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Le Wei Chi : l'opportunité de transformation
- Par Thierry LEDRU
- Le 15/03/2020
Je l'ai déjà décrit ici. Dans une crise, quelle que soit sa nature", le "wei" concerne la crise en elle-même et le "chi" concerne l'opportunité de transformation qu'elle contient.
Il s'agit donc de se projeter dans un avenir immédiat et lointain afin que les leçons de la crise soient appliquées.
Dans le cas de la crise actuelle, les changements à opérer sont gigantesques...Entre les annonces politiques en cours sur ces changements nécessaires et les mises en oeuvre, il faudra juger sur pièces. "Les promesses n'engagent que..."Il reste à savoir si la population occidentale est à même de prendre en considération l'inévitable transformation de leur existence. Lorsque je vois les comportements d'un grand nombre d'individus, j'en doute quelque peu...Il faut donc attacher notre attention à ceux et celles qui sont déjà engagés dans cette voie de transformation et à agir à notre mesure.
"Ce ne sont ni la politique, ni les religions en place, ni l’accumulation de connaissances scientifiques qui vont résoudre nos problèmes — pas plus que les psychologues, les prêtres, les spécialistes.
La crise, elle est dans notre conscience, c’est-à-dire dans notre esprit, dans la manière que nous avons de considérer le monde sous un angle étriqué et limité.
C’est là qu’est la crise.
L’esprit humain a évolué sur des millions et des millions d’années, il est conditionné par le temps et l’évolution.
Un esprit conditionné de la sorte, avec la conscience étroite, limitée, exclusive qui est la sienne — considérant la crise qu’il traverse dans le monde actuel — peut-il jamais être changé ?
Peut-il amener un changement radical au sein de ce conditionnement ?"
Krishnamurti à Ojai le 9 mai 1981.
Pas la peine de faire un dessin : le coronavirus écrase la réalité, il est la réalité. À force de venir vers nous à toute vitesse, le futur vient de nous percuter. Nous voici dans un mélange de Years and Years et de Contagion. À côté des conséquences qu’il provoque, plus rien n’existe. Et quoi qu’il se passe désormais, à l’issue de cette crise majeure, mondiale et totale, plus rien ne sera comme avant. On écrit souvent cela par habitude, par paresse intellectuelle, mais cette fois, on peut dire que la formule n’est pas usurpée.
Comme nous l’écrivions dans l’édito de notre dernier numéro, la frontière entre réalité et fiction se brouille, celle entre présent et futur s’efface. Pendant quelques semaines, peut-être davantage, nos vies quotidiennes vont être bouleversées. Nous allons vivre au rythme des consignes officielles, mais aussi du décompte macabre des personnes infectées, puis décédées. De notre capacité à rester disciplinés et à nous entraider les uns les autres dépendra notre salut collectif et individuel. Mais au terme de cette période, à considérer que l’atmosphère redevienne respirable – ce qui à ce jour reste heureusement l’hypothèse la plus probable – nous aurons à nous interroger sur notre modèle de civilisation.
Dans son discours à la nation prononcé jeudi 12 mars, le président de la République a posé les bases d’un virage majeur : « Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile au grand jour les faiblesses de nos démocraties. Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond à d’autres, est une folie. »
Il s’agit là d’un changement de cap jamais vu depuis 1945. Ceux qui militaient sur le plan idéologique pour un tel choix doivent se pincer pour y croire : le « président des riches » n’a pas hésité une seconde avant de se jeter dans la défense sans ambiguïté d’un Welfare State qu’en son temps Roosevelt avait bâti sans l’ombre d’une hésitation. Si le coronavirus n’est pas un châtiment divin provoqué par notre amour du capitalisme, ses conséquences dans un paysage balayé par ce dernier s’avèrent désastreuses. De ce point de vue, le choix du président n’est pas dicté par son inclination conceptuelle, mais par la nécessité. C’est le seul choix possible en pareilles circonstances. Certains diront que Macron a été insincère, et c’est peut-être là notre « chance » : le pragmatisme l’a emporté.
Pas d’ONU sans seconde guerre mondiale. Pas de sécurité sociale sans régime de Vichy. L’espèce humaine est incorrigible : elle attend la catastrophe pour réagir.
Bien sûr, il faudra que ce discours soit suivi d’effet. Emmanuel Macron ne pourra pas refaire le coup de Jacques Chirac, lyrique à la tribune de l’ONU sur la question du réchauffement climatique, craintif dans son action quotidienne. Mais précisément : c’est le moment de le prendre au mot. Tout anathème nous fera perdre du temps.
