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Le mur de l'autoroute A69
- Par Thierry LEDRU
- Le 23/04/2023
Inutile d'ajouter quoi que ce soit, c'est clair.
Depuis le temps que les industriels bétonnent, il est temps que ça s'arrête.
Si on est parti de la Savoie, c'est justement en raison de cette urbanisation totalement dingue, des routes et donc de plus en plus de circulation, des lotissements, des zones commerciales, des zones industrielles, et donc de plus en plus de monde et donc de plus en plus de routes et de plus en plus de circulation.
On a vu des forêts disparaître, des zones humides asséchées et remplacées par des lotissements et des zones économiques.
On habitait à 600 mètres d'altitude et on voyait ce "monde" marchand grimper, grimper, s'étendre, s'étendre. Un cauchemar.
On ne peut pas continuer comme ça. Et pourtant les gouvernements font tout pour que ça continue. En racontant que c'est pour le bien de la population.
Il ne s'agit pas de s'opposer systématiquement à tous travaux d'envergure mais que ceux qui sont engagés le soient pour des raisons indiscutables et qu'il s'agisse de nouvelles autoroutes ou du train Lyon-Turin, ils ne font pas partie des chantiers indispensables. Mais leurs impacts sont par contre considérables.
Les tunnels du Lyon-Turin, une catastrophe pour les sources d’eau

Fontaines de village qui cessent de couler, craintes pour l’approvisionnement en eau potable et perturbations irréversibles des sources de montagne… les conséquences hydrogéologiques de la construction du tunnel ferroviaire Lyon-Turin inquiètent habitants et défenseurs de l’environnement.
Villarodin-Bourget (Savoie), reportage
À une dizaine de kilomètres de la frontière italienne, le village de Villarodin-Bourget est l’un des plus touchés par la construction du tunnel Lyon-Turin, un projet débuté dans les années 1990, qui vise à relier la région Auvergne-Rhône-Alpes à sa voisine italienne via une ligne ferroviaire à grande vitesse passant par la vallée de la Maurienne. Un projet dont la section transfrontalière, qui comprend un tunnel de 57,5 kilomètres, est financée à 40 % par l’Union européenne pour un coût total de 8,6 milliards d’euros, la France et l’Italie se partageant les 60 % restants. Le projet est présenté comme écologique, car il est censé réduire d’environ 3 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an les émissions de gaz à effet de serre, en transférant un million de camions de la route vers le rail. Mais il fait également polémique : il a été épinglé à deux reprises par la Cour des comptes et fait face à une forte opposition côté italien. Trente ans après le début du projet, moins de 20 % des galeries sont creusées, 30 kilomètres pour l’instant sur 160, dont quatre sous la commune de Villarodin-Bourget.

Le village de Villarodin-Bourget se situe dans la vallée de la Haute-Maurienne, en Savoie, où coule l’Arc. Le chantier de Telt est visible en rive droite.
Dans ce village savoyard, le chantier de Telt (Tunnel Euralpin Lyon-Turin), le promoteur public chargé des travaux du tunnel euralpin, a redessiné les berges de l’Arc, le fleuve qui serpente au fond de la vallée. Des pistes ont été tracées pour permettre l’accès des engins de travaux et creuser un tunnel de reconnaissance dont l’entrée se situe sur la rive droite. Les travaux liés à cette galerie de quatre kilomètres sont terminés depuis 2007, mais leurs conséquences sur les sources en eau alimentent toujours les conversations des habitants. « Le tunnel a été creusé seulement cinquante mètres sous les habitations, explique Philippe Delhomme, maire adjoint de la commune de 2008 à 2020. Dès le début des travaux, en 2002, les fontaines du village ont arrêté de couler. C’est un phénomène connu lorsqu’on creuse la montagne car le chemin de l’eau, qui s’infiltre naturellement le long de certaines fissures, est dévié. Les sources sont donc captées par le tunnel, qui devient le nouveau lieu d’écoulement. Cela a forcément ému la population car l’eau est une ressource vitale. »
« Le tarissement des sources était envisagé »
Une inquiétude qui a conduit le maire de l’époque, Henri Ratel, à alerter le préfet de la Savoie : « Nous sommes dans l’obligation de vous faire part d’une situation préoccupante concernant l’assèchement du bassin versant adret de notre commune pour les travaux de percement de la galerie de reconnaissance du projet Lyon Turin Ferroviaire (LTF) », écrivait-il dans une lettre datée de mars 2003, demandant que l’eau potable captée par le tunnel soit intégrée dans le réseau communal. Une alerte anticipée par le promoteur, qui a réagi rapidement : « Le tarissement des sources était envisagé, affirme Xavier Darmendrail, directeur territorial de Telt. À Villarodin-Bourget, il était même évident que des sources seraient affectées puisque la descenderie est creusée cinquante mètres seulement sous le village. Des mesures de compensation ont rapidement été mises en place, payées par LTF, le précédent promoteur : les fontaines ont été branchées sur le réseau d’eau potable et une aide financière a été apportée à la commune pour rénover ses canalisations. Il a été choisi d’attendre la fin du chantier pour évaluer le nombre de sources concernées avant de mettre en place une mesure compensatoire durable, chose faite une fois la galerie terminée en 2007. »

Sur la rive gauche de l’Arc, des couches de déblais ont été déposées, aujourd’hui recouverts de végétation. Ils sont issus de l’excavation pour la réalisation du tunnel de reconnaissance de Villarodin-Bourget. Telt prévoit de réutiliser la moitié de ces déchets pour produire des granulats et de béton.
La solution « durable » ? Capter l’eau d’un torrent à 2.000 m d’altitude, et construire une conduite de cinq kilomètres ainsi qu’un réservoir souterrain, pour alimenter le village. Au total, ces mesures compensatoires ont coûté 1,2 million d’euros, selon Xavier Darmendrail, qui vante ces nouvelles installations : « Nous avons augmenté la capacité d’eau potable de la commune de trois litres par seconde et amélioré le réseau. » Un pansement loin de satisfaire Philippe Delhomme, également coprésident de l’association de défense de l’environnement Vivre et Agir en Maurienne (VAM) : « La source captée est en lisière de la Vanoise, l’un des parcs nationaux les plus protégés de France ! Selon nous, il aurait été moins dommageable pour l’environnement de pomper l’eau captée par le tunnel. »
Mais l’affaire des fontaines de Villarodin-Bourget n’est que la partie visible de l’iceberg. En réalité, dans la commune, dix points d’eau sont abîmés par le creusement du tunnel, dont quatre complètement asséchés, selon le rapport de Telt sur les points d’eau et leurs risques d’impact (2017). « Cette étude dit recenser cinquante-et-un points d’eau au niveau du village, précise Philippe Delhomme, mais il n’y aucune donnée pour vingt-deux d’entre eux. Comment peut-on donc affirmer qu’il n’y a que dix points concernés ? » VAM dénonce d’ailleurs une communication ambiguë du promoteur à ce sujet. Dans une brochure distribuée à la population en 2018, Telt affirme que « les contrôles (…) à proximité du chantier (…) n’ont révélé aucune baisse de débit de ces sources. Jusqu’à présent, une seule source d’eau a été tarie par les travaux, rétablie le lendemain en complément des mesures compensatoires pour la collectivité et les personnes concernées ». Interrogé par Reporterre à ce propos, Xavier Darmendrail se défend en affirmant que « les points d’eau taris étaient alimentés par la même source ». Jouerait-on sur les mots ?

