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Logos : la raison du monde
- Par Thierry LEDRU
- Le 12/02/2023
- 0 commentaire
LOGOS
Logos désigne le discours (textuel ou parlé). Par extension, logos désigne également la « rationalité, » l’intelligence, conséquente à la capacité à utiliser une langue.
Dans la philosophie platonicienne, le logos est considéré comme la raison du monde.
L’idée de Logos a été développée par Anaximandre, Pythagore, Thalès, Héraclite, Parménide, Anaxagore, Démocrite…Tous ont édicté une idée similaire : le réel est intelligible. Pour ces philosophes, l’Univers (le Tout) est un ensemble ordonné, le cosmos. Il est donc nécessairement organisé par une puissance de vie inconnue mais compréhensible (la Nature), selon des principes logiques (des lois), que nous pouvons comprendre par la pensée réfléchie, le Logos.
L’idée de sagesse ne peut s’élever que si l’homme parvient à harmoniser l’ordre de sa vie à l’ordre de la Nature.
« Il y a pour les Éveillés un monde unique et commun mais chacun des endormis se détourne dans un monde particulier. » Héraclite.
Les Éveillés, ce sont ceux qui ont assimilé à la fois l’ordre de la pensée et l’ordre de la Nature.
Ce qu’Héraclite nomme le Logos correspond au Dharma de Bouddha, au Tao de Lao Tseu, à la phusis (principe vital qui anime l’Univers) des Épicuriens, l’âme du monde des Stoïciens ou encore le Dieu de Spinoza (Deus sive Natura : Dieu, c'est-à-dire la Nature.)
Il ne s’agit bien entendu pas de la Nature dans son sens d’environnement mais de la nature de la Nature.
Si nous voulons parvenir à la liberté par la sagesse, nous devons comprendre la nature de la Nature.
« Rien n’est sans raison », disait Leibniz.
Voilà le défi. Comprendre par la raison, la raison du Tout ou la nature de la Nature elle-même.
C’est là que cette raison, aussi exceptionnelle soit-elle, m’interpelle et me trouble. La raison n’est pas seulement source de la logique, de l’entendement, des mathématiques, des sciences… Elle est aussi ce par quoi nous pouvons avoir accès à l’intuition. Non pas la générer elle-même mais parvenir à s’effacer pour que l’intuition surgisse. L’intuition a besoin pour se manifester de se sentir aimée et que la raison en accepte la flamboyance. C’est une osmose indispensable au risque que l’intuition ne jaillisse jamais ou qu’une fausse raison vienne l’affadir, la rationaliser, la clore dans un cadre reconnu.
Il s’agit donc, à mon sens, de trouver cet équilibre entre la raison et la nature de la Nature en nous. C’est là le sens du Tout.
La raison est à la source du bon sens. Elle n’est pas que raisonnement mais également résonance avec ce Tout.
Nietzsche parle de la sagesse du corps comme une raison supérieure.
« Il y a plus de raison dans ton corps que dans ta meilleure sagesse. »
L’intuition est une pensée directe sans le passage par le raisonnement. Ne serait-ce pas la plus grande sagesse que d’y parvenir en toutes circonstances ? De parvenir à rester ancré dans la compréhension du réel en joignant la raison à cette perception directe, spontanée, immédiate, fulgurante…
L’intuition est la captation directe du réel par la conscience alors que la raison explore longuement ce réel jusqu’à en faire « sa » réalité…
Mais il est délicat de s’en tenir à cette intuition dès lors que s’y adjoint une raison non domptée, un catalogue de conditionnements jamais analysés. Car cette intuition peut n’être dès lors qu’une extension de cette raison falsifiée, une sorte d’enluminures, une hallucination.
Il me semble indispensable pour atteindre cette sagesse d’établir au préalable un état de conscience absolument libre. Non pas qu’il soit possible de se défaire intégralement des données éducatives, des concepts issus de la société, de la morale, de l’autre… Mais il est possible d’en établir la liste, d’en identifier chaque paramètre, comme un archéologue.
Je ne crois pas que l’intuition puisse être libre si la raison ne l’est pas.
Connaître les errances intérieures permet d’œuvrer à la lucidité. C’est là que l’intuition peut naître.
Je ne crois pas à un état de béatitude absolu, pas à mon niveau, je n’en ai pas le potentiel. Mais je peux me lancer sur la route. Raisonnablement et intuitivement, les deux entités associées dans un cheminement commun, une osmose constante.
Qu’en est-il de cette intuition ?
Elle contient à mon sens la nature de la Nature.
« Quelle est la nature de ce problème ? »
L’expression s’intéresse non pas au problème lui-même mais à sa source.
Je voudrais comprendre la nature de la Nature…
Quelle est sa source ?
A-t-elle une intention ?
La question de l’intelligence de la Nature ne se pose plus pour moi. C’est une évidence. Mais je n’en ai aucune preuve. Je n’ai pas un niveau de connaissances suffisant. C’est juste une intuition… Justement.
Est-ce que la Nature elle-même éveille cette intuition en moi ou est-ce juste une imagination débridée, un désir qui prendrait forme, qui se persuaderait lui-même d’avoir raison. La raison… Dans ce simple exemple, on voit bien à quel point, il est déraisonnable de se croire maître de la raison.
On peut trouver de multiples raisons aux errements de notre raison. Jusqu’à justifier les pires folies. L'histoire de l'humanité déborde de raisons folles.
Mais, voilà, je suis une énigme pour la science. Trois hernies discales, jambe gauche paralysée à plusieurs années d'intervalle. Une médium magnétiseuse. Quatre heures entre ses mains, entre ses mots. Je suis sorti en marchant, j’aurais pu rentrer chez moi à pied.
Je portais l’âme de mon frère et mon dos n’en pouvait plus. Mon âme mortifiée coulait son mal être dans ma colonne, la pièce qui tient debout… Dans quelle dimension étais-je parti ? Qui est intervenu ? Qui a libéré l’âme de mon frère ? Comment cette entité a-t-elle fait entrer dans leur fourreau mes disques vertébraux ? Médicalement parlant, c’est impossible…
La Nature a une intention, une capacité d’intervention. Comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs ? De quel droit pourrions-nous considérer que l’entité créatrice n’a pas de pouvoir d’intervention ? La source de Tout n’aurait aucun pouvoir sur elle-même ?
C’est absurde.
Je ne crois pas que nous soyons lancés dans la vie sans intention. Il y a quelque chose à comprendre. La nature de la Nature. Quel est son projet ?
La Vie a ouvert une brèche en moi. Une déchirure dans le voile qui couvrait ma conscience. Pourquoi ?
J’ai l’intuition qu’il s’agissait de m’apprendre à user de ma raison, à en user pleinement, non pas dans les schémas archaïques des transmissions mais dans un cheminement individuel, épuré.
J’ai eu l’intuition d’une vraie raison.
Certains verront dans cette affirmation un ego démesuré, un esprit trop malmené pour pouvoir établir un raisonnement objectif.
Que signifie donc cette injonction à être objectif ?
« 1. Dont la réalité s'impose à l'esprit indépendamment de toute interprétation : S'en tenir à la réalité objective. 2. Qui ne fait pas intervenir d'éléments affectifs, de facteurs personnels dans ses jugements : Un témoin très objectif. »
J'entends bien l'idée mais se pose alors la question de la réalité. La rémission de mes trois hernies par l'intermédiaire d'une médium magnétiseuse et le rétablissement quasi immédiat du fonctionnement de ma jambe gauche n'ont aucune réalité aux yeux de la médecine. C'est physiologiquement impossible. J'ai donc vécu une expérience qui n'entre pas dans la réalité si on limite cette réalité à la raison cartésienne.