Nous nous sommes souvent posés la question, en tant que journal dédié à l’avenir : peut-on prendre de grandes décisions « à froid » ? La réponse est non, et cette crise vient de le prouver : pas d’ONU sans seconde guerre mondiale. Pas de sécurité sociale sans régime de Vichy. L’espèce humaine est incorrigible : elle attend la catastrophe pour réagir. C’est hélas dans les moments les plus tragiques qu’on prend soudain conscience de la nécessité absolue de contraindre la main invisible. Et c’est quand on le croit moribond, achevé par le libéralisme triomphant, que l’État est appelé à la rescousse. L’État qui organise, l’État qui protège, l’État qui soumet la loi de la jungle à sa propre loi à lui, celle de l’intérêt général.
Interdépendants, reliés par une communauté de destins, les êtres humains ne peuvent plus longtemps vivre dans la défiance, l’égoïsme et le saccage
Parce que nous pensons qu’un jour viendra où nous pourrons à nouveau nous toucher et nous embrasser les uns les autres, cela signifie continuer à armer intellectuellement les générations actuelles et futures pour le monde d’après. Interdépendants, reliés par une communauté de destins, les êtres humains ne peuvent plus longtemps vivre dans la défiance, l’égoïsme et le saccage.
Si nous n’avons pas pu ou su éviter ce qui nous arrive, qu’au moins cela nous serve de leçon : un monde fondé sur la compétition et la prédation court à sa perte. Cette leçon, puissions-nous ne jamais l’oublier.
En attendant de recommencer à croire au futur, que chacun se protège et prenne soin de ses proches. Parfois, revenir à l’essentiel est le meilleur des programmes politiques."
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Avec quelques mois d'avance
- Par Thierry LEDRU
- Le 13/03/2020
Dans le tome 3 de ma trilogie, j'avais écrit ça avant de décider d'arrêter l'écriture.
L'actualité a rattrapé la fiction pour une partie au moins.
Il ne faudrait d'ailleurs pas du tout que la première partie se réalise.
Le "Hum" a déjà été entendu mais jamais élucidé. On peut en trouver la trace sur le net :
"Un hum est un phénomène qui se manifeste principalement par ce qui est perçu comme un son caractéristique, de basse fréquence, persistant et envahissant, dont la source est inconnue, qui n’est pas forcément entendu par tout le monde. Il a soit une origine interne à l'auditeur (acouphène grave, ou bruits internes comme les borborygmes), soit externe (phénomène naturel, lié à l'activité humaine ou exceptionnel)."
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hum_(son)
Chapitre 3
« Mes respects, Monsieur Zorn.
- Bonjour colonel. Je vous écoute. »
Un appel sur la ligne rouge. Le colonel Joachim Nichols en connaissait l’usage. Les informations dont il disposait ne laissaient aucun doute. Elles devaient être transmises.
« Vous vous souvenez, Monsieur Zorn, de ces phénomènes acoustiques qui ont touché des personnels de notre consulat en Chine.
- Oui, parfaitement.
- Toutes les analyses et les enquêtes n’ont rien donné de concret. Les deux employés concernés n’avaient aucune raison personnelle de développer ce genre de malaises. Nous enregistrons actuellement de nouveaux cas.
- En Chine, de nouveau ?
- Non, Walter. Ici, au pays. Et plus inquiétant encore, dans les bâtiments même du Pentagone. »
Le colonel Nichols énuméra tous les faits connus, décrivit minutieusement le déroulement de la prise en charge des personnels concernés. Vingt-sept personnes, dont certaines sur des postes sensibles.
« Quels sont les effets ?
- Les mêmes que ceux enregistrés également à Cuba, fin 2016. Perte d’audition et symptômes similaires à un traumatisme cérébral. Mais avec une aggravation très préoccupante. Quatre employés ont subi une perte d’audition totale et cela semble irréversible. Une femme est dans le coma. Un informaticien a été pris d’une crise de folie extrêmement soudaine et violente. Il a agressé deux secrétaires puis il s’est jeté par la fenêtre du quatrième étage. Personne n’a pu le maîtriser avant son geste. Il était hors de lui. C’est l’expression la plus juste d’après les témoins. Je dirais pour ma part, à la lecture de tous les témoignages, que ces personnes semblaient envahies par une présence insoutenable.