Extrait de la brochure « Telt répond à vos questions ».
« On a parfois l’impression de se battre contre un moulin »
« On minimise les conséquences pour faire taire la population », s’insurge Philippe Delhomme. Pourtant, Villarodin-Bourget n’est pas la seule commune dont les sources d’eau sont détériorées par les travaux. Le rapport de 2017 montre que Saint-Martin-de-la-Porte et Saint-André sont également concernés : deux points d’eau sont taris et un présente un fort risque de tarissement. Mais ce n’est pas tout. Un rapport rapport européen plus ancien, daté de 2006, révèle que « LTF a estimé que les tunnels principaux, les descenderies, etc. recevront un flux cumulé d’eaux souterraines (…) comparable à l’alimentation en eau nécessaire à une ville d’environ un million d’habitants. (…) Cela influencera le stockage et le mouvement des eaux souterraines et probablement aussi d’autres éléments du cycle hydrologique. (…) De telles variations peuvent affecter l’environnement en général ou certaines utilisations de l’eau, par exemple : les alimentations desservant les propriétés privées, villages et villes, l’agriculture et l’irrigation, la production d’hydroélectricité. » À plusieurs reprises, les militants de VAM ont tenté de tirer la sonnette d’alarme en réunion publique. « La première fois, nous avons pu présenter nos arguments, appuyés de documents, raconte Philippe Delhomme. Ensuite, on nous a fermé la porte des réunions. Lors de mon mandat d’élu, nous avons déposé plusieurs recours contre Telt mais aucun n’a abouti… On a parfois l’impression de se battre contre un moulin. »

Extrait du rapport sur les points d’eau et leurs risques d’impact de 2017.
C’est donc l’équilibre des eaux souterraines et l’écosystème de toute une vallée qui pourrait être perturbés si le tunnel est construit. « Et c’est irréversible ! » s’inquiète Philippe Delhomme. Ces sacrifices valent-ils la peine ? Non, pour les opposants, « d’autant qu’il existe déjà une ligne ferroviaire, adaptée au fret européen, qui n’est pas exploitée au maximum de ses capacités. Les promoteurs de la nouvelle ligne reprochent à la ligne actuelle son dénivelé (elle présente des pentes de 3 %), qui nécessite une dépense d’énergie importante pour le transport de marchandises, mais elle est suffisante pour le fret actuel. Par ailleurs, si l’État français et l’Europe voulaient vraiment développer le transport de marchandises sur le rail, ils commenceraient par faire appliquer cette politique en plaine. On nous parle de millions de tonnes d’émissions de CO2 évitées grâce au Lyon-Turin… mais ce rapport coût/bénéfices ne tient pas compte des perturbations sur l’eau. En attendant, on dépense de l’argent public pour un grand projet inutile ».
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Thomas Pesquet chez les Kogis
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/04/2023
L’association Tchendukua
Thomas Pesquet : “Ce que font les Kogis résonne de plus en plus pour nous”

Thomas Pesquet : “Ce que font les Kogis résonne de plus en plus pour nous”
11 janvier 2021
© Jean-Michel Turpin – Adenium TV France
En 2018, Thomas Pesquet partait à la rencontre des Kogis avec l’émission “Rendez-vous en Terre Inconnue”, animée par Frédéric Lopez. Pour Tchendukua, le spationaute a accepté de revenir sur les moments exceptionnels qu’il a partagés avec ses hôtes.
Qu’avez-vous gardé de votre rencontre avec les Kogis ?
Je pense que c’est, avant tout, une manière vraiment différente d’appréhender le monde. Parce qu’on a beau voyager, on fonctionne un peu tous sur le même modèle, même s’il y a des variantes. Mais là, c’est vraiment différent. C’est une culture en harmonie avec la nature, ils vivent sur un rythme complètement différent du nôtre. Même si on sait que ça existe, c’est autre chose de le vivre à leurs côtés. Ça devient plus réel, ce n’est pas quelque chose de lointain qu’on a vu à la télé. Moi maintenant, je sais que ça existe vraiment, je sais qu’il y a une autre manière de voir le monde.
Que pensez-vous du dialogue entre les Kogis et la science « moderne », dont vous être l’un des représentants ?
Je trouve que c’est un enrichissement. Je pense que la même question se pose avec la médecine traditionnelle chinoise, par exemple. Parce que ça permet de voir les choses différemment. De voir les problèmes sur le temps long, de voir les choses qui sont liées plutôt que traiter les problèmes individuels, comme on a tendance à le faire. Les Kogis ont une harmonie entre toutes les composantes de leur vie, et avec la nature, que nous avons complètement perdue. Sur la nourriture par exemple : nous, on va l’acheter dans un supermarché. Eux, ils trouveraient ça dingue : « Pourquoi elle est dans du plastique ? Qui l’a faite ? Vous ne connaissez pas la personne qui a préparé votre repas, comment pouvez-vous être sûrs que c’est bon ? »…
Je pense que ça peut être vraiment bénéfique pour nous, surtout en ce moment avec les problèmes d’environnement, de prendre du recul et de se dire : voilà, on va essayer de penser les choses de manière plus globale, essayer de trouver les interactions là où elles existent, même si on n’y a jamais prêté attention avant.
Les Kogis et les peuples autochtones sont parfois considérés comme archaïques, primitifs… Qu’est-ce que cela vous inspire ?
On peut se dire que ne pas avoir la technique qu’on a nous, c’est une manière de vivre primitive… Mais de la même manière que je ne pense pas qu’on puisse dire que c’est celui qui a la plus grande télé à écran plat qui est le plus évolué, je pense que la finesse d’une société et des individus n’est pas liée à la technique qu’ils emploient. Ce n’est pas dans cette dimension-là que ça se joue. Moi, ce que j’ai vu, c’est que bien qu’ils n’aient pas vraiment de culture écrite, il y a une énorme richesse de société kogi. Ils sont tout le temps en train de parler, de se parler, du matin au soir. Ils échangent énormément. Il y a un côté communautaire que nous avons complètement perdu. C’est comme si le groupe était l’entité vivante, et que chacun avait son rôle à l’intérieur. Cette manière qu’ils ont de tous communiquer ensemble, ça aussi ça m’a frappé, parce que nous, on n’a pas du tout ça dans notre société. On prend le métro le matin, il y a 500 personnes dedans, on n’adresse pas la parole à une seule. Pour eux c’est complètement impensable, cette manière de fonctionner.
Avez-vous un message à leur transmettre aujourd’hui ?
Mon message serait : « Toutes ces choses que vous faites depuis des centaines d’années, ça résonne de plus en plus pour nous. Peut-être qu’en fait on n’avait pas si raison que ça sur tout, comme on l’a toujours pensé… ». Et puis : « parlez-nous un peu plus, ça nous intéresse ! » C’est un des messages qu’on leur a apportés et qu’il faut continuer à leur donner.
Y a-t-il un moment qui vous a particulièrement marqué lors de votre séjour chez les Kogis ?
Il y en a beaucoup ! La première rencontre, déjà. J’arrivais là sans aucun travail préparatoire, parce que c’est le principe de l’émission, de découvrir… La première discussion était un peu surréaliste parce que les Kogis nous ont dit : « finalement vous êtes comme nous, on va pouvoir discuter… » Effectivement, on se rend compte qu’on est chacun des êtres humains, mais le dire comme ça, ça ne viendrait jamais à l’esprit dans une rencontre de la vie de tous les jours. Dire : « finalement, on se ressemble, on fonctionne pareil donc on va arriver à communiquer ». C’était un moment fort.
Après, il y a eu la découverte de leurs chefs spirituels, les Mamos, qui maintiennent la société ensemble. Ce sont les guides spirituels mais pas seulement, ils ont aussi beaucoup de pouvoir temporel, ou du moins de conseils, ils donnent les directions dans lesquelles il faut aller. Découvrir ces fonctionnements-là, c’était marquant.
Et chaque jour, il y avait des moments de découvertes. Par exemple, Antonio (Kogi rencontré lors de l’émission) n’avait jamais vu la mer, et surtout il ne s’était baigné dans la mer, pour lui c’était quelque chose de complètement irréel…
Un moment qui m’a fait beaucoup réfléchir, c’est quand ils nous ont parlé de leur conception du monde, qu’ils nous ont dit que le haut des montagnes était lié à la mer, etc. Et oui, la fonte des glaciers alimente les cours d’eau, etc., tout ça, on le sait maintenant scientifiquement, mais eux le savent depuis toujours… Et on les prenait pour des rigolos, à l’époque. De voir cette convergence de ce qu’eux disent depuis toujours avec ce que l’on découvre depuis 10, 20 ou 30 ans, c’était quand même une claque. Ca fait prendre du recul par rapport à notre société qu’on a tendance à estimer supérieure, parce qu’elle marche bien économiquement, ou à peu près, et techniquement… Je pense que c’est important, de temps en temps, d’avoir cette piqûre de rappel.
J’aimerais bien y retourner… Peut-être un jour !”
Propos recueillis par Pauline Thiériot
Grâce à l’appel à dons lancé lors de la diffusion de l’émission, plus de 215 000 € ont été collectés pour permettre la restitution de terres ancestrales aux Kogis. A ce jour, 82 hectares ont déjà été restitués, et de nouveaux achats sont prévus dans les mois à venir. Un grand merci à Thomas Pesquet, Frédéric Lopez, l’équipe de l’émission, et aux 3 700 donateurs !