Alors, c'est qu'il existe une autre réalité ou plutôt, il existerait bien une réalité mais elle serait limitée à la vision humaine et il y aurait au-delà de cette enceinte de la raison un réel. Un réel dans lequel autre chose est possible. Et pour y accéder, il faudrait être dans un état d'abandon absolu, soit accidentellement et c'était mon cas, soit volontairement, par l'entremise de la méditation par exemple. Je relis en ce moment l'ouvrage de Kenneth Ring "En route vers Oméga". Une étude sur les expériences de mort approchée. Des phénomènes qui n'existent pas aux yeux de la raison médicale et qui concerne pourtant des millions de personnes, partout sur la planète et depuis bien longtemps.
Non, le logos ne suffit pas, la raison n'explique pas tout, la logique n'est pas une vérité absolue, la réalité n'est pas le réel.
La réalité signifiante et le réel.
Kenneth Ring
Anik Doussau (Traducteur)EAN : 9782753804678
346 pages
LES EDITIONS DU ROCHER (11/06/2009) AUTRES EDITIONS4/5 2 notes
Huit millions d'américains ont vécu une expérience de mort imminente : déclarée morte cliniquement, une personne revient pourtant à elle. Elle vit alors des phénomènes troublants, tels que des flottements hors du corps, apparition d'une lumière blanche ou encore défilé des images de sa vie. L'ouvrage évoque les différents témoignages de ces centaines de rescapés, revenus de loin... Pendant trois ans, le Dr Ring s'est consacré à la recherche du sens de ce phénomène particulier. Certaines personnes ont vécu des expériences extraordinairement profondes. Elles en ressortent complètement changées, comme si cette expérience de mort imminente réveillait de manière puissante le développement psychique. Les conclusions sont à la hauteur du travail d'enquête : incroyables. Les expériences de mort imminente signaleraient une évolution de conscience à laquelle toute l'humanité est promise. Elles annonceraient la nouvelle conscience humaine qui nous mène sur la route d'Oméga, l'objectif final de toute l'évolution humaine. -
La violence faite aux animaux
- Par Thierry LEDRU
- Le 09/02/2023
- 0 commentaire
http://www.leslilasecologie.fr/2017/02/florence-burgat-l-institution-de-l-alimentation-carnee-reflete-un-desir-tres-profond-de-l-humanite.html
Florence Burgat : « L’institution de l’alimentation carnée reflète un désir très profond de l’humanité »
Pourquoi l’humanité met-elle à mort des animaux pour les manger ? Pourrait-elle s’en passer ? Comment et pourquoi ? La philosophe Florence Burgat réfléchit aux raisons de la violence faite aux animaux, guidée par le souci d’étendre leurs droits. Un bel entretien avec Florence Burgat, par Lorène Lavocat pour Reporterre le 2 février 2017.
Lire aussi L'avis des bêtes, Pour un secrétariat d'État à la condition animale, et Le véganisme est-il un humanisme ?... et aussi De nouvelles préconisations nutritionnelles... Pas d'usine, on cuisine !
Florence Burgat est philosophe, directeur de recherche à l’Inra, détachée aux Archives Husserl de Paris (ENS-CNRS). Ses recherches portent sur les approches phénoménologiques de la vie animale ; la condition animale dans les sociétés industrielles : le droit animalier (épistémologie juridique) ; l’anthropologie de l’humanité carnivore, à laquelle elle consacre son nouveau livre, L’humanité carnivore (Seuil).
Reporterre - Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à la cause animale ?
Florence Burgat - Ce sont des images d’abattage que j’ai vues par hasard dans un film portant sur tout autre chose. En quelques instants, la viande a pris à mes yeux un sens totalement différent et je me suis mise à associer à cette chair inerte la réalité de son processus d’engendrement. J’ai alors pris une décision réfléchie : si je ne voulais pas participer à ce que je venais de voir, il était impératif de cesser de manger les animaux. J’ai compris que la viande n’avait aucune autonomie, qu’elle était la chair équarrie d’un animal tué — de trois millions d’animaux tués chaque jour en France, dans ses abattoirs.
Par la suite, j’ai décidé de consacrer mon travail en philosophie à cette question. Ma première interrogation a été la suivante : comment expliquer qu’une société comme la nôtre, policée et tranquille, puisse comporter dans ses replis des lieux où l’on égorge des animaux pour les manger alors que les ressources alimentaires dont nous disposons nous en dispensent ? Comment expliquer que nous nous accommodons si bien de cette violence, que nous nous racontons qu’elle n’existe pas ? L’abattoir est une monstruosité au sens propre du terme, une anomalie, un vice, une difformité engendrée par l’humanité carnivore, un lieu où le mal se déploie et se répète en toute impunité.
Qu’entendez-vous par autonome ?
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les animaux sont abattus et vendus dans la rue. Personne ne peut se raconter que la viande sur les étals n’a rien à voir avec les animaux dont elle provient. À partir de 1850 (et de la loi Grammont portant sur les mauvais traitements envers les animaux), les premiers abattoirs sont construits, pour des raisons d’hygiène, mais aussi pour soustraire aux yeux du public la mise à mort des animaux. Pour le législateur, la banalisation de la violence envers les animaux émousse en l’homme la disposition — c’est d’ailleurs ce que dit Kant — la plus utile à la moralité : la pitié ou la compassion. Autrement dit, s’habituer à la vue du sang, à la cruauté envers les animaux, c’est s’habituer à l’ouvrier qui tapera sa femme, ou à d’autres types de violence.
En quelques décennies, l’abattage des animaux va donc être soustrait à la vue du public. Les consommateurs n’auront plus affaire aux bouchers qui vendaient les animaux qu’ils avaient tués, mais à des commerçants dont le rôle est cantonné à la vente. Bien d’autres éléments concourent au mécanisme psychologique de « l’oubli » de l’animal dans la viande. Mentionnons parmi eux les stratégies parfaitement maîtrisées du marketing et leurs slogans publicitaires, les images trompeuses qui illustrent les « produits animaux » ou encore les discours vantant les mérites nutritionnels, prétendument irremplaçables, de la viande.
Longtemps, j’ai cru que cette occultation du processus de mise à mort expliquait la facilité avec laquelle nous mangeons de la viande sans penser que nous mangeons en vérité des animaux. Mais à présent, cette analyse me semble relever d’une courte vue. Nous n’ignorons en fait rien de cette vérité, et les animaux entiers ou reconnaissables dans les étals des bouchers sont là pour nous rappeler qu’il s’agit bien de cadavres d’animaux qui peu de temps auparavant étaient en vie comme nous souhaitons tous le rester ! La mauvaise foi ne doit pas être évincée de l’analyse, et moins encore l’ambivalence qui est au fondement de la vie psychique. « Nous savons bien, mais quand même », pour reprendre une formule chère aux psychanalystes…
Frans Snyders. Étal de gibier, entre 1625 et 1635.
L’idée selon laquelle nul (ou presque) ne veut renoncer à l’alimentation carnée s’est confirmée au moment de la diffusion des images de L214. La médiatisation des vidéos faisant la lumière sur la mise à mort des animaux dans les abattoirs aurait dû, si nous étions vraiment dans « l’oubli » de cette généalogie, entraîner une réaction massive de rejet de cette viande, dont la vérité était révélée. Il n’en fut rien, même si le véganisme a le vent en poupe, comme on dit. En effet, de nouvelles stratégies surgissent, de nouveaux discours œuvrent à pérenniser la consommation de « viande », qu’il est pourtant désormais impossible de dissocier de la mise à mort des animaux.
