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  • Le recyclage contre le gaspillage.

    En Suède, plus on réparera, moins on paiera d’impôts !

    Près de 190 millions de couronnes suédoises (environ 20 millions d’euros) seront consacrés au projet de réduction d’impôts, et 270 millions de couronnes seront déboursés pour la baisse de la TVA (près de 28 millions d’euros).

    27 septembre 2018 - La Relève et La Peste

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    Le gâchis à grande échelle est démocratisé tandis que l’urgence environnementale ne cesse d’enflammer la polémique. Dissonante et trébuchante, la société devient schizophrène. Nous avançons à contre-courant de notre époque, pourtant si propice à une profonde remise en question. Nous achetons trop, nous consommons trop, et par conséquent, nous polluons beaucoup trop !

    Quand un objet cesse de fonctionner, nous avons tendance à le remplacer, vite fait bien fait, par un nouveau modèle, flambant neuf. Cependant, les conséquences pour l’environnement sont désastreuses lorsqu’on sait que l’Amérique jette environ 130 000 ordinateurs et plus de 350 000 téléphones portables par jour.

    Actuellement, le temps c’est de l’argent, et les industriels l’ont bien compris ! Nous assistons alors à l’avènement de la consommation par fainéantise : « Facilitez-vous donc la vie en achetant un nouvel aspirateur au lieu de vous embêter à le réparer ! »

    Crédit Photo : Carl Young

    De plus, le système est si bien fait (pour nous faire acheter) qu’il redouble d’ingéniosité pour nous rendre la tâche plus compliquée. La société de consommation a fait naître l’ennemi juré du zéro déchet : l’obsolescence programmée. Kesako ? C’est un gros mot qui fait froid dans le dos tant son illogisme frise l’indécence. 

    « L’obsolescence programmée est l’ensemble des techniques destinées à réduire la durée de vie ou d’utilisation d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement. »

    Pour faire simple, disons que les industriels sont les rois du « gâchis organisé ». Raymond Loewy, le célèbre designer industriel franco-américain du début du 20e siècle se retournerait dans sa tombe s’il savait qu’aujourd’hui nous négligeons nos objets au point de les rendre volontairement défectueux.

    Crédit Photo : Carl Young

    Malheureusement, nous constatons qu’il est souvent plus rentable de racheter que de faire réparer. Entre les frais à engager, la dimension chronophage que cela implique et les contraintes logistiques, il faut s’armer de courage et de détermination pour demeurer ou devenir un consommateur responsable.

    De plus, Internet finit de nous mâcher le boulot quand on sait qu’en quelques clics on peut être livré à prix modique. Des objets de piètre qualité inondent le marché, mais demeurent les leaders des ventes, entretenant la fuite économique par la délocalisation et entretenant la main d’œuvre à bas coût.

    Histoire de mettre un coup de pieds dans la fourmilière de la surconsommation, le gouvernement Suédois encourage une pratique ancestrale oubliée… le bricolage ! Désormais, les citoyens qui réparent (ou font réparer) leurs biens endommagés au lieu de courir les magasins seront récompensés par une baisse de leurs impôts.
    Le 20 septembre dernier, le Parti Social Démocrate et le Parti Vert suédois ont proposé au parlement une nouvelle loi concernant la baisse des taxes sur les opérations de recyclage. Ainsi, la TVA sur les prix des réparations de vélos, de chaussures ou les reprises de vêtements devrait passer de 25 à 12 %.

    En outre, les « consom’acteurs » qui choisissent l’option réparation pour soigner leurs appareils électroménagers pourront se faire rembourser, en partie, l’argent dépensé. « Nous pensons que cela pourrait diminuer les coûts et rendre la réparation plus rationnelle et économique. Il y a un changement qui s’opère à ce niveau en Suède actuellement, une prise de conscience du besoin de faire durer les objets plus longtemps pour réduire la consommation de matériaux » raconte le ministre des finances suédois Per Bolund. Et pour aller encore plus loin dans cette logique, la proposition de loi inclut aussi de nouvelles taxes sur les produits contenant des matériaux non recyclables ou difficilement réparables. Mises bout à bout, toutes ces mesures inversent la tendance du consumérisme irraisonné. Bientôt, il deviendra plus économique d’offrir une seconde jeunesse à nos produits, et à l’inverse, il deviendra plus onéreux d’acheter des objets qui ne sont pas fait pour durer.

    Au total, tout cela représente une coquette somme pour le gouvernement Suédois. Près de 190 millions de couronnes suédoises (près de 20 millions d’euros) seront consacrés au projet de réduction d’impôts, et 270 millions de couronnes seront déboursés pour la baisse de la TVA (près de 28 millions d’euros). Mais au final, c’est un investissement prometteur pour l’avenir ! En effet, cette nouvelle loi encourage la réduction de la pollution et du gaspillage (qui coûtent très cher aux pouvoirs publics) mais surtout, elle relance tout un pan de l’économie basé sur la réparation, le recyclage et l’économie circulaire.

    27 septembre 2018 - La Relève et La Peste

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  • Le style.

    Un écrivain à qui on demandait un jour si ce qu'il avait écrit était vrai a répondu: "Bien entendu que c'est vrai puisque je l'ai inventé."
    Indispensable vie commune. Vivre réellement avec ses personnages jusqu'à ce qu'ils ne soient plus à soi mais à eux-mêmes. Devenir dès lors le simple transcripteur de leurs parcours. "Je" n'écris pas, "ça" écrit en moi. A partir de là, il me semble qu'on peut parler de livres émouvants. Que l'écrivain disparaisse. Ce n'est pas le style qui importe mais la vie qu'on trouve dans le livre. Et la vie ne peut pas être inventée. Si le style l'emporte sur la vie, c'est juste qu'un exercice de style alors que le roman est une forme écrite de la vie. Ce n'est pas le "style" qui donne vie à un livre. C'est le saisissement de la vie qui façonne le style.

    Ce morceau sera pour moi celui de l'année, celui que j'aurai le plus écouté, celui sur lequel j'ai écrit des centaines d'heures. Il y a tout ce qui me ravit. La douceur, la tendresse, l'amour. C'est simultanément complexe et parfaitement reproductible en soi. C'est une musique qui m'imprègne, m'investit, physiquement. Parfois, je me concentre sur le piano, ou sur les violons, ou sur les notes répétitives du synthétiseur, parfois j'essaie de tout saisir à la fois.

    Il arrive maintenant très vite ce moment où il n'y a plus rien que la musique et les mots qui s'inscrivent sur le clavier. Hors de tout. Dans le saisissement de cette vie en moi. 

  • Jarwal, toujours lui.

    Je viens de relire quelques pages du tome 4.

    Je ne me souvenais plus vraiment de ce que j'ai écrit. Ni de quand ça date. 

    Une étrange impression. Cette conscience incertaine de ne pas avoir été là et que ces instants d'écriture ne sont pas inscrits dans ma mémoire.

    L'amour, la préservation de la Terre, les âmes, la force des êtres unis...Un jour, il faudra que je prenne le temps de lister les thèmes récurrents de mes romans. 

     

     

     Les Sages les invitèrent à se regrouper au cœur du village, devant la hutte centrale où se tenaient les débats du clan.

    Les travailleurs présents cessèrent leurs ouvrages, les enfants accoururent et les enlacèrent, des myriades de sourires, des florilèges de paroles aimantes.

    « Vous reviendrez nous voir ? demanda une petite lutine.

    -Quand j’aurai mille ans, j’irai dans votre monde, je serai un Sage, annonça un jeune lutin.

    -C’est vrai que dans votre monde, les villes sont plus grandes que la forêt ?

    -Et qu’il y a des gens qui tuent les autres ?

    -Et que les animaux disparaissent ?

    -C’est vrai que vous coupez les fleurs pour les faire mourir dans vos maisons ? Vous ne les entendez pas pleurer ? »

    Un florilège de questions qui les étourdit, comme un condensé de folies humaines énoncé par des esprits effarés.

    Ils réalisèrent tous ensembles que les images associés à leur monde témoignaient d’un désastre consommé. Comme une honte en eux.

    Jarwal mit un terme aux embrassades.

    « Allons-y les enfants. »

    Derniers signes de la main, derniers regards vers la communauté et la forêt environnante.

    Ils se glissèrent sous les frondaisons.

    Les chants des oiseaux, les cris des singes, la luxuriance de la végétation, les herbivores qu’ils côtoyaient et caressaient doucement lorsqu’ils se trouvaient sur le sentier, la douceur de leurs yeux curieux, l’éblouissant foisonnement de cette vie magnifiée, l’incroyable sensation de liberté et de paix, comme si l’acceptation inconditionnelle du retour programmé dans le flux vital, de cette mort comme un renouvellement nécessaire, établissait en chaque être vivant un abandon de toute peur, juste une bénédiction quotidienne ; ils n’oublieraient rien. Être heureux d’être là et s’efforcer de ne rien changer à ce bonheur, n’ajouter aucun désir, ne fabriquer aucun manque, ne créer aucune douleur.

    Les cinq enfants devinèrent en eux le travail immense. C’était ça que la Vie proposait dans leur Monde. Comprendre le bonheur et le préserver.

    « Je dois vous dire quelque chose les enfants, » annonça Jarwal.

    Ils s’approchèrent au plus près du lutin. Gwendoline marchait à ses côtés lorsque le sentier était assez large et Jarwal la laissait le devancer dans les étroitesses de la végétation.

    « Nous arrivons à la plage, continua-t-il. On sera mieux devant l’Océan. »

    Ils sentirent tous cette impatience dans la voix du lutin, comme une masse qui l’écrasait et qu’il devait déposer.

    Ils sortirent du couvert des arbres et se figèrent devant l’étendue. Une plage de sable blond, plus fin que de la farine, aussi lisse qu’un drap tendu, et l’immensité du bleu, uni à l’horizon avec un ciel étiré par les vents marins, des filaments cotonneux zébrant l’azur et les peuples mouvants des vaguelettes frangées d’écume, la douceur de la lumière comme un regard aimant.

    Rien, pas un mot, juste les yeux qui s’enivrent, les parfums qui embaument, le goût salé du vent marin sur leurs lèvres, la brise du large qui effleurait leur peau, un instant sacré.

    Gwendoline s’approcha de Lou et lui prit la main. Elles se regardèrent en souriant.

    « Tu es une belle âme, mon enfant, murmura la lutine. Tu ne le sais pas encore mais laisse la vie te l’apprendre, elle te donnera ce dont tu as besoin. »

    Lou ne répondit rien. Elle baissa les yeux et pencha la tête, ce geste que Rémi adorait, quand les mots qui tournaient en elle semblaient tous peser du même côté.

    « Il n’y a rien d’impensable, ajouta Gwendoline. Il n’y a que ce que tu ne comprends pas encore. Juste par manque d’expérience. Le tort des humains est de s’interdire d’explorer ce qui n’entre pas dans leurs habitudes. Explore, belle enfant, explore. »

    L’assemblée suivit Kiak qui descendit de quelques pas sur le sable et s’assit à l’ombre protecteur d’un palmier gigantesque.

    Rémi s’approcha de Lou. Elle lui prit la main et l’invita à s’asseoir. Elle lui sourit sans bouger les lèvres, sans le moindre mouvement du visage, elle lui sourit du plus profond de ses yeux et ce fut comme un univers de douceur qui coula en lui.

    Il ne savait pas à quel point le bonheur est un pourvoyeur de larmes, il n’aurait jamais imaginé que des âmes puissent à ce point s’enlacer, il laissa ses yeux s’embuer et le sourire intérieur s’illumina, il sentit qu’il n’était plus là, qu’il ne restait de lui qu’une légèreté indicible, une absence de tout et le comblement du néant.

    Jarwal ramassa une poignée de sable et s’appliqua à le laisser couler lentement, d’une main à l’autre.

    Silence.

    Tian regarda furtivement Kiak et fut fasciné par l’impassibilité de son visage et simultanément par l’incroyable bonté qui en émanait.

    « Je devais vous prévenir que je ne reviendrai pas tout de suite dans votre monde les enfants. Je sais que vous l’espérez mais je veux rester ici, avec Gwendoline. »

    Léo eut envie d’intervenir immédiatement et de proposer que Gwendoline l’accompagne.