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Petit rappel sur les commentaires
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/04/2023
Il est inutile de proposer des commentaires sur des articles ou sur mon livre d'or s'ils contiennent des liens publicitaires qui n'ont aucun rapport avec l'article ou avec mes romans et même s'ils sont dithyrambiques.
Je les supprime.
Mon blog n'est pas et ne sera jamais un panneau publicitaire.
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LE DÉSERT DES BARBARES (6) : l'être et l'avoir
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/04/2023

Théo et Laure avaient rejoint les crêtes par l'Aup du seuil puis ils s'étaient engagés sur le sentier menant au col de Bellefont. Théo connaissait parfaitement l'itinéraire. Il avait parcouru l'intégralité de la traversée Chambéry-Grenoble à cinq reprises. Il comptait cinq heures pour atteindre le sommet de la dent de Crolles en trottinant et Laure se réjouissait de cette belle échappée.
Lorsque la clarté naissante révéla le fonds de la vallée, ils distinguèrent les bancs de brume couvrant l'immensité. Comme une mer blanche à l'étale. Une horizontalité parfaite. La beauté du spectacle cachait la certitude du drame. Le silence d'un cimetière. Pas un souffle de vent, pas un bruit humain.
Laure revoyait le vol du rapace et l'évidence de sa joie. Elle cherchait à en comprendre le message. Il restait de sa dernière nuit une sensation étrange et elle tentait d'en retrouver la source. Une image, un rêve, une pensée ? Elle n'avait aucune certitude, juste un ressenti bienheureux. Elle reliait le vol du rapace à cette impression inexpliquée. Sans se départir de l'idée qu'il y avait autre chose, une raison cachée. Trottiner en montagne avec Théo pourrait suffire mais là encore, elle convenait que la source de son ressenti venait d'ailleurs, un territoire inexploré. C'était l'image la plus juste. Un territoire inexploré. Un antre secret dont elle devait trouver l'entrée.
Depuis plusieurs jours, elle avait l'impression que sa mémoire contenait davantage d'images, l'accident, la voiture, la lumière. Il s'était passé autre chose, un événement qu'elle devait retrouver, un souvenir essentiel et elle cherchait le moyen de rétablir le film, de dérouler à l'envers les images perdues. Un mélange de frustration et de désir, l'alternance entre le dépit d'avoir égaré un morceau de l'histoire et la joie d'imaginer que c'était là, en elle, qu'elle le retrouverait nécessairement, une lumière, un voyage inachevé, un horizon aperçu, une rencontre. Il ne s'agissait pas de Figueras. De lui, elle s'en souvenait parfaitement. Peut-être qu'il n'y avait personne, peut-être qu'elle s'égarait à vouloir identifier ce qui lui manquait et que son imagination l'égarait.
De l'autre côté de la vallée, derrière la chaîne de montagnes de Belledonne, elle vit la clarté étendre son voile, elle adorait ces levers de soleil par-dessus les sommets, cet envahissement des cieux, la lumière coulant sur les pentes argentées et révélant les reliefs, les piliers, les faces, les pierriers, les derniers résineux à la frontière avec l'étage nival, les plus téméraires, les plus résistants, elle aimait la puissance de ces paysages, elle y avait toujours trouvé la raison de son existence, les fondations, les élans vitaux, l'effacement des troubles les plus intenses.
Théo était apparu et l'amour avait empli l'unique zone délaissée de son cœur.
Au milieu d'un monde dévasté.
Devait-elle pour autant s'interdire d'être heureuse par empathie pour ses prochains, pour tous les humains, pour tous ceux qui pleuraient leurs morts, pour tous ceux qui tentaient de survivre ? Cette absorption du malheur universel atténuerait-elle les effets du désastre ? Évidemment pas. Elle le savait intimement et n'avait pas encore osé l'admettre, comme ceinturée par la honte de se réjouir de son propre bonheur, une culpabilité tenace. Le syndrome du survivant, elle en avait lu quelque chose sans pouvoir en établir une connaissance présente.
C'est là qu'elle se souvint des paroles de Figueras, de l'importance de la paix intérieure et de la capacité à se réjouir de la vie en soi et autour de soi, quelles que soient les épreuves. Les Kogis ne priaient pas pour demander à être protégés, épargnés, soulagés, pardonnés, absous, ils ne réclamaient rien, ils ne se plaignaient pas. Ils honoraient la création et la remerciaient du bonheur de vivre en son sein. Ils priaient comme un enfant vient se blottir contre sa mère, juste pour le bonheur intense de la paix.
Le liseré flamboyant de l'astre se dessina enfin, un arrondi ardent qui enflamma les pentes. La boule incandescente s'éleva lentement et les rayons embrasèrent la ligne de crêtes où ils progressaient.
Théo, concentré jusque-là sur l'itinéraire et l'horaire à tenir, s'arrêta quelques secondes. Il se retourna vers Laure. Elle souriait, le visage baigné par les rayons. Il revint vers elle.
« Merci de m'avoir permis de vivre ça, dit-elle, merci de m'avoir accueillie. J'ai conscience de la chance immense que j'ai eue de croiser ta route. Et je remercie la vie de ce cadeau inestimable d'être ici et de pouvoir contempler ce spectacle. Là, en cet instant, rien d'autre ne compte. »
Il ne trouva pas les mots et il s'interdit de l'enlacer. Convaincu qu'elle n'attendait rien de lui. « Avant de parler, assure-toi que ce que tu veux dire est plus important que le silence que tu vas briser. » Une citation lue ou entendue, il ne se souvenait plus mais il savait combien Laure aimait le silence. Elle avait exprimé son amour pour lui. Il lui restait à se taire.
Il l'observa, les regards balayant les horizons découverts. Il aimait infiniment la douceur de son visage et simultanément l'énergie qui en émanait. Il la quitta des yeux et contempla les montagnes. Que voyait-elle qu'il ne distinguait pas ? Il en était certain, elle regardait bien au-delà.
Il ne la vit pas s'approcher. Elle l'enlaça.
« L'énergie créatrice. C'est bien autre chose que ce que les yeux regardent. »
Lisait-elle dans ses pensées ?
« Qu'est-ce que ça signifie ?
- Si tu regardes les montagnes comme des entités nommées, cartographiées, avec une altitude connue, que tu y reconnais les itinéraires, que tu te souviens de tes ascensions, tu ne regardes pas les montagnes, tu te regardes à travers elles. C'est ton existence que tu contemples. Et finalement, c'est encore une exploitation de la nature. Une exploitation existentielle. J'en arrive à penser que plus les humains disparaîtront, plus la nature retrouvera sa virginité. Je sais que c'est effroyable si on pense aux victimes mais si on se place du côté de la nature, c'est une libération. Et peut-être même que les survivants finiront par changer leur regard puisque le passé aura été balayé, effacé, pulvérisé. L'occasion unique de saisir pleinement la réalité de ce monde. Et surtout que l'humanité ne soit plus une entité à part. Le colonialisme n'est pas qu'une agression envers certains peuples. Les humains ont colonisé la planète, avec tous les outrages que ça comporte. Cette époque est une décolonisation forcée, accélérée et impitoyable. »
Elle le regarda en souriant.
« C'est le bonheur de la vie qui doit nourrir le renouveau de la planète. Aussi terrifiant que soit la situation. Ma mère, dans son apathie dépressive, va à l'encontre de cette révélation.
- Et moi, dans l'inquiétude chronique que je porte, j'en fais tout autant.
- Non, Théo, je ne suis pas d'accord. Ma mère se morfond mais toi, tu agis. Et encore une fois, je suis heureuse et soulagée de vivre à tes côtés. Sans toi, e serais sans doute morte. »
Il posa une main sur sa joue.
« On y va !» lança-t-elle.
Le sentier sur le fil des crêtes, un chamois bondissant qui s'enfuit, les immensités ouvertes jusqu'à l'horizon, un ciel épuré, aucune trace d'avion, toutes ces déchirures blanches disparues, effacées, balayées par l'effondrement des hommes, des hommes dénudés. Tout ce qui avait volé en éclats, toute cette technologie flamboyante, cette certitude que rien de grave ne pouvait survenir, que l'hégémonie perdurerait indéfiniment, que les alertes catastrophistes relevaient de la paranoïa.
Des pensées qui défilent comme l'alternance de ses pieds devant ses yeux.
