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  • La pleonexie

    C'est inutile que je commente.

    C'est juste pour information.

     

    "Toupictionnaire" :
    Le dictionnaire de politique

    Pléonexie


    https://www.toupie.org/Dictionnaire/Pleonexie.htm

    Définition de pléonexie


    Etymologie : du grec ancien pleoneksía, excès composé de pléon, plus, davantage et de echein, avoir.

    Le terme pléonexie désigne le désir de posséder toujours plus, d'avoir plus que les autres en toute chose, de prendre plus que ce qui nous revient ou, inversement moins de cette chose si elle est néfaste ou si elle présente un désagrément.
    Synonymes : avarice, avidité excessive, convoitise,
    cupidité, rapacité, voracité.

    Ce terme, peu usité, a été employé en particulier par le sociologue français Marcel Mauss (1872-1950) dans son ouvrage Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos / Étude de morphologie sociale (1904-1905). La pléonexie de l'homme moderne casse le cycle de l'échange dans les
    sociétés traditionnelles "donner, recevoir, rendre" en le remplaçant simplement par "prendre".
    .
    Dans la société contemporaine, la pléonexie correspond au désir démesuré de posséder et d'accumuler des
    biens matériels ou de l'argent sans prendre en considération les conséquences de cette avidité sur les autres, sur l'environnement ou sur la société en général.

    Le philosophe Dany-Robert Dufour lui a consacré un livre,
    Pléonexie : [dict. : " Vouloir posséder toujours plus "] (Le bord de l'eau, 2015) pour aborder sous un nouvel angle la critique du capitalisme moderne et l'hyper-concentration des richesses. Il met en évidence les risques de conflits internes, de guerres, de menaces environnementales, de déséquilibres psychiques ou symboliques pour les individus ou les groupes sociaux.

    Le pléonexe est celui qui est atteint de pléonexie, celui qui veut plus que sa part.

  • Paul PREUSS.

     

    Quand j'étais adolescent, j'étais fasciné par les alpinistes solitaires et plus particulièrement par Paul PREUSS.
    Je n'ai jamais été fasciné par les footballeurs, ni même les cyclistes, ni aucun sportif pratiquant des sports médiatisés. Certains ou certaines ont pourtant des carrières mémorables. Mais rien, à mes yeux, n'a la puissance de l'alpinisme et l'alpinisme solitaire relève de la quête ultime.

    L'histoire de Paul PREUSS et de toutes ses ascensions restent et restera dans la mémoire de tous les grimpeurs de montagnes.

     

    Solo (2/3) : Les Dolomites, la Mecque

     

    Par Philippe Poulet

    Publié le 7 avril 2024 à 08:00

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    Une fois les principaux sommets des Alpes conquis, pendant une cinquantaine d’années, les « pionniers de l’inutile » s’attelèrent aux cimes secondaires puis, méthodiquement, à chaque versant des montagnes. Pile à la frontière entre l’alpinisme et l’escalade, les quinze massifs distincts des Dolomites prirent alors une place totalement à part, offrant aussi bien des pinacles encore vierges qu’une multitude de faces inviolées puisqu’infranchissables au premier abord. 

    Depuis 150 ans, les plus vaillants de toutes les générations vinrent ainsi y graver leur nom pour la postérité : Dibona, Dülfer, Cassin, Livanos… Mais comme nulle part ailleurs, les « Dolos » sont le terrain de jeu privilégié des plus intrépides, les soloïstes, marchant dans les pas de Preuss : Piaz, Comici, Barbier, Messner, Huber, Auer et aujourd’hui Dani Arnold, Simon Gietl, Alex Honnold ou encore l’étoile filante Jonas Hainz, tombé l’automne dernier.  

    ARTICLE RECOMMANDÉ : Solo (1/3) : soloïstes avant l’heure

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    Versant nord des Tre Cime di Lavaredo dans les Dolomites. De gauche à droite : Cima Piccola (2 857 m), Cima Grande (2 999 m) et Cima Ovest (2 973 m). © Inu/Shutterstock

    Eugen Guido Lammer : le précurseur

    On peut considérer que l’expérimentation des premiers « solo » en rocher a commencé dès les années 1883/84 et fut l’œuvre d’un tout jeune alpiniste autrichien (20 ans) qui fit, seul, de nombreuses premières d’exploration dans les Alpes de Zillertal, entre Autriche et Italie. Il commença tout d’abord par les 1 000 m du versant nord de la tour Tamischbach, certes pas très difficiles (des passages de 2 et de l’herbe très raide) mais encore fallait-il avoir le courage de se lancer dans une telle face ! 

    Fort de cette expérience, en 1884, il continua ses aventures en haute montagne sur divers sommets de plus de 3 000 m qu’il atteint par des itinéraires cette fois totalement rocheux avec des passages allant jusque dans le niveau 4. En 1887, il parvint ensuite, toujours seul, au sommet des 4 000 plus connus du Zinalrothorn (4 222 m) et du Weisshorn (4 506 m). Lammer était alors en concurrence directe avec un grimpeur allemand, encore plus jeune que lui, Georg Winkler, mais qui était très inspiré par ses aventures et partageait une philosophie similaire reposant sur une énorme confiance en soi pour vaincre le danger « par sa propre force, son propre savoir-faire, sa propre présence d'esprit et son endurance incessante ». Lammer avait montré le chemin et Winkler était bien décidé à marcher dans ses pas. 

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    Eugen Guido Lammer (1863-1945).

    Georg Winkler : le pionnier

    Pris de passion pour l’escalade dès son adolescence, il effectua ses ascensions d’ampleur à partir de ses 14 ans avant de se lancer, en solo, à 18 ans, dans un projet monumental pour l’époque : l’élancée tour nord-est du Vajolet encore vierge. Il ne mettait toutefois rien de côté et s’entraînait quotidiennement en faisant des exercices de gymnastique. Il fut également l’un des tout premiers à mettre au placard les fameuses chaussures à clous en faisant remplacer les semelles par de la corde, nettement plus adhérente sur le rocher. Jusqu’alors, dans les pas les plus délicats, les grimpeurs posaient leurs chaussures pour les franchir… en chaussettes.

    Le 17 septembre 1887, Winkler réussit ce qui est encore difficilement imaginable aujourd’hui : une ligne de 160 m, très raide, avec un pas de 5 (actuel) au milieu de la face et les 70 derniers mètres en 4+ ! La tour et la fissure du crux porteront à tout jamais son nom mais subsiste tout de même un doute sur le fameux passage : l’a-t-il franchi intégralement en libre ou s’est-il aidé d’un petit grappin de son invention ? Les avis des historiens divergent…

    Une cordée du Club alpin français fit la voie en 1911 encadrée par les guides Pierre Turc, de Saint-Christophe-en-Oisans, et Angelo Gaspari de Cortina d’Ampezzo. L’un des participants, Antoine Mazas, relata avec émoi leur ascension dans la revue fédérale La Montagne en ayant surtout une pensée pour Winkler « au cœur entouré d’une triple cuirasse d’airain pour avoir osé cela ». Quant à la difficulté du passage, ils eurent toute la peine du monde à la différencier du mètre étalon du 5e degré, la fameuse fissure Mummery du Grépon, que l’un des membres de la cordée venait justement de gravir : « Peut-être un effort un peu plus dur dans la Mummery mais avec une sortie plus hasardeuse dans le dernier pas de la Winkler. » Aujourd’hui, d’ailleurs, la fissure Winkler n’est plus vraiment parcourue car elle peut être évitée par un passage plus à droite.

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    Georg Winkler (1869-1888).

    L’année suivante, en 1888, toujours en solo, Georg Winkler ouvrit la traversée du Zinalrothorn le 14 août avant de disparaître sur le Weisshorn, le 16 ou le 17 août, dans une avalanche. L’équipe de recherche ne récupéra que son chapeau et une photo au milieu d’une coulée récente, et son corps ne fut finalement retrouvé qu’en 1956 sur le glacier au pied de la montagne. 

    Winkler fut aussi l’un des tout premiers à écrire sur le solo. Dans son carnet de courses, il mentionnait ainsi : « Je suis depuis longtemps conscient du danger que représentent mes ascensions et je me suis vite rendu compte que c'est en fait la recherche et la maîtrise de ce danger même qui procure au grimpeur une satisfaction illimitée. L'union de ce danger avec la magnificence infinie de la haute montagne exerce une attraction irrésistible, démoniaque. » 140 ans plus tard, strictement rien n’a changé et le discours est totalement identique dans la bouche des soloïstes modernes…

    Winkler était un peu « l’Alex Honnold » de la confrérie des alpinistes allemands qui furent très touchés par sa disparition soudaine, en pleine pratique de sa passion, et la publication en 1906 de son journal sous le titre Empor ! [Vers le haut !] renforça la dimension iconique du personnage qui inspira la nouvelle génération d’alors.

    Paul Preuss : la légende

    Un des plus grands fans de Winkler avait même une photo de son « idole » punaisée au mur de sa chambre d’ado : un certain Paul Preuss qui n’avait que deux ans le jour de la disparition de celui qu’il choisit comme modèle spirituel. Preuss était alors loin de se douter qu’en fait c’était lui, le petit Austro-hongrois de bonne famille, qui allait révolutionner la pratique de l’alpinisme et de l’escalade et devenir le plus emblématique de tous les soloïstes.

    Au-delà de ses incroyables réalisations, Preuss est aussi connu pour ses prises de position tranchées mais visionnaires quant à l’éthique de l’escalade. Critiqué par quasiment tous les grands de son époque (même ses meilleurs amis), on ne peut toutefois, avec le recul, que le remercier d’avoir fait avancer à grands pas le débat en édictant bien avant l’heure les règles de l’escalade libre. Rappelons que la pratique alpine du moment consistait, globalement, à « se tirer sur tout ce qui bouge » pour vaincre les passages, le but étant uniquement d’accéder au sommet ou de déflorer une face. Preuss considérait au contraire qu’il fallait y mettre les formes et n’utiliser que le rocher : « les pitons ne doivent servir qu’en cas d’urgence et non comme une aide. » Il fustigeait également leur emploi trop fréquent qui, finalement, permettait à n’importe qui de passer n’importe où sans avoir les réelles compétences techniques pour s’affranchir des réelles difficultés posées là par Dame nature.

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    Sculpture du mémorial Paul Preuss à Altausse (Autriche), sa ville natale.

    La corde, bien qu’il évoluait évidemment souvent encordé, était aussi remise en question : « Elle ne doit pas être un moyen de rendre une ascension possible. » Cette affirmation doit toutefois être remise dans le contexte de l’époque puisque le leader de « cordée » grimpait souvent sans s’assurer et le lien en chanvre n’était là que pour sécuriser ceux qui le suivaient.

    Il mettait également en garde sur les qualités que devait avoir, selon lui, un grimpeur, « pouvoir redescendre par où on était monté », et en limitant donc au strict minimum la pose de rappels. Il redescendit ainsi de nombreuses montagnes en désescaladant tout simplement ses parcours de montée.