    « Je ne retournerai jamais là-bas, intervint la lutine, coupant court à ses pensées. Ce que j’y ai vécu ne me quittera jamais. »

    Un silence lourd de paroles contenues, cette certitude que Gwendoline n’en dirait pas davantage, que la douleur dans ses yeux criait des infortunes voraces, des pensées insoumises qu’elle devait s’efforcer de taire pour ne pas entacher les jours de paix.

    « Je ne te l’imposerai jamais, mon amour, » reprit Jarwal.

    Des serments qu’aucun des cinq enfants n’auraient osé contester. Assis, côte à côte, les deux amoureux se tenaient la main mais bien plus qu’un simple geste habituel et un contact plaisant, ces doigts enlacés unifiaient des âmes serties dans le même écrin.

    Rémi s’imagina assis auprès de Lou dans cinquante ans.

    « Je vous promets, les enfants, que je convaincrai Jarwal de ne pas vous laisser attendre trop longtemps, » ajouta Gwendoline.

    Un sourire qui illumina son regard, l’impression de voir ruisseler en poussières liquides des marées de larmes abandonnées, comme des flots néfastes qui ne devaient pas la noyer.

    « On saura être patient, Jarwal, intervint Rémi. Rien n’est plus important pour nous cinq que de vous savoir réunis.

    -Oui, je confirme, lança Léo, joyeusement. Et c’est bien pour ça que nous sommes venus jusqu’ici. Même si je ne comprends pas où on est, finit-il en riant.

    -Tout est dit, enchaîna Marine. Il nous était insupportable après le compte-rendu de Léontine, de penser que vous risquiez tous les deux de ne pas pourvoir profiter de ce bonheur retrouvé. Il n’est pas question pour nous de vous en priver. »

    Des sourires échangés, des regards qui coulaient en eux comme des rayons solaires, des chaleurs qui ne s’éteindraient jamais.

    « Je ne tarderai pas certainement, reprit le lutin car je dois reprendre ma mission. D’autres compagnons sont des âmes en attente dans le Livre.

    -Et de notre côté, nous continuerons la recherche de nouveaux Messagers, enchaîna Marine. Je suis convaincue maintenant que nous devons tout faire pour partager cette expérience extraordinaire et propager tous les savoirs que tu nous transmets, Jarwal. »

    Le préparatif au voyage.

    Ils en connaissaient le rituel.

    Le cercle unifié, main dans la main.

    À quelques mètres, Jarwal et Gwendoline observaient leurs amis en souriant.

    « Nous nous reverrons les enfants. Je vous aime, lança le lutin.

    -Nous aussi, » répondirent les enfants en chœur.

    Le bourdonnement de Léontine, les mains serrées de chacun et chacune, l’énergie qui coule en eux et fusionne, les enlace et les emporte, fragmentation des corps, comme une eau qui bout et s’évapore.

    Rémi aperçut dans les dernières secondes le regard éperdu de Lou, une tension intérieure qui la raidissait.

    Montée verticale. Disparition.

    Le voyage des âmes.

    Fulgurance du transfert, des vitesses inconnues dans les cieux animés d’entités curieuses, des âmes suspendues qui les effleuraient.

    Les corps se reconstituèrent dans le marais.

    Restauration inversée, les visages en apesanteur et le tronc qui se forme, les membres qui croissent et les pieds qui s’ancrent sur la terre.

    Rémi sentit ruisseler en lui la conscience des choses, comme une éponge qui absorberait les phénomènes environnants, une matière qui viendrait englober une âme incarnée. Cette pensée soudaine que la vie possédait une imagination sans limite et qu’il était insignifiant de la limiter aux apparences. L’essentiel était enfoui sous des images.

    Il se tourna lorsque la maîtrise de son corps lui fut rendue et le vide à ses côtés faillit le terrasser.

    Lou n’était pas là.

    Il regarda, paniqué ses trois compagnons.

    Il chercha aux alentours et cria, comme éventré, une lame déchirant ses chairs, un sabre tranchant le fil de sa vie.

    « Lou !! »

    Le cri prolongé glaça d’effroi les compagnons reconstitués, cette voix brisée qui trancha le silence, un éclair de terreur qui zébra leur conscience retrouvée.

    « Léontine !! Où est Lou ? Léontine !! »

    Rémi était sorti de la zone marécageuse et explorait en tous sens.

    « Lou !! »

    Entre les roseaux, dans les fourrés, derrière les troncs, il courait éperdument, comme s’il fuyait la mort, comme s’il cherchait sa vie.

    « Léontine, où es-tu ?

    -Je suis là, Marine. »

    La mouche bleue se posa sur son épaule.

    « Lou ne nous a pas suivie. Elle est toujours là-haut. »

    La voix en eux, sombre et désemparée.

    La stupéfaction des compagnons.

    Léo jeta un regard épouvanté vers le ciel et sentit son cœur se fendre. Il regarda son frère qui revenait vers le groupe. Le visage décomposé.

    « Léontine, il faut qu’on aille la chercher ! cria-t-il. Et c’était comme si sa vie ne tenait qu’à un fil, comme s’il allait tomber en morceaux sur le sol.

    Léo vit les bras de son frère qui tremblaient.

    « Pourquoi l’as-tu laissé faire ? lança le garçon, en colère.

    -Je n’y suis pour rien Rémi. L’âme ne connaît pas l’obéissance, je n’ai aucun pouvoir sur celle de Lou, ni sur aucune d’entre vous. Je ne suis qu’un guide, pas un tyran. Lou a sûrement une bonne raison pour ne pas être restée avec nous. »

    La douceur de la voix calma le garçon.

    « Line ! s’exclama-t-il, soudainement.

    -Qui ça ? demanda Tian.

    -La sœur de Lou. »

    Lui revint en mémoire le récit de leur amie. Sa sœur disparue, l’accident de voiture.

    Les pensées qui s’entrechoquent. Une rencontre inattendue, des retrouvailles.

    « Rappelez-vous ce qu’a dit le vieux sage de l’autre monde quand il est venue vers Lou. 

    « Oui, c’est elle, chère enfant, » se souvint Marine. Elle n’avait pas compris.

    Personne n’avait traduit le mystère.

    « Lou a retrouvé l’âme de sa sœur ? C’est ça Léontine ?

    -Sans doute Rémi, on peut l’envisager en tout cas.

    -Qu’est-ce qu’on va faire ? C’est une catastrophe Léontine. Qu’est-ce qu’on va dire à ses parents ? Il faut la récupérer.

    -Je vais y retourner Rémi. En attendant, vous prenez le chemin les enfants, il faut que vous avanciez, vous n’avez pas beaucoup de temps. Je vous retrouverai plus bas. Je la ramènerai. »

    La mouche bleue disparut dans un battement de paupières laissant les enfants figés par le drame.

    Lou n’était pas revenue.

    L’impensable rencontre.

    Ils s’engagèrent sur le chemin dans un silence de tombes. Que pourraient-ils raconter ? Ils ne pouvaient pas mentir mais la vérité apparaîtrait comme un mensonge.

    Ils espéraient tous que Léontine la retrouve et la persuade de revenir. Revenir sur Terre. Rien que l’expression hurlait à tue-tête l’impensable vérité.

    Lou errait dans les cieux avec une âme aimée.

    Ils approchèrent du village et le feu dans leurs entrailles les consumait sans pitié.

    Marine avait l’impression que son crâne allait imploser, ce tourbillon de pensées en elle la broyait, elle était incapable de se libérer de l’épouvantable culpabilité d’avoir invité Lou à se joindre à eux. Aucune réflexion ne parvenait à échéance, chaque raisonnement se perdait immanquablement dans les affres brûlants de la honte, de l’horrible certitude d’avoir condamné son amie, de l’avoir ôté à la vie, elle l’imaginait condamnée à errer sans fin dans la masse éthérée des âmes en attente. Avait-elle choisi cette rupture, avait-elle été retenue par l’âme de sa sœur défunte, hurlait-elle dans les cieux, appelait-elle à l’aide, était-elle enchaînée aux nuages, cherchait-elle follement une issue de secours, des âmes rieuses dansaient-elles autour d’elle dans une ronde endiablée ?

    « C’est impossible, on ne peut pas arriver comme ça et dire qu’on ne sait pas où est Lou. »

    Rémi brisa le silence et sa voix éperdue les brisa tout autant. Léo n’avait jamais vu cette détresse dans les yeux de son frère. C’était comme si la mort coulait déjà en lui et affolait chaque fibre.

    « Qu’est-ce que tu proposes, Rémi ?

    -On s’assoit Tian et on attend jusqu’à la nuit si c’est nécessaire. Et on prie. 

    -Prier ? interrogea Léo. Mais prier qui ? Je n’ai jamais fait ça. Et si c’est à Dieu que tu penses, je n’en ai aucune image et je ne connais rien du bonhomme. Je ne vois pas pourquoi il m’écouterait.

    -Les hommes qui prient un Dieu ont juste inventé une image parce qu’ils ne savent pas donner une image à l’amour, intervint Tian. C’est l’amour que tu pries car il est le fondement de tout. Et c’est notre amour de tous pour Lou qui doit guider nos pensées. Rémi a raison.»

    Ils s’étaient arrêtés et tournaient en boucle dans leurs esprits torturés les paroles de Tian.

    « Il faut juste projeter vers les cieux la force de notre amour pour Lou afin que son amour pour sa sœur ne la retienne plus. Je ne sais pas si elle a choisi de rester là-haut ou si quelque chose de plus fort qu’elle la retient mais nous devons nous unir pour briser ce sortilège, quel qu’il soit. »

    Marine n’avait rien dit. Elle grimpa sur le talus et désigna un espace d’herbe au-delà d’une futaie. Ils quittèrent le sentier et se glissèrent sous les arbres.

    Le parterre verdoyant était à l’abri des regards.

    « Vous voulez prier chacun dans votre coin ou bien on se donne la main ? demanda Rémi.

    -Je pense que nous devons être unis comme quand on fait le voyage de l’eau. Nos prières auront peut-être plus de force.

    -Si c’est le cas Marine, ça veut dire que nos quatre prières séparées deviendront une cinquième prière en se rejoignant. Et je pense effectivement que c’est le cas.

    -L’unité est plus puissante que des milliers de chiffres solitaires.

    -Oui, Léo, c’est comme ça que je vois les choses et l’amour est nécessairement une unité des individualités. »

    En cercle, les mains dans les mains.

    Rémi ferma les yeux et tous l’imitèrent.

    Ce besoin d’entrer en soi pour trouver les paroles.

    Combien de temps ? Ils n’auraient su le dire.

    Chacun dans le secret des pensées volages et de l’intention, dans l’assaut des peurs intérieures et de la concentration retrouvée.

    Sauver Lou et abandonner toutes les autres pensées.

    Marine s’imagina voler vers l’horizon des cieux, comme une flèche infatigable et simultanément, elle se vit jeter des regards incontrôlés vers les nuages, comme si son esprit lui échappait par intermittences, que des parasites perturbaient la communication. Elle s’en voulait d’avoir osé se penser coupable. Comme si son cas personnel était plus important que la disparition de Lou. Elle s’en voulait de tout ce qu’elle découvrait en elle. Alors elle s’oublia volontairement et pria de tout son amour.

    Léo avait mal pour son frère et ça le déchirait. Vraiment. Il n’avait jamais vu Rémi dans un tel état. Son regard tout à l’heure, quand il cherchait Lou. Il ne pensait pas que son grand frère puisse avoir si peur pour quelqu’un d’autre. Comme si sa propre vie en dépendait.

    C’était ça l’amour, peut-être.

    Rémi sentit fondre peu à peu les pensées insoumises, comme si la puissance de son amour pour Lou parvenait à consumer les images inutiles, les ruptures dans le fil de sa volonté. Le rayonnement qui l’envahit le surprit, une chaleur qui monta de son ventre et s’étendit lentement dans son dos, il sentit la chaleur jusqu’au bout de ses doigts et les larmes jaillirent comme un flot libéré.

    Une digue s’était rompue et l’amour coulait sur ses joues comme au plus profond de son être, un soleil en lui qui l’inondait, une pluie de particules caloriques, une myriade d’étoiles, des galaxies pétillantes. Comme si soudainement, cet amour en lui coulait de l’Univers.