Que reste-t-il du monde humain ? Cette question qui tournait en boucle dans la tête de Laure, depuis le premier jour, et qui disparaissait, peu à peu. Comment la nature vit-elle cette période ? L'autre interrogation, prioritaire désormais. Cette nature outragée depuis si longtemps par une masse inconsciente, indifférente, prétentieuse, cupide, avide, juste bonne à dilapider les biens de tous, juste bonne à dévaster la création, que ressentait-elle cette Terre libérée ? Les phénomènes naturels, même s'ils témoignaient d'un dérèglement probable, restaient malgré tout des phénomènes naturels. La nature ne se détruisait pas elle-même. Elle vivait ainsi depuis la création. L'homme avait exploité la planète mais il était toujours resté le même.Il n'y avait eu aucune évolution spirituelle d'ampleur. Quelques individus œuvraient à une existence juste et respectueuse du vivant. Trop peu, beaucoup trop peu. La masse avait grandi inexorablement et la quête des biens avaient servi de fil conducteur. Comme si l'être dépendait essentiellement de l'avoir. Oui, le confort offrait la sérénité nécessaire à l'émergence du bien-être, elle ne pouvait le nier mais la limite avait été dépassée, l'équilibre rompu et cette course avait pris l'allure d'une perdition.
Et maintenant, le ciel était vide et aucun bruit ne remontait de la vallée.
Existait-il au cœur de la nature une réjouissance ?
Le bonheur de courir, avec Théo. Elle en aimait chaque instant, chaque foulée, chaque souffle, chaque appui sur les pierres blanches, ce jeu précis de l'équilibre et de la puissance. La détresse n'apportait aucune solution, elle nourrissait l'effondrement quand le bonheur de vivre soutenait la résilience. Ce lever de soleil dévoilait l'étendue d'un désastre consommé et il révélait simultanément une abondance de merveilles. L'état des lieux ne pouvait se limiter à l'impact des catastrophes sur les humains. Cette auscultation ciblée reproduisait le fonctionnement spirituel mensonger de la masse. Il ne s'agissait pas de la fin du monde, cette expression mensongère, cet accaparement révélateur du positionnement de l'humain. Comme si le monde avait besoin de l'humanité. Il n'y aurait plus aucun humain que le monde serait toujours là. Bien sûr qu'il était juste d'honorer la mémoire des morts mais il était plus important encore de bénir la création au risque de n'être qu'un humain limité à sa courte existence, à son petit moi agité, à son ego formaté, à une appartenance limitée.
« Attention à la branche », prévint Théo.
Elle se baissa pour passer sous l'obstacle et réalisa à quel point ses pensées ouvraient de perspectives. L'effondrement ne concernait qu'une frange de la création, une part infime au regard du vivant. D'où venait cette injonction à hurler de douleur ou à verser des océans de larmes parce que des millions d'humains périssaient ? Un instinct grégaire, une reconnaissance cellulaire ? Non, non, non. Cet amour inconditionnel envers ses semblables, elle n'en avait jamais éprouvé la réalité profonde. Des données familiales, sociétales, éducatives. « Tu aimeras ton prochain... » Et la Terre alors, la création, la nature, l'intégralité du monde vivant ? Combien pleurait le mal qu'elle subissait depuis des siècles ? La Terre ne comptait-elle pas parmi nos proches ? Pour les peuples premiers, elle était notre Mère à tous. Cet attachement à la douleur humaine nourrissait depuis des siècles l'indifférence envers la planète.
« Tu m'as parlé ? interrogea Théo.
- Non, non, je parle toute seule, répondit Laure en réalisant que les pensées étaient si puissantes qu'elles s'extirpaient elles-mêmes de son crâne. Vas-y, cours, je te suis !
- On va bifurquer dans cinq minutes, faut qu'on descende, ça ne passe pas tout droit, on franchit la cheminée du paradis et on monte au sommet de la dent de Crolles. »
Elle ne répondit rien. L'esprit envahi par un déluge de pensées. Un déluge délicieux, comme des pluies nourricières, des moussons salvatrices, une eau qui nettoie, qui épure, qui ravine et emporte les choses mortes, des vents qui dispersent les pollens, des lumières qui attisent les croissances, des chaleurs qui exaltent, des fraîcheurs qui apaisent.
Elle continua à épouser les foulées de Théo, parfaitement calée sur son rythme, le corps libre, sans qu'aucun objectif rapporté ne vienne entraver cette liberté intérieure.
Ils quittèrent les crêtes et basculèrent dans la pente, dans l'ombre de la face est. Ils franchirent un ressaut rocheux et reprirent les foulées, ils atteignirent le pied de la dent de Crolles et entamèrent la montée finale.
Le soleil avait réchauffé l'atmosphère quand ils aperçurent la croix du sommet, le plateau sommital en pente douce, des nuées évanescentes dérivaient en altitude, une brise légère jouait à animer les dentelles, les sommets de Belledonne flamboyaient, les neiges automnales comme des parures scintillantes.
Dans les derniers mètres avant d'atteindre le bord de la falaise et de découvrir la vallée entière, Théo s'arrêta. Laure dans ses pas.
« Sur cet itinéraire, avant que le monde ne parte en vrille, je rencontrais toujours des randonneurs. Pas des dizaines mais quelques-uns. Aujourd'hui, j'ai l'impression de vivre dans un monde parallèle, une autre dimension, le monde d'en bas et le monde d'en haut.
- Oui, Théo, mais ce ressenti est influencé par notre statut d'être humain.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Les phénomènes naturels nous impressionnent par rapport aux dégâts qu'ils provoquent sur l'humanité mais est-ce que nous réagissions réellement lorsque la beauté de la création ne nous portait pas préjudice, lorsque la quiétude nous entourait ? On se pâmait devant un beau paysage, un beau coucher de soleil, un champ de fleurs mais sans en être bouleversés, sans que ces spectacles ne déclenchent … je ne sais pas comment l'exprimer ... On vivait à côté de la nature et maintenant qu'elle nous secoue, on ne voit d'elle que sa puissance destructrice. Parce que c'est notre monde parallèle qu'elle bouleverse … Je ne sais pas comment l'expliquer.
- Si, je comprends. Nous n'avons pas témoigné de notre reconnaissance, pas à la hauteur du cadeau inestimable de la création et maintenant, nous ne voyons que les bouleversements qu'elle nous impose.
- C'est le monde humain qui est parti en vrille, pas la nature. Ou alors, il faudrait accepter l'idée que la nature accompagne le mouvement, qu'elle nous imite, peut-être même qu'elle pense nous aider, qu'elle participe délibérément au nettoyage.
- Oui, on l'a déjà évoqué et l'enchaînement des phénomènes plaide pour cette hypothèse.
- Alors, Théo, si c'est bien le cas, nous devons changer de regard. Nous devons changer, intérieurement.Le problème, ça n'est pas la nature, c'est nous. »
Il lui tendit la main, la paume vers le ciel.
"L'homme est capable du meilleur comme du pire, mais c'est vraiment dans le pire qu'il est le meilleur. C'est Grégoire Lacroix qui a écrit ça, il y a longtemps. Il nous reste donc à inverser la tendance. »
Elle serra la main de Théo et ils avancèrent jusqu'au bord de la falaise."
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Visionnaire
- Par Thierry LEDRU
- Le 21/04/2023
"Maintenant, on pourrait presque enseigner aux enfants comment la planète va mourir, non pas comme une probabilité mais comme l'histoire du futur.
On leur dirait qu'on a découvert des feux, des brasiers, des fusions que l'homme avait allumés et qu'il était incapable d'arrêter.
Que c'était comme ça, qu'il y avait des sortes d'incendie qu'on ne pouvait plus arrêter du tout.
Le capitalisme a fait son choix : plutôt ça que de perdre son règne. "
Marguerite DURAS, écrit le 4 juin 1986
Cette année-là, j'avais 24 ans. Et je n'ai sûrement pas lu ce texte, pour la simple raison que ça ne m'aurait pas parlé du tout. On ne lit que ce qu'on a cherché à lire et je ne cherchais aucunement à lire des textes d'alerte.
J'ai bien conscience aujourd'hui que ce blog est devenu quelque peu alarmiste. Je me dis que si un jeune de 24 ans venait à tomber dessus, il pourrait lui être utile.
Je suis un vieux qui parle aux jeunes.
Ne faites pas comme moi, réveillez-vous, maintenant.
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"Trop"
- Par Thierry LEDRU
- Le 18/04/2023