    « Aucun autre alpiniste n’aura une plus grande importance pour
    notre milieu. »

    Il était aussi affirmatif dans le fait qu’un membre d’une « cordée », moins fort que les autres, mettait immanquablement en péril la vie des autres et évoquait la possibilité « d’assurer » le leader en tenant la corde mais sans pour autant y être relié de façon à pouvoir la lâcher en ultime recours avant d’être entraîné dans le vide. Il sera d’ailleurs le témoin direct de ce cas de figure durant l’été 1912…

    Son manifeste « Aides artificielles dans les voies alpines » publié dans le numéro du 1er août 1911 du Deutsche Alpenzeitung (le journal alpin allemand) souleva un tollé général au sein de la communauté, aux traditions fortement ancrées dans le « il faut passer à tout prix ». Vint alors le temps du fameux « The Piton Dispute », un jeu de va-et-vient avec ses détracteurs (Tita Piaz, Franz Nieberl, Paul Jacobi et Hans Dülfer) qui attaquaient chacun leur tour les préconisations de Preuss qui, lui, se faisait un malin plaisir à leur répondre par presse interposée. Des « coms facebookiens » en quelque sorte, mais en un peu moins instantanés. Outre des considérations purement techniques, le principal reproche qui était fait à Preuss était d’être un véritable « pousse au crime » trop extrémiste. Ce qui finalement n’était pas tout à fait faux puisqu’il fut la propre victime de ses convictions deux ans plus tard…

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    Paul Preuss (1886-1913).

    Enfant chétif car atteint de la polio, Preuss se forgea ensuite un corps d’athlète, adepte des tractions qu’il réussissait, selon la légende, même d’un bras ! La première ascension qui compta à ses yeux fut la voie Pichlweg en face nord du Planspitze (du 2/3 sur 1 000 m) durant l’été 1908. À partir de 1910, il se mit à tenir un carnet de courses, ce qui permit de disposer d’informations fiables sur ses réalisations : 1 200 sorties dont 150 premières et 300 solos en l’espace de seulement quelques années puisqu’il disparut trois ans plus tard, en 1913.

    Pionnier, il le fut dans plusieurs domaines. Déjà en tant que montagnard complet avant l’heure : grimpeur hors pair, il était également un glaciériste averti mais aussi un grand adepte du « ski de randonnée » (par exemple, 22 sommets réalisés du 4 au 8 juin 1911 puis 30 autres dans les 15 jours qui suivirent !) mais également de la « pente raide » avant l’heure (premières du Grand Paradis et du Picco Dei Tre Segnori, entre autres). On ne peut qu’imaginer la maîtrise technique qu’il fallait avoir avec le matériel de l’époque ! 

    Il fut aussi le premier à imaginer le concept d’enchaînements, en parcourant quatre voies dans la journée sur le Kleine Zinne/Cima Piccola (2 857 m) dans les Dolomites. Une nouvelle fois visionnaire, il estimait d’ailleurs que les pratiques du ski, de l’alpinisme et de l’escalade étaient certes un peu liées mais devaient se développer distinctement.

    « Aucun autre alpiniste n'aura une plus grande importance pour notre milieu. »

    On peut aussi estimer qu’il s’agissait du premier alpiniste « professionnel » puisque, bien que docteur en phytobiologie, il préférait vivre de sa passion en écrivant des essais et des articles dans des revues spécialisées tout en donnant des conférences sur ses ascensions et sa vision très personnelle de la montagne. En Allemagne, Italie et Suisse, dans des bars, refuges ou salles de spectacle, Preuss faisait salle comble à chacune de ses interventions et surtout, il attirait également un public de non-connaisseurs. Son succès fut tel qu'en 1912 et 1913, il donna plus de 150 « représentations » et qu’au jour de son décès, en octobre 1913, plus de 50 soirées étaient déjà programmées pour l’année suivante.

    Personne n’a donc rien inventé par la suite, et même le « dieu » Messner l’idolâtre : « Aucun autre alpiniste n'aura une plus grande importance pour notre milieu. » En écrivant deux livres sur ce légendaire pionnier, la notoriété de Messner a aussi grandement contribué à faire connaître l’extraordinaire personnage qu’était Preuss.

    Parmi la multitude de ses solos, on peut toutefois retenir celui de la face ouest du Totenkirchl (5b, 600 m) alors considérée comme l’une des voies les plus difficiles des Alpes. Les premiers ascensionnistes, dont le fameux Titia Piaz, avaient mis 7h. Le 24 juillet 1911, Preuss met 2h45 pour le solo, de fait, le plus difficile jamais réalisé à cette époque-là, tout en choisissant de sortir plus directement au sommet par une fissure vierge. Cette variante sera cotée ultérieurement comme « très difficile ».

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    Paul Preuss et sa soeur Mina photographiés par leur ami Paul Relly lors de l’ascension de la Guglia (Campanile Basso) di Brenta, le 28 juillet 1911.

    Quatre jours plus tard, départ pour les Dolomites. Il emmène sa sœur Mina et son fidèle copain de cordée Paul Relly, son futur beau-frère également, à la Guglia di Brenta (la toponymie changera ultérieurement en Campanile Basso). 

    La course envisagée, par la voie normale, était déjà d’ampleur, puisque le sommet n’avait été gravi, en 12 ans depuis la première ascension, que par seulement 80 personnes. La Guglia est composée d’un premier socle, d’environ 150 m de haut, entrecoupé d’une vire médiane qui donne ensuite accès aux 110 m d’un monolithe final bien raide. 

    Outre le tracé de la voie normale de 1899, une autre ligne avait été ouverte en 1908 en versant sud-ouest par l’Allemand Rudolf Fehrmann et le très fort Américain Oliver Perry-Smith qui avait, deux ans auparavant, en 1906, réussi le premier 6a au monde. La face est, très raide et sans ligne de faiblesse évidente, était alors considérée non pas comme un « problème » mais comme « impossible à gravir », de la bouche même de Titia Piaz.

    Le premier bastion franchi, la petite cordée menée par Preuss fit halte sur la vire de la Strada Provinciale. Il demanda alors à son copain de « l’assurer » pour aller jeter un œil à cette redoutable face est. Preuss revint, plia la corde, la mit en anneaux autour du buste (en prévision d’un éventuel rappel) et disparut dans l’angle de la paroi. 2h plus tard, il était au sommet avant de désescalader par le même itinéraire pour rejoindre ses compagnons, de les découvrir en train de s’embrasser tendrement, et de les emmener au sommet cette fois par la voie normale. Preuss, en solo et à vue, venait donc d’ouvrir la ligne la plus dure des Dolomites créditée par Angelo Dibona « de la voie qui symbolisait le futur de ce massif ». Son temps de parcours est d’ailleurs assez significatif des difficultés rencontrées : 2h pour faire les 100 m alors que quelques jours plus tôt, il avait mis 2h45 pour parcourir les 600 m du Totenkirchl. Cotée aujourd’hui 5a/b, la voie Preuss ne fut répétée que 13 ans plus tard, en 1924, et le second solo sera réalisé par une autre légende de l’alpinisme, Emilio Comici, en 1936. 

    Patrick Berhault, en hommage, y fera également un tour en reprenant exactement la formule de Preuss, montée-descente en solo. Ce ne sont que deux exemples parmi ses 300 solos, des ouvertures extrêmes qui posent la dimension du personnage et qui ne sont pas sans rappeler un certain Alain Robert qui évolua également sans corde aux limites de son niveau intrinsèque en escalade.

    Durant l’été 1912 mais surtout en 1913, Preuss s’intéressa ensuite au versant italien du mont Blanc. La première saison s’avéra toutefois un peu compliquée car il assista en direct à la chute d’une cordée d’amis lors de l’ascension de l’arête nord du mont Rouge de Peuterey (2 941 m). 

    Les jours précédents, l’alpiniste gallois Humphrey Owen Jones venait de réaliser deux belles premières avec l’autre fort Britannique Geoffrey Winthrop Young et les guides suisses Joseph Knubel et Julius Truffer : la traversée du col de l’Innominata (3 205 m) et l’ascension de l’aiguille Isolée (3 577 m) dans le secteur des Dames Anglaises. Le 15 août, alors qu’ils étaient en pleine lune de miel, Jones et sa femme, elle aussi bonne grimpeuse, partirent avec Julius Truffer et Paul Preuss en direction du mont Rouge. Comme bien souvent, Preuss ouvrait l’itinéraire en solo. Après avoir franchi une fissure, il s’arrêta pour observer le guide qui, arrachant les prises de mains, bascula dans le vide, entraînant dans sa chute le couple qui était relié à lui par la corde… Le lendemain, les trois corps furent retrouvés 300 m plus bas. Finalement, cela ne fit que renforcer la conviction du jeune Autrichien qui assenait que le solo était plus sûr puisque ne mettant en jeu que sa propre vie.
     

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    Lors de cet accident, Preuss était en fait déjà en repérage pour une incroyable ligne qu’il imaginait : la plus longue arête du massif, qui partirait de la vallée jusqu’au sommet du mont Blanc, soit une course au format himalayen : 8 km de long pour 4 000 m de dénivelé. En août 1913, il repéra consciencieusement les autres sections qui lui paraissaient les plus problématiques : les aiguilles Noire et Blanche et la section rocheuse entre les deux, les Dames Anglaises. À partir de la fin août, il attendit les bonnes conditions pour se lancer dans ce solo mémorable mais l’arrivée précoce de la neige dès septembre le contraint à retourner chez lui, à Altaussee. Son projet, une nouvelle fois visionnaire, avait du sens mais était tellement en avance sur son époque qu’il ne sera réalisé que 60 ans plus tard (!), en 1973, par la cordée allemande Braun-Elwert/Kirmeier. Il prendra le nom d’Intégralissime de Peuterey. En 1991, le cheminement sera repris par Patrick Berhault dans sa traversée du massif (en ouvrant en solo un nouvel itinéraire en face sud du mont Rouge) puis, plus d’un siècle plus tard, en 2020, l’Italo-Polonais Filip Babicz reprendra la ligne originale dans un solo express de 17h.

    Preuss était donc rentré bredouille de sa saison estivale de 1913, sans réelles ascensions majeures, et il va alors se « venger » en gravissant de nombreuses voies dans sa région. Son organisme, épuisé, dit stop, et le médecin lui diagnostiqua une « angine de poitrine », lui prescrivant une semaine d’alitement. 

    Quatre jours plus tard, la fièvre ayant un peu baissé, il considéra qu’il était grand temps de retourner en montagne. Bien fatigué, il fit une course encordée puis un petit solo avant de se diriger, le 3 octobre, vers le dernier grand problème du secteur du Dachstein : la face nord, encore vierge, du Mandkogel (2 279 m). Il passa la nuit dans un refuge avant de se lancer dans l’ascension, le but étant d’atteindre une raide arête rocheuse qui, en 200 m, menait au sommet. Son retour était prévu pour le 8 octobre. Le 10, son retard fut signalé et une opération de secours enclenchée. Vu la renommée du personnage, la communauté des alpinistes locaux s’activa immédiatement, impliquant entre autres son fidèle ami Paul Relly et même Hans Dülfer qui grimpait dans la région. Mais les conditions s’étaient bien dégradées, la neige avait fait son apparition et l’accès au pied de la montagne devint compliqué. Le 14 octobre, en sondant la neige, son corps fut retrouvé portant les stigmates d’une importante chute. Preuss avait 27 ans.
     