    Il devina les mots libérés s’élancer vers les cieux, une ligne de vie tendue vers l’azur, le lien indéfectible de l’amour par-delà les distances les plus inconcevables. Il n’aurait jamais pu imaginer à quel point Lou était en elle, comme un cœur scindé en deux et qui bat pour une entité unifié, deux individus englobés par une aura de tendresse, il aurait voulu crier de toutes ses forces et que son cri franchisse l’infini de l’Univers, il aurait voulu monter au ciel et chercher dans la multitude des âmes en attente celle de son aimée, l’arracher au néant d’une vie égarée.

    Pas elle. L’impensable, l’inacceptable, comme si lui était retirée de son être, une part inconnue, quelque chose qu’il n’avait jamais identifiée, jamais ressentie.

    Ils ouvrirent les yeux simultanément, comme des volets repoussés par une bourrasque intérieure.

    « Vous avez entendu ? cria Rémi.

    -Oui, c’est Léontine, elle a dit de descendre vers le lavoir, » répondit Marine. 

    Rémi s’était déjà levé et tentait de calmer les tremblements de son corps, de retrouver un semblant de forces dans ses jambes flageolantes.

    « C’est loin ce lavoir ? interrogea Tian.

    -Non, pas tellement, à dix minutes en descendant vers le village, » répondit Marine qui se dirigeait déjà vers la route.

    Ils n’auraient pas pu se contenter de marcher. Une fureur dans leurs esprits, cet espoir immense qui nourrit les défis les plus fous. Ils coururent tous les quatre côte à côte, le souffle haletant, leurs cuisses emportées par la pente dans un déferlement de foulées immenses.

    « Lou ! »

    Elle était là, cent mètres devant eux, à la sortie d’un virage, elle montait tête baissée, les épaules en avant, une course effrénée, épuisante.

    Elle leva les yeux.

    « Rémi ! »

    Les deux appels en écho, les deux voix qui lancent à tue-tête les cris du cœur.

    Ils devinèrent avant de la rejoindre les cheveux mouillés qui tombaient sur ses épaules, les habits ruisselants, son visage où se mêlaient la stupeur et la joie, l’inquiétude et le ravissement, un mélange chaotique d’émotions ultimes.

    Elle tomba dans les bras de Rémi. Sans aucune retenue. Il la serra avec la même ardeur.

    « Je t’ai entendu, et toi aussi Léo et Marine et toi aussi Tian. Vous étiez là, près de moi et je sentais vos appels qui me tiraient vers vous. C’était comme si vous aviez tourné vers moi un aimant et qu’il m’arrachait à l’espace. »

    Elle s’arrêta de parler, elle recula de quelques centimètres et les observa.

    « Je ne suis pas folle mes amis, je vous le jure. J’ai retrouvé ma sœur. »

    Rémi ne pouvait pas dormir.

    Il regardait le plafond sans le voir, les regards intérieurs projetés sur le chemin du lavoir, les yeux de Lou plongeant dans son bonheur de l’avoir retrouvée. Cette impression inexplicable de ne plus pouvoir vivre sans elle et simultanément l’incroyable récit, tous les cinq assis au sommet du talus, dans un cercle de soleil, la nécessité pour Lou de sécher ses habits avant de rentrer.

    Line. Une âme retrouvée. L’impensable.

    Lou avait raconté le voyage aller vers l’Autre Monde, cette rencontre soudaine, une incompréhension totale, la peur de devenir folle et pourtant cette voix en elle, celle de sa sœur, Line, sa sœur jumelle, sa sœur perdue, la douleur insondable de sa vie, cette voix en elle et la vitesse stupéfiante du voyage à travers les cieux, la nécessité de suivre le groupe, l’impossibilité de s’arrêter.

    Elle n’avait rien dit mais le Chaman avait vu en elle. Ils s’en souvenaient désormais.

    « Oui, c’est bien elle, chère enfant. »

    Ils n’avaient pas compris et Lou n’avait rien expliqué.

    Elle avait attendu le voyage de retour avec une impatience insoumise, comme un cri retenu en elle, une douleur bienheureuse, une brûlure maintenue, elle était persuadée de la vérité de cette rencontre, elle ne pouvait pas s’être trompée, une telle certitude, cette voix qui résonnait au plus profond.

    Line. Son âme. Une vie préservée au-delà de la raison, au-delà de toutes les tristesses accumulées, des paroles réconfortantes de ses parents et de leurs silences abattus.

    Sitôt l’envol déclenché, Line était revenue. Lou l’avait suivie. Un voyage dans les confins de l’inconnu, elle avait l’impression d’avoir accompli cent fois le tour de la Terre, elle avait survolé les océans et les chaînes de montagnes, les forêts vierges comme des chevelures hirsutes, elle avait suivi les cours des grands fleuves, elle avait traversé des nuages d’orage et les crépitements de la foudre en attente l’avaient enveloppée, une course folle comme si les âmes retrouvées ne pouvaient pas assouvir leur bonheur autrement que dans l’euphorie de la vitesse, elle avait suivi Line sans un mot et sans jamais se taire, les pensées coulaient en elle sans aucun organe émetteur, un flot continu de paroles dans un silence d’altitude.

    Incompréhension.

    Elle se souvenait parfaitement avoir enlacé Line, avoir senti le parfum de sa peau, avoir plongé dans le bleu cristallin de ses yeux, elle avait senti la soie de ses cheveux, elle avait entendu ses rires, cette voix jamais disparue, elle avait découvert les gouffres éteints de sa mémoire et la lumière avait jailli.

    Rémi avait écouté son récit, n’en avait rien oublié, plongé lui-même dans les yeux brillants de Lou, imaginant les confins du ciel comme il n’avait pu les voir.

    L’aimantation.

    Lou avait raconté. Encore et encore, un débit de paroles qu’ils ne lui avaient jamais connu, un bonheur étrange, comme s’il s’étendait dans les profondeurs les plus insondables et qu’ils n’en percevaient que les effluves les plus infimes, comme si Lou ne parvenait pas à traduire clairement ce qu’elle avait vécu.

    « J’ai senti une force immense, irrésistible. Je savais que c’était vous. »

    Il se souvenait parfaitement du regard que Lou lui avait lancé, une douceur infinie comme si elle voulait lui dire secrètement que son amour était bien plus fort encore, qu’elle l’avait ressenti jusqu’au fond de son cœur, dans les fibres les plus infimes, dans le courant de son sang.

    « La vitesse s’est réduite puis Line s’est arrêtée. Nous étions suspendus dans un espace immobile, entourées par une lumière violette. Totalement seules. Je ne sais pas où étaient les autres âmes. Il n’y avait plus personne. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu’elles ne voulaient pas répondre à cet appel que vous me lanciez, qu’elles savaient que ça n’était pas pour elles, que cet amour ne leur était pas destiné, que ça n’était pas leur tour. Line m’a enlacée, je l’ai vue sourire. Et pourtant, il n’y avait rien de matériel, pas de corps, rien de connu. C’est comme si ma mémoire la reconstituait, comme si la présence de son âme redonnait vie à son enveloppe humaine – « Nous serons toujours réunies. » - Ce sont ses dernières paroles. Puis j’ai plongé sans pouvoir résister et je me suis retrouvée dans le lavoir. »

    Léontine avait expliqué que c’était le moyen le plus rapide pour la réintégration. La mouche bleue avait ajouté qu’elle ne pouvait pas intervenir directement et qu’elle avait craint le pire. L’amour de Line et de Lou l’empêchait de se faire entendre, comme une muraille infranchissable et que c’était les prières du groupe qui avaient déclenché le retour.

    C’est sur le chemin vers le village, juste avant les premières maisons que Lou avait révélé la raison cachée de ce survol frénétique de la Terre. Elle avait lâché ces dernières paroles comme on lâche un tison brûlant.

    « La Terre souffre horriblement de la présence des hommes et tout ça va mal finir. La crise dont on entend parler depuis des années est bien plus qu’une simple crise. C’est une mutation, une transformation qui va engendrer une nouvelle Terre et une nouvelle Humanité. C’est Line qui me l’a expliqué. Ce sont ses mots exacts. Chaque être humain a désormais une mission. Un grand nombre d’âmes en attente sont déterminées. Personne n’a idée de ce qui va survenir.»

    Ils n’avaient pas eu le temps d’approfondir. Chacun avait filé chez soi. 

  • Célestin Freinet

    1932, la « méthode Freinet » bouscule l'école – et suscite l’ire des conservateurs

    ÉDUCATION

    le 14/12/2018 par Arnaud Pagès - modifié le 14/12/2018

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    L'instituteur Célestin Freinet donnant cours dans les années 1950 - source : Contretemps, Revue de critique communiste

    L'instituteur Célestin Freinet donnant cours dans les années 1950 - source : Contretemps, Revue de critique communiste

    Qualifié abusivement de « bolchévique », Célestin Freinet, un instituteur influencé par les théories de l'éducation nouvelle, est critiqué par la presse conservatrice nationale qui s'alarme de ses méthodes d'enseignement.

    Ancien poilu blessé lors de la Grande Guerre, Célestin Freinet commence sa carrière d'instituteur en 1920 à Bar-sur-Loup, dans les Alpes Maritimes. Très vite, dès la rentrée scolaire de 1924, il met en place une pédagogie tout à fait nouvelle pour l'époque qu'il souhaite expérimenter auprès de ses élèves.

    Il centre son enseignement autour de l'écriture et du dessin « libres », c’est-à-dire sans contrôle ni censure d'un adulte.

    Son credo, proche de celui de la pédagogue italienne Maria Montessori, est de laisser une grande liberté aux enfants pour qu'ils puissent apprendre et découvrir par eux-mêmes. Selon lui, lorsque les élèves sont passionnés par ce qu'ils font, l'autorité du maître n'est plus nécessaire et l'enseignement se fait de façon « naturelle ».

    Il accorde également une importance particulière à la pratique de la correspondance scolaire afin d’encourager ses élèves à s'exprimer sans contrainte.

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    Dans un article publié en 1937, le journal alors progressiste L’Œuvre résume le but que s'est assigné Freinet, à savoir réconcilier ce qu’il appelle la vie naturelle de l'enfant avec la vie scolaire :

    « – Huit heures ! disait Freinet.

    Dans toutes les écoles de France, les enfants entrent en classe. La minute d'avant, dans la cour, les uns jouaient en se bousculant, d'autres lisaient un livre plus ou moins défendu ; d'autres caressaient au fond de la poche, un objet favori.

    Quand la cloche sonne, toute cette vie-là cesse. C'est fini. Sauf en de rares occasions, l'école ne parvient pas à renouer avec la vie extérieure, les fils brisés...

    L'école a voulu exprimer la pensée de l'adulte.  En outre, elle n'a pas fait ce que font toutes les industries, toutes les usines : adapter le travail aux nécessités de l’heure. »

    Mais Célestin Freinet, depuis son petit village des Alpes Maritimes, dérange de plus en plus. Dans la France de l'entre-deux guerres, les nouvelles méthodes pédagogiques ne sont pas nécessairement du goût du rectorat ni du ministère de l’Instruction publique, qui cherchent à remettre l'instituteur dans le droit chemin en le sanctionnant.

    Freinet est muté à Saint-Paul de Vence en 1932. Un incident va alors un peu plus attirer l'attention sur cet enseignant hors cadre.

    Dans la nuit du 2 au 3 décembre, les opposants à Freinet placardent des affiches calomnieuses sur les murs du village. Elles attaquent directement l'instituteur et sa méthode, accusant celui-ci d'être sous la double influence de la psychanalyse freudienne et du communisme. Et de mettre ainsi en danger les enfants.

    La presse nationale s'empare de cette affaire. Dans son édition du 8 janvier 1933, le journal conservateur Le Figaro porte une charge virulente et diffamatoire contre Freinet :

    « Freinet joint au culte du bolchévisme le culte du freudisme.

    On connaît la thèse du célèbre professeur viennois : la sexualité joue un rôle primordial dans l'activité de l'être humain ; celui-ci, sous l'influence de la morale traditionnelle, refoule les idées troubles qui lui viennent ; la nature se venge par les rêves et par les névroses ; aussi est-il préférable de laisser venir ces idées à la pleine clarté de la conscience, et de les analyser longuement, pour retrouver l'équilibre mental et physiologique.