Dans mon livre L’Humanité carnivore, je montre en quoi l’institution de l’alimentation carnée reflète un désir très profond de l’humanité, qui n’est bien sûr pas à entendre comme l’agrégat des individus, mais comme une entité qui prend conscience d’elle-même en se pensant contre l’animalité. La manducation [Ensemble des actions mécaniques qui constituent l’acte de manger, NDLR] des animaux ne répond plus depuis longtemps à une nécessité ; l’enjeu est métaphysique et identitaire dans cette violence très singulière qui ne consiste pas simplement à tuer, mais à manger, c’est-à-dire à absorber, digérer, excréter.
L’horreur que nous inspire le cannibalisme confirme la spécificité de la violence propre à la manducation qui suit une mise à mort. Les anthropologues ont en effet mis au jour un « cannibalisme de gourmandise », où des hommes mangent d’autres hommes « parce c’est bon ». Il peut être curieux de penser que le cannibalisme nous répugne plus que la torture, qui constitue une situation où l’autre continue à être tenu pour un sujet qui doit répondre à une question. La manducation, qui implique un processus de décomposition, ravale celui qui est ainsi traité à un rang qui ne peut être comparé à aucun autre. Quoi de plus absolu que la manducation pour affirmer une forme d’anéantissement d’autrui ?
Et quelles sont les pistes de réponse que vous avez pu trouver pour expliquer l’attachement de l’humanité à la manducation des animaux ?
Il n’y a pas une explication simple, d’une part, et l’on ne peut pas s’en tenir à l’Occident moderne et technicien, d’autre part, car c’est l’humanité tout entière qui est embarquée. C’est finalement à l’archéologie de la violence que la question de l’humanité confronte.
La violence de la manducation, quand elle s’institue, serait consubstantielle au moment où l’humanité prend conscience d’elle-même comme d’une entité séparée des animaux ; c’est du moins ainsi que, métaphysiquement, elle se pense. Elle aurait pu se penser autrement, et le transhumanisme qui se prépare constitue peut-être une définition entièrement neuve de l’humanité. Il est frappant de constater que même les sociétés dites « continuistes », qui, ne posant pas de coupure radicale entre l’humain et les non-humains, qui considèrent les animaux comme leurs lointains parents, les tuent et les mangent. Les rituels de « pardon » ne sont que des mascarades.
Frans Snyders. Nature morte avec fruits, gibier mort, légumes et singe, écureuil et chat vivants, avant 1657.
C’est dans le dernier chapitre de mon livre que je tente de montrer comment l’humanité pourrait changer de régime. Ce changement ne serait pas motivé par un sursaut moral ou éthique, mais pourrait être la réponse aux problèmes environnementaux et aux injustices causés par l’élevage. La végétalisation de l’alimentation pourrait s’imposer pour des questions de survie d’une humanité extraordinairement nombreuse. Si ce renversement advient, je pense que la cuisine végane, les viandes végétales, la viande in vitro [fabriquée à partir de cellules musculaires d’animaux] pourraient tout à fait continuer à occuper la place de la viande. Grâce à ces similicarnés, nous pourrions passer à un autre régime tout en pensant que nous mangeons toujours des animaux. Le marketing pourra en l’occurrence jouer un rôle déterminant, comme il joue actuellement un rôle déterminant dans l’édification de nos représentations de la viande que nous mangeons, en ménageant sciemment une distance avec les animaux dont elle provient. C’est lui qui forge de bout en bout nos représentations de la viande, de l’animal.
Faites-vous une distinction entre différents types d’élevages, de chasses ? N’y a-t-il pas notamment une différence à faire entre un élevage industriel et un élevage paysan ?
Les pratiques d’élevage incriminées dans le contexte de l’industrialisation — la séparation des animaux, la contention, les pratiques de mutilation — sont aussi anciennes que l’élevage. Par exemple chez les Romains, pour que les volailles grossissent sans bouger, on les mettait dans des poteries, puis dans des petites cages. Le processus est le même, seulement, il s’aggrave. L’élevage d’antan faisait en petit ce que l’élevage industriel fait en grand. La sélection génétique des animaux était réalisée par bricolage empirique, aujourd’hui elle utilise les outils de la génétique. Mais fondamentalement, l’élevage industriel n’a rien inventé. La différence tient dans des moyens scientifiques et techniques qui permettent à l’industrie de l’élevage d’enrôler dans son entreprise un nombre considérable d’animaux.
Antoine van Dyck et Frans Snyders. Chasse au sanglier, vers 1619.
Pourrait-on imaginer créer un élevage qui respecte les animaux ?
Que signifie « respecter les animaux » ? Estimez-vous que faire naître dans le but d’engraisser rapidement un individu dans le but de le tuer pour le manger s’accommode avec le « respect ». Que respectez-vous dans un tel contexte, même si vous créez des conditions de vie convenables pour les animaux ? Le mot ne va pas. Je pense qu’il peut y avoir des règles du métier, une déontologie, un cahier des charges. Mais le respect, qui est un terme très fort, dont la connotation est d’abord morale, est incompatible avec le « meurtre avec préméditation » par lequel certains auteurs qualifient l’élevage pour la boucherie.
Bien sûr, il peut y avoir des conditions de vie différentes d’un type d’élevage à l’autre, mais aussi d’un éleveur à l’autre. Mais si l’on respecte les animaux, par principe, on fait autre chose qu’un métier qui vit de la mort, qui plus est en bas âge, des animaux.
Un collègue végétarien me rapportait une remarque qu’on lui avait faite : « Un animal qu’on aurait bien soigné, qui aurait eu une bonne vie, cela te gênerait-il de le manger ? » Sa réponse est d’après moi très intéressante : « En somme, tu me demandes si cela me gênerait de manger mon chat. »
Pourquoi fondamentalement ne faut-il pas manger des animaux ?
Dans la mesure où nous ne sommes plus les charognards que nous avons été durant le paléolithique, manger les animaux revient à les tuer, et à les tuer en masse, puisque l’humanité est carnivore. On a envie de retourner la question à l’envoyeur : pourquoi la boucherie est-elle une bonne chose et pour qui ? Nous ne sommes pas dans des situations de survie ou de légitime défense qui, seules, justifient à mes yeux la mise à mort.
Dans deux précédents ouvrages de phénoménologie animale, j’ai montré que la vie animale est individuée, subjective. Contrairement à une vision contemporaine qui fait de l’animal un « simple vivant » et de l’homme un « existant », il faut convenir du fait que l’animal en face de moi est aussi un existant qui n’a qu’une vie à vivre, que son existence est singulière et que c’est la sienne. Aucune autre vie ne peut la remplacer. Voilà ce que l’éleveur de boucherie ne voit pas : il pense au mieux l’animal comme un élément d’un ensemble (le troupeau). La vie animale est elle aussi persévérance dans l’être.
Et que faites-vous des relations de prédation : il y a bien des animaux qui mangent d’autres animaux…
Certains animaux, les carnivores physiologiques, tuent d’autres animaux pour se nourrir, en effet. L’homme est un omnivore physiologique, qui peut donc adopter plusieurs régimes alimentaires. L’humanité n’a jamais été aussi libre qu’aujourd’hui pour choisir son régime. Et il n’est pas un prédateur comme un autre : il est armé de puissants artéfacts… Par ailleurs, il est curieux de voir que, s’agissant de l’alimentation carnée, l’interlocuteur qui la défend se plaît tout à coup à se présenter comme un « animal comme un autre », un vulgaire prédateur qui aurait lui aussi le droit naturel de tuer d’autres animaux. Alors que c’est évidemment en raison d’une position de surplomb, de supériorité sur le monde animal que nous avons institué un système dans lequel les animaux sont systématiquement les perdants, et l’homme le gagnant.