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    Comme dans chaque accident de ce type, les spéculations allèrent bon train et il fallut attendre 10 ans pour qu’une cordée reprenne le même itinéraire et trouve dans le bas de la face un canif ouvert et un sac à dos rempli d’anneaux de corde, l’équipement de Preuss ! Une fumante théorie mentionna qu’un cairn avait été érigé sur l’arête sommitale, pile à l’aplomb du matériel retrouvé. Preuss aurait donc sorti la voie et pour x raisons (en voulant rattraper son couteau ?) chuté dans la face. Le problème, c’est que cette histoire du cairn fut notifiée neuf ans avant que l’itinéraire ne soit répété, en 1923, et que les découvreurs n’ont jamais mentionné avoir vu le moindre tas de cailloux… Ses amis de l’époque eurent toutefois une conclusion nettement plus simple : il était tombé. Point. Tout exceptionnel grimpeur qu’il était, les causes pouvaient être multiples : une prise arrachée de ce rocher douteux ? Les conditions météorologiques s’étant vite dégradées, s’était-il retrouvé pris dans une tempête de pluie ou déséquilibré par une bourrasque de vent ? Ou encore plus simplement, n’avait-il pas toutes ses capacités physiques puisqu’encore malade, il aurait dû être au lit et non pas pendu au milieu d’une face inconnue ?

    Qui, mieux que ses pairs, souvent rivaux mais quelquefois amis, pouvait lui rendre hommage pour la perpétuité : « Personne n’égalera jamais Preuss » (Georges Mallory), « Le maître absolu » (Hans Dülfer), « Le seigneur des abîmes » (Giovanni Battista « Tita » Piaz), « Le maître insurpassable de l’escalade pure » (Emilio Comici), « Le très fort, inégalé et inégalable » (Giusto Gervasutti)…

  • Faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter ?

     

    Inutile de régler le son de votre ordinateur, il n'y a aucun bruit, aucun son, rien que le silence et c'est tout sauf rien...

    13 avril 2024, lac de la Creuse, à 650 mètres d'altitude. Premer bain de l'année.

    Faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter ?

     

     

     

     

     

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  • Ainsi fond, fond, fond l'Antarctique.

     

     

    Records de chaleur en Antarctique, quelles conséquences possibles en France ?

     

    Jeudi 11 avril 2024

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-biais-d-heidi-sevestre/records-de-chaleur-en-antarctique-et-consequences-possibles-en-france-

    -9,4°C relevé à la station franco-italienne Concordia, en Antarctique, une température caniculaire pour l'endroit ©AFP - Guy Clavel

    Des records de chaleur ont été enregistrés en Antarctique : -9,4°C au lieu des -40°C habituels. Un constat inquiétant quand on sait que le continent a assez de glace pour augmenter le niveau des océans de 58 mètres. De quoi faire disparaître 8000 hectares de côtes en France.

     

    Le plus grand excès de températures jamais enregistré par une station météo a été détecté dans une des régions les plus froides de la planète : en Antarctique. Le 18 mars 2022, l’automne s’installe en Antarctique de l’Est à la station Franco-Italienne de Concordia, située à 3200 m d’altitude et à plus de 1000 km à l’intérieur des terres. La moyenne des températures en mars tourne d’habitude autour d’un piquant -40° C, voire -50° C. Sauf que ce jour-là, à la plus grande surprise des scientifiques, la station météo mesure -9,4° C. Une température quasi tropicale pour l’est de l’Antarctique. Jamais auparavant un record de température n’avait été battu de plus de 38°C !

    À écouter : Un hiver en Antarctique

    La Méthode scientifique

    58 min

    Pourquoi fait-il si chaud en Antarctique ?

    Par un véritable concours de circonstance. Des vents venant tout droit de l’océan Indien, chauds et chargés d’humidité, ont pu pénétrer loin au-delà des côtes Antarctique. En arrivant sur la calotte est, ils ont pu générer des conditions menant à un réchauffement ultra-intense. On appelle ça des rivières atmosphériques.

    Malheureusement, les phénomènes météorologiques extrêmes deviennent de plus en plus fréquents en Antarctique. Et cela pourrait avoir des conséquences dévastatrices. Rappelons que le continent a assez de glace pour augmenter le niveau des océans de 58 mètres. Même la perte d’une fraction de cette glace ne laisserait pas un pays du globe indemne.

    À lire aussi : "C'est extrêmement terrifiant" : quatre questions sur le record de chaleur en Antarctique

    La France pourrait être touchée par la hausse du niveau des mers

    Rappelons que le niveau des océans augmente aussi parce que plus les océans se réchauffent, plus ils prennent de la place. Aujourd’hui le niveau des océans augmente de plus en plus vite, il faut s’y adapter. Le CEREMA — le Centre d'études et d'expertises sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement — vient justement de publier une série de rapports et de cartes accessibles à tous sur le recul du trait de côte en France.

    D'ici à 2028, un millier de bâtiments seraient concernés en métropole et outre-mer. Les départements comptant le plus de bâtiments potentiellement touchés sont par exemple la Seine-Maritime, Guadeloupe, Martinique, Pyrénées-Atlantiques, Alpes-Maritimes. En surface touchée, cela représenterait 8000 hectares impactés d'ici à 2050, et un demi-million en 2100, équivalent de la surface des Alpes-de-Haute-Provence, dont 90% seraient des surfaces agricoles ou forestières.

    À écouter : La montée des eaux et l'érosion des côtes

    La Terre au carré

    56 min

    En France, on sabote la mission "écologie, développement et mobilités durables"

    Déjà étudier les conséquences de ces changements, comme fait le CEREMA, c’est un premier pas vers l’adaptation. Mais dans une récente lettre au Premier ministre, le Haut conseil du climat souligne l’urgence d’une direction claire et stable pour protéger les Français des impacts du changement climatique. Le gouvernement doit encore adopter des mesures ambitieuses et cohérentes pour continuer à réduire ses émissions et aussi s’adapter aux défis climatiques croissants.

    On ne peut pas parler de cohérence sans questionner les victimes des dernières coupes budgétaires. Alors que le programme européen Copernicus annonce que mars 2024 fut le 10ᵉ mois consécutif à battre un record de chaleur mondial, en France, on sabote la mission "écologie, développement et mobilités durables" qui représente 20 % des coupes budgétaires annoncées.

    Tant que l’on n’aura pas compris que le cout de l’inaction est largement supérieur au cout de l’action, on ne se donnera pas les moyens de nos ambitions.

    À lire aussi : L'écologie, l'emploi et la recherche, principales victimes des 10 milliards d'économies du gouvernement

     

    Changement climatique

     

    "C'est extrêmement terrifiant" : quatre questions sur le record de chaleur en Antarctique

     

    Par

    Publié le mardi 22 mars 2022 à 13h14 (regardez la date...)

    4 min

    Un iceberg en Antarctique, dans la "Paradise bay".Un iceberg en Antarctique, dans la "Paradise bay".

    © AFP - Michael Nolan / Robert Harding

    Records de chaleur en Antarctique. Les températures sont exceptionnellement élevées. Pour preuve, il fait environ -11 degrés alors qu'il devrait normalement faire -50. Un climatologue que France Inter a contacté évoque "quelque chose d'extrêmement terrifiant." Décryptage de cette vague de chaleur.

    Près de 40 degrés au-dessus de la normale. Le thermomètre explose depuis ces derniers jours en Antarctique et a ainsi atteint des températures exceptionnellement élevées. Un phénomène qui ne surprend pas forcément les climatologues mais les préoccupe néanmoins. Un exemple de plus d'un "réchauffement qui s'accélèrerait en Antarctique" selon l'un d'entre eux, contacté par France Inter. Décryptage de cette vague de chaleur en quatre questions. 

    Quelles températures ont été enregistrées ?

    La base de recherche de Concordia, installée sur le Dome C du plateau antarctique à plus de 3 000 mètres d'altitude, a par exemple enregistré vendredi dernier une "chaleur" record de -11,5°C. Il devrait normalement faire -50. Il s'agit d'un "record absolu tous mois confondus, battant les -13,7°C du 17 décembre 2016", selon Etienne Kapikian, prévisionniste chez Météo-France. 

    Les températures devraient pourtant avoir chuté avec la fin de l'été austral mais la base Dumont d'Urville, installée elle sur la côte de la Terre Adélie, a établi un record de douceur pour un mois de mars, avec +4,9°C, et une température minimale record de +0,2°C le 18 mars.  "Les journées sans gel sont occasionnelles à (Dumont d'Urville), mais elles ne s'étaient jamais produites après le 22 février (en 1991)", note Gaëtan Heymes, lui aussi de Météo-France. Il décrit un "événement historique de douceur sur l'est" du continent glacé.

    Comment expliquer cette vague de chaleur ?

    "On a une situation exceptionnelle qui est due au fait qu'il y a un anticyclone très fort sur l'océan australe avec, plus à l'ouest, des basses pressions et donc ça laisse place à ce que l'on appelle une rivière atmosphérique" explique Françoise Vimeux, climatologue. La directrice de recherche à l’Institut de Recherche pour Développement, ajoute que "c'est donc un courant atmosphérique qui transporte de l'air chaud et humide vers ce secteur de l'Antarctique."

    Quelle principale conséquence ?

    La fonte de la glace. Voilà l'une des conséquences directes de cette vague de chaleur analyse Jean-Baptiste Sallée, océanographe et climatologue au CNRS, contacté par France Inter. La perte de glace est déjà observable et "va continuer dans le futur", pouvant provoquer une "augmentation du niveau des mers globale". Il y a donc "un impact direct de cette fonte sur nos côtes en France."

    Comment réagissent les scientifiques ? 

    Même s'il n'est pas possible au moment précis où un événement se produit de l'attribuer au changement climatique, un des signes les plus clairs du réchauffement de la planète est la multiplication et l'intensification des vagues de chaleur. Les pôles se réchauffent encore plus vite que la moyenne de la planète, qui a gagné en moyenne environ +1,1°C depuis l'ère pré-industrielle.  Cette vague de chaleur dans l'est de l'Antarctique intervient alors que fin février, la banquise de l'Antarctique avait atteint sa superficie la plus petite enregistrée depuis le début des mesures satellites en 1979 : moins de 2 millions de km2, selon le centre de recherche américain National Snow and Ice Data Center.

    Quelque chose qui est pour nous, scientifiques, extrêmement terrifiant

    Françoise Vimeux ne se dit "pas vraiment surprise parce que si je rappelle les conclusions du rapport du GIEC l'été dernier, on s'attend à ce que les impacts du changement climatique s'intensifient et se généralisent et, en particulier les événements extrêmes comme les vagues de chaleurs. On sait que le changement climatique vient exacerber à la fois l'intensité et la fréquence de ces événements extrêmes." 

    Même avis du côté Jean-Baptiste Sallée, océanographe et climatologue au CNRS, qui ajoute que les pôles ne sont donc "pas épargnés". Il estime que c'est "quelque chose qui est pour nous, scientifiques, extrêmement terrifiant et surprenant de voir cela arriver devant nos yeux." Le climatologue l'affirme : "On voit un possible changement qui se passe en Antarctique, des choses assez surprenantes. Cette année, on a le plus gros minimum depuis que l'on observe la banquise en Antarctique. On voit ces événements extrêmes et on se demande si on est pas en train d'être dans un changement d'état du système en Antarctique, c'est à dire un réchauffement qui s'accélèrerait."