    Cette théorie a été l'objet, en France notamment, de critiques pénétrantes. On a remarqué, entre bien d'autres choses, que le fait d'analyser longuement de mauvaises pensées fugitives risquait fort de les développer. Car l'attention renforce les idées sur lesquelles elle se porte.

    M. Freinet, lui, ne se soucie pas de cela.

    Il traite ses élèves comme des cobayes ; il leur inocule en quelque sorte le virus freudien au risque de troubler à jamais leurs jeunes imaginations. »

    D'abord jugé par le Conseil départemental de l'enseignement primaire qui lui interdit d'appliquer sa méthode, il est ensuite victime d'une pétition, émanant d'un groupe de parents d'élèves, qui reprochent à Freinet de faire « l’éloge de la révolution russe » et demandent à ce qu'il soit en conséquence exclu de l'instruction publique.

    Cependant, Freinet est alors reconnu comme une référence en matière de pédagogie, notamment grâce aux très bons résultats obtenus avec ses élèves. L'instituteur se trouve donc des défenseurs, et sa méthode de nombreux soutiens.

    Les Cahiers des droits de l'homme publient le 10 juillet une liste des communes se déclarant solidaires de l'instituteur :

    « Freinet (Instituteur) : Barcelonette adresse l'assurance de son dévouement à l'instituteur Freinet, demande au comité central d'intervenir en sa faveur.

    Bray-sur-Somme demande au comité central de prendre la défense de Freinet […]

    Chateauneuf-de-Galaure adresse sa sympathie au citoyen Freinet […]

    Pontarion envoie à l'instituteur Freinet l'expression de son admiration et l'assurance de sa sympathie […] »

    Pourtant, les choses s'enveniment encore à la rentrée des vacances de Pâques 1933. Devant son école, Freinet est agressé physiquement et injurié en public. C'en est trop. Il demande alors un congé de longue durée et finit au bout de quelques mois par se mettre en retraite.

    Il compte désormais, avec l'aide de sa femme Élise, monter sa propre école. Celle-ci sera privée, hors du champ de l'éducation nationale, condition sine qua none pour pouvoir enseigner la méthode Freinet.

    Sa première école ouvrira le 1er octobre 1935 à Saint-Paul de Vence. Freinet y instaurera la « classe promenade » en pleine nature, l'expression libre par l'imprimerie, le journal mural, la coopération entre instituteurs, ou encore l'auto-correction des devoirs par les élèves.

    Aujourd'hui, il existe 966 écoles se réclamant de la méthode Freinet en France. Un succès dû notamment à l'obstination de Célestin Freinet, disparu en 1966.

    Pour en savoir plus :

    François Jacquet-Francillon, « Le centenaire de Celestin Freinet [compte-rendu] », in: Spirale. Revue de recherches en éducation, 1999

    Alain Vergnioux, « Le Texte libre dans la pédagogie Freinet », in: Repères, recherches en didactique du français langue maternelle, 2001

    Sylvain Connac, « Freinet, Profit, Oury, Collot : quelles différences ? », in: Spirale. Revue de recherches en éducation, 2011

  • Que faire de Jarwal le lutin ?

    L’image contient peut-être : plein air

    Je suis tombé sur ce magnifique dessin. Toute l'ambiance que j'aime. J'ai réalisé alors qu'il n'y a pas assez d'animaux dans les quatre tomes déjà écrits. Je sais qu'un jour, je reprendrai tout ça. Pour en faire quoi ? Je n'en sais rien. Les éditeurs trouvent cela trop ardu et pas assez "ciblé". Quel âge ? Dix ans, douze, quinze ? Je n'en sais rien.

    D'ailleurs, je lisais Jack London et Saint Exupéry en 5 ème, puis Camus en 4 eme, puis Sartre puis beaucoup d'autres. Mais en même temps, je lisais Lucky Luke, Astérix, Gaston Lagaffe et toutes les BD que je trouvais à l'époque. Et je lis toujours des BD et j'adore ça. J'ai eu un élève de CE2 (huit ans) qui lisait "La peste" à la récréation et qui me disait que Camus parlait de la guerre en fait et que la peste, c'était une image. Je ne l'ai jamais oublié ce garçon-là. Est-ce donc qu'il faut écrire pour un public ou laisser le public aller vers les auteurs ? 

    Je vais continuer à écrire Jarwal comme il vit en moi. Le reste, finalement, n'a pas d'importance puisque ça ne dépend pas de moi. 

    JARWAL LE LUTIN : tome 4

    "Rentrons au camp, mes amis et nous parlerons jusqu’à votre départ, » proposa Jarwal.

    Gwendoline prit la main de Lou.

    « Ne t’inquiète pas jeune fille, tu auras toutes tes réponses. »

    Un sourire espiègle dans les yeux sans âge. Lou essaya de comprendre l’allusion, l’intonation était curieuse, comme un secret préservé dont elle connaissait la teneur. Gwendoline savait-elle quelque chose ? Connaissait-elle l’impensable ?

    Ils rejoignirent le camp. Ils l’observèrent plus précisément et virent plusieurs grands herbivores paître tranquillement à la lisière de la forêt, des espèces différentes qui se côtoyaient. Des volatiles aux couleurs chatoyantes picoraient des graines disséminés par des enfants rieurs. De grands potagers encadrés par des murets rectilignes regroupaient de nombreux travailleurs, beaucoup chantaient en maniant les outils, des rangées de tuteurs portaient de longues plantes alourdies par des légumes inconnus. De jeunes enfants saisirent leurs mains en leur souriant.

    « Tu as vu la Vie dans l’Arbre ? demanda une fillette à Lou.

    -Je ne sais pas ce que j’ai vu mais je m’en souviendrai toute ma vie.

    -Tu ne sais pas ce que tu vois ? C’est étrange ça ?

    -Si, je comprends d’habitude mais là, c’était tellement… Je ne sais pas comment le dire.

    -Tu ne sais pas dire ce qui est en toi ? Mais comment sais-tu que c’est en toi si tu ne sais pas le dire ? Peut-être que ça n’est pas vraiment en toi et que ça tourne encore autour de ton âme. Tu n’es pas assez ouverte à la Vie, c’est pour ça, j’étais pareille quand j’étais toute petite, mais tu verras, ça viendra. »

    Elle devait avoir cinq ou six ans. Mais Lou se souvenait que Jarwal avait des centaines d’années. Peut-être que cet enfant était bien plus âgée qu’elle-même. Elle rendit son sourire à la fillette qui courut vers Marine.

    La troupe entra enfin dans la grande hutte. Les Sages distribuèrent des corbeilles remplies de fruits et des gobelets en bois avec une eau bien fraîche.

    Tous assis en cercles.

    « Vous ne comprenez pas ce que vous avez vécu, annonça Kiak. Nous le savons. Nous allons vous éclairer. Maintenant que vous avez ressenti avec votre corps, vous pouvez comprendre avec votre âme. C’est ainsi que nous enseignons à nos jeunes. Vivre d’abord et comprendre ensuite, sinon, il n’y a rien à comprendre, ce ne seraient que des concepts, des pensées mortes.

    -Je n’ai pas l’impression d’avoir vécu quelque chose avec mon corps, intervint Léo qui s’en voulut aussitôt d’avoir coupé la parole au vieux Sage.

    -C’est parce que vous avez été habitués à user de votre corps en vous agitant et là, vous êtes restés immobiles. Mais je peux t’assurer Léo que ton corps se souvient de tout. Chaque particule a gardé en mémoire votre voyage.

    -Les particules ont une mémoire ? demanda Léo qui s’enhardissait.

    -Ah, oui, c’est vrai que dans votre monde, vous croyez que la mémoire est dans votre cerveau. Eh bien, les enfants, sachez que même votre cœur a un cerveau et vos intestins aussi et ils ont une mémoire illimitée. Chaque particule de votre corps est un condensé de la Vie. Chaque millimètre a une vie propre tout en étant relié à la vie de l’ensemble. C’est cette cohésion qui aurait pu montrer aux humains que tout est relié. Du plus petit à l’immensité. Nous sommes des particules d’Univers et nous sommes donc aussi l’Univers.

    -Kiak, j’ai une question à te poser.

    -Oui Rémi, c’est préférable d’ailleurs que je réponde à vos interrogations avant d’aller plus loin.

    -Je me souviens d’une voix qui parlait en moi, je me souviens d’images, j’ai même des sensations, comme des courants électriques, des fourmillements, mais je ne comprends rien à tout ça, tout est allé trop vite. Où est-ce qu’on est allé ?

    -Vous n’êtes allés nulle part Rémi. Vous êtes restés là où vous êtes à chaque instant mais vous avez vécu pleinement chaque instant, comme si un rideau s’était ouvert et que vous aviez pu regarder de l’autre côté. »

    Les cinq enfants n’intervinrent plus. Ils écoutèrent intensément chaque parole. Kiak expliqua chaque particularité de cet Autre Monde. Il n’y avait pas de reproduction sexuée, l’Arbre de Vie entretenait le flux, il gérait l’équilibre, les nouveaux arrivants étaient accueillis par le clan tout entier, les besoins étaient couverts par la communauté, il n’y avait pas d’attachement à une famille, l’absence de parents attitrés supprimait la peur de la mort, une osmose totale et inconditionnelle avec le flux vital, aucune scission avec l’unité originelle.

    « Dans votre monde, lorsque vous naissez, vos parents ont peur pour vous et vous transmettent inconsciemment cette émotion profonde. C’est la peur de la mort et elle prend le pas sur l’amour de la vie. Vous allez apprendre avec cette peur et elle vous poussera inconsciemment à vous détacher de la Vie jusqu’à croire que vous êtes différents, meilleurs, insignifiants, bêtes, intelligents, paresseux, courageux, forte tête, soumis, rebelle, rêveur, que vous êtes votre nom, votre image, votre réputation. Tout cela peut exister effectivement mais tout cela vous éloigne de la source, tout le drame est là. La peur de la mort est causée par votre attachement à vous-même. Il vous suffirait d'honorer réellement la vie pour que cette peur disparaisse. Vos conditions de vie ne sont pas la Vie et dès que vous êtes coupés de cette Vie, vous vous contentez d’exister. Et c’est un effroyable gâchis. C’est comme si vous vous intéressiez à l’Océan en vous préoccupant uniquement d’une des gouttes d’eau qui le composent. Vous ne connaîtrez jamais l’Océan et vous n’aurez qu’une vue parcellaire de la Vie. Ce qui manque à votre Monde, c’est la capacité à vous élever.»

    Ils écoutèrent encore, longtemps, très longtemps. Sans un mot, sans une question.

    Il n’y avait pas de prédateurs. La peur de la mort n’existait pour personne. L’Arbre de Vie était le garant de l’équilibre de chaque espèce. Ces arbres existaient à plusieurs endroits du monde et dispensaient leur pouvoir avec la même intention : l’équilibre. L’existence pour tous démarrait à un âge suffisant pour ne pas être dépendant, chaque individu vieillissait suffisamment longtemps pour acquérir la sagesse de la plénitude jusqu’à ce qu’il ne soit plus capable d’être autonome. Alors, la Vie se chargeait de le réinsérer dans le flux. Un départ sans violence, sans souffrance, pendant une nuit, un sommeil profond et la fragmentation des particules, le retour dans le flux pour une réinitialisation du processus. Personne ne pleurait celui qui avait rejoint le flux originel, tout le monde savait que ça n’était qu’une étape. L’hommage envers la Vie restait identique.

    « Le processus est le même dans votre monde. Rien ne se perd, tout se transforme. Vous êtes, vous cinq, de vieilles âmes et votre parcours ne cessera que lorsque vous deviendrez des Éveillés, c'est-à-dire des âmes qui n’auront plus besoin de réincarnation parce qu’elles auront atteint la plénitude absolue. Elles seront dans l’Esprit. »

    Rien ne se perd, tout se transforme. Marine se souvenait d’un cours de sciences, le professeur avait utilisé cette formule, un certain Lavoisier. Le scientifique ne pensait sûrement pas qu’il en était de même avec les âmes. Le voyage de l’eau. Toutes ces âmes en attente. Un choix à faire pour continuer à progresser. Mais alors pourquoi certains individus œuvraient à l’extension du Mal ? Elle ne comprenait pas.