- Précisez votre pensée, colonel.
- Certains ont parlé d’un son insupportable, très sourd, constant, comme un moteur très puissant. C’est totalement inconnu. Personne ne donne d’explications.
- Et personnellement, vous en pensez quoi, colonel ?
- Nous avons pensé à un signal électro-magnétique. Du type Haarp. Mais ça ne vient pas de chez nous.
- Qui alors ? Russes, Chinois ?
- Impossible de la savoir. Nous cherchons. Toutes nos antennes d’informations sont en alerte. Humaines et technologiques. »
Les fréquences ultra basses. Walter s’était longuement documenté sur cette technologie. Il subventionnait lui-même le développement de la recherche sur l’ionosphère. Il avait lu quelques études sur la résonance de Schuman également. Des travaux passionnants, tournés en dérision par la communauté scientifique. Ce qui attestait à ses yeux de l’intérêt de la chose. Il aimait tout ce qui relevait de l’impensable. Ça n’était jamais pour lui que la mise en lumière des limites du cerveau humain, de ses conditionnements, de son incapacité à penser ce qui était au-delà des limites apprises et par conséquent de ce qu’il convenait de briser.
C’est là justement que se situait Harmaguédon. Concevoir l’impensable.
« D’autre part, Monsieur Zorn, vous avez certainement entendu parler de l’épidémie qui frappe l’Asie du Sud-Est et qui s’étend considérablement, le phénomène nommé plastisphère, par les scientifiques. Plus de 80 000 personnes contaminées et plus de 3000 décès en un mois.
- Oui, je surveille cela avec une grande attention.
- Nous avons répertorié deux cas en Amérique du Nord. Un ici, aux États-Unis et un autre au Canada. Ils ont été isolés et suivent un traitement. Il est possible que nous soyons à l’aube d’une pandémie. Ces bactéries se propagent au gré des courants océaniques et vous n’êtes pas sans savoir qu’il existe dans le Pacifique une zone totalement couverte par des déchets plastiques. Le vortex d’ordures. Cette immense surface représente deux fois la taille du Texas. Il semble évident que l’Asie ne sera pas la seule concernée. C’est un phénomène qui risque de devenir planétaire par la pollution elle-même mais également par les contaminations liées aux déplacements des porteurs de virus. Nous travaillons à l’élaboration d’une protection pour nos hommes concernés par notre plan. Les personnes touchées ont pour l’instant une espérance de vie très courte. Quelques jours. Une symptomatologie multiple, principalement respiratoire mais également hémorragique. Tous nos laboratoires travaillent là-dessus.
- Tenez-moi au courant, colonel.
- À votre service, Monsieur Zorn. »
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Je veux mourir jeune
- Par Thierry LEDRU
- Le 13/03/2020
Jon Hopkins. Rien ne ressemble à ses compositions.
Je peux le reconnaître entre mille. Et je le kiffe à mort.
Ce morceau-là, quand je trotte en montagne, je le passe en mode répétitif et j'ai l'impression qu'il nourrit mes muscles, je cours, je cours, les yeux fixés sur le terrain, et une partie qui regarde en moi, chaque fibre, chaque appui, chaque poussée, chaque souffle, c'est un bonheur sans fin, sans fatigue, sans lassitude...
Parfois, je lève les yeux quand le terrain le permet et je me réjouis d'être là, de sentir mon corps vivant, pleinement vivant, brûlant, toute cette énergie intérieure...Les montagnes sont mon terrain de vie, je me nourris de leur beauté.
Peu importe que le potentiel physique se réduise au fil des années, je n'en ai aucune aigreur. Ce qui importe, c'est que la partie disponible à ce jour soit encore exploitée, autant que possible, qu'elle ne soit pas abandonnée parce que je ne peux plus en faire autant que dans mes jeunes années.
Je suis jeune encore parce que je continue avec mon corps d'aujourd'hui, avec toutes ses faiblesses, ses épreuves endurées, ses plaies profondes.
C'est là que se trouve la jeunesse réelle. Celui qui arrête d'user de son corps décide ce jour-là d'être vieux.
Les premières notes...Je marche quelques secondes, je sais que mon corps est prêt, je l'ai échauffé avant de partir, je sais qu'il attend l'accélération, je sais que le bonheur que je ressens est le sien.