Frans Snyders. Lion tuant un sanglier.
Qu’en est-il des végétaux ?
Les dissertations sur la vie végétale arrivent à un certain point de la conversation pour noyer le poisson, si l’on ose dire. Les plantes seraient elles aussi douées de sensibilité, etc. de sorte que les manger serait un geste aussi problématique que celui qui consiste à égorger un mammifère. L’argument manque de finesse et de discernement. La sensibilité ainsi entendue peut être une irritabilité, une réaction à une situation. Les plantes n’ont pas de soi, de vie personnelle, d’expérience en première personne.
Je mentionne ici quelques-uns des critères phénoménologiques qu’il faut prendre en compte. L’animal vit sa vie en première personne, c’est lui qui est sujet de ses expériences. Qu’est-ce qui atteste dans le comportement de la plante cette autonomie, cette liberté, cette spontanéité, cette épreuve de la vie et de la mort qui sont ce qui rassemble dans un même ensemble ontologique humains et animaux ?
Si nous devions établir des droits des végétaux, il faudrait fonder ces droits sur d’autres critères que ceux qui fondent les droits fondamentaux humains et ceux sur lesquels doivent de même être fondés ceux qu’il faut conférer aux animaux. Je veux parler du critère de la sensibilité : l’être sensible fait l’expérience de la douleur, précisons : de sa douleur.
On voit quand même des avancées, il y a des évolutions juridiques… par exemple, l’animal a été reconnu comme un être sensible.Oui, vous avez raison. Des signes d’une évolution sont indéniables. La prise de conscience, comme on dit, précède toujours le changement dans les comportements et dans les pratiques. Le travail de déconstruction que nous faisons — les philosophes, les historiens, les juristes — joue un rôle déterminant dans la prise au sérieux d’un problème tourné en ridicule il y a encore très peu de temps. Dans les milieux universitaires, la question animale suscite beaucoup moins de la brutalité verbale et d’exclusion qu’il y a quinze ans. Quand j’ai commencé à travailler sur la « question animale », j’étais complètement isolée et mes amis à l’université jugeaient cette option de recherche suicidaire, du point de vue de la carrière. Je constate que plusieurs collègues ont modifié leur façon de penser et… leur façon de se nourrir. Une minorité, certes.
Frans Snyders. Le Concert des oiseaux, vers 1630
Que pouvons-nous faire, chacun d’entre nous, pour la défense de la cause animale ?
Bien des choses, selon ce qui nous touche le plus. Certains sont révoltés par la fourrure, d’autres par la corrida, d’autres encore par la chasse, d’autres par les abandons d’animaux dits de compagnie. Renoncer aux produits animaux constitue l’acte le plus important, et il est celui qui commande tous les autres. On n’a jamais vu un « végétarien éthique » être pour la fourrure, la corrida et les mauvais traitements envers les animaux ! C’est aussi l’acte le plus contraignant d’un point de vue moral en tout cas, le plus volontaire — tandis qu’être contre la chasse ou la corrida, voilà qui ne demande pas grand effort.
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Séisme
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/02/2023
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J'a lu tout ce que je trouvais et visionné tout ce qui était proposé. Ce séisme en Turquie et en Irak est évidemment effroyable. Les images sont sidérantes, les immeubles qui s'effondrent, des survivants sous les décombres, des enfants que les sauveteurs parviennent à extraire et qui n'ont plus de famille. Des traumatismes qui ne s'effaceront jamais.
Et puis il y a tout ce qui concerne la survie et qui m'intéresse particulièrement, toute cette fragilité des zones urbaines, cette dépendance très lourde envers les réseaux alimentaires, l'eau potable, l'électricité, le carburant, et les conditions climatiques très dures en ce moment. Et tout cela me ramène à cette indispensable anticipation, cette recherche de l'autonomie, cette préparation au pire. Et aux mouvements de foule lorsque les forces de l'Etat sont insuffisantes et que les pillages deviennent le seul moyen de s'en sortir.
J'ai lu énormément de documents traitant des catastrophes naturelles, de leurs effets dévastateurs et je suis encore une fois sidéré par cette inconscience des populations au regard de leur dépendance extrême et par cette confiance aveugle dans les gouvernements, où que ce soit.
Je n'ose même pas imaginer ce qu'il en serait ici, en France.
Je précise que je parle uniquement des zones urbaines et non des zones rurales. Je sais bien qu'il n'aurait servi à rien d'entasser de la nourriture pour trois mois dans un immeuble qui s'est effondré. Je veux juste mettre en avant le fait que les villes vivent en flux tendu et que l'arrêt de l'approvisionnement a des effets extrêmement rapides.
Paris intra muros vit avec trois jours de réserves alimentaires. Trois jours et il n'y a plus rien.
Dans les zones rurales, les gens, habituellement, ceux qui sont là depuis une ou deux générations, ne vivent pas comme ça. Ils savent que l'isolement peut avoir des conséquences dramatiques.
C'est le but de la tétralogie en cours d'écriture.
Que se passerait-il si un chaos planétaire survenait ?
J'ai parfaitement conscience que ces quatre romans ne serviront à rien, qu'ils ne seront qu'une "fiction" parmi d'autres.
Beaucoup d'ailleurs ricanent lorsque j'évoque la possibilité d'un chaos planétaire.
Et j'espère pouvoir continuer à rire avec eux.
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Ecouter la nature
- Par Thierry LEDRU
- Le 05/02/2023
- 0 commentaire
Ici, dans la Creuse, il nous arrive très souvent de nous arrêter de marcher ou de courir et d'écouter. Et très souvent, il n'y aucun bruit humain, absolument aucun. À croire que même les lignes aériennes ne survolent pas le département. De la même façon, il nous arrive, lorsque nous arrivons dans un endroit surplombant de ne voir aucune trace humaine, ni maisons, ni routes, ni lignes électriques. Rien que de la forêt, c'est à dire l'inverse de "rien". Une des raisons pour laquelle nous avons quitté la Savoie. Le silence n'y existe quasiment plus, même sur les sommets, la rumeur des vallées empoisonne les lieux et les lignes aériennes y pullulent.
Éco-acoustique : enregistrer les sons de la forêt pour y étudier la biodiversité
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ENVIRONNEMENT
Éco-acoustique : enregistrer les sons de la forêt pour y étudier la biodiversité
Jérôme Sueur, enseignant-chercheur au Muséum national d'Histoire naturelle à Paris
©Frederic Sebe
15/03/2020 - Mise à jour 22/05/2020
Connaissez-vous l’éco-acoustique ? Cette méthode d’écoute de la nature a pour objectif de tirer des informations sur l’écologie des espèces animales via des enregistrements. Jérôme Sueur, enseignant-chercheur au Muséum national d’Histoire naturelle à Paris, nous éclaire sur cette discipline.
L'éco-acoustique est un travail d'étude à partir d’enregistrements sonores : pouvez-vous m'expliquer en quoi cela consiste ?
