance dans laquelle nous évoluons sur un plan spirituel, métaphysique, philosophique… Il serait raisonnable d’y songer.
Ce que je n’aime pas finalement c’est l’oppression scientifique, cartésienne. Cette idée selon laquelle, tout ce qui n’est pas de l’ordre du rationalisme n’est pas réel est une hérésie aussi destructrice que d’affirmer outrancièrement que Dieu existe. On entre dans l’hermétisme, le fanatisme, le prosélytisme, le terrorisme spirituel. Pour Descartes et Platon avant lui, il s’agissait de fonder la connaissance sur autre chose que le mythe ou la religion. Si ce rationalisme devient à son tour une entrave, un cadre infranchissable, on ne s’en sort plus…
Et d’ailleurs, aucun scientifique ne parviendra à me convaincre que je ne suis pas réel alors que je marche irrationnellement. Alors, quoi, je suis un monstre, une erreur, un plantage de la matrice ? On pourrait monter un sacré grand club tellement nous sommes nombreux.
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Du jour au lendemain.
- Par Thierry LEDRU
- Le 14/08/2010
C'est le titre du film que nous avons regardé hier soir. Avec Benoit Poolvoerde.
Totalement désespérant...L'histoire d'un homme qui "du jour au lendemain" va voir sa vie passer d'un long marasme quotidien, avec une rupture sentimentale, une situation professionnelle humiliante et de multiples désagréments quotidiens à un bonheur parfait, sans aucune explication, sans avoir changé quoique ce soit en lui, une transformation totalement irrationnelle. Et cette absence d'explication va rendre pour lui ce bonheur totalement insupportable, il ne va pas s'y retrouver, l'image à laquelle il est attaché, dans laquelle il se reconnaît s'est effacée, les autres, ses proches, ne le voient plus de la même façon, tout ce qu'il vit est empli d'un bonheur immédiat, sans qu'il élabore le moindre projet, sans qu'il intervienne le moins du monde dans cette accumulation de situations positives. On sent alors, au fil des jours, que cette situation l'angoisse, qu'il semble attendre, guetter sans cesse l'instant où tout va s'arrêter, que ça ne peut pas continuer ainsi alors que rien ne l'explique...Cette disparition de ce qu'il était va le conduire à la folie...Alors que sa femme est revenue à ses côtés et qu'elle attend un bébé, il est interné en hôpital psychiatrique. C'est un homme inapte au bonheur et qui sombre.
Le médecin explique à sa femme que seul un évènement déclencheur pourrait le ramener à la vie.
C'est la cafetière qui va s'en charger, cette cafetière, qui au lieu de dysfonctionner chaque matin s'était mise à faire normalement du café, de façon irrationnelle, alors qu'il n'avait nullement cherché à la réparer, cet engin anodin va de nouveau s'emballer. Ce retour à une vie passée, celle qu'il voulait retrouver, celle qui correspond à ce rôle de "perdant", va le sortir de sa torpeur et le ramener à la vie...Mais quelle vie ?...Celle d'un homme qui n'a pas su saisir ce que la vie réelle lui proposait, celle d'un homme qui préfère rester enfermé dans ses conditionnements, sa "raison", son histoire...Il préfère être ce qu'il a toujours été que d'accepter cette irrationnalité, ces phénomènes inexpliqués, qui n'ont aucune "logique" pour lui...
http://www.youtube.com/watch?v=Z5rs6jZ7-vQ
"Mais qu'est-ce que vous avez tous avec votre amour?"
Tout le problème est là. Cet homme ne peut pas être aimé, pas de façon aussi universelle, la vie ne peut pas être aussi belle, pas avec son histoire..."Se libérer du connu." Voilà ce qui aurait pu le sauver.
Et c'est là que ce film passe, à mes yeux, de la comédie, ou satire sociale à une vision désespérante de l'humain.
Cet enfermement "rationnel" est avant tout éducatif et social. L'identification de cet homme à son histoire, une histoire qu'il a lui-même fabriquée par une attitude constamment négative, va l'emporter sur le changement "irrationnel" qui lui est proposé par la vie elle-même. Il ne s'agit pas de "chance", de "destin",mais de l'opportunité d'appréhender la vie d'une autre façon. Mais la peur va être la plus forte, la peur de ne plus exister dans un rôle, la peur de ce changement considérable d'existence. Celui qui ne change pas est avant tout un être qui a peur, ça n'est pas une question d'incapacité mais d'interdiction. C'est en cela que le conditionnement est une enceinte, un carcan, une geôle adorée. Se plaindre de cet enfermement est plus rassurant que d'en sortir...C'est effrayant...
J'ai longtemps eu peur, après la rémission inexpliquée de mes trois dernières hernies discales, que le mal me retombe dessus. Ca n'était pas rationnel, les médecins n'y comprenaient rien, moi non plus. Je savais bien que j'avais vécu une situation incompréhensible, que j'avais basculé à un moment dans une dimension inconnue mais cette absence d'explication était une torture. J'avais peur. Ca ne pouvait pas durer cette rémission, ça allait me retomber dessus sans prévenir, revenir aussi brutalement que ça avait disparu. Ce bonheur n'était pas pour moi...L'identification...Je devais me libérer du connu, de ce passé morbide, de cette détresse à laquelle je m'étais attaché parce qu'elle m'offrait un rôle en "or"...La victime, le malheureux, le supplicié...C'est là que j'ai compris que je devais écrire " Les Eveillés", aller chercher au plus profond de mes traumatismes les plus anciens la source de cette inaptitude à être heureux...Comprendre aussi que le seul instant réel, c'est celui dans lequel j'existe, que je n'avais aucune réalité dans ce passé assassin, que je n'étais rien dans cet avenir incertain, mais que le fait de me lever librement de ma chaise, sans tituber, sans canne, de pouvoir marcher, puis courir, puis skier était la seule réalité, la seule vie réelle.
J'ai enfin appris à vivre. Ca m'aura pris quarante-deux ans. Six ans que je vis pleinement, librement. Libre de moi-même, de l'autre, celui qui est mort lorsque je suis né.