    "Des épisodes comme cela font réfléchir

    On parle beaucoup depuis de nombreuses années de l'impact de l'Homme sur l'environnement. Ce phénomène marque les esprits et "c'est vrai que des épisodes comme cela font réfléchir" déclare Hervé Le Treut, climatologue et membre de l'Académie des sciences, contacté par France Inter. "Il faut en tout cas prendre cela comme des indices très forts à partir desquels on doit travailler." D'après cet ancien membre du GIEC, "derrière cela, il y a certainement des choses qui peuvent se produire de manière naturelle mais c'est évident aussi qu'il y a la présence humaine qui change énormément la donne aujourd'hui." D'après Hervé Le Treut, il faut donc "anticiper ce qui va se produire. S'il y a des démarches à faire pour avoir un monde qui soit un peu différent, il faudra le faire. Ce ne sont pas des petits gestes généralement qui vont permettre de résoudre ces problèmes-là."

    À lire aussi : Agriculture, urbanisme : le Giec recommande d'accélérer les efforts pour s'adapter au changement climatique

  • Sabrer l'écologie.

    Notre plus jeune garçon a un doctorat en écologie et il travaille à l'Université de Chambéry.

    Ce qu'il nous dit des finances, c'est qu'il s'agit d'une lutte perpétuelle, très chronophage et avec des études qui doivent être abandonnées par manque de subventions...

    Qu'on ne nous dise pas que l'écologie est une priorité.

     

    Déficit public

    L'écologie, l'emploi et la recherche, principales victimes des 10 milliards d'économies du gouvernement

     

    Par

    https://www.radiofrance.fr/franceinter/l-ecologie-l-emploi-et-la-recherche-principales-victimes-des-10-milliards-d-economies-du-gouvernement-9959601

    Publié le jeudi 22 février 2024 à 12h50

    3 min

    Gabriel Attal, Premier ministre, et Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, le 21 février 2024Gabriel Attal, Premier ministre, et Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, le 21 février 2024

    © AFP - ALAIN JOCARD

    Le décret précisant le détail des 10 milliards d'euros d'économies annoncés par Bruno Le Maire dimanche dernier vient d'être publié au Journal officiel. Pour faire face à des prévisions de croissance décevantes, le gouvernement va notamment sabrer 2,1 milliards d'euros consacrés à l'écologie.

    "La politique que je mènerai sera écologique ou ne sera pas", assurait Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2022. Elle sera sans doute un peu moins écologique que prévu, semble lui répondre à distance Bruno Le Maire cette semaine : sur les 10 milliards d'euros d'économies annoncés ce week-end par le ministre de l'Économie, un peu plus de 2 milliards se feront sur le dos de "l'Écologie, du développement et de la mobilité durables", selon le décret publié ce jeudi au Journal officiel.

    À lire aussi : Plan d'économies du gouvernement : "On verra dans les prochains mois si on a besoin d'aller plus loin"

    L'invité de 8h20 : le grand entretien

    22 min

    C'est deux fois plus que le deuxième domaine sur le podium du plus gros serrage de ceinture, le poste "Travail et emploi", une autre priorité affichée de l'exécutif, qui perd 1,1 milliard d'euros. Suivent la "Recherche et l'enseignement supérieurs" (900 millions en moins), les "Engagements financiers de l'État (900 millions également), l'Aide publique au développement (742 millions), la Cohésion des territoires (737 millions), et même... l'Enseignement scolaire (presque 692 millions qui disparaissent). Un comble pour un gouvernement mené par un (certes éphémère) ministre de l'Éducation, Gabriel Attal, qui promettait "d'emmener avec lui, à Matignon, la cause de l'école".

    On peut bien sûr arguer qu'il s'agit de "seulement" 10 milliards, sur les 480 milliards de dépenses du budget de l'État en 2024. Mais au-delà du fait que ces économies correspondent notamment à des postes en moins dans les différentes administrations concernées, l'effet symbolique est fort.

    Les coupes, secteur par secteur

    Si l'on détaille les économies réalisées autour de l'écologie, plus de la moitié (soit 950 millions d'euros) se feront dans le domaine de l'énergie et du climat, et plus de 20 % sur les infrastructures et les services de transports.

    Côté emploi, près de 80 % des 1,1 milliard d'euros d'économies prévues se feront sur "l'Accompagnement des mutations économiques et le développement de l'emploi".

    Dans le domaine de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, qui perd 904 millions d'euros, ce sont principalement la recherche scientifique et technologique, mais aussi la recherche spatiale qui sont les plus touchées.

    Enfin, dans l'Enseignement scolaire, qui voit ses ressources diminuées de 691,6 millions d'euros, ce sont principalement les dépenses liées à la vie de l'élève et à l'enseignement public (premier et second degré) qui diminuent.

    Parmi les domaines, à l'inverse, relativement préservés par ces coupes, on peut citer la Santé (qui ne perd "que" 70 millions d'euros), l'Outre-mer (78,8 millions en moins), l'Immigration (174,7 millions) ou l'Agriculture (70,5 millions).

    En pourcentage, l'aide au développement, les sports et l'écologie perdent le plus

    Si l'on met en relation le montant de ces économies et le montant total qui était alloué à chaque domaine dans le budget 2024, on constate que certains secteurs perdent parfois un dixième de ce qu'ils devaient recevoir, et jusqu'à 12,52 % du budget prévu en ce qui concerne l'aide publique au développement (qui comprend l'aide économique et financière au développement, mais aussi la solidarité à l'égard des pays en développement).

    Mais même en analysant ces chiffres proportionnellement, l'écologie fait toujours partie des plus mal lotis : elle perd 9,89 % du budget qui lui était initialement alloué, juste derrière le Sport, la jeunesse et la vie associative, qui occupe la deuxième place du podium avec 9,94 % de coupes sur son budget.

    En revanche, on constate que la Défense, l'Enseignement scolaire, ou la Sécurité perdent moins que les autres par rapport au total de leur budget 2024

  • L'extrémisme environnemental

     

     

    Un texte de Philippe Pereira :

    L’extrémisme environnemental existe"

    Et enfin, à propos de « l’extrémisme » environnemental. Je crois effectivement qu’il existe des extrémistes environnementaux. Je crois que faire disparaître 200 espèces par jour relève de l’extrémisme. Je crois que causer, comme le dit le biologiste Michael Soulè, la fin de l’évolution des vertébrés, relève de l’extrémisme. Je crois que faire baigner le monde dans les perturbateurs endocriniens relève de l’extrémisme. Je crois que déverser tellement de plastique dans les océans, qu’on y retrouve 10 fois plus de plastique que de phytoplancton (imaginez que sur 11 bouchées que vous prenez, 10 soient du plastique), relève de l’extrémisme.

    Je crois qu’avoir une économie basée sur une croissance infinie sur une planète finie, relève de l’extrémisme. Je crois qu’avoir une culture basée sur l’incitation « Soyez féconds et multipliez-vous » sur une planète finie, relève de l’extrémisme. Je crois que détruire 98 % des forêts anciennes, 99 % des zones humides natives, 99 % des prairies, relève de l’extrémisme. Je crois que continuer à les détruire relève de l’extrémisme.

    Je crois que vider les océans, tellement que si on pesait tous les poissons dans les océans, leur poids actuel correspondrait à 10 % de ce qu’il était il y a 140 ans, relève de l’extrémisme. D’impassibles scientifiques nous disent que les océans pourraient être dépourvus de poissons durant la vie de la prochaine génération.

    Je crois qu’assassiner les océans relève de l’extrémisme. Je crois qu’assassiner la planète entière relève de l’extrémisme. Je crois que produire en masse des neurotoxines (e.g. des pesticides) et les relâcher dans le monde réel, relève de l’extrémisme. Je crois que changer le climat relève de l’extrémisme. Je crois que voler les terres de chaque culture indigène relève de l’extrémisme. Je crois que commettre un génocide contre toutes les cultures indigènes relève de l’extrémisme. Je crois qu’une culture envahissant la planète entière relève de l’extrémisme.

    Je crois que croire que le monde a été conçu pour vous relève de l’extrémisme. Je crois qu’agir comme si vous étiez la seule espèce de la planète relève de l’extrémisme. Je crois qu’agir comme si vous étiez la seule culture sur la planète relève de l’extrémisme.

    Je crois qu’il y a effectivement des « extrémistes environnementaux » sur cette planète, et je crois qu’ils sont appelés capitalistes. Je crois qu’ils sont appelés « les membres de la culture dominante ». Je crois qu’à moins d’être arrêtés, ces extrémistes tueront la planète. Je crois qu’ils doivent être arrêtés.

    Nous sommes des animaux. Nous avons besoin d’eau propre pour boire. Nous avons besoin d’une nourriture propre et saine pour manger. Nous avons besoin d’un environnement habitable. Nous avons besoin d’un monde viable. Sans tout cela, nous mourrons.

    La santé du monde réel est la base d’une philosophie morale soutenable, fonctionnelle, et saine. Il doit en être ainsi, parce qu’elle est la source de toute vie."

  • Une inévitable sobriété

     

    "Lorsque je regarde les différents scénarios de « décarbonation », aucun n’est atteignable sans sobriété. Le laboratoire a pour objectif de nous préparer à ce futur inévitable où la sobriété deviendra la solution évidente et tant attendue. Le réel va nous l’imposer."

    Le réel, c'est le monde naturel. La réalité, c'est l'illusion de croissance infinie dans laquelle vit l'humanité.

    D'autres articles du blog sur la sobriété :

    La sobriété

    Austérité ou sobriété

    Dominique Bourg : la sobriété

    Quel niveau de sobriété faut-il viser?

     

     

     

    EntretienGiec

    Yamina Saheb : « Quand on n’aura plus à manger, la sobriété s’imposera à nous »

     

    https://reporterre.net/Yamina-Saheb-Quand-on-n-aura-plus-a-manger-la-sobriete-s-imposera-a-nous?

    Yamina Saheb : «<small class="fine d-inline"> </small>Quand on n'aura plus à manger, la sobriété s'imposera à nous<small class="fine d-inline"> </small>»

    Yamina Saheb, experte du Giec et membre de l’association Négawatt, souhaite créer un laboratoire mondial de la sobriété. Une notion qui demeure peu définie et rarement appropriée par les pouvoirs publics.

    Yamina Saheb fut l’une des coautrices du rapport du groupe 3 du Giec [1], publié en 2022, qui mentionnait la sobriété comme l’un des puissants leviers pour atteindre les objectifs affichés de neutralité carbone en 2050. Une évidence qu’il a fallu marteler devant des délégations sceptiques.

    Pugnace, la chercheuse spécialisée dans l’efficacité énergétique des bâtiments — passée par le Centre de recherche de la Commission européenne (JRC), l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et membre de l’association Négawatt — souhaite désormais créer un laboratoire mondial de la sobriété [2], chargé d’infuser le concept à tous les niveaux de décision.