Nous enregistrons de manière globale les environnements sonores naturels avec des équipements automatiques que nous plaçons dans une forêt, un désert ou en milieu marin. Nous obtenons alors des enregistrements compliqués, avec beaucoup de sons qui s’entremêlent, et nous essayons de tirer des informations, notamment sur la présence des espèces grâce à la reconnaissance automatique sonore. Nous avons une autre stratégie qui est de ne pas forcément chercher à savoir quelles sont les espèces présentes, mais juste de compter le nombre de sons différents dans un enregistrement. Nous essayons de mesurer la quantité de son dans les enregistrements en supposant que plus nous avons de sons, plus nous allons avoir un milieu riche en termes de biodiversité. Notre troisième stratégie est encore plus globale : nous essayons d’attribuer une valeur mathématique à un enregistrement via un indice acoustique qui représente la complexité et l’hétérogénéité sonore de l’enregistrement. Plus les valeurs vont monter, plus elles vont refléter une complexité sonore et potentiellement une complexité biologique et écologique.
Nous essayons de rechercher des sons rares, dus à des animaux de passage très discrets comme le lynx, le loup ou encore, dans le Jura, le grand tétra qui est un oiseau emblématique difficile à observer.
En quoi le son est un outil efficace voire plus efficace que d’autres médiums pour étudier cette biodiversité ?
Le son possède pas mal d’avantages, nous pouvons enregistrer de manière assez facile sans être là. Nous installons des magnétophones dans des milieux et nous nous en allons. Les enregistreurs peuvent fonctionner de manière automatique comme nous le désirons, de manière continue, irrégulière, uniquement la nuit ou le jour... Ce qui crée un pouvoir d'échantillonnage assez important. Pendant que je vous parle, nous avons des enregistrements qui se font en forêt tropicale et dans le Jura : nous acquérons énormément d’observations sans être présents. Cela nous permet aussi d'étudier les échanges gazeux dans l’eau, la respiration des plantes par exemple…
Qu’est-ce que la respiration des plantes ?
Les plantes ont une fonction de respiration et dégagent des bulles qui remontent à la surface et font des petits sons assez jolis avec des modulations de fréquence. Potentiellement, nous pouvons enregistrer ces sons et en sortir des informations sur la physiologie des plantes.
Avez-vous fait des découvertes remarquables, insolites, surprenantes grâce à cette nouvelle science ?
L’idée est que nous arrivons à inscrire des données qui permettent de suivre les milieux, quels qu’ils soient. Nous n’avons pas découvert de sons extraordinaires pour le moment. Nous essayons de rechercher des sons rares, dus à des animaux de passage très discrets comme le lynx, le loup, ou encore, dans le Jura, le grand tétra qui est un oiseau emblématique difficile à observer, que nous ne devons pas déranger. Grâce à ces magnétophones et aux techniques de reconnaissances automatiques, nous espérons pouvoir suivre les populations de grands tétras que nous pourrons espionner.
Avez-vous une photographie globale de ce que fait le Muséum en matière d’éco-acoustique ? Combien êtes-vous à travailler sur le sujet, où sont vos spots d’enregistrement ?
Au Muséum, nous travaillons en éco-acoustique depuis une dizaine d’années. Nous avons développé une petite équipe de recherche avec quelques permanents et des doctorants, des post-doctorants et des étudiants en master. Nous menons plusieurs projets dans deux gros sites de référence : le Haut-Jura avec le parc naturel dans une forêt froide, la forêt du Risoux, qui est à la frontière avec la Suisse, et un autre site en parallèle en Guyane, complètement différent car c’est une forêt chaude. Dans ces deux projets, nous avons pour objectif de suivre les modifications possibles du paysage sonore au cours du temps, sur une quinzaine d’années. Des projets à long terme difficiles à mettre en place, car il faut prévoir le vieillissement du matériel des équipes de recherche et toutes les données cumulées sur le long terme qu’il va falloir étudier.
Tous ces environnements sonores sont fortement pollués par les activités humaines, notamment les transports...
Il y a t-il un volet pédagogique pour les citoyens ? Entendre la nature peut-il être un levier d’engagement pour la transition écologique ?
Nous n’avons pas vraiment d’activité de sensibilisation, même si nous le faisons en communiquant sur notre recherche. J’ai un étudiant en Guyane qui travaille sur la sensibilisation des jeunes à la diversité des paysages sonores. Il est certain qu’il est facile de sensibiliser le grand public en faisant découvrir ces paysages sonores, en titillant leurs tympans et en leur faisant prendre conscience de la diversité des sons que nous pouvons percevoir dans des milieux finalement accessibles. Il y a toute une diversité que nous essayons de rendre accessible, celle que nous retrouvons sous l’eau par exemple. Nous sommes parfois surpris lorsque nous mettons un hydrophone dans des zones humides même en région parisienne, il y a toute une diversité sonore qui est très peu décrite et connue, qui reste donc à analyser et à comprendre.
Pouvons-nous, en ligne ou au Muséum, effectuer des voyages acoustiques pour se plonger en Guyane ou ailleurs ?
Oui tout à fait. Le Muséum propose une sonothèque, des sondes de la nature avec un site en ligne où nous pouvons avoir accès à des dizaines de milliers d’enregistrements réalisés dans le monde entier où toutes les espèces chantent en même temps. Il y a aussi une très forte activité d’audio-naturalistes, des personnes qui vont enregistrer dans la nature sans avoir forcément de questionnements scientifiques mais plutôt un souci d’ordre esthétique. Nombreux sont les blogs où nous pouvons écouter leurs réalisations. Beaucoup d’artistes se saisissent aussi de ces matériaux qu’ils vont enregistrer eux-même directement et qui produisent des installations et créations sonores autour de la nature.
Avez-vous étudié la pollution sonore ?
Tous ces environnements sonores sont fortement pollués par les activités humaines, notamment les transports, et participent au déséquilibre que nous pouvons observer dans la composition de ces paysages sonores. Il est très difficile d’enregistrer en métropole plus d’une minute sans avoir un bruit d’avion, c’était notamment le cas dans le Haut-Jura. Nous avons fait une analyse sur 1 an : sur les 140 000 fichiers que nous avons obtenus, il y en avait 75 % avec des bruits d’avion. Tous ces bruits impactent le comportement des animaux, le paysage sonore. Malheureusement, même les espaces naturels protégés sont impactés par des bruits d’origine humaine, notamment par le trafic aérien.
Une interview réalisée en partenariat avec France Inter : pour écouter la chronique Social Lab, c'est par ici :
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"Terre des hommes" Saint-Exupéry
- Par Thierry LEDRU
- Le 26/01/2023
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La foi en la technologie.
Autant, il est indéniable qu'elle a considérablement amélioré nos conditions d'existence, autant, il me semble que nous arrivons à une époque charnière.
Qu'en est-il de l'éthique et du principe de précaution ?
La fuite en avant n'est jamais autre chose qu'une fuite et il se pourrait que nous devenions des "barbares".
« Nous sommes tous de jeunes barbares que nos jouets neufs émerveillent encore »
20 novembre 2019
https://www.dirigeant.fr/societe/nous-sommes-tous-de-jeunes-barbares-que-nos-jouets-neufs-emerveillent-encore/
Poster issu de la Don Thomas Collection – San Diego Air and Space Museum Archive
Dans ce texte devenu un classique, Antoine de Saint-Exupéry raconte son rapport à la technique, à l’outil. Une confiance en l’avenir qui s’est perdue depuis…
« L’usage d’un instrument savant n’a pas fait de toi un technicien sec. Il me semble qu’ils confondent but et moyen ceux qui s’effraient par trop de nos progrès techniques. Quiconque lutte dans l’unique espoir de biens matériels, en effet, ne récolte rien qui vaille de vivre. Mais la machine n’est pas un but. L’avion n’est pas un but : c’est un outil. Un outil comme la charrue.
