La stratégie du choc
- Par Thierry LEDRU
- Le 15/12/2012
- 0 commentaire
Journaliste, essayiste et réalisatrice, diplômée de la prestigieuse London School of Economics, Naomi Klein est l'auteur du best-seller international No Logo, traduit dans vingt-huit langues et devenu une référence incontournable dans le monde entier. Elle contribue régulièrement à la rubrique internationale de The Nation et The Guardian, et s'est rendue en Irak pour le magazine Harper's. En 2004, elle a réalisé un film documentaire : The Take, sur l'occupation des usines en Argentine, qu'elle a coproduit avec le réalisateur Avi Lewis
L'objet de l'ouvrage : le choc (et sa stratégie) est une métaphore ou un paradigme : le choc politique, économique, social est à un pays ce que la torture est à un individu. Ceux qui pratiquent cette violence extrême partent de l'idée qu'il faut effacer et déstructurer pour écrire autre chose : "Nous allons vous presser jusqu'à ce que vous soyez vide puis nous vous emplirons de nous mêmes" (G. Orwell, 1984, cité par l'auteur). En fait, c'est faux, bien sûr. Le pays ressort brisé pour des décennies comme l'individu qui parfois meurt ou devient fou. En outre, le choc appliqué au pays implique souvent la torture massive des opposants : il y a donc un lien entre le niveau individuel et le niveau global. NK illustre son propos avec les expériences criminelles d'Ewen Camron de l'université McGill dans les années soixante, expériences financées par la CIA, le programme MKUltra, la méthode Kubark (Partie 1).
Le second fil conducteur qui donne l'unité à l'ouvrage (de la première à la dernière page) est la dénonciation constante de l'idéologie de l'école de Chicago et de son maître à penser Milton Friedman (1912-2006), fils spirituel de Friedrich Hayek (1899-1992). On suit la piste de l'application de ces théories dans un certain nombre de cas entre les années soixante-dix et les années quatre-vingt-dix : les pays du cône sud américain, Chili, Argentine, Bolivie, Brésil (l'opération Condor), l'Indonésie, pour finir avec la Pologne, la Russie (Eltsine 1993) et l'Asie d'une façon générale. La piste en question pue l'odeur de terre brûlée et de charogne : les société sont ruinées, mais lorsque leurs économies finissent par se redresser, les populations ont sombré dans la misère et les élites se sont enrichies sur le dos des pauvres au-delà de toute décence démontrant ici dans tous les cas qu'il n'y à pas d'effet de percolation : l'enrichissement de l'élite n'a aucun effet positif sur la misère des masses (Parties 2 à 4).
Les parties 5 et 6 de l'ouvrage portent sur la seconde phase de l'application de la théorie de l'école de Chicago, en fait, son aboutissement extrême par une application méticuleuse grâce au 11 septembre (dont la nature exacte n'est pas réellement questionnée par l'auteur). Le capitalisme crée le désastre (Irak, Yougoslavie, Afghanistan) ou utilise les catastrophes naturelles (Tsunami au Sri-Lanka, Katrina) pour mettre en place le circuit fermé des profits liés à la destruction et à la reconstruction. Rien n'échappe plus à la privatisation. L'État corporatiste n'est plus qu'une coquille vide au sein de laquelle les dirigeants des grandes sociétés privées agissent sans contrainte et s'enrichissent sans limitation.
La partie 7 (et dernière) est une réflexion sur la globalisation d'un tel système qui mène manifestement vers la fiction de Ruffin dans Globalia. Les élites accaparant les plus beaux espaces de la planètes se protègent dans des zones vertes derrière des murs de sécurité, 25% à 60% de la population est mise au rancard. "zones vertes" et "clôtures" de sécurité sont déjà les paradigmes d'un apartheid global.
Ce livre est passionnant, mais sa lecture est un peu déprimante même si la conclusion tente d'exprimer quelques réflexions optimistes. Les pages de remerciement mettent en évidence un travail relativement collectif même s'il revient à l'auteur de l'avoir écrit. Quelque absences remarquées dans un index pourtant bien étoffé : AGCS, Bilderberg, PNAC .. Enfin, pour faire une lecture réellement intelligente de ce bon livre, lire préalablement Friedman (Captalism and Freedom) et même Hayek (La route de la servitude) serait peut-être une bonne idée.
Ajouter un commentaire