Tous ces "trop" émergent de la vie sociale.
Ce sont des données qui sont imposées à l'individu par une société qui le considère comme un outil et qui par là même s'octroie le droit de lui appliquer les termes dont on use en parlant de choses.
Il s'agit donc de s'imposer par delà ces "trop", de les combattre, de s'affirmer. Et donc de refuser les étiquettes de ces "trop".
Ou alors, c'est qu'il faut quitter ce monde sauvage de la société capitaliste, se mettre en retrait, s'autonomiser pour ne plus être considéré comme un "trop" mais juste comme un "rien".
Devenir inexistant et donc exister pour soi.
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La douleur de la conscience
- Par Thierry LEDRU
- Le 17/04/2023
"La connaissance ouvre la conscience. Vaut-il mieux être malheureux en conscience ou heureux par inconscience ?"
Sylvie Raffin-Callot
C'est une phrase que j'ai trouvée en commentaire d'un article sur une page FB, "Au coeur de la philosophie".
J'ai vécu une partie de ma vie dans une totale insouciance au regard de l'état de la nature. J'ai goûté au bonheur de la haute montagne, des randonnées en forêts, des baignades dans des lacs d'altitude, des raids à vélo, des sorties de ski de randonnée, des milliers d'heures à courir, à marcher, à pédaler, à skier, à nager, à contempler les beautés de la Terre.
Puis, avec l'âge et de multiples lectures sur la biodiversité, l'impact de l'humain sur la faune, la flore, le climat, les cours d'eau, les océans, l'atmosphère, la souffrance animale, j'ai basculé de l'insouciance à une forme de désespérance, un assommoir qui ne cesse de me frapper, une connaissance pesante et qui reste, malgré ses effets, absolument nécessaire parce qu'elle me permet d'agir en conscience.
Alors oui, cette conscience est douloureuse mais cette douleur est compensée par les effets de mon engagement, un effet dérisoire au regard du désastre planétaire mais un effet qui me permet de me supporter, en tant qu'humain.
J'ai même longtemps écrit des textes qui explorait la dimension spirituelle et quelque peu philosophique, à mon humble niveau. Puis j'ai arrêté ce travail intérieur parce que cette conscience de la vie et de mon impact sur elle me montrait à quel point ma quête spirituelle était artificielle, déconnectée du monde réel, ce que j'ai fini par appeler "mon insignifiante réalité".
Je vivais dans une sphère "intellectuelle" qui conférait à un état de "hors sol" bien que je passais la majeure partie de ma vie dehors, au plus près de la nature. Une nature dont je ne connaissais finalement pas grand-chose. Elle n'était qu'un terrain de jeu, une scène plaisante qui répondait à mes besoins physiques.
Il n'aurait servi à rien que je regrette cet état d'insouciance, que je me flagelle pour toutes les erreurs passées. Puisque j'avais enfin accédé à un état de conscience libérée de "l'ego encapsulé" (Alan watts), il fallait que j'en fasse quelque chose.
Comme le dit très justement Sylvie Raffin-Callot (que je remercie pour la concision parfaite de sa réflexion), j'alterne entre la douleur générée par cette conscience et la satisfaction d'agir désormais selon ma conscience. Je gagne à travers la douleur une sérénité réelle et non un bien-être égotique. La question se pose d'ailleurs de savoir si toutes les thérapies qui proposent d'aller mieux dans un monde qui va mal ne participent pas finalement elles-mêmes à ce monde. Si l'objectif est de supporter ce monde et de parvenir à s'y insérer sans souffrance mais sans rien y changer, c'est juste un travail sur soi mais cela n'a aucune incidence sur le monde lui-même.
Ce monde va-t-il mal parce que trop de gens le supportent encore ? Faudra-t-il donc attendre que la douleur de l'état de conscience se généralise pour commencer à entrevoir la possibilité d'une évolution planétaire ?
Alors qu'advienne la douleur de la conscience, pour tous, qu'elle soit si forte que les nuits en deviennent blanches.
Voici l'article en question.
https://aucoeurdelaphilo.wordpress.com/2023/01/08/pourquoi-les-gens-intelligents-sont-souvent-malheureux/?
Pourquoi les gens intelligents sont souvent malheureux ?