Pour saisir le monde d’aujourd’hui, nous usons d’un langage qui fut établi pour le monde d’hier.
Si nous croyons que la machine abîme l’homme c’est que, peut-être, nous manquons un peu de recul pour juger les effets de transformations aussi rapides que celles que nous avons subies. Que sont les cent années de l’histoire de la machine en regard des deux cent mille années de l’histoire de l’homme ? C’est à peine si nous nous installons dans ce paysage de mines et de centrales électriques. C’est à peine si nous commençons d’habiter cette maison nouvelle, que nous n’avons même pas achevé de bâtir. Tout a changé si vite autour de nous : rapports humains, conditions de travail, coutumes. Notre psychologie elle-même a été bousculée dans ses bases les plus intimes. Les notions de séparation, d’absence, de distance, de retour, si les mots sont demeurés les mêmes, ne contiennent plus les mêmes réalités. Pour saisir le monde d’aujourd’hui, nous usons d’un langage qui fut établi pour le monde d’hier. Et la vie du passé nous semble mieux répondre à notre nature, pour la seule raison qu’elle répond mieux à notre langage.
Chaque progrès nous a chassés un peu plus loin hors d’habitudes que nous avions à peine acquises, et nous sommes véritablement des émigrants qui n’ont pas fondé encore leur patrie.
Nous sommes tous de jeunes barbares que nos jouets neufs émerveillent encore.
Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher.
Notre maison se fera sans doute, peu à peu, plus humaine. La machine elle-même, plus elle se perfectionne, plus elle s’efface derrière son rôle. Il semble que tout l’effort industriel de l’homme, tous ses calculs, toutes ses nuits de veille sur les épures, n’aboutissent, comme signes visibles, qu’à la seule simplicité, comme s’il fallait l’expérience de plusieurs générations pour dégager peu à peu la courbe d’une colonne, d’une carène, ou d’un d’avion, jusqu’à leur rendre la pureté élémentaire de la courbe d’un sein ou d’une épaule. Il semble que le travail des ingénieurs, des dessinateurs, des calculateurs du bureau d’études ne soit ainsi, en apparence, que de polir et d’effacer, d’alléger ce raccord, d’équilibrer cette aile, jusqu’à ce qu’on ne la remarque plus, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une aile accrochée à un fuselage, mais une forme parfaitement épanouie, enfin dégagée de sa gangue, une sorte d’ensemble spontané, mystérieusement lié, et de la même qualité que celle du poème. Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher. Au terme de son évolution, la machine se dissimule. »
Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes, Gallimard, 1939, chapitre 3, « L’avion ».
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"LE DÉSERT DES BARBARES" (5) : de l'amour à la folie
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/01/2023
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C'est la question essentielle de cette histoire :
Est-ce fou de tuer par amour ou est-ce fou de laisser mourir l'être aimé par refus de tuer ?
CHAPITRE 26
Théo et Laure avaient vérifié les armes, pris les sacs de survie, fermé toutes les entrées de la ferme puis ils avaient pris la route. Ils avaient rejoint la vallée de l’Isère par une piste forestière. Lorsque les arbres s’ouvraient et laissaient les regards plonger vers la vallée, ils distinguaient des incendies. Des flamboiements épars et simultanément l’absence totale de lumières électriques. Théo s’était arrêté sur un replat, il avait coupé le contact et il avait ouvert la vitre. Laure l’avait imité. Le silence. Aucun bruit, aucun moteur. Cette rumeur de l’activité humaine, ce ronflement permanent qui occupait la vallée habituellement, rien, il n’en restait rien. Théo n’avait jamais entendu ce silence. Même à la suite des plus forts enneigements, il restait toujours dans la vallée un fond sonore. Ce silence n’avait plus rien d’humain. C’était le silence d’un monde sans hommes.
Ils traversèrent la rivière par le pont de Goncelin, le seul encore praticable. Les informations de son ami policier s’avéraient justes.
Ils étaient sidérés par le spectacle des routes. Dans le faisceau des phares, ils apercevaient des carcasses de voitures incendiées, des maisons vandalisées, ils devinaient dans des ombres épaisses les usines calcinées, les hangars éventrés, les dépôts saccagés, des destructions généralisées, comme une armée dévastatrice qui serait passée, la terre brûlée des Barbares.
« Je vais prendre le chemin de halage le long de l’Isère. Je ne veux pas traverser les villages, expliqua Théo.
- Tu ne pourras pas éviter le passage à Theys, répliqua Laure.
- Si, ne t’inquiète pas pour ça. Je connais toutes les pistes. »
La vallée du Grésivaudan, le versant de Chartreuse, le versant de Belledonne, la rivière de l’Isère entre les deux. Tous les villages de la vallée avaient subi les foudres des hordes sauvages, c’était une certitude. Les villages en altitude avait peut-être réussi à organiser la défense des habitants. Les pistes forestières permettaient de les éviter puis les pistes de ski les conduiraient au sommet des crêtes d’où ils basculeraient sur le versant de la vallée d’Allevard. Le 4X4 n’aurait aucun problème. Récupérer Yves et Lisette et revenir par le même itinéraire. C’est pour eux que le périple risquait d’être plus compliqué. Avec un simple fourgon, ils n’avaient pas d’autre choix que d’utiliser la départementale, traverser Allevard et les villages le long de la montée vers la station. Est-ce qu’ils passeraient ?
Théo garda ses inquiétudes pour lui. Laure ne disait rien. Il sentait sa tension.
Les pistes forestières étaient dégagées. Toutes praticables. Théo connaissait parfaitement la station des sept-Laux. Des heures de VTT, de trail et de ski de randonnée quand il était plus jeune. Le défouloir vital dans ses premières années de flic. Son engagement dans l’aménagement de sa base de survie l’avait éloigné des sommets.
Les phares puissants du 4X4 ouvraient la route. Il avait replacé sur le capot, côté conducteur, un phare halogène orientable. Laure lui avait demandé pour quelle raison, il ne le laissait pas en permanence.
« Parce qu’on me l’aurait volé à ma première descente en ville. Grenoble, c’est pas un coin fréquentable. Les journalistes qui disent que la montagne, c’est dangereux à chaque fois qu’il y a un mort en alpinisme ou à skis, franchement, je leur collerais volontiers des baffes. Qu’ils viennent passer une semaine en ville, ils auront une idée réelle de ce qui est dangereux. Il y a deux ans, j’ai demandé à une connaissance au ministère de l’intérieur de me filer toutes les statistiques sur les faits d’armes et violences. Normalement, ça ne sort pas des bureaux. Les chiffres dont on entend parfois parler sont faux. Ce sont des chiffres politiques. La réalité, personne n’en a idée. »
Au passage du col, Théo arrêta le véhicule.
« Dans dix minutes, on est au parking. J’avais compté une heure de marge. Mais je voudrais écouter ça encore. »
Il coupa le moteur, éteignit les phares.
Il ouvrit la porte et descendit.
Elle le rejoignit et se blottit contre lui, le dos contre son ventre. Il l’enlaça.
La nuit étoilée et les incendies dans la vallée. Des lueurs puissantes vers Grenoble.
Et le silence. Si dense, si intense, si épais qu’il en coulait dans leurs poumons et ralentissait les respirations.