La rythmique s'enclenche, je lance les premières foulées, mes bâtons de marche à la main, à chaque pente je m'en sers et je pousse avec les épaules pour projeter le corps en avant, à chaque descente, ils me servent d'appui, cette alternance répétitive des gestes est un délice étrange, un état second dans lequel la concentration est sans faille, je vois les pierres, les trous, les ornières, les irrégularités avec une acuité totale, un monde intérieur connecté avec le relief, un lien surpuissant.
Je bénis la nature, je l'aime de tout mon être, je sais tout ce que je lui dois. Si je n'avais pas pu vivre Là-Haut, je serais déjà mort.
Mais je cours encore, j'ai 57 ans de jeunesse en moi et je ferai tout mon possible pour mourir jeune, heureux d'avoir épuisé jusqu'à la dernière goutte l'élixir de vie.
Avec ce morceau-là dans les oreilles :
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"Le miracle Spinoza" de Frédéric Lenoir.
- Par Thierry LEDRU
- Le 12/03/2020
Le philosophe dont j'admire le plus le travail, assurément. Celui qui est aussi le plus ardu. J'ai lu plusieurs passages de "L'Éthique" et le langage utilisé, la complexité des formulations et des pensées, l'incroyable portée des idées et de tout ce qu'elles génèrent rendent la lecture vraiment difficile dès lors qu'on cherche à en saisir la profondeur. Dix lignes peuvent engendrer des jours de réflexions. Des années avant de pouvoir les appliquer ...
Frédéric Lenoir a su dans ce livre "Le miracle Spinoza" mettre ce philosophe à ma portée. C'est la troisième fois que je lis cet ouvrage.
J'ai choisi un extrait. Je pourrais en choisir dix, vingt, trente de plus...
Le miracle Spinoza de Frédéric Lenoir
Page 109/110
« Pacte social, démocratie, laïcité, égalité de tous les citoyens devant la loi, liberté de croyance et d'expression : Spinoza est le père de notre modernité politique. Un siècle avant Voltaire et Kant, et même quelques décennies avant Locke, qui publie sa remarquable « Lettre sur la tolérance » en 1689, il est le premier théoricien de la séparation des pouvoirs politiques et religieux et le premier penseur moderne de nos démocraties libérales. Mais là où il me semble encore plus moderne que nous, c'est qu'il a parfaitement perçu, alors qu'elles n'existaient pas encore, les limites de nos démocraties : le manque de rationalité des individus, qui, étant encore esclaves de leurs passions, suivront la loi plus par peur de la punition que par adhésion profonde. Or, si « l'obéissance extérieure » est plus forte que "l'activité spirituelle interne", pour reprendre ses propres expressions, nos démocraties risquent de s'affaiblir. C'est pourquoi ils rappelle l'importance cruciale de l'éducation des citoyens.
Cette éducation ne doit pas se limiter à l'acquisition de connaissances générales, mais aussi enseigner le vivre-ensemble, la citoyenneté, la connaissance de soi et le développement de la raison. À la suite de Montaigne, qui prônait une éducation visant à faire des têtes « bien faites » plutôt que des têtes « bien pleines », Spinoza sait que plus les individus seront capables d'acquérir un jugement sûr qui les aidera à discerner ce qui est véritablement bon pour eux, ce qu'il appelle « l'utile propre », plus ils seront utiles aux autres en étant des citoyens responsables.
Toute la pensée de Spinoza repose en effet sur cette idée qu'un individu s'accordera d'autant mieux aux autres qu'il est bien accordé avec lui-même.
Autrement dit, nos démocraties seront d'autant plus solides, vigoureuses et ferventes que les individus qui les composent seront capables de dominer leurs passions tristes – la peur, la colère, le ressentiment, l'envie, etc..- et qu'ils mèneront leur existence selon la raison.
Même s'il ne le dit pas explicitement, on comprend aussi que des citoyens davantage mus par leurs émotions que par leur raison, pourront élire des dictateurs ou des démagogues.
Spinoza avait compris, trois siècles avant Gandhi, que la véritable révolution est intérieure et que c'est en se transformant soi-même qu'on changera le monde. "
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"L'instabilité financière" de Minsky
- Par Thierry LEDRU
- Le 12/03/2020
Si on veut changer le monde, il faut en comprendre les mécanismes et savoir ce sur quoi il faut agir.
Il est donc essentiel d'en connaître les rouages financiers étant donné qu'ils dictent leurs règles depuis bien longtemps.
"L'instabilité financière" de Minsky est un travail incontournable pour tenter de se faire une vision, partielle.