(Crédits image : Aron Wesenfeld)
« Tout le monde cherche à être heureux, même celui qui va se brûler la cervelle » Pascal
***
Lorsque j’étais enfant, et que j’avais dû mal à juguler mes innombrables angoisses, il m’arrivait de lire la Bible.
Et lorsque je lisais la genèse – parmi d’autres points qui interpellaient ma sagacité d’enfant – je ne comprenais pas pourquoi Adam et Eve avaient été punis pour avoir consommé le fruit de la connaissance.
La connaissance, c’est à priori quelque chose de positif ! Nos parents ne nous motivent-ils pas tous les jours à apprendre ? à accumuler des connaissances ? Pis encore, je ne comprenais pas pourquoi Adam et Eve, qui n’avaient tué/fait du mal à personne – devaient endurer les pires souffrances et être malheureux pour le restant de leurs jours, ainsi que leur descendance. Et encore une fois, pour avoir – JUSTE- consommé le fruit de la connaissance.
***
Vous le savez, l’un des conflits opposant la philosophie et la religion concerne l’accès au bonheur.
Pour les philosophes (excepté l’ami Rousseau), du moins, pour nombre d’entre eux, l’accès au bonheur passait par la connaissance, le culte de la raison pour accèder au vrai (Aristote avec la spéculation contemplative comme stade ultime du bonheur dans son éthique à Nicomaque, l’hédonisme raisonné des épicuriens, les stoïciens etc.). « Il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait » disait l’ami John Stuart Mill.
A contrario, et sans aller jusqu’au fameux “Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux”, pour les religions, le bonheur a longtemps consisté – et consiste encore – dans le fait d’avoir la foi (entre autres, la foi pour les vérités fournies par la religion sans se poser trop de questions).
Et si pour une fois, les religions étaient dans le vrai ? Et si la connaissance était en réalité un cadeau empoisonné ?
***
Il y a de cela quelques années, et dans un tout autre ordre d’idées, j’avais lu dans un article rédigé par un psychologue que les gens intelligents avaient souvent tendance à être malheureux, du moins malheureux par rapport à leurs pairs. (l’intelligence peut être d’une grande aide quant à l’accès à la connaissance)
A la première lecture, cela m’avait étonné. Mais en faisant quelques recherches, je m’étais effectivement rendu compte qu’un certain nombre d’études semblait bel et bien attester ce phénomène.
Ainsi, d’après une étude (1), réalisée par Norman P. Li et Satoshi Kanazawa sur un échantillon de 15 000 jeunes adultes âgés de 18 à 28 ans, et publiée dans le British Journal of Psychology, les deux chercheurs expliquaient que les personnes les plus intelligentes préféraient vivre dans des zones moins densément peuplées et avoir un moins grand nombre de relations sociales. Les deux chercheurs expliquaient par ailleurs que, si les personnes les plus sociables sont souvent les personnes les plus satisfaites et les plus épanouies dans leurs vies, ceux qui étaient dotés d’une intelligence supérieure à la moyenne avaient souvent tendance à souffrir aussi bien de la solitude, que la sociabilisation avec leurs pairs)
Et au fond, c’est vrai qu’en y pensant, une extrême intelligence [mais aussi la connaissance] vous éloignent malheureusement parfois des autres.
Vous avez certainement tous entendu parler de ce vieux conte arabe qui relate l’histoire d’un royaume qui était naguère gouverné par un roi extrêmement sage. Un soir, une sorcière empoisonna le puit, de manière à ce que l’au rende fou. Et c’est ce qui arriva à tous les individus – excepté le roi qui burent de cette eau le lendemain. Problème : Au fur et à mesure que les jours passaient, tous les habitants devenaient vindicatifs et répandaient des rumeurs sur le fait que le roi était devenu fou, qu’il ne dirigeait plus de manière sage etc. Un soir, le roi finit donc par boire l’au du puit, et il fut par la suite acclamé par le peuple comme un roi à nouveau sagace, raisonné, éclairé…
Certains passages de l’allégorie de la caverne (cf Platon) évoquent également ce côté douloureux de la connaissance. Ainsi l’individu qui réussit à se libérer de la caverne éprouvera d’abord une vive douleur aux yeux ( du fait de la lumière, n’ayant pas l’habitude d’évoluer dans un environnement naturel, inondé de soleil etc). Par ailleurs, il se peut qu’en redescendant dans la caverne pour aller libérer les autres prisonniers, ces derniers soient plutôt sceptiques, et en viennent même à la supprimer comme le relate Platon dans le livre VII de La République.
***
Lorsqu’on a d’immenses connaissances et/ou conscience d’un certain nombre de choses, lorsqu’on a des capacités cognitives assez poussées, cela nous éloigne ipso facto de certains de vos semblables.
Les personnes extrêmement intelligentes/érudites sont parfois un peu comme l’Albatros de Baudelaire, prince dans les nuées [des idées], mais qui sur terre, deviennent « infirmes » au milieu des huées, leurs ailes de géant les empêchant de marcher, [et d’évoluer/côtoyer leur semblables].
D’ailleurs, il se peut que certains d’entre vous l’aient déjà ressenti, cette sensation d’être un martien, cette sensation d’étrangeté, cette sensation d’être en décalage avec vos pairs. Avec l’irruption du fin fond de votre âme du fameux “Et si, c’était moi le problème ?”
***
Face à cela, et parce que l’homme est un être social, le psychologue expliquait que d’aucuns allaient jusqu’à utiliser un masque pour s’intégrer au mieux. Mais cela n’arrangeait pas la chose; bien au contraire. Ce sentiment de mal-être continuait même à grandir derechef.
L’auteur notait également que chez les personnes intelligentes, il y avait une dimension assez désagréable – et d’ailleurs bien souvent non voulue par les intéressés – qui était relative au côté “cerveau tout le temps allumé”, le cerveau qui ne s’arrête jamais, éventuellement les insomnies etc.
Ce doute et le questionnement permanent face à des décisions à prendre (un imbécile qui marche va plus loin qu’un intellectuel assis comme disait Audiard); la volonté de toujours comprendre, de toujours se questionner [ce qui ne peut que occasionner de l’insatisfaction].
Certes l’intelligence et la connaissance, ce n’est pas forcément la même chose.
Toutefois, ceux qui font de la recherche ou ceux qui ont soif de connaissance le savent. Plus on fait des recherches et on accumule des connaissances sur un sujet, plus on se rend compte à quel point on est ignorant, et qu’il faudra encore plus de recherches/lectures pour combler cette ignorance (d’où l’insatisfaction permanente)
***
Mais même sans aller jusqu’à utiliser des exemples relatifs aux gens étant des scientifiques, des gens aux capacités cognitives étendues, etc. l’image qui me vient spontanément à l’esprit et qui me semble symboliser le fait que la connaissance n’est pas forcément synonyme de bonheur, c’est l’image de l’enfance.
Lorsqu’on était enfant, on était tous relativement insouciants (Du moins, on était plus insouciants qu’à l’âge adulte).
On était notamment insouciant parce qu’on ne savait pas tout ce qui se passait dans le monde, parce que nos parents essayaient de nous protéger des tristes vérités de ce monde (Guerre, boulot, ruptures, morts, racisme etc.), parce qu’on croyait aux contes de fées qu’on nous racontait (Le père Noël, le bien qui triomphe toujours, les copains/copines avec qui on resterait toujours copains etc.)
Bref, on était là « tranquilles, entre gosses insouciants, ignorants des choses de la vie. Et puis, sans avoir vu le temps passer, on se retrouve à présent, inquiets, entre adultes » ayant désormais connaissance de la réalité, et de ses innombrables contraintes et tragédies.
***
De ce point de vue là, l’allégorie d’Adam et Eve condamnés à être malheureux [pour avoir mangé le fruit de la connaissance] peut se comprendre.
Quand en effet, face aux mystères du Cosmos et de la nature, face aux innombrables tragédies de ce monde, face à la complexité de la nature humaine, des relations sociales, votre ignorance/inquiétude peut être comblée par l’invocation de Dieu, de la destinée, du dessein intelligent, c’est sans doute plus aisée de vivre sa vie.
La vie d’un homme serait en effet intolérable, nous dit Anatole France, « s‘il savait ce qui doit lui arriver. Il découvrirait des maux futurs, dont il souffrirait par avance, et il ne jouirait plus des biens présents, dont il verrait la fin. L’ignorance est la condition nécessaire du bonheur des hommes, et il faut reconnaître que, le plus souvent, ils la remplissent bien. Nous ignorons de nous presque tout ; d’autrui, tout. L’ignorance fait notre tranquillité ; le mensonge, notre félicité. »
***
Peut-être est-ce là une autre vérité contenue dans les spiritualités et religions d’autrefois. Peut-être est-ce là la signification profonde l’allégorie d’Adam et Eve, du mythe de Pandore (qui mena l’humanité à sa perte du fait de sa curiosité)…
Après tout, le sage ne dit-il pas : “ La vie est un mystère qu’il faut vivre, et non un problème à résoudre »
***
Bref, et vous, qu’en pensez-vous ? A choisir, vous préfèreriez opter pour un bonheur adossé à l’illusion/l’ignorance, ou une existence misérable/dépressive dans la connaissance ?
Wilfried M.
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Potager pour l'autonomie
- Par Thierry LEDRU
- Le 14/04/2023
Transformer une partie d'un jardin d'agrément en potager, ça ne représente pas un travail titanesque mais un travail sur le long terme. En un an, les récoltes peuvent déjà être abondantes.
En deux ans, il n'est plus nécessaire d'acheter le moindre légume si la diversité a été mise en avant.
C'est notre cas.
Pour ce qui est des fruits, c'est bien plus long évidemment. Il faut travailler sur les arbres mais aussi sur les haies fruitières dont la production est bien plus rapide : cassis, mûres, groseilles, groseilles à maquereaux, framboises, baies de goji, myrtilles...
Exploit : dans son micro-jardin, Joseph produit 300 kilos de légumes
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<p>Pour rentabiliser chaque mètre carré de son petit jardin, Joseph a multiplié les astuces. Il a réussi à y caser un potager, un verger, une mare, une serre et à y faire pousser une centaine de fruits et légumes différents.</p>
Par Thibaut Schepman
·Publié le 21 novembre 2016 à 15h40·Mis à jour le Mis à jour le 27 juillet 2015 à 08h28
Temps de lecture 6 min