« Le silence. Tu n’imagines pas à quel point, j’ai rêvé de ce silence. Je l’ai même espéré. Mais je ne pensais pas que ça pourrait arriver en aussi peu de temps. L’humanité est une entité fragile, ça fait longtemps que j’en suis convaincu. Elle est fragile parce qu’elle porte en elle une puissance destructrice qu’elle n’imagine même pas. L’humanité s’est étendue depuis des millénaires avec une réussite totale, elle a tout conquis, elle s’est tout attribué mais il y a un élément qu’elle ne maîtrise pas, c’est sa folie. La folie de chaque humain, elle est en nous, en toi, en moi, n’importe qui. Nous la contenons, individuellement. Non pas juste par respect des lois, par peur des sanctions, par peur des représailles mais parce que l’amour de la vie reste le maître. Mais maintenant, que la contamination est lâchée, les premiers fous libèrent les autres. Et la peur de la folie des autres réveille la folie de ceux qui ont peur. Rien ne peut arrêter ça. »
Elle ne trouva rien à répondre parce qu’elle avait connu la folie, il y a longtemps déjà, dans une autre vie, dans un aéroport, puis la folie d’un homme au volant d’une voiture, juste pour un sac de billets, pour le pouvoir de l’argent, jusqu’à décider de tuer ses propres équipiers et une femme qu’il ne connaissait pas, qui ne lui avait rien fait. La folie cachée en chacun et qui parfois prend les rênes. Est-ce qu’elle risquait un jour de basculer ? Est-ce qu’elle pourrait perdre le contrôle ? Est-ce que ce monde de chaos pourrait l’envahir au point de devenir folle à son tour ?
« Théo, il n’y a qu’une solution.
- Oui, Laure, je sais ce que tu vas me dire. Enfin, je pense le savoir. L’amour, c’est ça ?
- Oui, Théo, l’amour. Il faudra beaucoup d’amour.
- Mais je pourrais tuer dix mille hommes pour te sauver. Est-ce que je serais fou pour autant ? »
Elle se libéra de ses bras et se retourna. Elle devinait dans la clarté céleste l’intensité de ses yeux.
« Il serait préférable de n’être jamais confronté à cette question.
- Nous le serons, probablement, toi comme moi. Un jour prochain, nous pourrons être obligés de tuer quelqu’un. Alors, je repose ma question. Serons-nous fous de le faire ? Et une autre question s’impose aussi. Est-ce que tu es prête à tuer quelqu’un pour me sauver, c’est à dire sauver l’amour que tu as pour moi ? »
Elle posa la tête contre sa poitrine.
« Oui. »
Il posa les mains sur ses joues et leva son visage.
« Et nous ne serons pas fous lorsque ça arrivera. Parce que c’est l’amour qui nous guidera. »
Il l’embrassa, tendrement.
Puis ils reprirent la piste.
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Pénurie d'eau à venir.
- Par Thierry LEDRU
- Le 21/01/2023
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On est en plein hiver et les hydrologues alertent sur la sécheresse à venir. Il faudra s'en souvenir l'été prochain. Bien que ça ne changera rien au scénario. Juste pour rappeler en temps voulu à Louis XIV que tout le monde est au courant, sauf lui.
"Qui aurait pu prédire la crise climatique ?" : la petite phrase d'Emmanuel Macron agace les scientifiques
Lors de ses vœux aux Français samedi soir, le chef de l'Etat a laissé entendre que le réchauffement climatique, dont les "effets spectaculaires" ont été bien visibles en France en 2022, était un événement inattendu. Le premier rapport du Giec sur le sujet date pourtant de 1990.
https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/qui-aurait-pu-predire-la-crise-climatique-la-petite-phrase-d-emmanuel-macron-agace-les-specialistes-du-climat_
https://www.huffingtonpost.fr/environnement/article/meteo-malgre-la-pluie-du-debut-d-annee-les-nappes-phreatiques-sont-a-sec-clx1_212907.html
"Malgré les fortes pluies du moment, les nappes phréatiques sont à sec."
Les pluies diluviennes apportées par les tempêtes Gérard et Fien comme les précédentes fortes précipitations de l’hiver seront insuffisantes pour combler le déficit en eau. Au point que le scénario de la sécheresse de l’été 2022 se profile déjà pour 2023.
Des rivières à sec, de l’eau qui ne coule plus des robinets, des cultures assoiffées : les images de la sécheresse estivale en 2022 ont marqué les Français. Cet hiver, les épisodes de pluies diluviennes tombées fin décembre et depuis le début de la semaine avec les tempêtes Gérard et Fien devraient nous rassurer sur les réserves en eau pour l’été. Et pourtant…
Malheureusement en effet, ces intempéries apparaissent bien insuffisantes pour faire remonter le niveau des nappes phréatiques, actuellement très déficitaires. « Le même scénario pour l’été 2023 qu’en 2022 est en train de se mettre en place », anticipe auprès du HuffPost David Labat, enseignant chercheur à l’Université Paul Sabatier à Toulouse.
Des restrictions d’eau en plein hiver
Rappelez-vous : la grande douceur de la fin d’année 2022 avait provoqué des trombes d’eau en France. Entre le 31 décembre et le 2 janvier, un mois de pluie s’était déversé sur la Bretagne par exemple. Et dans les Alpes, les pluies ininterrompues avaient fait fondre le peu de neige qui restait sur les pistes. Le début de l’année 2023 n’est pas en reste puisqu’il est tombé le 10 janvier, en seulement 24 heures, l’équivalent de trois semaines à un mois de pluie sur le massif des Pyrénées.
Et pourtant, les nappes phréatiques se trouvent donc à des niveaux « préoccupants » dans la majeure partie des régions françaises, comme en a alerté, dans son dernier bulletin mensuel publié 13 janvier, le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM).
« Les niveaux des nappes au mois de décembre sont peu satisfaisants. En effet, les pluies infiltrées durant l’automne sont très insuffisantes pour compenser les déficits accumulés durant l’année 2022 et améliorer durablement l’état des nappes », poursuit le BRGM, considéré comme la « météo des nappes ». Une agence publique qui se dit par ailleurs « assez pessimiste » sur la disponibilité de l’eau en 2023.
Ni Gérard, ni Fien ne permettront de recharger les nappes
Au 16 janvier, quatre départements sont toujours placés en vigilance sécheresse (l’Ille-et-Vilaine, le Jura, la Lozère et la Savoie) et huit sont en alerte ou en alerte renforcée, des statuts qui s’accompagnent de restrictions d’eau (l’Oise, les Deux-Sèvres, l’Ain, l’Isère, le Lot, le Tarn-et-Garonne, la Haute-Garonne et les Pyrénées-Orientales), selon le site gouvernemental Propluvia.
Mais les tempêtes Gérard, puis Fien, survenues en France ces derniers jours avec leur lot de pluies, ne peuvent-elles pas changer la donne ? Malheureusement non, répond David Labat. « Lorsque vous avez des tempêtes, il va y avoir une saturation des sols. C’est exactement comme une éponge : lorsqu’elle est saturée, elle ne peut plus absorber d’eau. »
« Il n’y a donc pas un écoulement vertical de l’eau qui permettrait de recharger les nappes », poursuit le chercheur de l’Université Paul Sabatier. « C’est le même principe avec les orages l’été : vous pouvez avoir 300 millimètres d’eau en quelques heures sans aucun effet sur le niveau des nappes », appuie encore le professeur en hydrologie.