    Reporterre — A-t-il été facile d’imposer le concept de sobriété dans un rapport du Giec ?

    Yamina Saheb — Il a fallu batailler ! Quand j’ai postulé pour le Giec en 2018, ma motivation principale était d’introduire le concept de sobriété dans le rapport final. J’avais essayé de l’imposer au Centre de recherche de la Commission européenne (JRC) ou à l’Agence internationale de l’énergie (AIE), en vain. Le Giec était ma planche de salut, en quelque sorte. Ce que j’ignorais, c’est que je n’allais pas trouver de références à la sobriété dans la littérature scientifique.



    Quelles ont été les difficultés pour imposer ce concept ?

    Ce mot — sufficiency, en anglais — a provoqué le plus grand nombre de commentaires négatifs, notamment de la part des Américains. Mes coauteurs m’ont donc demandé de définir ce concept à travers des études. Je me suis plongée dans la littérature scientifique et, à ma grande surprise, le concept n’était jamais défini. Je trouvais des « mesures de sobriété », mais pas de recherche en tant que telle.

    « Le fait que la sobriété soit inscrite dans la loi de 2015 en France a joué un rôle très important dans l’acceptation du concept », explique Yamina Saheb. © NnoMan Cadoret / Reporterre

    Le fait que la sobriété soit inscrite dans la loi française de 2015 sur la transition énergétique a joué un rôle très important dans l’acceptation du concept par mes coauteurs, mais là encore, sans définition précise. Comme c’est du bon sens, personne ne peut être contre, pourtant, il a fallu insister pour que les Américains acceptent l’introduction du mot dans le rapport.

    « La sobriété va au-delà de l’efficacité et du comportement individuel »

    C’est en partie grâce à une négociatrice indienne que cela a été approuvé. La sobriété parle beaucoup aux cultures et aux sociétés qui ne sont pas très industrialisées. Étant d’origine kabyle, c’est une évidence pour moi de vivre en harmonie avec la nature et de la protéger, car en la protégeant, on se protège.

    Quand je faisais ma thèse en 2003, l’Ademe élaborait des campagnes pour apprendre aux gens à éteindre la lumière en sortant de la pièce. J’apprends à mon fils de 3 ans à faire cela. C’était un peu surréaliste.



    Sur quelle définition l’ensemble des auteurs sont-ils tombés d’accord ?

    La sobriété est un ensemble de politiques publiques de long terme qui évitent en amont la demande de matériaux, d’énergie, de terres, d’eau et d’autres ressources naturelles tout en livrant un niveau de vie décent pour tous dans le cadre des limites planétaires.

    Par niveau de vie décent, on entend un ensemble de conditions matérielles essentielles au bien-être humain (logement, alimentation, équipements de base, soins de santé, transport, information, éducation et espace public). La sobriété résout le problème d’une consommation équitable de l’espace et des ressources. Elle va au-delà du cadre dominant de la demande énergétique, au-delà de l’efficacité et du comportement individuel.



    La sobriété n’englobe donc pas les fameux petits gestes individuels ?

    Si, mais ils représentent au niveau mondial moins de 10 % de nos marges de manœuvre pour réduire nos émissions. Ce n’est pas à la hauteur, d’autant que ces gestes ne s’inscrivent pas forcément dans le temps long. Où est la sobriété tant vantée en 2022 ? En réalité, la sobriété s’appuie sur des politiques publiques de long terme qui déclenchent et font durer dans le temps des pratiques sociales.

    Par exemple, si on peut faire du vélo dans Paris en masse, c’est parce que la mairie mène une politique volontariste. Les pratiques ou normes sociales de nos modes de consommation et de vie sont générées par les politiques publiques. Celles-ci — climatiques, budgétaires, agricoles, etc. — sont désormais européennes. Le levier se situe donc à ce niveau-là !



    Dans quel pays trouve-t-on une politique de sobriété substantielle ?

    Nulle part sauf... en Thaïlande. Le pays a mis en place des politiques de sobriété dès les années 90, sur la base d’un document élaboré en 1974, baptisé « Philosophie d’une économie sobre » et qui est à présent signalé dans le rapport du Giec [3]. L’approche thaïlandaise repose sur « la modération, le caractère raisonnable et l’auto-immunité » et cela réoriente leur développement vers la durabilité.

    En Europe, le mot a été utilisé pour la première fois pour la transition énergétique par Wolfgang Sachs en 1993. Cela a traversé la frontière, notamment avec les travaux de l’association Négawatt qui en a parlé dès ses débuts [en 2001].

    Lire aussi : Sobriété énergétique, la solution oubliée : l’enquête de Reporterre

    En 2005, un chercheur du MIT, Thomas Princen, publie The Logic of Sufficiency aux États-Unis, le livre le plus complet à ce jour sur le sujet. Il n’a pas connu le succès qu’il méritait, car il ne peut avoir d’écho politique dans ce pays ! Dans l’OCDE, seule la France fait apparaître le mot dans sa loi de 2015, mais sans dire précisément ce que cela recouvre.

    Nous sommes aussi le seul pays où, face à la crise énergétique de 2022, le président de la République et la Première ministre ont annoncé des plans de sobriété au chaud dans leurs cols roulés.

    Pour Yamina Saheb, la question de la sobriété devrait être au cœur des politiques publiques. © NnoMan Cadoret / Reporterre

    En réalité, ces plans ne sont ni plus ni moins que des plans de changement de comportements. Or, la sobriété s’appuie sur quatre piliers : la politique publique pour diffuser à tous les niveaux ; l’évitement en amont de l’utilisation des ressources naturelles ; l’équité, qui se traduit dans l’accès au bien-être pour tous ; et enfin, le respect des limites planétaires, qu’il s’agisse du budget carbone, de l’utilisation des sols, des ressources en eau, etc.

    Dans ce contexte, baisser sa consommation de chauffage dans l’urgence s’apparente plus à un problème de précarité ou d’approvisionnement qu’à de la sobriété !



    À quoi va donc servir votre laboratoire mondial ?

    À mettre en place une communauté scientifique et politique, je dirais même idéologique, de la sobriété. Pour avancer, il faut de la science, de la recherche et des retours d’expérience. Depuis la publication du rapport du Giec, je suis sursollicitée, mais seule, je ne peux rien faire !

    Il y a tout un travail de coordination à mener pour imposer la sobriété dans tous les rapports, les groupes de travail, les ministères et toutes les institutions internationales, dans la recherche. Nous allons bénéficier d’antennes en Australie, aux États-Unis, en Allemagne, en Corée du Sud…

    « Il faudrait que les citoyens se saisissent de ce terme pour l’imposer aux politiques »

    Avec David Ness, professeur à l’Université de South Australia, nous avons coorganisé le premier sommet international sur la sobriété en mai 2023 qui a rassemblé scientifiques, décideurs, praticiens, industrie et société civile afin de travailler de concert à l’intégration du concept de « suffisance ».

    Nous avons plus de 700 inscrits, un record pour un sujet méconnu avant la publication du rapport du Giec en 2022. Notre premier rapport s’attellera à ce qui manque dans l’Union européenne pour plus de politiques publiques sobres.



    Si vous étiez aux manettes demain, par quoi démarreriez-vous ?

    Je m’attaquerais aux termes du Pacte de stabilité et de croissance, car c’est l’instrument de gouvernance de la zone euro qui coordonne l’ensemble des politiques budgétaires des pays. Avec la politique monétaire de l’UE, il constitue le cœur du réacteur pour s’attaquer à la logique de croissance.

    Ensuite, intégrer la notion dans les accords commerciaux permettrait idéalement de ne plus faire du commerce et d’échanges surexploitant les ressources — y compris humaines — dans le monde entier.

    « Quand on aura de plus en plus d’inondations et de canicules, on ne pourra pas indéfiniment sortir la lance à eau »

    Toutes nos politiques publiques — loi climat européenne, PAC, etc. — découlent des règles de ce pacte. Mais comme on risque d’avoir un Parlement de droite, voire d’extrême droite, aux prochaines élections, c’est loin d’être gagné. Il faudrait que les citoyens se saisissent de ce terme pour l’imposer aux politiques.



    Justement, comment rendre la sobriété acceptable – ou désirable – dans une société inflationniste et polarisée par les enjeux environnementaux ?

    Je vais être cynique, mais la période est propice à la sobriété, car les impacts des changements climatiques commencent à se faire sacrément sentir. Quand on entendait parler des inondations au Bangladesh ou des famines dues à la sécheresse en Afrique, on s’en fichait un peu, c’était loin.

    Désormais, cela touche nos habitations – dans le Nord-Pas-de-Calais par exemple –, nos agriculteurs, etc. Le laboratoire veut permettre de mieux s’approprier le terme, d’en mesurer les implications au quotidien et d’en débattre.



    Ainsi, les catastrophes aideraient à transformer la société ?

    Historiquement, c’est souvent en situation de crise qu’on prend de bonnes décisions, comme la création de la Sécurité sociale au sortir de la Seconde Guerre mondiale, par exemple. Quand on n’aura plus à manger, que les prix grimperont en flèche et qu’il n’y aura plus de récoltes, la sobriété s’imposera naturellement à nous.

    Yamina Saheb a coorganisé le premier sommet international sur la sobriété en mai 2023. © NnoMan Cadoret / Reporterre

    Une crise alimentaire va survenir en Europe, je ne peux dire quand, ni dans quelle intensité et encore moins comment les politiques décideront de réagir. Mais nous aurons besoin de nous réinventer, sinon, on va s’entretuer !



    Lors des dernières crises — Covid, guerre en Ukraine, etc. — l’État a sorti un « quoiqu’il en coûte » et un bouclier tarifaire pour amortir la réalité d’un monde fini aux ressources comptées et, ainsi, acheter la paix sociale.

    Ils peuvent éteindre un incendie, mais pas dix ! Quand on aura de plus en plus d’inondations, de canicules, de sécheresses, on ne pourra pas indéfiniment sortir la lance à eau. Une étude du Lancet, sortie l’année dernière, montrait que Paris, en 2050, serait l’une des capitales les plus meurtrières d’Europe.

    Lorsque je regarde les différents scénarios de « décarbonation », aucun n’est atteignable sans sobriété. Le laboratoire a pour objectif de nous préparer à ce futur inévitable où la sobriété deviendra la solution évidente et tant attendue. Le réel va nous l’imposer.

  • La vie à vélo.

     

     

    Une belle semaine sportive :

     

    4 avril 2024 à 11:12 : Trail le midi

    Distance 20,11 km

    Allure 7:22 /km

    Temps 2h 28min

    5 avril 2024 à 17:20 Vélo dans l'après-midi

    Sortie de récupération du trail d'hier, le mollet gauche n'est pas content, il va de travers.

    Distance 37,67 km

    Dénivelé 507 m

    Temps 1h 32min

    Hier à 10:12 Vélo du matin

    Distance 64,91 km

    Dénivelé 833 m

    Temps 2h 49min

    Aujourd'hui à 10:36 Vélo du matin

    Distance 84,17 km

    Dénivelé 1 144 m

    Temps 3h 28min

     

    Et l'extase aujourd'hui, cet état si extraordinaire. Je me suis dit qu'il fallait que je raconte ça...Et puis, j'ai pensé que j'en avais déjà parlé ici. Alors, j'ai recherché les anciens articles et je les ai copiés dans l'ordre de parution.