Le jardin de Joseph, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015 - Thibaut Schepman/Rue89
(De Sotteville-lès-Rouen, Seine-Maritime) Un coin de gazon, quelques rangs de légumes, une petite serre. Vu de la rue, on pourrait croire qu’on passe devant un jardin comme un autre, cultivé depuis quelques décennies par un gentil papi consciencieux. On aurait tout faux.
L’autonomie ?
Joseph ne cultive ni pommes de terre, ni ail, ni endives. Il n'est donc pas autonome à 100%. « Par contre, on a encore des courges et des petits pois de l’an dernier, on est capables de faire le tour de l’année, d'avoir des légumes pendant la saison la plus dure, vers mars et avril. »
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Le jardinier note tout, avec une rigueur impressionnante : « Je pèse tout ce qui sort de mon jardin et je compile dans un tableau Excel (voir ci-dessous). Ça me permet de tirer des conclusions, de ne rien oublier. »
Joseph Chauffrey et sa compagne ont emménagé à Sotteville-lès-Rouen – à quelques minutes en métro du centre-ville de Rouen (Seine-Maritime) – il y a quatre ans. A l’époque, ils étaient presque néophytes et une bonne partie du jardin actuel était bitumée.
Depuis, cet espace de 150 m² est devenu un micro-jardin hyper-productif.
On y trouve un potager de 25 m2, un verger de 10 m2 mais aussi une mare et une serre minuscules.
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En 2014, 252 kilos de plus d’une centaine de fruits et légumes différents ont été récoltés ici.
Suffisant pour que Joseph et sa compagne – qui pèsent consciencieusement chaque récolte – n’achètent quasiment plus aucun légume.
En 2015, Joseph pense passer la barre des 350 kilos de production. Et bien plus encore les années suivantes, quand les arbres fruitiers auront atteint une taille adulte. Le tout en consacrant « pas plus de dix heures par semaine au maximum au jardin ».
Voir le document
Si l’on ne s’aperçoit pas de cette incroyable productivité au premier coup d’œil, c’est que Joseph s’est en prime ajouté ce défi :
« Je ne voulais pas que le jardin soit seulement un potager, je voulais qu’il soit aussi beau, agréable, qu’il attire les insectes et les oiseaux [d’où la mare, ndlr]... J’ai donc essayé de concevoir plusieurs espaces complémentaires de telle façon à ce que chacun d’eux ait plusieurs fonctions et que chacun des besoins du jardin soit rempli de plusieurs façons différentes. »