En clair, lorsque surviennent de telles intempéries, au lieu de s’infiltrer, l’eau ruisselle et provoque des inondations. Mercredi 18 janvier, les Landes et les Pyrénées-Atlantiques, où de fortes précipitations étaient attendues, étaient d’ailleurs toujours placées en vigilance orange par Météo-France pour « pluie-inondation ».
Plus que deux mois pour inverser la tendance
En plus de ces intempéries aux effets contre-productifs, l’extrême douceur de la fin décembre-début janvier n’a pas permis de constituer un stock de neige suffisant. « Ce stock permet d’ordinaire le remplissage des barrages qui régulent les débits d’étiage (la baisse saisonnière des cours d’eau, ndlr) pendant l’été », précise le chercheur qui s’attend à des sols très secs et à des débits très bas pour juillet-août 2023.
Le même constat alarmant a été dressé par Pierre Pannet, directeur adjoint du BRGM lors d’un point presse organisé à la mi-janvier. Si la pluie continue à être aussi rare en 2023, « on arrivera à une situation bien pire que celle qu’on a connue en fin d’été 2022 » quand quasiment tous les départements métropolitains connaissaient des restrictions d’eau.
Si la situation de l’eau souterraine en France est aujourd’hui moins favorable qu’à la sortie de l’hiver 2021-2022, il reste encore deux mois pour inverser la tendance. Pour cela, pas de recette miracle : il faut des pluies régulières. « En février et mars, nous aurions besoin qu’il pleuve de 20 à 30 millimètres tous les quinze jours », soutient encore David Labat. Après avril, il sera déjà trop tard, car le printemps pointant le bout de son nez, les pluies seront absorbées par la végétation bourgeonnante et ne laisseront aucune goutte pour les nappes.
Plan d’action « eau » élaboré par le gouvernement
Concernant les cultures, la situation hydrique est d’ailleurs très préoccupante dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales où « l’indice d’humidité des sols est proche de 0. Oui, zéro, en janvier », comme le constate l’agro-climatologue Serge Zaka, dans un message publié sur son compte Twitter. Les pluies survenues depuis les 15 et 16 janvier ne sont « pas suffisantes pour combler le déficit mais cela permettra de soulager la faune et la flore sur les premiers centimètres du sol », relativise, un peu, le chercheur.
Face à une année 2022 qui a été la plus chaude jamais enregistrée en France avec un déficit de pluviométrie frôlant les 25 %, le gouvernement élabore actuellement un plan d’action « eau » pour 2023. Il vise à « réduire les consommations d’eau et optimiser les prélèvements, mieux réutiliser les eaux usées et accélérer la réduction des fuites sur les réseaux d’eau ». Le détail des mesures sera annoncé le 26 janvier à Rennes lors d’un Carrefour des gestions locales de l’eau.
« Le gouvernement n’a plus le choix : on doit entrer dans une ère de la sobriété de l’eau », abonde encore David Labat. L’hydrologue rappelle qu’avec le changement climatique, les sécheresses records ne vont cesser de se multiplier. « Une année comme 2022, très déficitaire, avait une chance sur 20 de se produire dans les années 80, aujourd’hui cette probabilité passe à une sur cinq. »
https://www.huffingtonpost.fr/.../meteo-malgre-les-fortes...
(publié par Cyrus Farhangi)
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Le rapport Meadows (1972)
- Par Thierry LEDRU
- Le 21/01/2023
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Il y a 50 ans, le rapport Meadows alertait sur les limites planétaires
https://www.novethic.fr/actualite/economie/isr-rse/il-y-a-50-ans-le-rapport-meadows-alertait-sur-les-limites-planetaires-150665.html
Publié le 20 mars 2022
ÉCONOMIE
IL Y A 50 ANS, LE RAPPORT MEADOWS ALERTAIT SUR LES LIMITES PLANÉTAIRES
En 1972, des scientifiques du MIT publient "Les limites à la croissance", plus connu sous le nom de "rapport Meadows".
L’ouvrage a eu a eu l’effet d’une bombe : pour la première fois, des chercheurs alertaient sur les risques d’une croissance économique infinie dans un monde aux ressources limitées. Il devient rapidement un best-seller avant de tomber aux oubliettes.
Un demi-siècle après, le livre est devenu une référence, il est réédité dans une version augmentée.
En 1972 le rapport Meadows a eu l'effet d'une bombe
COOLe rapport Meadows fête ses 50 ans !
Sorti en mars 1972, le livre est publié en France sous le titre "Les limites de la croissance (dans un monde fini)" coécrit avec Donella Meadows, son mari Dennis Meadows et Jorgen Randers. A l’origine, le rapport a été commandé par le Club de Rome aux trois scientifiques de la prestigieuse université américaine MIT. Le but était de s’interroger sur les limites de la croissance économique.
La réponse est implacable : une société qui consomme et produit toujours plus, pollue aussi toujours plus et sera confrontée à la raréfaction des ressources. Ainsi, les scientifiques estiment que quels que soient les scénarios envisagés, la croissance infinie se heurtera nécessairement à des pénuries de matières premières. En 1972, ils estiment que le monde dispose de 50 ou 100 ans avant d’être confronté à un manque de ressources non renouvelables, à commencer par le pétrole, le gaz, les minerais ou même l’eau. Les auteurs de l’ouvrage conseillent donc aux dirigeants de réguler la croissance s’ils ne veulent pas assister à une multiplication des crises, des famines et même des guerres.
En pleine 30 glorieuses, l'éphémère succès du rapport Meadows
Lors de sa sortie, le livre fait un tabac mais le succès est éphémère.
En pleine Trente glorieuses, les usines tournent à plein régime pour satisfaire les aspirations de la société de consommation. Dans ce contexte, une remise en question du modèle basé sur une croissance infinie du PIB est peu audible.
"Quand j’ai fait cette étude, confie Dennis Meadows à France Culture, je n’avais que 29 ans, j’étais jeune et naïf, et je pensais que si je publiais mes recherches, on en tiendrait compte, on agirait en conséquence, comme quand on voit un iceberg en bateau et qu’on le contourne, c’était mon espoir. Mais voilà, 50 ans après, les dégâts s’empilent les uns sur les autres et nous entrons dans une ère de bascule".
Les choses ont-elles évolué ?
"On compense la pénurie de ressources par de la dette, et on n'a pas fait ce deuil. Réinventer le business à l'aune des limites planétaires est inévitable", répond ainsi Fabrice Bonnifet, président du Collège des directeurs de développement durable (C3D). Certaines entreprises l'ont bien compris et "renoncent à faire du chiffre d’affaires pour ne pas polluer, elles sont entrées dans un monde de "post-croissance", souligne Geneviève Férone Creuzet, co-fondatrice de l’agence Prophil. "Il faut les encourager et faire évoluer les modèles".
Même si l’idée d’un monde en "post croissance", plus sobre en ressources, fait son chemin, "les travaux de recherches sur ces thèmes sont plus nombreux mais ils restent encore minoritaires", indique Dominique Méda, directrice de l’Institut de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales (Iris). Les politiques sont également peu nombreux à s’emparer du sujet.
La guerre en Ukraine pourrait faire bouger les lignes. Ce drame rappelle en effet la nécessité de réduire notre dépendance aux énergies fossiles et aux ressources naturelles. Les appels à plus de sobriété se multiplient, ils émanent de l’Etat ou encore des industriels eux-mêmes qui demandent à être rationnés.
Il y a 50 ans, le rapport Meadows avait prédit ce scénario et conseillait aux dirigeants de ne pas courir après la croissance, reste à espérer que ces recommandations soient entendues.
Mathilde Golla @Mathgolla
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