    « La peur, Marine, juste la peur. Les individus qui font du Mal sont terrorisés par la peur de la mort mais ils l’ignorent ou s’obstinent à l’ignorer par des agitations issues de leur immaturité. De faire le Mal leur donne un sentiment de puissance qui les libère quelques temps. »

    La voix de Léontine. La petite mouche bleue devait se trouver quelque part dans la hutte.

    Marine la remercia intérieurement.

    « La vie dans les océans est la même que sur les terres, continuait Kiak. Il n’y a pas d’arbres de vie mais des failles dans le fond océanique et c’est de là que la vie apparaît. Les poissons se nourrissent d’algues, il n’y a aucun prédateur, la peur de la mort sur ce Monde n’existe pas. Mais vous pourriez connaître la même plénitude dans votre monde.

    -La mort des humains est parfois très dure à vivre.

    -Tu as bien dit « à vivre », Rémi et c’est cela qu’il faut garder à l’esprit. Vous êtes en vie. Pour mourir, il faut donc au préalable avoir reçu ce don de la vie. Il est peut-être là le plus grand défi de votre Monde, que vous appreniez à mourir en continuant de bénir la Vie. »

    Un silence prolongé, une révélation qui bouleversa Lou jusqu’aux larmes. Elle tenta de les essuyer discrètement mais Rémi remarqua son geste.

    « Elle pense à sa sœur, je suis sûr que c’est ça. »

    Il imagina la mort de sa sœur ou de son petit frère et se raidit de douleur, une respiration suspendue comme si son cœur lui-même s’arrêtait. Et pour une sœur jumelle ? Était-ce la disparition d’une partie de soi ? Comme l’effacement intérieur de sa propre image. Il réalisa que d’avoir conscience de la différence de l’autre renvoyait à l’image de soi, une comparaison qui dessinait sa propre cartographie. Mais si l’autre est comme moi, qui suis-je ? Et si l’autre disparaît, que reste-t-il de moi ? Il ne pouvait que tenter d’imaginer l’impensable et il devinait l’insuffisance.

    « Pourquoi est-ce que la Vie propose-t-elle deux voies différentes ? Pourquoi n’établit-elle pas immédiatement la voie la plus juste ?

    -Pour permettre à chacun de progresser, Tian. Il n’y a aucune fatalité mais un chemin à tracer. Dans notre Monde aussi, il nous a fallu lutter contre des dérives possibles. L’équilibre n’est jamais éternel, nous évoluons tous au bord du gouffre de nos errances. »

    Jarwal, lui-même, s’était égaré, pensa Marine et l’idée l’effraya considérablement au regard de la sagesse du lutin.

    Comment les humains pourraient-ils s’épargner les souffrances provoquées étant donné leur futilité chronique ? La tâche à mener lui paraissait inhumaine. Elle se souvint alors de Nasta, le Mamu des Kogis. Il avait dit que nous n’étions que des hommes et pas encore des êtres humains. Le mélange des termes était déconcertant mais elle devinait l’essentiel. Il fallait s’élever. Étions-nous capables d’y parvenir ? Et si cela s’avérait irréalisable, quelles conclusions la Vie en tirerait-elle ? Laisserait-elle la situation se dégrader ou reverrait-elle sa position ?

    « La Vie a des ressources que tu ne soupçonnes pas, intervint Léontine. L’évolution des hommes n’a pas plus d’importance pour elle que celle des brins d’herbes. Et si l’évolution des hommes finit par porter atteinte à l’ensemble, la Vie s’en remettra. Sans les hommes s’ils commettent l’irréparable. »

    Sans les hommes… Marine ne parvenait pas à imaginer que ça soit possible puis elle considéra qu’effectivement, au regard de la Vie, ça n’avait aucune importance. Les hommes auraient laissé passer leur chance. Et alors ? Il n’y a qu’eux qui pourraient s’en plaindre. Tentative avortée, réinitialisation du processus. La Vie continuerait sans eux.

    Une terre sans hommes. Ce gâchis effroyable. Elle sentait le gouffre en elle. Elle aussi s’était perdue dans ce statut de chef qu’elle s’était attribuée, jusqu’à retarder l’intégration de nouveaux compagnons, jusqu’à ignorer le potentiel immense de ses deux frères.

    Elle garda en elle l’émotion intraduisible de ce vide sans fond, une peur sourde, sans nom, un inconnu indescriptible.

    Kiak proposa de sortir de la hutte et Marine s’en aperçut lorsqu’elle vit l’assemblée se lever. Elle aurait été incapable de répéter les dernières paroles de Kiak, comme si les révélations l’avaient isolée de tout. L’enchaînement des idées prenait une vitesse folle et elle songea que le Mal entretenu condamnait les hommes à la solitude, que le bonheur seul pouvait les unifier, que la lucidité nourrissait ce bonheur, que la vérité en était le socle.

    « Ça va grande sœur ? demanda Léo, tu as l’air un peu paumée. C’est clair que c’est du lourd tout ça et je me demande parfois si je ne suis pas en train de rêver.

    -Et moi, d’imaginer un cauchemar, répondit Marine.

    -Un cauchemar ? Pourquoi ça ?

    -Parce que je ne sais pas si le groupe humain a les capacités à trouver l’équilibre au bord du gouffre. »

    Léo retourna la phrase intérieurement, la décortiqua et ressentit soudainement la projection qu’elle contenait.

    « Jusqu’à courir le risque de disparaître ?

    -Oui, exactement petit frère. »

    Ils emboîtèrent le pas des compagnons. Visite des lieux. Kiak expliqua que l’exploitation des ressources naturelles se décidait communément, qu’aucune initiative personnelle contraire au clan ou à la nature n’était envisageable. Les travaux regroupaient l’ensemble de la population et rien n’appartenait à personne.

    Les enfants songèrent à cet équilibre similaire des Kogis, les Peuples Premiers contre les Peuples primaires.

    Ils traversèrent des zones potagères. Des claies de bois accueillaient des plantes grimpantes, des canaux dallés de pierres plates conduisaient l’eau de source vers les racines, des espaces découverts concentraient la taille des troncs pour les cadres et les charpentes des maisons, des enfants écorçaient des branches rectilignes pour les travaux des jardiniers, une cohésion rayonnante d’où émanait le bonheur du partage. Sans que la moindre intention individuelle ne prenne le pas sur l’unité du groupe. Un lutin offrit des fruits aux enfants, quelque chose qui ressemblait vaguement à des tomates. Elles étaient striées de jaune et d’orange et toutes bosselées mais leur goût était au-delà de tout ce qu’ils avaient mangé. L’impression de découvrir enfin la véritable saveur des aliments, comme si jusqu’ici, ils n’avaient eu à se nourrir que d’aliments factices.

    « Il est temps de préparer votre retour, » les enfants, annonça intérieurement la voix de Léontine.

    Une tristesse soudaine à l’idée de retourner là où régnait les dissensions, les jalousies, les rancœurs, la violence et la haine, les egos comme des armées solitaires, prêtes à s’unir contre d’autres groupes tout aussi égarés, sans que jamais ne transparaisse la moindre faille dans le processus d’autodestruction.

    « Non, les enfants, continua Léontine, tout n’est pas aussi sombre. Pas encore. Et il ne vous sera d’aucune utilité de couvrir l’amour qui vibre en vous par des tristesses invalidantes. Vous devez rester libres d’être heureux. Vous devez trouver en vous le cheminement qui élève et ne pas créer de peurs qui figent. Si vous laissez la peur vous envahir et prendre forme, vous servez la peur et vous vous condamnez. »

    Tellement de leçons à saisir, tellement de réflexions à prolonger, ils marchèrent en silence.

  • Reporterre : Jon Palais.

    Jon Palais : « L’enjeu est la transformation collective, pas la transformation individuelle »

    22 décembre 2018 / Entretien avec Jon Palais 

    "Je suis un citoyen au sens propre et le rôle des citoyens aujourd’hui est d’intervenir. On n’a pas le droit d’attendre que des représentants politiques, dont on sait qu’ils sont dans un système pétri de contradictions et de compromissions, trouvent la solution."
     

          
     

    Jon Palais : «<small class="fine"> </small>L'enjeu est la transformation collective, pas la transformation individuelle<small class="fine"> </small>»

    Comment mener la bataille du climat ? La non-violence est-elle la meilleure méthode ? Quand tout va basculer, parviendra-t-on à orienter les choses vers la solidarité plutôt que vers les barbelés ? Ce sont les questions que pose Jon Palais, militant d’Alternatiba et d’ANV COP 21. Un entretien tourné vers l’action.

    • Reporterre poursuit une grande série d’entretiens de fond avec celles et ceux qui renouvellent la pensée écologique aujourd’hui. Parcours, analyse, action : comment voient-elles et comment voient-ils le monde d’aujourd’hui ? Aujourd’hui, Jon Palais, animateur d’ANV 21.


    Reporterre - Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’écologie ?

    Jon Palais - J’ai grandi à la campagne. Je me suis toujours senti bien au contact de la nature. A l’école primaire, j’avais le cahier Panini du WWF, avec des autocollants d’animaux : les mammifères, les oiseaux... et les animaux disparus, comme le dodo. C’est la première fois où je me suis dit qu’on faisait disparaître des espèces animales.

    Il y a aussi eu Tchernobyl, en 1986. J’avais sept ans. Ma mère m’a dit que ce jour-là, je me promenais tout nu sur la plage. Personne n’avait été informé que le nuage radioactif passait. Dès les années 1980, les alertes étaient très fortes, même si l’écologie était marginalisée. On parlait du trou dans la couche d’ozone, de la déforestation, de pollutions toxiques, des signaux largement suffisants pour interroger notre mode de vie et la trajectoire qu’on prenait.

    « j’avais le sentiment de quelque chose d’irrémédiable. J’ai toujours eu un sentiment de gravité. »

    Ces informations sur les destructions en cours, les entendiez-vous à l’école, en famille ?

    A l’école, pas tellement. En famille, je n’ai pas de souvenir particulier. C’est venu par les médias. Quand on est sensible à cette question, il suffit d’avoir une alerte pour la prendre au sérieux. J’ai toujours eu un sentiment de gravité prononcé. Dès le départ, j’avais le sentiment de quelque chose d’irrémédiable. Une forêt millénaire qu’on coupe, les disparitions d’espèces, c’est irrémédiable.

    Votre entourage partageait-il ce sentiment de gravité ?

    Non. L’écologie apparaissait comme quelque chose de marginal. Pour moi, une des premières images de l’alerte écologique est Greenpeace. Dans les années 1990, les écolos de Greenpeace étaient marginalisés.

    Comment cette imprégnation est-elle devenue une préoccupation concrète ?

    En vivant en ville, à Bordeaux et à Marseille, pour mes études puis pour travailler. Au départ, je travaillais dans l’audiovisuel, un métier qui nécessite d’être en ville. Mais c’était une souffrance pour moi d’y aller. J’avais toujours l’idée de revenir à la campagne.

    Comment avez-vous choisi vos études ? Aviez-vous l’idée de travailler dans l’environnement ?

    Quand j’étais tout petit, oui. Après, je n’ai pas tellement anticipé. J’aimais bien le dessin, j’ai donc fait du dessin. Et à partir des arts plastiques, je suis arrivé au cinéma, puis à l’audiovisuel. C’est une série de hasards. Deux événements à peu près simultanés ont créé un déclic. En 2006, j’ai croisé un recruteur de Greenpeace dans la rue et j’ai décidé d’adhérer. J’avais environ vingt-cinq ans, lu des livres et mieux décrypté le problème. Avoir une opinion ne suffisait plus. Greenpeace symbolisait pour moi une forme de radicalité : des actions directes non violentes, où l’on s’interpose, où l’on est directement à l’endroit du problème.

    Au même moment, j’ai vu le film de Richard Attenborough sur Gandhi. Ce fut pour moi le premier choc de compréhension de ce qu’est l’action non-violente. J’étais allé à Greenpeace sans savoir qu’ils sont non-violents. C’est après que j’ai découvert à quel point c’est une valeur fondamentale chez eux. A Greenpeace, j’ai participé à beaucoup d’actions qui m’ont permis d’acquérir des expériences de non-violence.