Récolte de légumes dans le jardin de Joseph, en août 2014
Pour remplir tous ces objectifs a priori bien différents, Joseph a dû recourir à de nombreuses astuces, qu’il a trouvées en fouillant dans sa bibliothèque ou en passant de nombreuses heures sur Internet.
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Il assure :
« Finalement, la petite taille de mon jardin est un avantage, ça me force à innover et ça me permet d’accorder beaucoup plus de temps et d’attention à chaque mètre carré disponible. »

Les boîtes à graines de Joseph, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015
Jean-Paul Thorez, ingénieur agronome auteur de nombreux ouvrages sur le jardinage biologique, a visité plusieurs fois le jardin de Joseph Chauffrey. Il nous confirme :
« Ce jardin est probablement l’un des jardins les plus productifs du monde au mètre carré sous ces latitudes. C’est le fruit de sa démarche qui est à la fois technique et intellectuelle. Il y a chez lui un mélange d’attention extrême et d’une recherche constante d’optimisation. Il n’a rien inventé, mais il a su s’inspirer des bonnes sources, entre les pionniers de la bio, les références techniques, des choses moins connues comme les jardins créoles en trois dimensions. »

Les baies de Joseph, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015 - Thibaut Schepman/Rue89
Petit tour de jardin et de ces innovations « low-tech » :
La vidéo qui change tout
Ces prouesses ont valu à Joseph un petit succès dans le cercle des jardiniers connectés quand, en août dernier, il a tourné une petite vidéo sur son jardin et l'a publiée sur Youtube. Depuis, de nombreuses personnes le contactent pour échanger avec lui et l'imiter.
des courges dans les airs : entre juillet et septembre, on peut voir des courges et des haricots suspendus un peu partout dans le jardin de Joseph, comme le montrent la photo et l’extrait vidéo ci-dessous :
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« J’essaye de cultiver de manière verticale. Je laisse pendre des fils sur lesquels grimpent les haricots, je tends aussi des cordes pour faire grimper les courges sur le toit de mon abri de jardin ou sur ma pergola. Ça fonctionne très bien, le pédoncule se renforce et peut tout à fait supporter le poids du fruit. »

Les courges de Joseph grimpent à à Sotteville-lès-Rouen, en août 2014 - DR
Des légumes perpétuels : de la livèche – plante d’un mètre de haut dont les feuilles ont goût de céleri. Du chou Daubenton, légume vivace dont les feuilles se dégustent toute l’année. Mais aussi des choux brocolis vivaces ou des oignons perpétuels. Dans le jardin de Joseph, nombre de légumes ne meurent jamais :
« J’ai tapé “légumes perpétuels” sur Le Bon Coin, je suis tombé sur un mec de l’Est qui vendait des graines dans de petites enveloppes. Ça remplace finalement beaucoup de choses, par exemple, je pense que je ne cultiverai bientôt plus d’épinards, c’est compliqué alors qu’il y a énormément d’alternatives qu’on peut mélanger quasiment toute l’année, comme le chénopode, la bourrache, la consoude ou les arroches. »

Joseph dans la partie potagère de son jardin, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015. Au premier plan, les oignons perpétuels - Thibaut Schepman/Rue89
De l’urine et de la paille : une partie du jardin de Joseph était dallée. Inexploitable ? La lecture d’un livre sur la culture sur botte de paille a inspiré à Joseph une solution : le micro-jardinier a repiqué tomates et choux directement dans trois bottes de paille.
« Ça fonctionne vraiment très bien. Ça permet d’imaginer beaucoup de choses, des jardins déplaçables par exemple. La paille ne demande pas plus d’eau, au contraire, elle est creuse et donc la retient bien. La botte va tenir deux ans puis elle va peu à peu se composter en son centre et je pourrai l’utiliser pour recouvrir et enrichir mon sol. La seule chose, c’est que la paille est une matière très carbonnée, il faut donc y ajouter de l’azote. Beaucoup de gens proposent d’utiliser d’énormes quantités d’engrais, mais l’urine est une très bonne solution, j’ai testé les deux et obtenu des résultats comparables. Ça ne pose aucun problème d’hygiène bien sûr. »

Culture sur botte de paille, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015 - Thibaut Schepman/Rue89
Des buttes de culture : dans son petit espace potager, Joseph a enterré une grande quantité de bois mort qui va nourrir son sol pendant plusieurs années. Il a recouvert la butte obtenue de paille, et posé des planches de bois sur le sol. Aussi le sol cultivé est vivant, jamais compacté... et hyper-productif.
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Prolonger les saisons : pour produire plus, il faut aussi gagner du temps. Pour ce faire, Joseph a lu des ouvrages de maraîchers nord-américains, comme Eliot Coleman. Il sème des graines très tôt en mini-mottes à l’intérieur de sa maison ou, dès que c’est possible, dans sa petite serre ou dans un châssis qu’il a fabriqué en recyclant une vieille porte-fenêtre.

La porte-fenêtre recyclée de Joseph, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015 - Thibaut Schepman/Rue89
Une fois ses plants poussés et les beaux jours venus, il peut les repiquer dans son jardin ou en pot sur sa terrasse, où les murs blancs permettent encore de gagner de la chaleur et du temps. C’est ainsi qu’il déguste des tomates dès la fin mai, une prouesse dans la région. De même, il sème des graines de légumes juste avant l’hiver, pour que les plants végètent pendant plusieurs mois et « repartent » au moindre signe d’arrivée du printemps.

Joseph entre dans sa serre, à Sotteville-lès-Rouen, le 10 juillet 2015 - Thibaut Schepman/Rue89