     

     

    Vertiges de l'Amour à vélo.

     

    Le 22/10/2011

     

    Oui, je sais, c'est un titre un peu inhabituel ici ^^

    Mais encore une fois, j'ai pu réaliser aujourd'hui à quel point cette activité ouvre un espace extraordinaire.

    La Savoie n'est pas réputée pour ses mornes plaines et une virée en vélo, par ici, est toujours redoutable, dès lors qu'on s'attelle à maintenir un rythme élevé. Bosses, descentes, faux plats montants, murs, longues montées en lacets et quelques plats en fond de vallée.

    On entre vite dans la concentration si on veut tenir...

    "Appuie, monte la jambe, souffle, souffle, serre le ventre, pousse avec les abdos, ne bouge pas les épaules, arrondis le dos, ne t'occupe pas de la brûlure, oublie-la, oublie tout, laisse les gestes trouver leur auto-suffisance."

    C'est là qu'il est possible de franchir un seuil. Lorsque tout se fait mécaniquement, lorsque le corps a trouvé cette symphonie intérieure, un accord parfait entre les muscles, le souffle, la circulation du sang, l'exploitation totale de l'énergie cachée.

    Il arrive toujours un moment où il n'y a plus rien de pensé, plus aucune intention, plus rien de réfléchi. Tout se fait. C'est d'ailleurs à partir de là que la vitesse augmente encore. Parce qu'il n'y a aucune inquiétude, aucune idée d'économie, aucune réticence à aller puiser au plus profond. Il ne s'agit pas d'ivresse parce que sinon, la maîtrise du geste volerait en éclat. Je l'appelle l'euphorie. Un sentiment extraordinaire de puissance. Combien de fois il m'est arrivé de sourire et même de rire dans ce bien-être.

    Aujourd'hui, j'essaie d'appliquer cette méthode à d'autres domaines. Tout lâcher. Ne rien retenir, plonger au plus profond et découvrir l'immensité de ce pouvoir. Etre là et soustraire toute forme de pensées réductrices, craintives, toute idée d'économie.

    On pourrait penser que c'est épuisant mais c'est secondaire à mes yeux. Ce qui m'importe, c'est de ne rien manquer de ce que je suis.

    Alors bien sûr, en fin de virée, tout à l'heure, j'ai pris des crampes. Mais je n'avais rien mangé depuis le matin. Hypoglicémie. La leçon est évidente. Il ne faut rien négliger...

    Il est en tout cas déconcertant de constater, quand on observe ce jaillissement de l'énergie, qu'il est dépendant du retrait complet du mental, comme si celui-ci, dans ses arabesques chaotiques, instaurait un fardeau, une sorte d'enceinte et que le corps ne pouvait pas se révéler à lui-même tant que le mental l'entravait.

    Il n'est jamais aussi beau de faire l'amour que dans cette complète absence de pensées. Et c'est là que l'osmose des partenaires est la plus flamboyante. Parce qu'ils sont eux-mêmes en osmose avec ce corps et l'énergie qu'il contient.

    On ne s'endort jamais aussi bien que dans cette absence de pensées.

    On ne travaille jamais aussi bien que dans cette absence de parasites, lorsqu'il ne reste qu'une unique pensée, associée à ce travail à mener.

    Il me semble que cette exploration corporelle est un cheminement indispensable. Je ne parle pas d'une activité physique liée à une activité professionnelle, quotidienne ou même une activité physique modérée. Il s'agit bien d'une recherche effrénée de l'énergie, une tentative prolongée pour entrer dans ce champ démentalisé.

    Les adeptes du zazen le pratiquent mais il me manquerait le bonheur du geste et les horizons des montagnes; Ca n'est pas pour moi. Ou pas encore tout du moins. Peut-être qu'avec l'âge et les limitations naturelles.

    Je sais bien aussi que dans le cas d'efforts physiques intenses, les endorphines entrent dans la danse et que leurs effets sont puissants mais dans ce que je cherche à atteindre, il y a une part volontaire, il ne s'agit pas uniquement de pousser la machine jusqu'à l'extase endomorphique mais d'accompagner ce fonctionnement naturel par un travail mentalisé, dans un premier temps, puis une concentration sur un geste particulier pour finir par m'extraire de ce travail pour n'être plus que le geste simple.

    S'il ne s'agissait que de l'effet des endorphines, il me faudrait bien plus de vingt minutes de vélo pour y parvenir.

    Je ne suis pas mes pensées, c'est une évidence. Je ne suis pas non plus mon corps étant donné que celui-ci se renouvelle et se transforme constamment. Les scientifiques nous ont expliqué qu'en sept ans, les cellules d'un individu se sont totalement transformées. Les cellules apparaissent et meurent mais "je" survis.

    Le corps est une partie de ce "je" qui survit mais il n'en est pas la Source. Il est absurde et totalement insignifiant de nous identifier à notre enveloppe tout autant qu'à notre mental.

    La seule entité qui soit identifiable durant toute la vie d'un être vivant, c'est l'Energie. Et c'est elle qui me fascine. Mes "performances" physiques n'ont aucun intérêt pour elles-mêmes. Elles ne sont qu'un moyen. Le moyen d'entrer dans cet Amour de l'Energie, dans ce vertige incommensurable, non pas un vertige nauséeux mais une montée verticale vers les altitudes de la conscience. En sachant qu'il n'y a aucune limite, aucun plafond, aucune zone infranchissable. C'est un sommet sans fin.

    Je ne sais pas où j'en suis et ça m'est totalement égal. Je suis là où je peux être.

    C'est ce vertige de l'Amour qui m'émeut jusqu'aux larmes.

     

     

    La zone

    Le 25/03/2012

    "« Ce n'est pas un état dans lequel on se met, c'est un état qu'on trouve. Et si vous prenez conscience que vous êtes en train d'accomplir quelque chose d'extraordinaire, vous vous déconcentrez, et vous sortez donc de “la zone.” »

    Un tour de vélo aujourd'hui et il y avait longtemps que je n'avais pas expérimenté cette fameuse "zone" à vélo. L'avantage de prendre de l'âge, c'est que le potentiel physique se réduit et que le temps nécessaire pour basculer dans cet état "second" se raccourcit. C'est en tout cas le cas pour moi. Je l'ai vécu dernièrement dans une sortie de trail. Cet espace temps pendant lequel la fatigue se révèle intense, où les muscles sont en feu et où pourtant, il devient impossible de ralentir parce que le plaisir est plus puissant que la brûlure musculaire, où l'euphorie est plus stimulante que l'envie de tout relâcher.

    Et c'est délicieux.

    Mais la suite l'est encore plus. Jusque-là, cette euphorie est consciente, on est encore dans la pensée, on est concentré, on s'applique, on cherche le geste juste, on se parle intérieurement, on récite les connaissances, on fait appel à l'expérience, on est dans le savoir. On pourrait penser que sur un vélo, il n'y a pas grand-chose à savoir : on pédale et c'est tout. J'en suis environ sur le plan kilométrique à cinq fois le tour de la Terre et je sais combien le cyclisme n'est pas qu'une histoire de force musculaire. C'est certain qu'entre les premières sorties en janvier et maintenant, les muscles sont plus affûtés. Mais ça ne fait pas tout. Le contrôle mental, l'observation de la consommation d'énergie, la position du corps, le relâchement des épaules, la rotation des jambes et le mouvement du pied, la poussée de la jambe vers le bas et la traction de l'autre vers le haut, l'analyse du relief, l'usage juste des vitesses, le souffle, l'usage du poids du corps en danseuse, il existe de multiples paramètres incontournables. Et lorsque tout ça est en place, alors, l'entrée dans la "zone" est envisageable.

    Mais il reste un point essentiel : que le corps devienne le maître et que le mental se retire puis que tout disparaisse. Corps et mental et que tout se fasse dans un "no man's land" que j'appelle la "zone tampon". Et c'est cette dimension que j'aime par-dessus tout dans les activités d'endurance. 

    Il s'agit en fait d'être là, totalement là.  

    La "zone, ça n'est pas pour moi un état "qu'on trouve", c'est elle qui nous trouve. Parce que la volonté est une pensée, et de vouloir trouver la zone, c'est l'empêcher d'advenir. 

    Inspiration, expiration...Les mouvements du ventre et de la poitrine. Tant que j'y pense, comme à tout ce que j'ai cité avant, c'est un état de pensée. Et la "zone" est un état de "non pensée". C'est un état de perfection.

    La concentration est une forme de pensée silencieuse qui visualise un phénomène intérieur et le fait d'en prendre conscience et de le verbaliser est une autre forme de pensée.

    Arrêter volontairement de se concentrer c'est encore un état de pensée. Et même à chercher à saisir ce qui reste implique la réflexion et le fonctionnement cérébral.

    Il faut aller vers l'état de conscience qui consiste à réaliser qu'on ne pense à rien... Puis il faut se placer dans cet espace où s'établit la césure entre la conscience et la pensée...Car comment concevoir qu'une pensée puisse prendre conscience d'elle-même ? Une pensée pense mais elle n'agit pas en dehors d'elle-même, elle ne peut pas se séparer de ce qu'elle est ou alors, c'est qu'elle ne penserait plus. La pensée ne peut pas se conscientiser sans s'évaporer. Une pensée concientisée n'est plus une pensée, elle est la conscience. Et nous devrions ne penser que consciemment pour penser vraiment. Sinon, ça serait comme imaginer qu'une pomme puisse se manger elle-même. Elle ne peut qu'être mangée. La pensée, de la même façon, ne peut pas vouloir s'observer elle-même au risque de se dévorer. C'est donc qu'il y a une autre entité. Et c'est là que la conscience surgit.

    Alors, dans cet espace qui marque la césure entre ma pensée et la conscience que j'en ai, il y a un lieu où rien ne se passe. Ni pensée, ni même conscience. Rien. C'est la zone tampon. C'est là que se situe le "no man's land". Et rien n'est plus intense que cet homme-là alors qu'il semble ne plus être là... Il est même possible et incommensurablement intense de le vivre dans le cadre de la sexualité. Lorsque l'étreinte amoureuse n'est plus la rencontre entre deux individus mais l'état de pureté absolu de l'amour. Et lorsque l'activité physique entre dans cette dimension-là, qu'il s'agisse du trail, du vélo, de la marche en montagne, comme de n'importe quelle activité associée à la durée, c'est d'amour qu'il s'agit. L'amour de la vie en soi, la puissance de l'énergie et elle peut s'avérer ne plus avoir de limites connues. C'est là que courent par exemple les ultra-trailers, au-delà du connu, dans une dimension nourrie par la puissance de vie, nourri par l'amour de la vie en soi. 

    Et c'est pour cela que j'aime autant l'endurance dans le sport. Il y a inévitablement dans cet état des moments de rupture, des instants pendant lesquels la conscience revient puis les pensées et alors il faut de nouveau se concentrer, rétablir les rituels, l'usage contrôlé du souffle, l'application physique, la quintessence des gestes, une forme de douceur envers soi-même, sans chercher à forcer, pour que le mental retourne se coucher, puis laisser venir l'absence ou la présence mais une présence qui ne relève pas de la conscience de soi. Juste de la conscience d'être au-delà. Et l'au-delà de soi n'a pas besoin de conscience. C'est la beauté ineffable de la "zone". 