La lecture de ce résumé est une approche qui montre déjà à quel point nos sociétés modernes vivent constamment dans un risque systémique.
La crise actuelle en est un épisode de plus.
Personne n'en connaît l'issue et personne ne peut présager des changements nécessaires que cette crise devrait générer.
Aucune leçon fondamentale n'a été, par exemple, tirée de la crise des "subprimes"...
Et cette fois ?...
Minsky, théoricien de l’instabilité financière
mardi 28 juin 2016, par Dominique Plihon
Télécharger l’article au format PDFLa récurrence des crises financières dans le capitalisme contemporain a redonné vigueur aux analyses de John Maynard Keynes et de ses disciples, qu’il s’agisse de Charles Kindleberger et de son approche historique des crises [1], de John Kenneth Galbraith et de son interprétation de la crise de 1929 d’une grande actualité [2], ou de Hyman Minsky, dont l’hypothèse d’une instabilité financière intrinsèque du capitalisme apparaît aujourd’hui d’une grande pertinence. À ce sujet, la publication récente d’une version française du principal ouvrage de Minsky, Stabiliser une économie instable, apparaît particulièrement bienvenue [3].
Sommaire
- Un schéma d’analyse très keynésien
- L’hypothèse d’instabilité financière
- L’actualité de l’analyse de Minsky
- Le deuxième théorème de Minsky
Fils de deux militants socialistes, Minsky a rédigé sa thèse sous la direction de Joseph Schumpeter et de Wassily Leontief, dont les visions globales du capitalisme eurent une grande influence. Ses nombreux travaux (une centaine d’articles) et son livre majeur « Stabilizing an Unstable Economy », publié en 1986, eurent un certain retentissement aux États-Unis. Ses séminaires à l’Université de Berkeley, auxquels participaient des banquiers, lui permirent d’élaborer sa fameuse « hypothèse d’instabilité financière ».
Un schéma d’analyse très keynésien
Pour développer sa théorie de l’instabilité économique et financière, Minsky a fait un double emprunt au cadre théorique proposé par Keynes. Minsky s’est inspiré, d’une part de la théorie de l’investissement et du cycle économique, présentée dans le chapitre 12 de la Théorie générale de Keynes, et d’autre part de la théorie des actifs financiers et des immobilisations du chapitre 17. Dans la mesure où elles sont prises dans des conditions fondamentalement incertaines, les décisions d’investissement sont sources de cycles économiques et d’instabilité. Des vagues successives d’optimisme et de pessimisme affectent la quantité globale de l’investissement, qui va déterminer à son tour le niveau global de la production et de l’emploi, à travers l’effet multiplicateur.
La contribution de Minsky a été d’ajouter à la théorie de l’investissement et du cycle de Keynes sa propre théorie du financement de l’investissement. Selon Minsky, qui reprend à son compte la vision pessimiste de la finance de Keynes, l’instabilité des marchés financiers est endogène, en d’autres termes inhérente au comportement des acteurs financiers et des entreprises. Le principal mécanisme qui pousse l’économie capitaliste vers l’instabilité financière et vers les cycles économiques est l’accumulation de la dette par les entreprises. Minsky distingue trois types de comportements en ce qui concerne le financement des investissements : (1) le financement couvert (hedge financing) dans lequel le paiement des intérêts et du principal de la dette est couvert par le rendement attendu de l’investissement ; (2) le financement spéculatif (speculative financing), où le rendement anticipé de l’investissement ne couvre que le paiement des intérêts, la dette étant constamment reconduite ; enfin (3) le financement à la Ponzi (Ponzi financing), où les revenus de l’investissement ne permettent même pas de couvrir les charges d’intérêt, la survie du projet dépendant de la possibilité de s’endetter encore plus, ou de vendre des actifs.
Le terme « Ponzi » vient du nom de l’escroc (un précurseur de Madoff …) qui, dans les années 1920, a ruiné des épargnants bostoniens en leur proposant des rendements exceptionnels fondés sur un système de financement par cavalerie.
Le fonctionnement des marchés est tel que les perspectives de gains financiers attirent inévitablement des acteurs spéculateurs et Ponzi, ce qui accroît la probabilité de crise. C’est exactement ce que Keynes voulait dire au chapitre 12 de sa Théorie générale, en écrivant : « lorsque l’organisation des marchés se développe, l’activité de spéculer l’emporte sur l’activité d’entreprendre ».