    Quel type d’actions ?

    Bloquer des trains de déchets radioactifs, entrer dans des centrales nucléaires… Une action qui m’a marqué a été le déversement de charbon devant le ministère. C’était en 2008, Jean-Louis Borloo était ministre de l’Écologie. On a déversé du charbon devant l’entrée et on s’est mis sur le tas avec des systèmes de blocage. Quand les policiers sont arrivés, il y a eu un long face-à-face. Nous étions une dizaine en ligne sur notre tas de charbon. Les policiers étaient en rang.

    « Quand les policiers sont arrivés, il y a eu un long face-à-face. »

    On portait des masques à poussière, pour mettre en scène le fait que le charbon est sale. Ça a eu un effet imprévu. Le face-à-face s’est transformé en combat de regards. Normalement, dans ce type d’action, quand on ne peut pas parler aux gens à qui on fait face, on essaie d’avoir un contact visuel. Mais avec le masque, c’était compliqué parce que mon visage était coupé en deux. J’en voyais un ricaner, chuchoter à son collègue. On sentait qu’ils se disaient : « Ils vont voir ce qu’ils vont voir ».

    Pourquoi essayiez-vous d’établir un dialogue avec eux ?

    Cette action n’était pas contre les policiers. Ils ne sont pas le problème. Par contre, on va être en confrontation avec eux vu que leur boulot est de rétablir l’ordre qu’on perturbe. Nous devons désamorcer ça, décaler les choses pour qu’ils ne nous perçoivent pas comme LE problème.

    Quand ils ont reçu l’ordre de nous sortir, ils nous ont couru dessus alors qu’ils étaient à cinq mètres. Ils se sont cassés la figure sur nous parce que les bouts de charbon étaient ronds et qu’ils étaient arrivés en tenue anti-émeute alors que nous étions attachés ! Ça m’a fait glisser en arrière, ça devenait dangereux parce que j’avais les bras coincés dans les tubes en métal. J’ai dit : « Attention à nos bras, on est attachés, vous risquez de nous blesser. » L’un d’eux a éclaté de rire et a dit un truc du style, « c’est le pompon ». Globalement, l’idée c’était : « Déjà qu’ils bloquent et en plus il faudrait faire attention à eux ! » Alors que si, bien sûr ! Ce n’est pas parce que on désobéit qu’on n’a plus aucun droit !

    On a continué de parler avec eux. Au début, ils ne nous écoutaient pas. Ils essayaient d’enlever nos bras. Ils ont vu qu’ils ne comprenaient pas le système, ils ont fini par écouter ce qu’on leur disait. On leur a expliqué qu’on ne leur dirait pas le système de blocage, parce qu’on voulait rester là le plus longtemps possible, tant qu’on n’avait pas de réponse du ministère. Une sorte de dialogue s’est installé. Ils ne l’ont pas mal pris, du moment qu’on expliquait ce qu’on faisait sans agressivité à leur égard.

    Comme les tubes en métal étaient trop compliqués à défaire pour eux, ils ont voulu nous porter tous en même temps jusqu’au bus de police. Leur chef faisait super attention à nous, il n’arrêtait pas de dire « attention, lui, son bras plus haut, ne leur faites pas mal ». Il y avait eu un retournement de situation : ils étaient arrivés en nous voyant comme leurs ennemis et ça s’est terminé par une forme de coopération. On n’allait pas les aider à nous déloger, mais on n’allait pas non plus se débattre, on n’allait pas les taper. Une fois qu’ils ont compris ça, ils se sont donnés pour objectif de ne pas nous blesser.

    « Le climat conditionne tellement les autres batailles qu’il s’agit d’un axe central. Pas plus important, mais central et global. »

    Comment êtes-vous passé de Greenpeace à Alternatiba ?

    Je déménageais souvent. Quand je suis retourné vivre au sud des Landes, à la frontière du Pays basque, début 2011, il n’y avait pas de groupe local de Greenpeace. J’ai découvert Bizi sur internet, c’était l’association qui ressemblait le plus à Greenpeace. Je l’ai donc rejointe. A Greenpeace, je voyais le climat comme une campagne comme les autres. A Bizi, le sentiment d’urgence est beaucoup plus vif. L’ADN de Bizi, c’est l’écologie et la justice sociale, et le lien entre le local et le global. J’y ai pris conscience que le climat conditionne tellement les autres batailles qu’il s’agit d’un axe central. Pas plus important, mais central et global. A travers le climat, on peut militer sur plein d’autres choses.

    A ce moment, il n’y avait plus de mobilisation citoyenne pour le climat. Elle était retombée après la conférence sur le climat de Copenhague en 2009. Bizi est né de la mobilisation à Copenhague, dans l’optique de traduire ce message global sur des chantiers locaux. Par exemple, à travers une politique de transports collectifs, de pistes cyclables, de monnaie locale. Dans une logique altermondialiste où l’on fait partie d’un mouvement global. Sauf qu’en 2012, il n’y avait plus de mouvement global ! Réussir la transition au Pays basque, si elle n’est pas réussie ailleurs, n’avait aucun sens.

    On s’est dit qu’il manquait une stratégie globale. On a posé la question aux Amis de la Terre, à Attac, au Réseau action climat, à Greenpeace. Ils ont répondu que non, il n’y avait pas de stratégie (rires).

    Il fallait construire quelque chose qui continuerait quels que soient les résultats de la COP de 2015 à Paris. Il y avait quelque chose à rectifier par rapport à Copenhague, où l’idée dominante avait été de manifester et de s’en remettre à la décision des politique. Ce qui explique l’énorme déception après. Alternatiba est né de cette réflexion. Le village des alternatives a été conçu comme un déclencheur de ce mouvement. Et ça a fonctionné. Je me suis occupé de ce village des alternatives avec d’autres personnes. Puis trois, quatre, cinq groupes ont commencé à organiser leurs propres villages des alternatives à Nantes, Lille, Bordeaux. Un réseau était en train de naître.

    Comment s’est passée la bascule de Greenpeace, où vous faisiez des actions de dénonciation, à Alternatiba qui met en avant des alternatives ?

    Concernant Greenpeace, il faut nuancer : leur slogan était déjà « les solutions existent ». A chaque fois qu’ils dénoncent, ils ont une expertise et une contre-proposition. Mais il est vrai qu’historiquement, ils se sont construits sur l’alerte. Alternatiba a répondu à une attente très forte. Les gens étaient tétanisés, rongés par les mauvaises nouvelles. Alternatiba leur a porté un message extrêmement positif qui a permis à beaucoup de commencer à s’engager. Mais moi, je n’avais connu aucun changement intérieur. C’étaient des choix stratégiques. Je choisis mes cibles en fonction de critères stratégiques, pas par passion.

    Quels soubassements intellectuels, quels livres ont nourri votre réflexion ?

    C’est en agissant avec Greenpeace que j’ai commencé à me poser des questions de stratégie. A Greenpeace, un gros travail d’expertise sur les campagnes est mené, mais aussi un travail de stratégie. Il y a des actions que l’on peut réussir d’un point de vue technique, et qui n’ont pas d’effet politique. Par exemple, un jour, on a bloqué le chantier de l’EPR de Flamanville. Juste après le début du blocage, une nouvelle est tombée : la mort de Ben Laden. Notre action ne servait à rien ! Pourtant, on avait réussi à tout bloquer. Certes, c’est le genre d’événements qu’on ne peut pas anticiper. Mais une action menée le mauvais jour n’est pas stratégique.

    Exemple inverse : on voulait bloquer des trains de déchets nucléaires à la frontière belgo-néerlandaise. Mais les policiers étaient au courant, il y en avait partout, et on n’avait pas eu le temps de se verrouiller qu’ils nous embarquaient déjà. Les trains de déchets nucléaires sont passés tranquillement. Sauf qu’on a eu écho médiatique très important et très favorable en Belgique. Voilà donc une action ratée qui, stratégiquement, avait réussi.

    Comme on n’est qu’une poignée d’activistes et que la nature est attaquée de partout, il faut viser juste. On ne peut pas se permettre de faire des actions qui ratent, ou de mettre vachement d’énergie sur des objectifs qui ne sont pas les bons.

    J’ai étudié Gandhi, Martin Luther King et Srdja Popovic. Il y a un site internet, Canvasopedia, plein de ressources sur la stratégie non-violente. J’ai aussi été inspiré par le mouvement des étudiants serbes Otpor, l’étincelle qui a conduit à l’arrestation de Slobodan Milosevic. Ils ont appliqué les théories de Gene Sharp, qui a beaucoup théorisé la stratégie non violente et écarte de son analyse les arguments moraux – à la différence de Gandhi ou Martin Luther King. Otpor les a appliqués avec succès et reformulés sous la forme d’un manuel, La lutte non-violente en cinquante points.

    Pourquoi avez-vous lancé ANV-COP21 ?

    D’abord, pourquoi Alternatiba ? Beaucoup de militants écolos avaient arrêté de mobiliser sur le climat, parce qu’ils étaient arrivés au diagnostic que c’est un problème abstrait, global, technique, qui semble impalpable par les gens. En plus, c’est tellement angoissant que ça tétanise ceux à qui on arrive à l’expliquer. Donc on n’activait que des leviers de paralysie.

    Il fallait remédier à ces obstacles. Plutôt que de parler du climat d’une manière abstraite et négative, le faire d’une manière positive et concrète. Transformer le centre-ville en village des alternatives au changement climatique permettait de dire aux gens que le climat, c’est l’agriculture à travers la nourriture qu’ils mangent, le vélo, l’énergie, la réparation, la relocalisation... Et les aider à avoir prise sur le problème par l’angle positif des solutions.

    Mais à l’approche de la COP21, on ne pouvait pas rester seulement sur un message positif. D’où ce qu’on a théorisé, qu’il faut marcher sur deux jambes, les alternatives et la résistance. Le débat au sein d’Alternatiba a duré deux ans, pour que les gens voient la complémentarité des actions d’opposition et des actions d’alternatives, et non les contradictions.

    ANV-COP21 est donc né d’une discussion interne à Alternatiba.

    Au printemps 2015, on voyait s’approcher la COP et on s’est dit que le débat ne se conclurait pas avant. C’est pour cela qu’on a lancé un autre mouvement, ANV-COP21, pour mener des actions. Puis Alternatiba a décidé de mener aussi des actions non-violentes. Comme on avait beaucoup de militants en commun, on a jumelé les deux mouvements en 2016 pour ne pas faire double emploi.

    Pourquoi le choix stratégique de la non-violence ?

    Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise stratégie en soi, ça dépend de l’objectif. Qu’est-ce qui est le plus efficace entre une scie et une casserole ? Ça dépend si on veut couper du bois ou faire chauffer de l’eau.

    Notre diagnostic est qu’il faut un changement complet du système. Il y a deux raisons que cela se fasse par un mouvement de masse : pour le rapport de force et pour la justice sociale. Ce ne sont pas seulement des intellectuels qui doivent le théoriser, des politiques qui doivent prendre des mesures courageuses, des multinationales qui doivent ajuster des trucs ; on doit changer de mode de vie.

    La stratégie non-violente nous semble la plus adaptée pour favoriser l’émergence d’un mouvement de masse. Parce que nos sociétés condamnent la violence. Tout le monde est offusqué par la violence, des hommes sur les femmes, des riches sur les pauvres, des humains sur les animaux, etc. Donc la non-violence est une garantie de légitimité aux yeux de la majorité de la population.

    Si la violence sert à exercer un rapport de domination, la non-violence signifie-t-elle le refus d’exercer un rapport de domination ?

    J’essaie d’éviter d’expliquer ce qu’il y a de contre-productif dans la violence parce que ça agace toujours des gens, et que je ne veux pas les contrarier ou expliquer ce qu’il ne faut pas faire. Mais on voit avec quelle facilité un gouvernement instrumentalise la violence, ou la contre-violence. Quand on mène des actions violentes, il est facile pour le gouvernement d’occulter le message politique des actions, de le réduire à leur caractère violent et de criminaliser le mouvement. Le gouvernement a beaucoup plus de moyens de violence que nous. Si l’on va sur ce terrain, s’ils ont envie de t’arrêter ils t’arrêtent, s’ils ont envie d’infliger trois mois de prison ferme, ils les mettent, s’ils ont envie de perquisitionner, ils perquisitionnent !