     

     

    Tour de vélo

     

    Le 19/05/2012

     

    Il faisait beau, j'ai pris mon vélo. Evidemment, la machine à penser s'est mise en route en même temps que les jambes.

    Toujours cette interrogation par rapport à l'espoir et l'intention.

    Et puis, alors, que j'attaquais une belle côte, le flash, la lumière !!

    Tout au long de mon parcours de vie, j'ai été confronté à des épreuves qui m'ont placé dans une situation de dépendance au regard de la médecine. Mon frère d'abord. Puis moi ensuite. Et là, j'ai compris que je détestais la notion d'espoir parce que j'en ai immensément souffert. Cet espoir que les médecins allaient sauver mon frère, puis qu'ils allaient me sauver. Je ne pouvais rien faire, j'étais dans une impuissance totale, du moins c'est ainsi que je le vivais. Même si je m'engageais autant que possible, cet espoir restait omniprésent et prioritaire. Mes actes passaient au second plan. 

    Je n'avais aucune intention étant donné que je m'en remettais à leur toute puissance. Habitude éducative de l'abandon, l'image sacrée de la science.

     Cet espoir concernait par conséquent l'intention des autres. Pas la mienne.

    J'ai appris peu à peu, au fil du temps à élaborer un autre cheminement. A me détacher intégralement de toute forme de soumission et de dépendance. Les espoirs appartenaient aux autres. Moi, je m'en tenais à l'intention. C'est à dire à ce que je pouvais mener à terme sans aucune aide extérieure.

    J'ai repensé à cette expérience du canyoning, lorsqu'on s'est fait coincer Nathalie et moi et qu'on a failli se noyer sous les yeux de Léo. Je sais que je n'ai eu aucun espoir mais une détermination absolue, une force et une capacité de décision phénomènale, au-delà de tout ce que j'avais connu.

    DÉLIVRANCE  (cliquer sur le titre)

    J'avais une intention, celle de sauver Nathalie et de rester en vie. Et chaque geste, chaque décision, chaque pensée se joignait à une énergie fabuleuse. J'étais détaché de toute forme d'espoir. Et tout dépendait de moi. Nathalie comptait sur moi, même si elle aussi se retrouvait largement au-dessus de ses possibilités habituelles. Un saisissement extrême de chaque instant, une vie qui ne pouvait pas se projeter dans un futur inexistant. Etre là était la seule chance de rester en vie. L'espoir aurait été un dévoreur d'énergie.

    Je sais que tout remonte à l'hôpital avec Christian que je veillais, jours et nuits. Toute ma vie a pris forme là-bas. J'avais seize ans. 

    La vie m'a apris à me défaire de l'espoir et à me battre pour des intentions.

    L'espoir est attaché à des dépendances envers autrui.

    L'intention est ma propriété, je l'élabore, je la possède, j'en suis le seul garant.

    Maintenant, tout est  clair. Mais il me reste à ré-appendre l'acceptation envers les personnes qui désirent m'aider...Délaisser les méfiances tout en restant vigilant. Ne pas absorber leurs espoirs, c'est leur propriété.

    C'est en passant les 55 km que je me suis aperçu que je ne pensais plus à rien. Un grand éclat de rire.

     

    Le chant du cygne

    Le 27/05/2012

     

    Le chant du cygne (expression d’origine grecque) désigne la plus belle et dernière chose réalisée par quelqu’un avant de mourir. En art, il s'agit donc de la dernière œuvre remarquable d’un poète ou d’un artiste.

    Et bien, j'ai découvert qu'en vélo, il arrive un moment où l'épuisement confère à l'individu l'entrée dans une dimension étrange, une sorte de "petite mort."

    Je ne sais pas combien de fois j'ai exploré cette dimension mais samedi, c'était assez particulier. C'est là que m'est venue à l'esprit cette expression du chant du cygne.

    J'étais à bloc depuis une vingtaine de kilomètres, quarante déjà dans les jambes et j'avais décidé de finir en beauté :) Un final très montant. Une bosse de six kilomètres que j'ai tenté de franchir sans jamais relâcher la pression, la bave aux lèvres, les tympans saturés par la force de mes souffles, la brûlure constante des cuisses. Je savais, avec l'expérience, qu'il ne fallait pas lever la tête, ne jamais regarder en avant, ne jamais subir cette vision destructrice de la pente, rester appliqué sur la poussée des jambes, juste le mètre en cours, le ruban de goudron qui défile sous mes yeux, rester dans l'instant, ne pas espérer la fin de la montée au risque de voir fondre mon énergie, comme avalée par cet espoir néfaste.

    J'ai franchi le sommet et j'ai basculé aussitôt dans la pente, grand plateau, cinquante kilomètres à l'heure, cinquante-cinq, soixante, l'enchaînement des virages, une euphorie bienheureuse, aucune envie de récupérer mais bien au contraire de continuer à puiser dans le creuset bouillant. Un long faux plat montant et puis une nouvelle bosse de trois kilomètres.

    Toujours à fond.

    C'est là que j'ai senti qu'il n'y avait plus rien, plus aucune pensée, plus aucune attention forcée, aucune concentration sur le geste mais pour le ressentir, il a fallu que je prenne conscience de mon absence. Un retour éphémère de la pensée et puis son effacement quasi immédiat, comme si cette pensée n'avait plus de raison d'être, qu'elle n'était qu'une intruse inutile, totalement déplacée, une excroissance qui s'était vidée de toute son énergie. Je voyais ruisseler devant moi des filets de sueur, je sentais autour de moi cette odeur particulière du corps, ce parfum âcre, entêtant, lorsque l'effort impose d'aller chercher dans les abysses les forces disponibles, comme si ces forces agglutinées dans les tréfonds possédaient une odeur de cave. Je sais quand cette odeur survient que je ne suis pas loin du point de rupture et que le chant du cygne va survenir. 

    Je ne savais pas où j'étais dans la montée, je n'avais plus de lien réel avec le monde environnant. Et les frissons sont apparus, comme une bourrasque, des cascades caloriques déboulant du crâne jusqu'aux orteils, rebondissant dans les recoins, saturant de jouissance chaque cellule. J'ai éclaté de rire et mon rire m'a surpris.

    J'ai vu sur le compteur que la vitesse augmentait et j'ai appuyé encore plus fort, j'ai laissé couler de ma gorge les râles et la mélodie des souffles, un leitmotiv câlé sur le mouvement de mes jambes. Rien, aucune douleur, aucune brûlure, une montée verticale dans les gouffres intérieurs. Des flashs de pensées zébrant l'euphorie comme des éclairs disparates, incontrôlés et ne laissant aucun souvenir.

    Je suis arrivé au sommet de la bosse. Et tout s'est effondré.

    Il restait trois kilomètres. Je les ai parcourus comme un moribond. Comme un voyageur revenant d'un séjour étrange, une terre inconnue et redécouvrant misérablement sa condition humaine.

    Mais l'écho du rire est toujours là. Et les frissons. Rien ne meurt quand la pensée n'est plus là.  

     

    Vélo, tantrisme et pleine conscience.

     

    Le 05/05/2018

     

    Ce matin, je me suis dit qu’il était temps, pour cette sortie à vélo, de passer le cap des soixante kilomètres. Je me suis donc mitonné un parcours bien vallonné et un final où je m’imaginais bien exploser en vol comme c’est déjà arrivé. Sur ce parcours, les huit derniers kilomètres qui ramènent à la maison cumulent quatre côtes, courtes et raides, des casse-pattes redoutables quand on est déjà carbonisé.

    Je me suis depuis longtemps appliqué en vélo à ne pas gaspiller d’énergie par des mouvements de tête ou d’épaules, des crispations du haut du corps,… tout ce qui contribue à user d’une énergie qui manquera d’autant plus vite qu’elle n’est pas préservée par une concentration maintenue.

    Il y a quelques années, j’ai suivi une session de méditation de pleine conscience sous la conduite expérimentée de Nathalie Hannhart. L’impact de ce travail intérieur, je n’en ai pris conscience qu’après quelques temps, lorsque je me suis aperçu que je m’en servais en vélo, pour bricoler, pour écrire, pour marcher en montagne, pour faire la vaisselle, pour travailler avec les enfants, pour écouter de la musique, pour préparer mon sommeil…Et plus beau que tout ça réuni pour aimer la femme de mon âme et de mon cœur.

    Pendant mon tour de vélo, alors que je roulais déjà à une allure soutenue depuis un bon moment, je me suis fait rattraper par sept gars, tous avec la même tenue, un club de Chambéry, des cuisses comme des poteaux électriques, de quoi se cacher derrière et ne plus prendre de vent. Tous plus jeunes que moi et ça me motive :) J’ai donc remis "un coup de dur" pour coller au dernier et tenter de suivre aussi longtemps que possible. Lorsque mon tour de relais est arrivé, j’ai dit que si je passais devant, ils allaient se croire à l’arrêt et le gars qui me suivait a rigolé et m’a lancé : « t’inquiète, je prends ta place ». Je me suis déboîté et j’ai réintégré la queue de file. Le gars qui me précédait m’a lancé : « On fait une sortie à 35 » et comme je ne comprenais pas, vu le nombre de cyclistes, il a précisé : « On ne descend pas en-dessous de 35 km/h… »

    Bon, là, il fallait vraiment que je m’applique. Je voyais le compteur qui oscillait entre 39 et 42 km/h alors je me suis concentré sur la poussée du ventre, sur le souffle, sur cet état de pleine conscience qui permet de visualiser l’énergie en soi, de la canaliser, de la propager là où elle doit être, là où il est nécessaire qu’elle soit dispensée, sans aucune perte, sans aucun gâchis, sans jamais que la moindre pensée ne vienne briser ce lien intérieur entre la force et l’esprit…

    Comme lorsque je suis en amour avec la femme de mon cœur et de mon âme.

    C’est ce que j’ai compris dans la dimension du Tantrisme et que j’ai cherché à écrire dans « Kundalini ».

    Lorsqu’une verge se raidit, elle réagit à un afflux sanguin dans les corps caverneux. Il faut le voir en soi pour en aimer l’importance, il faut contacter la chair et les veines, il faut contacter cette matière qui porte en étendard la puissance de l'amour qui se partage. Il faut contacter aussi ce cœur qui maintient le flux sanguin, qui en accroît le volume, qui en agite les particules dans cette tâche essentielle. Contacter le souffle ventral, celui qui va permettre de dépasser l’état « naturel » de l’être qui est en amour pour entrer dans l’état de conscience de l’amour en l'être. 

    Il faut aimer tout cela et ne rien perdre de vue.

    Et quand je pédale sur les routes de montagne, je vois cette énergie en moi, je l’honore, je la bénis, elle me réjouit, elle me transcende. Le sang afflue, le cœur tambourine mais il faut y ajouter un partenaire : le souffle. Non pas le souffle qui s’exhale par une bouche grande ouverte, mais le souffle intérieur, celui qu’il convient d’enlacer de son attention pour le diriger vers le bas du ventre.