L’hypothèse d’instabilité financière
Cette hypothèse, qui est au cœur de la théorie de Minsky, peut se formuler ainsi : le système financier est caractérisé par un mouvement alterné de phases de stabilité et d’instabilité du fait des interactions entre les différents types de comportements financiers. Ces basculements sont à l’origine des cycles économiques, c’est-à-dire des phases successives d’expansion et de récession. Dans la phase ascendante du cycle, le financement couvert l’emporte. Mais, l’activité se développant, la vigilance privée et publique se relâche, l’endettement s’accélère, finançant des projets de plus en plus spéculatifs. La montée de la spéculation et de l’endettement engendre des risques de hausses de prix importantes, ce qui amène les autorités monétaires à lutter contre l’inflation par une politique restrictive. C’est alors que les unités spéculatives sont fragilisées et deviennent de type Ponzi. Celles-ci sont amenées à emprunter pour rembourser leur dette passée et pour payer leur charge d’intérêt. Puis, elles commencent à vendre leurs actifs pour se financer, ce qui engendre une baisse des prix de ces actifs. Une défiance généralisée s’installe alors sur la valeur des actifs, ce qui entraîne un risque d’effondrement des marchés. La seule solution est alors une intervention en urgence de la banque centrale, agissant en tant que prêteur en dernier ressort, pour apporter au marché la liquidité dont il a besoin.
L’actualité de l’analyse de Minsky
L’histoire économique contemporaine semble corroborer l’hypothèse d’une instabilité fondamentale de la finance proposée par Minsky. On constate en effet que l’économie mondiale a été frappée, depuis le dernier quart du XXe siècle, par une succession quasiment ininterrompue de crises financières. Les pays capitalistes vont de bulle en bulle : ainsi, à la bulle boursière qui conduisit au krach spectaculaire de 1987, ont succédé la bulle internet qui implosa en 2000, puis la bulle immobilière du début des années 2000, suivie de la bulle sur les matières premières à partir de 2007. Ces bulles s’enchaînent les unes aux autres à mesure que la spéculation se développe et dégénère en finance Ponzi. Enron, WorlCom, Vivendi-Universal… sont les acteurs Ponzi de la bulle internet, tandis que Bear Stearns, AEG et Lehman Brothers, qui ont également fait faillite, sont les acteurs Ponzi associés à la bulle immobilière du début des années 2000.
Une des intuitions majeures de Minsky, qui s’est encore vérifiée récemment, est que l’accumulation de la dette joue un rôle central dans le processus d’instabilité et de crises financières. C’est parce que les ménages américains ont contracté une dette excessive et sont devenus insolvables que la crise financière des subprimes a éclaté en 2007. L’originalité de cette crise, par rapport au processus d’instabilité financière décrit par Minsky, est que ce sont les ménages (et non les entreprises) qui ont été à l’origine de la crise de la dette à partir de 2007. Les ménages américains ont été victimes d’agents Ponzi (les banques et les courtiers) qui les ont incités à s’endetter au-delà de leurs capacités. (Mais ce sont les banques que le GVT a sauvé...)
Plusieurs facteurs ont favorisé ces comportements d’endettement excessif et ce processus de crise. D’abord, la libéralisation financière a amené les autorités américaines à supprimer les règles qui protégeaient les ménages contre le surendettement. Ensuite, les stratégies de maximisation des profits des intermédiaires financiers ont amené ceux-ci à proposer de nouveaux produits financiers qui se sont révélés très pervers. C’est le cas des prêts rechargeables à taux variables, qui mettent en difficulté les emprunteurs dès qu’il y a une hausse non anticipée des taux d’intérêt.
Enfin, la Fed – la banque centrale américaine - s’est comportée exactement comme le prévoit Minsky dans son schéma d’analyse. Celle-ci a augmenté brutalement ses taux directeurs à partir de 2004, pour essayer de freiner la montée de la dette et la hausse des prix immobiliers. Résultat : les ménages américains ont été pris à la gorge par la hausse de leurs charges financières indexées sur les taux d’intérêt. Les plus modestes sont devenus insolvables. Leurs maisons ont été mises en vente pour permettre aux banquiers d’être remboursés, ce qui a provoqué l’implosion de la bulle immobilière.