    Dans la stratégie non-violente, tu essaies que ce soit toi qui pièges ton adversaire, que la bataille se déroule sur un terrain que tu maîtrise mieux. Par ailleurs, la non-violence permet à plein de gens d’entrer dans la lutte. Agir de manière violente est intimidant pour la plupart des gens. La non-violence est plus accessible.

    « Même si l’on arrive à manier la violence à son avantage, on conforte la logique de la violence. »

    Enfin, Gandhi disait que la fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence. Si l’objectif est de former une culture de non-violence, cela ne se construit pas avec des actions violentes. Même si l’on arrive à manier la violence à son avantage, on conforte la logique de la violence. Qui est une logique de négation de l’humanité de l’autre, de domination, d’oppression.

    Il faudrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de 3 % par an au niveau mondial pour être en 2050 à moins de 1,5 °C de réchauffement par rapport à l’ère pré-industrielle. En 2018, comme en 2017, on est à + 2 %. Comment faire face à un système qui continue avec toute sa puissance dans la destruction de l’environnement ?

    Le système n’est pas durable. Il dysfonctionne de tous les côtés. On pollue tout, les injustices se creusent, les démocraties sont en crise, on commence à être impactés par les catastrophes écologiques, la finance part en vrille et une nouvelle crise économique se prépare. Donc une chose est certaine, ça ne va pas rester comme ça.

    La déstabilisation croissante du monde va-t-elle favoriser la solidarité ou les barbelés ? Comment fera-t-on quand le jeu sera renversé sur la table, pour arriver à ce que les choses se reconstruisent de manière écologique et solidaire et pas avec plus d’extrême-droite, de néolibéralisme et d’oligarchie ?

    Là, on est à 1,1 °C de réchauffement. D’après ce que j’ai étudié, en coupant les robinets des émissions de gaz à effet de serre tout de suite, avec l’inertie, on sera à 1,4 °C. Ce qui veut dire que géophysiquement on peut rester sous 1,5°C ! C’est d’une énorme complexité d’un point de vue socio-économique et politique. Mais ce n’est pas impossible.

    Le dérèglement climatique est déjà dramatique et tout seuil d’aggravation sera dramatique. 1,5°C sera bien pire que 1,1°C, 2°C sera pire mais 1,6°C, 1,7°C, 1,8°C aussi. On vit avec l’idée que chaque dixième de degré compte et que chaque action, chaque effort qu’on fait, chaque limitation même insuffisante, a du poids. Quand on empêche une centrale à charbon, un projet de gaz de schiste, qu’on maintient dans le sol des énergies fossiles, on participe à la limitation. Insuffisante, mais est-ce que c’est parce que c’est insuffisant qu’il ne faut plus le faire ? Non !

    Ces questions nous travaillent énormément. Ce qui nous fait tenir, c’est qu’on n’est jamais seul. Alternatiba et ANV ont des formes très horizontales où l’on développe beaucoup les polyvalences. Les gens changent souvent de rôle, ils vont faire de la communication, de la logistique, de la stratégie, ils participent aux décisions politiques. Le sentiment collectif est très fort. On n’est pas les mêmes quand on vit collectivement l’urgence, la gravité, la répression que quand on les vit tout seul.

    Il est très important de comprendre ça, parce qu’affronter tous les jours le problème de la fin du monde, c’est horrible. Nous-mêmes, quand on fait des conférences, des formations, on est toujours autant ébranlé par ce qu’on dit. C’est tellement inhumain, le moment est tellement extraordinaire à l’échelle de l’histoire de l’humanité que c’est quasiment impossible à intégrer. C’est une énorme violence et c’est la force collective qui permet de vivre avec ça. Sinon, on s’effondre.

    Comment cette préoccupation pour l’avenir se traduit-elle dans votre vie quotidienne ?

    Depuis quelques années, le militantisme prend tout dans ma vie. Je ne pense pas que ce soit possible très longtemps. Mais ça a été possible beaucoup plus longtemps que ce que je pensais au départ. J’ai toujours cru que j’allais pouvoir me reposer dans six mois. Depuis cinq ans... (rires).

    Il y a plein de contradictions. C’est comme faire des actions pour la réduction du temps de travail : il faut que tu travailles plus pour faire passer le message politique qu’il faut travailler moins. C’est ça, le militantisme. On est pour un mode de vie où les gens peuvent prendre le temps de vivre et on ne le fait pas (rires). Ça fait longtemps que je suis végétarien, j’achète mon électricité à Enercoop, les légumes sont produits localement, le compte bancaire est à la Nef, etc. J’essaie d’être au maximum en cohérence.

    Mais il y a des choses sur lesquelles c’est plus compliqué. J’habite à la campagne, j’ai une voiture, ça pollue. Pour faire l’entretien d’aujourd’hui, j’ai pris la voiture pour aller à la gare. Je viens à Paris pour participer à des réunions dont j’espère qu’elles vont faire bouger les choses. J’espère que ce qu’on fait va permettre de réduire davantage les émissions de gaz à effet de serre que ce qu’on émet pour le faire. Parce que tout a une empreinte écologique. On est souvent l’objet des procès de gens qui nous disent « Vous nous demandez d’être écolo mais vous avez une voiture, votre truc est en plastique », etc. Comme si l’on venait d’une autre planète !

    Mais qu’est-ce que ça change à la trajectoire du monde que je réduise encore plus mon empreinte carbone ? Le plus important dans notre mode de vie, c’est notre engagement politique. L’enjeu est dans la transformation collective, pas dans la transformation individuelle ni la somme des transformations individuelles. On a un changement d’échelle à faire. Donc il faut trouver des effets de levier, il faut changer les choses en masse. Les efforts personnels ne pèseront rien dans la balance dans quinze ans par rapport à ce qu’on aura réussi à infléchir ou pas dans les politiques nationale, internationales.

    « Je suis un citoyen au sens propre et le rôle des citoyens aujourd’hui est d’intervenir. »

    Les militants d’aujourd’hui, on devrait juste les appeler des citoyens. Au sens premier du terme, le citoyen est la personne qui s’implique dans la vie de la cité. Aujourd’hui, le mot est dénaturé parce qu’on a l’impression qu’on parle d’un usager de la démocratie. Comme si la démocratie était un fonctionnement établi une fois pour toutes dont nous serions des sortes de consommateurs. On a des droits, comme celui de voter, qui est quelque part le contraire de la démocratie parce qu’au lieu d’exercer le pouvoir on le délègue ! Sans moyen de contrôle, de révocation. On a tiré tellement loin ce système démocratique qu’il en devient quasiment le contraire de son idéal.

    Je suis un citoyen au sens propre et le rôle des citoyens aujourd’hui est d’intervenir. On n’a pas le droit d’attendre que des représentants politiques dont on sait qu’ils sont dans un système pétri de contradictions et de compromissions qu’ils trouvent la solution.

    • Propos recueillis par Hervé Kempf et Émilie Massemin

  • Une autre voix.

    ou une autre voie. Peu importe. Ce qui compte, c'est l'engagement.

     

    Clément Choisne lors de son discours à la remise des diplômes à l'Ecole Centrale de Nantes, le 21 décembre 2018 / © Capture Youtube
    Clément Choisne lors de son discours à la remise des diplômes à l'Ecole Centrale de Nantes, le 21 décembre 2018 / © Capture Youtube

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    Lors de la remise des diplômes fin novembre à Centrale Nantes, Clément Choisne, l'un des ingénieurs fraîchement diplômé, a surpris par son discours pour le moins non conforme.

    Par Fabienne Béranger 

    "Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas"c'est en citant Albert Camus que Clément Choisne, 24 ans, débute son discours de remise de diplôme.

    Cette citation peut paraître pessimiste, le discours de Clément ne l'est pas.

    D'un ton calme et posé, le jeune homme, qui a intégré Centrale de Nantes en 2014, se souvient "avec amusement" du discours d'entrée du directeur de l'école, "il nous invitait à prendre la parole, à donner un rôle, un vrai, à l'ingénieur dans notre société, à faire entendre notre voix".

    "Je la prends aujourd'hui la parole pour vous dire que je pense que vous vous trompez sur la vision que vous avez sur la transition écologique et les moyens que vous y attribuez", 
    lance le jeune homme invité à la tribune pour se voir remettre son diplôme.

    Discours Clément ChoisneQuinze jours après ce moment largement partagé sur les réseaux sociaux, 43 000 vues sur Facebook depuis mardi, Clément revient sur son discours, sa vision de l'avenir, son parcours...

    "Ça été très bien reçu par la salle", explique Clément Choisne, "après la cérémonie de nombreux élèves et parents sont venus me voir pour me féliciter et me remercier de cette prise de parole.".

    Car si Clément a fait ce discours c'est parce qu'"il y a des choses qui ne sont jamais remises en cause dans nos études d'ingénieur",explique le jeune diplômé originaire du Mans, 
    "notamment la remise en cause d'un modèle qui crée des élites qui devront trouver des solutions sans jamais se demander si les solutions que l'on trouve sont pérennes, durables et égalitaires pour la société".

    Clément reconnaît cependant que Centrale Nantes agit dans le domaine "du développement durable ou de la transition énergétique" comme l'éolien offshore.

    C'est bien de trouver des solutions techniques mais, sur un problème, comme l'énergie, si on ne se questionne pas sur la sobriété énergétique on arrivera jamais à résoudre le problème.

    "Car une énergie, aussi renouvelable qu’elle vous soit présentée, ne le sera plus si elle doit compenser l’intégralité des besoins qui reposent aujourd’hui sur les énergies fossiles. Il faut avant toute chose penser à la réduction drastique de notre demande énergétique (sobriété énérgétique) et je n’ai que trop peu entendu ce message dans le cadre de ma formation".

     

    "L'école m'a permis de me poser un certain nombre de questions"



    Parallèlement, à "cette voie royale qu'on nous présente quand on est enfants", "il y a des remises en question, la situation de notre société et les impasses dans lesquelles on nous met par rapport à notre métier d'ingénieur" poursuit Clément.

    "L'école m'a permis de me poser un certain nombre de questions, d'aller voir par moi-même, d'avoir des expériences dans le monde du travail et notamment dans le développement durable"

    Les possibilités qui s'offrent aujourd'hui à Clément, comme celle d'intégrer une grande entreprise et d'en tirer d"'importantes rémunérations" ne le satisfont pas "parce qu'elles sont pour moi décorrélées des actions à mener pour résoudre les problèmes qui se posent aujourd’hui"

    "A toujours être dans le compromis, on renie ses idées, ses valeurs."

    "Je ne pense pas que le changement puisse venir de l'intérieur de ce système d'entreprises qui ont des modèles d'affaire fortement carbonés", explique Clément Choisne, "il y a toute une société alternative qui est en train de se monter par des solutions qui ont un sens", "avec des initiatives locales".

    "De votre fournisseur d’énergie à la manière dont vous vous déplacez ou encore la manière dont vous faites vos courses, tout est à repenser et des structures implémentent d’ores et déjà des solutions comme la Tricyclerie, O’bocal ou encore Biocoop et des milliers d’autres au niveau national"

     

    "Prêts à questionner notre zone de confort pour que la société change profondément​​​"


    Et Clément n'est pas seul à vouloir faire bouger les lignes. Ils sont près de 30 000 étudiants d'écoles et grandes écoles à avoir signé un manifeste 
    "pour un réveil écologique" dans lequel ils s'alarment de voir que "nos sociétés continuent leur trajectoire vers une catastrophe environnementale et humaine".

    Dans ce manifeste, les étudiants se disent "prêts à questionner (leur) zone de confort pour que la société change profondément", "à s'engager pour ne pas aller travailler dans ces entreprises qui nous étaient promises, ces grands postes", explique le jeune diplômé.

    Il se verrait bien à présent embrasser une carrière dans les médias ou encore la politique "à l'échelle locale", "mais c'est encore très flou".

    En attendant, Clément a trouvé un poste de professeur contractuel de physique-chimie dans un lycée nantais.