    C’est lui qui conscientise l’acte, c’est lui qui permet à l’individu de dépasser l’état d’inconscience inhérent à l’excitation du sport. Cette excitation qui n’est que dispersion. On sait l’importance considérable que les sportifs professionnels attachent à la concentration, à la maîtrise de leur esprit, à la canalisation de l'excitation pour qu'elle reste à leur service au lieu de les étourdir. C'est là que se trouve la maîtrise de l’énergie et la possiblité d'en saisir l'immense potentiel.

    Il est juste, bon et utile d’apprendre à faire comme eux ou tout du moins d’explorer notre propre potentiel de pleine conscience.

    En amour, en vélo, en bricolage, au travail, en voiture, au jardin, dans la création artistique. Être là, en soi.

    Si je me perds dans une excitation débridée, je ne suis pas en vélo puisque l’inconscience contribue à la dilapidation de l’énergie. Alors, j’entre dans un état d’observation de mes gestes pour que dure le plaisir, pour que l’énergie dépensée ne s’évapore pas dans un néant inconscient mais dans une lucidité réjouissante.

    En amour, je considère que c’est un devoir envers l’être aimé. La pleine conscience est un acte d’amour.

    C’est là, dans cette pleine conscience, nourrie par l’attention portée au souffle qui dirige l’énergie, que la durée devient possible, quelle que soit la situation.

    Je me suis donc appliqué à renier la crainte de ne pas pouvoir suivre ces sept cyclistes, à limiter ma pensée sur la visualisation intérieure de mon souffle, ce resserrement des abdominaux, la conscience du souffle qui descend dans le périnée, celui-ci jouant le rôle de répartiteur d’énergie, projetant le flux indistinctement dans chaque jambe…

    En arrivant à une intersection, le groupe a tourné, je les ai remerciés et je me suis retrouvé tout seul.

    Il me restait vingt kilomètres, dont ce final redoutable.

    Alors, je me suis dit que c’était le bon jour pour rester centré sur l’intérieur, pour m’extraire le plus possible de la route qui défile, pour ne pas laisser la crainte de finir perclus de crampes gâcher le plaisir de l’instant.

    J’étais bien. Vraiment bien. Intérieurement heureux, épanoui, réjoui, un sourire béat sur mes lèvres.

    Le souffle en moi continuait sa tâche. Je sentais sa chaleur rayonner dans mon ventre, dans mon périnée, dans mes cuisses, jusqu’au bout des orteils, aucune crampe, aucune douleur.

    Juste ce bonheur de la plénitude, de cet amour de la vie en moi.

    Dans la dernière bosse, les frissons sont apparus. Je les connais bien. Ils ne viennent pas d'un état de fatigue extrême mais d'un état de bonheur absolu. Et j'ai fini, avec le temps, par m'autoriser à rire tout fort de ce bonheur qui m'étreint, à n'en rien retenir, à le laisser s'exprimer et se réjouir de lui-même, de la tête aux pieds, de mon âme à mon coeur, dans l'intégralité de mon sang. Dans ma nuque est monté un flux électrisé, comme une apothéose et s'est déversé dans mon crâne. J'en ai ri encore.

    Lorsque j’ai vu le chemin qui mène à la maison et que j’ai quitté la route, je n’étais pas soulagé d’être arrivé, je n’étais pas déçu pour autant. J’étais toujours là, dans l’instant intérieur, dans la conscience que le souffle est tout, qu’il nous propose la maîtrise, la puissance, la force tout autant que la douceur et la tendresse.

    Il est le souffle de l’amour, il est la conscience de l’être.

    Soixante-huit kilomètres. Je sais que la prochaine fois, j'irai plus loin encore et ça sera délicieux. 

     

     

    La zone ultime.

    Le 27/02/2022

    Un tour de vélo aujourd'hui et il y avait longtemps que je n'avais pas expérimenté cette fameuse "zone" à vélo.

    "La zone" (lien)

    L'avantage de prendre de l'âge, c'est que le potentiel physique se réduit et que le temps nécessaire pour basculer dans cet état "second" se raccourcit. C'est en tout cas le cas pour moi. Je l'ai vécu dernièrement dans une sortie de trail. Cet espace temps pendant lequel la fatigue se révèle intense, où les muscles sont en feu et où pourtant, il devient impossible de ralentir parce que le plaisir est plus puissant que la brûlure musculaire, où l'euphorie est plus stimulante que l'envie de tout relâcher.

    Et c'est délicieux.

    Mais la suite l'est encore plus. Jusque-là, cette euphorie est consciente, on est encore dans la pensée, on est concentré, on s'applique, on cherche le geste juste, on se parle intérieurement, on récite les connaissances, on fait appel à l'expérience, on est dans le savoir. On pourrait penser que sur un vélo, il n'y a pas grand-chose à savoir : on pédale et c'est tout. J'en suis environ sur le plan kilométrique à cinq fois le tour de la Terre et je sais combien le cyclisme n'est pas qu'une histoire de force musculaire. C'est certain qu'entre les premières sorties en janvier et maintenant, les muscles sont plus affûtés. Mais ça ne fait pas tout. Le contrôle mental, l'observation de la consommation d'énergie, la position du corps, le relâchement des épaules, la rotation des jambes et le mouvement du pied, la poussée de la jambe vers le bas et la traction de l'autre vers le haut, l'analyse du relief, l'usage juste des vitesses, le souffle, l'usage du poids du corps en danseuse, il existe de multiples paramètres incontournables. Et lorsque tout ça est en place, alors, l'entrée dans la "zone" est envisageable.

    Mais il reste un point essentiel : que le corps devienne le maître et que le mental se retire puis que tout disparaisse. Corps et mental et que tout se fasse dans un "no man's land" que j'appelle la "zone tampon". Et c'est cette dimension que j'aime par-dessus tout dans les activités d'endurance. 

    Il s'agit en fait d'être là, totalement là.  

    La "zone, ça n'est pas pour moi un état "qu'on trouve", c'est elle qui nous trouve. Parce que la volonté est une pensée, et de vouloir trouver la zone, c'est l'empêcher d'advenir. 

    Inspiration, expiration...Les mouvements du ventre et de la poitrine. Tant que j'y pense, comme à tout ce que j'ai cité avant, c'est un état de pensée. Et la "zone" est un état de "non pensée". C'est un état de perfection.

    La concentration est une forme de pensée silencieuse qui visualise un phénomène intérieur et le fait d'en prendre conscience et de le verbaliser est une autre forme de pensée.

    Arrêter volontairement de se concentrer c'est encore un état de pensée. Et même à chercher à saisir ce qui reste implique la réflexion et le fonctionnement cérébral.

    Il faut aller vers l'état de conscience qui consiste à réaliser qu'on ne pense à rien... Puis il faut se placer placer dans cet espace où s'établit la césure entre la conscience et la pensée...Car comment concevoir qu'une pensée puisse prendre conscience d'elle-même ? Une pensée pense mais elle n'agit pas en dehors d'elle-même, elle ne peut pas se séparer de ce qu'elle est ou alors, c'est qu'elle ne penserait plus. La pensée ne peut pas se conscientiser sans s'évaporer. Une pensée concientisée n'est plus une pensée, elle est la conscience. Et nous devrions ne penser que consciemment pour penser vraiment. Sinon, ça serait comme imaginer qu'une pomme puisse se manger elle-même. Elle ne peut qu'être mangée. La pensée, de la même façon, ne peut pas vouloir s'observer elle-même au risque de se dévorer. C'est donc qu'il y a une autre entité. Et c'est là que la conscience surgit.

    Alors, dans cet espace qui marque la césure entre ma pensée et la conscience que j'en ai, il y a un lieu où rien ne se passe. Ni pensée, ni même conscience. Rien. C'est la zone tampon. C'est là que se situe le "no man's land". Et rien n'est plus intense que cet homme-là alors qu'il semble ne plus être là... Il est même possible et incommensurablement intense de le vivre dans le cadre de la sexualité. Lorsque l'étreinte amoureuse n'est plus la rencontre entre deux individus mais l'état de pureté absolu de l'amour. Et lorsque l'activité physique entre dans cette dimension-là, qu'il s'agisse du trail, du vélo, de la marche en montagne, comme de n'importe quelle activité associée à la durée, c'est d'amour qu'il s'agit. L'amour de la vie en soi, la puissance de l'énergie et elle peut s'avérer ne plus avoir de limites connues. C'est là que courent par exemple les ultra-trailers, au-delà du connu, dans une dimension nourrie par la puissance de vie, nourri par l'amour de la vie en soi. 

    Et c'est pour cela que j'aime autant l'endurance dans le sport. Il y a inévitablement dans cet état des moments de rupture, des instants pendant lesquels la conscience revient puis les pensées et alors il faut de nouveau se concentrer, rétablir les rituels, l'usage contrôlé du souffle, l'application physique, la quintessence des gestes, une forme de douceur envers soi-même, sans chercher à forcer, pour que le mental retourne se coucher, puis laisser venir l'absence ou la présence mais une présence qui ne relève pas de la conscience de soi. Juste de la conscience d'être au-delà. Et l'au-delà de soi n'a pas besoin de conscience. C'est la beauté ineffable de la "zone". 

     

     

    Vélo et musique

     

    Le 20/07/2022

     

    Je tourne sur les petites routes de la Creuse, très vallonnées, je traverse des forêts, des hameaux isolés, tête dans le guidon, j'arrache la viande, à fond, autant que possible, jusqu'à ce que j'explose en vol et puis je rentre avec les forces qui restent, celles qu'il faut aller chercher au fond du fond, celles qui se nourrissent de l'esprit, quand il est en apesanteur, loin de tout, au-dessus du monde.

    La musique m'accompagne, toujours, à chaque instant, j'y puise l'énergie nécessaire. Parfois, elle m'emporte dans une euphorie qui me brûle, délicieusement. Parfois, elle m'apaise et alors, je roule le sourire à l'âme, j'écoute mon coeur, le sang qui bat, les jambes électrisées, et puis un autre morceau arrive, juste au pied d'une bosse et j'appuie, j'appuie, la bave aux lèvres, les yeux rivés sur le goudron qui défile, peu importe la pente et la distance jusqu'au sommet, chaque mètre est un sommet, chaque instant est une distance. Il m'arrive de crier et de rire parfois quand j'atteins le haut de la bosse et aussitôt, je relance la machine et je plonge dans la pente, j'enchaîne les virages comme un skieur, concentration totale, à la recherche d'un second souffle puis d'un troisième puis d'un vingtième puis d'un millième, il y en a toujours, encore et encore, bien plus que ce que le mental nous sermonne.

    Je ne veux pas laisser la raison me contenir. Je rejette la peur de ne plus avoir de forces pour rentrer. J'ai toujours réussi à rentrer.

    Il y a longtemps, les médecins m'ont annoncé que mon dos ne me permettrait plus de faire des efforts intenses, que je devais être "prudent", que je devais me contenter de ce qui me restait, que je ne devais prendre aucun risque. Je les remercie de la rage de vivre qu'ils m'ont donnée. Une rage emplie d'amour.  

    J'aime infiniment le vélo.