L’un des domaines dans lesquels Minsky a également fait avancer l’analyse économique concerne le rôle central des innovations financières dans les processus de crise. Ses conclusions, à ce sujet, étaient que l’un des objectifs des innovations mises en place par les institutions financières est d’échapper au contrôle des autorités monétaires. Cette analyse apparaît particulièrement adaptée à la crise des subprimes, dont l’un des rouages principaux a été la titrisation des créances, innovation financière majeure. L’un des objectifs de la titrisation est de permettre aux banques de vendre leurs créances sur les marchés, et donc de réduire les fonds propres requis par la réglementation prudentielle. L’émergence et l’expansion récente du shadow banking system (banque de l’ombre) en marge du système bancaire régulé, innovation institutionnelle liée à la titrisation, s’inscrit également dans cette logique décrite par Minsky, selon laquelle les innovations financières permettent de desserrer l’étau des contraintes réglementaires. La récurrence de crises financières de plus en plus graves peut être analysée comme la conséquence de l’affaiblissement des régulations publiques, dont les innovations financières sont l’une des causes. Dans un livre prémonitoire publié en 1982, « Can it happen again ? » (Cela peut-il arriver à nouveau ?), Minsky s’interrogeait sur la possibilité d’une nouvelle crise comparable à celle des années 1930, du fait notamment des innovations financières et de l’affaiblissement des régulations publiques [4].
Le deuxième théorème de Minsky
En fidèle disciple de Schumpeter qui s’intéressait aux cycles longs du capitalisme, Minsky a développé une approche à long terme du processus d’instabilité financière, parfois qualifiée de deuxième théorème d’instabilité financière. Ce second théorème est souvent ignoré des économistes. Or, il jette un éclairage intéressant sur la crise qui a débuté en 2007.
L’idée de départ est simple : lorsque les économies capitalistes connaissent des phases d’expansion longues, les déséquilibres et l’endettement deviennent très importants, et la phase d’ajustement est alors très violente. Exprimé autrement : les cycles économiques courts (de quelques années seulement) sont utiles pour assainir les économies, dans la mesure où chaque phase de ralentissement permet d’éliminer les unités les plus fragiles (en particulier les acteurs Ponzi). Moins les ajustements sont nombreux, plus ils sont profonds.
Or que constate-t-on ? Pendant deux décennies, à partir des années 1980 jusqu’à la crise de 2007, les principales économies (en particulier les États-Unis comme le montre le graphique) ont connu une phase de croissance particulièrement longue, avec seulement deux épisodes de ralentissement, au début des années 1990 et des années 2000. Ce qui contraste fortement avec les décennies antérieures qui avaient été caractérisées par des cycles beaucoup plus courts et fréquents.
Cet épisode de stabilité durable a été qualifié de « Grande modération », en raison de la croissance économique régulière et de l’inflation faible qui caractérisaient alors les économies avancées. Les économistes orthodoxes ont expliqué cette atténuation des cycles conjoncturels par des politiques économiques (monétaires et budgétaires) devenues durablement accommodantes. Ainsi, on a assisté à une baisse spectaculaire des taux d’intérêt (nominaux), favorisée par les banques centrales depuis la fin des années 1980 à mesure que l’inflation ralentissait dans la plupart des pays. Mais symétriquement, stimulé par la baisse des taux d’intérêt, le niveau d’endettement des ménages a fortement augmenté, passant d’environ 35 % à 85 % du revenu disponible dans les pays de l’Union européenne de 1980 à 2005, comme le montre le graphique suivant.
Exprimée en pourcentage du revenu disponible, la dette des ménages a doublé en France et aux États-Unis de 1975 à 2006, à la veille de la crise ; avec un taux d’endettement pratiquement deux fois plus élevé aux États-Unis qu’en France, comme l’indique le tableau ci-dessous.
Dette des ménages en % du revenu disponible (Source : OCDE) 1975 2006 États-Unis 62 127 France 33 68 Ce deuxième théorème de Minsky a donné lieu à une interprétation originale de la crise qui a débuté en 2007. La gravité de celle-ci serait la conséquence de la phase exceptionnellement longue d’expansion des années 1990-2000 qui a vu s’accumuler des déséquilibres qui n’ont pas été corrigés, et en particulier l’accumulation d’une dette excessive des ménages. Lorsque les économies connaissent des phases d’expansion longues, se mettent en place des comportements optimistes, socialement construits donc largement répandus, qui tendent à sous-estimer les risques et conduisent inévitablement à des structures financières très fragiles. Ainsi s’explique la brutalité du retournement de l’économie au moindre choc, par exemple suite une hausse des taux d’intérêt décidée par les autorités monétaires.