  • Le Tantra : art de vivre

     

    Roger-Michel Berger : « Le tantra, ce n’est pas que du sexe »

     

    Qui dit tantra, dit sexe, pense-t-on souvent. Et la promesse d’une sexualité sacrée, de massages érotiques, ou encore de techniques pour avoir plus de plaisir… Mais cette philosophie n’ouvre pas uniquement la voie à une sexualité différente. Elle constitue aussi un véritable chemin de développement personnel. Un voyage vers soi. Initiation avec Roger-Michel Berger, auteur de Le Tantra, un art de vivre, un art d’aimer.

    Propos recueillis par Margaux Rambert

    « Le tantra, ce n’est pas que du sexe »

    © iStock

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    En France et en Occident, on associe le tantra au sexe. Pourquoi ?

     

    Roger-Michel Berger : Parce que les médias et certains organisateurs de stages ont véhiculé cette idée-là. Le massage tantrique est notamment très à la mode dans le monde de la prostitution. Mais si vous regardez les textes anciens, par exemple le Vijñâna Bhairava, sur les 112 pratiques de tantra, il n’y en a que trois qui parlent de sexe.

    En quoi le tantra dépasse-t-il le champ de la sexualité ?

     

    Roger-Michel Berger : Le tantra est un art de vivre. Une philosophie, une voie spirituelle laïque. Le mot sanskrit tantra veut dire « tissage ». Et « texte, livre ». Une des notions clés est ce qu’on appelle, toujours en sanskrit, le spanda. C’est-à-dire la vibration, le frémissement de la vie. Pour pouvoir le ressentir, il faut être vraiment dans la présence. Grâce, notamment, à la méditation. Le tantra est aussi un chemin vers soi-même. Il aide à prendre conscience de qui l’on est, de ses faiblesses, de ses ombres aussi. A se libérer de ses peurs et de ses blocages. C’est une voie de développement personnel. 

    Chez certains, le tantra a mauvaise presse : pour ses détracteurs, il serait même dangereux et synonyme de laisser-aller sexuel, de débauche…

     

    Roger-Michel Berger : En quoi est-il dangereux de devenir amoureux de la vie ? Le tantra aide à augmenter son potentiel, à avoir moins peur… Certes, certains font du tantra car ils n’ont pas encore vécu vraiment leur sexualité. Alors ils ont besoin de cela. Mais c’est un tout début. Dans le tantra, on souligne la noblesse du corps. Le sexe fait partie du tout. C’est une force de vie incroyable.

    C’est pour cela que dans les temples indiens, il y a des représentations de gens qui font l’amour dans toutes les positions possibles. L’idée n’est pas d’exciter. Mais celui qui est éveillé va se réjouir de cette image de la sexualité. En fait, le sexe peut être un point de départ : on peut ressentir des choses magnifiques. Et si on continue dans cette voie, on peut aller plus loin. Et arriver alors à l’éveil, un état de méditation et de présence permanente.

    Concrètement, en quoi consiste cet art de vivre au quotidien ?

     

    Roger-Michel Berger : Un travail essentiel concerne la respiration. C’est la méditation fondamentale. Nous respirons environ toutes les quatre secondes, soit 21 600 fois par jour. Mais nous n’en avons pas conscience. Sauf lorsque nous sortons du bureau et que nous prenons une bouffée d’air, par exemple. Ensuite, il y a tout un travail sur ses limites, sur l’espace. La méditation peut vous rendre poreux. Vous pouvez laisser tomber les frontières de votre corps. Et ainsi vous ouvrir davantage aux autres et ne faire plus qu’un avec l’univers.

    Il vous est sûrement déjà arrivé de ressentir cela : un instant d’éternité. Que cela soit en faisant l’amour, en contemplant un beau paysage, en entendant une belle musique… Ces petits instants sont des clins d’œil du divin. Une pratique consiste à les cultiver. Dans ces instants-là, nous ne sommes plus séparés du tout. C’est ce que l’écrivain Romain Rolland, dans une lettre à Freud, appelait « le sentiment océanique ».

    En quoi le tantra est-il aussi un art d’aimer ?

     

    Roger-Michel Berger : C’est un art d’aimer car on parle aussi de sexe (mais pas que !). Quand on pense sexualité, on pense tout de suite à mettre les sexes ensemble et à bouger beaucoup. A avoir un orgasme, si possible plusieurs, et si possible en même temps. Mais on peut aussi faire l’amour en se regardant dans les yeux.

    Le tantra est loin de toute logique de performance. On devient d’ailleurs véritablement orgasmique au moment où l’on n’a plus l’objectif de l’orgasme. C’est à ce moment-là que le corps s’ouvre, et que la jouissance nous tombe dessus comme une grâce. Le tantra nous conseille par exemple de rester dans l’espace entre l’excitation du début et l’orgasme. C’est un espace extraordinaire à explorer. Mais cela suppose d’avoir une sexualité différente, plus féminine.

    En quoi cette sexualité est-elle plus féminine ?

     

    Roger-Michel Berger : Il y a moins d’activité, plus de détente… Ce n’est pas comme dans les films pornographiques où les gens n’arrêtent pas de bouger et d’avoir des orgasmes à répétition. Là, il s’agit de mettre les sexes ensemble, car ils ont leur intelligence propre. Avec tout ce que nous avons appris – ou pas – sur la sexualité, nous faisons faire à nos organes sexuels des choses dont ils n’ont pas forcément envie. Si nous mettons nos sexes ensemble et que nous les laissons faire, c'est-à-dire que nous restons simplement « l’un dans l’autre », nous pouvons alors développer des sensations beaucoup plus subtiles, délicates, qui sont délicieuses à explorer. Le sexe devient une méditation. Le matin, un couple peut très bien « se mettre ainsi ensemble » dix-quinze minutes. Et profiter des subtiles énergies qu’il aura échangées toute la journée durant.

    Quelle est la différence entre le tantra et ce que l’on appelle le néo-tantra ?

     

    Roger-Michel Berger : Le néo-tantra est un tantra qui a été adapté à l’Occident. Pour un Oriental, méditer en restant assis deux heures ne pose pas de problème. Pour les Occidentaux, davantage. On a donc développé des méditations actives où l’on fait travailler le corps, comme ça le mental peut se reposer un peu. L’autre apport du néo-tantra, c’est le côté social, le travail en groupe. Celui-ci apporte un champ d’énergie, car les gens sont soutenus par le groupe. Ca aide aussi dans le travail sur les émotions.

    Vous organisez des stages pour les couples. En quoi consistent-ils ?

     

    Roger-Michel Berger : On n’apprend pas à l’école à être en couple. L’idée, c’est de donner aux couples qui viennent en stage des clés pour cultiver leur relation. De les aider à (ré)apprendre à se regarder, à mieux communiquer, notamment par le toucher. Par exemple, on considère souvent que le massage est un préliminaire à une relation sexuelle. Sauf que dans ce cas, on n’est plus dans le présent, mais dans le futur. L’idée, c’est au contraire d’apprendre à masser sans objectif. D’être vraiment dans la présence. Dans le don.

    Qu’est-ce que le tantra vous a apporté à vous-même ?

     

    Roger-Michel Berger : Cela fait vingt-cinq ans que je pratique et plus de douze ans que j’enseigne. Grâce au tantra, je suis bien dans ma peau. J’ai également acquis une meilleure compréhension de ma femme et de comment vivre à deux. Ainsi que des outils pour être en couple dans la durée. Le tantra m’a également apporté plus de plaisir dans ma sexualité et une meilleure compréhension de la sexualité de la femme... 

    Comment s’initier au tantra ? Reconnaître les vrais des faux maîtres ?

     

    Roger-Michel Berger : Ce qui est fondamental, c’est le respect de soi-même. Il y a des gens qui ont de la peine à poser leurs limites. La première chose à faire, c’est donc de tester les gens qui veulent vous donner une formation de tantra : serez-vous obligé de faire toutes les pratiques ? Pour nous, il est évident que personne ne l’est. On a toujours dans notre salle un « coin bleu ». Quand quelqu’un trouve qu’une pratique dépasse ses possibilités, il peut aller dans ce coin. Il nous est arrivé de récupérer des personnes qui s’étaient retrouvées dans des stages de sexualité de groupe, ce qui est bien plus de l’ordre de la partouze que du tantra. Au début, ils ne voulaient plus entendre parler de tantra. Le mieux, c’est donc aussi de récolter des témoignages de personnes qui ont déjà participé au stage qui vous intéresse.

    Tantra : trois exemples de pratiques, issues du livre de Roger-Michel Berger : "Le Tantra, art de vivre, art d’aimer" (Guy Trédaniel).

    Pratique : accueillir la journée

    " Le matin, en te levant, prends le temps de te mettre à la fenêtre, sur le balcon ou dans le jardin. Relâche tes épaules, laisse tes bras ballants le long du corps puis ouvre les paumes vers l’extérieur, dans une posture d’accueil. Prends un temps pour accueillir cette toute nouvelle journée de vie, cette journée unique.

    Prends conscience que tu ne l’as encore jamais vécue et que tu ne la vivras plus jamais. C’est une journée toute neuve.

    Ce mouvement d’ouverture des paumes, tu peux aussi le faire tout au long de la journée. Ce geste extrêmement simple ouvre la poitrine et redresse le corps. Ainsi, tu es dans une posture d’ouverture et d’accueil."

    Pratique : la salutation du cœur

    "Asseyez-vous l’un en face de l’autre, par exemple sur un coussin, à une distance qui vous permettra de vous incliner jusqu’à ce que vos fronts se touchent.

    Commencez par vous regarder avec gentillesse. Lorsque vous vous sentez prêts, en regardant votre partenaire, joignez les paumes de vos mains en touchant le sol. Levez vos mains ainsi jointes, amenez-les jusqu’à votre cœur en inspirant. En gardant les mains jointes au niveau de votre cœur, inclinez-vous en avant, en expirant et en regardant votre partenaire dans les yeux, jusqu’à ce que vos fronts se touchent délicatement. Restez un instant ainsi, les yeux dans les yeux avec un sentiment de respect pour l’autre. Puis en inspirant, relevez-vous, tout en gardant le contact avec les yeux et en expirant, laissez vos mains jointes redescendre jusqu’au sol.

    Vous pouvez à présent vous dire une parole honorant votre partenaire, par exemple « Je t’honore comme un aspect du divin ».

    Vous pouvez aussi imaginer pendant cette salutation que vous prenez l’énergie de la terre en inspirant et l’amenez à votre cœur et qu’à la fin, vous redonnez, en expirant, l’énergie à la terre."

    Pratique : la méditation du non faire

    Prévoyez une demi-heure à une heure pour cette pratique que vous pouvez faire avec vos vêtements. Faites-vous une salutation du cœur. Installez-vous tête-bêche, les jambes en ciseaux, de manière à ce que vos sexes se touchent. Trouvez la position la plus confortable possible pour chacun. Puis restez ainsi en ne faisant rien, strictement rien.

    Ne cherchez pas à vous exciter ou à exciter l’autre, ne faites aucun mouvement. Soyez totalement dans le ressenti. Sentez l’énergie de l’autre dans votre sexe, sentez sa chaleur se développer à l’intérieur de vous.

    Terminez par une salutation du cœur.

    Une variante consiste à pratiquer cette méditation dans un hamac. Ainsi, vos poids auront tendance à vous joindre l’un contre l’autre.

    Vous pouvez aussi pratiquer cette méditation en pénétration, le sexe de l’homme à l’intérieur de la femme. Mais là, il faut veiller à ne pas partir dans l’excitation, mais rester totalement détendus pour vraiment goûter la saveur de cette pratique.

    Pour aller plus loin 

    ==>  Êtes-vous prêt(e) pour le sexe tantrique ?

    Dans notre quête d’épanouissement sexuel, les traditions orientales ont le vent en poupe, avec un fort engouement pour le tantra. Une philosophie de vie qui est aussi une voie vers une sexualité différente, un chemin vers l'extase. Pour savoir si vous êtes prêt(e) à expérimenter cette vision unique du désir, de l’union et de l’orgasme, faites le point sur votre rapport à la sexualité et découvrez ce que le tantra pourrait vous apporter ! Peut-être êtes-vous plutôt un(e) tantrika en « herbe » ou bien confirmé(e).