Cette analyse a donné naissance aux expressions de « paradoxe de tranquillité » et de « moment de Minsky ». Le paradoxe vient de ce que, c’est pendant les périodes de stabilité économique et monétaire, telles que l’épisode de la Grande modération, que se préparent les crises financières. Car, pendant ces épisodes de stabilité apparente, les agents économiques devenus trop confiants sont incités à prendre des risques excessifs, ce qui crée les conditions d’une crise financière.
Rejetée par la plupart des économistes lorsqu’elle a été proposée par Minsky dans les années 1980, cette analyse est aujourd’hui largement admise. Les économistes post-keynésiens ont ainsi montré récemment l’existence d’un « paradoxe de crédibilité », directement inspiré de « paradoxe de tranquillité » : c’est parce que la politique monétaire inspirait confiance et crédibilité pendant la période de la Grande modération que les agents économiques et financiers ont été amenés à sous-estimer les risques. En d’autres termes, la stabilité monétaire du début des années 2000 serait à l’origine de la crise financière de 2007 ! Cette analyse a eu d’importantes conséquences opérationnelles, car elle a contribué à remettre en cause le dogme monétariste de la séparation des politiques de stabilité monétaire et de stabilité financière. Les banques centrales ne peuvent plus se désintéresser des conséquences de la politique monétaire sur la stabilité financière [5].
Il faut enfin signaler une autre conclusion importante, et d’une grande actualité, de l’analyse de Minsky, qui conduit également à une remise en cause de la politique monétaire orthodoxe : pour assurer la stabilité financière, les autorités ne peuvent plus se contenter de réguler le crédit par le seul instrument des taux d’intérêt. Celles-ci doivent mettre en œuvre une réglementation financière stricte. Et les États doivent aussi négocier leur aide aux banques contre un rôle actif – voire un contrôle public – du secteur financier. C’est bien en ces termes que se pose aujourd’hui la question de l’avenir du système financier.
Pour conclure, s’il est indubitable que les travaux de Minsky ont apporté un renouvellement de l’analyse de l’instabilité financière, particulièrement bienvenu dans la période actuelle, il apparaît toutefois que le cadre théorique post-keynésien de Minsky souffre d’une limite importante, qui est de cantonner l’analyse de l’instabilité principalement dans la sphère financière. Or, il est clair que les racines des crises financières se trouvent dans le fonctionnement et les structures du capitalisme. Ainsi, la montée de la dette des ménages et de l’État, au cœur de la crise financière actuelle, est-elle directement liée au partage salaires-profits et aux inégalités inhérents au capitalisme financier. Dans ces conditions, le renforcement de la régulation financière prônée par Minsky constitue une condition nécessaire, mais non suffisante, d’une lutte efficace contre l’instabilité financière."
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A propos du pétrole
- Par Thierry LEDRU
- Le 12/03/2020
Je ne me suis pas trompé hier quand j'évoquais le risque de crise bancaire avec la baisse du cours du brent...Un article du jour...Si les sociétés de pétrole de schiste font faillite, les banques qui les ont couvertes tomberont elles aussi. Et là, personne ne peut prédire de la suite...
"Pour les Etats-Unis, ce contexte est une aubaine : sa méthode d'exploitation, qui repose sur le pétrole de schiste, n'est rentable qu'à condition que le prix du pétrole conventionnel reste cher. Bien que décriée pour son impact environnemental, le perfectionnement de la fracturation hydraulique permet à la méthode américaine de développer une industrie pétrolière de plus en plus rentable.
Cependant, elle reste incapable de rivaliser avec les faibles coûts de production du pétrole conventionnel. Si les prix tombent sous la barre des 25 dollars le baril, "plusieurs sociétés américaines pourraient faire faillite", abonde Francis Perrin. Ainsi, Donald Trump envisage de débloquer des fonds pour venir en aide aux acteurs du gaz de schiste, révélait mardi le Washington Post, citant des proches du président.""
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Crise économique du coronavirus
- Par Thierry LEDRU
- Le 11/03/2020
J'avais écrit ici il y a quelques temps que ce virus allait avoir une portée bien plus économique que sanitaire et que toutes les mesures en cours avaient pour objectif de limiter cet impact financier. Il suffit de lire aujourd'hui les sites financiers pour réaliser à quel point, l'impact est et sera gigantesque.
Je pourrais m'en réjouir étant donné que depuis bien longtemps, je considère que seule la décroissance économique et démographique pourrait améliorer l'état de la planète.
Mais il faut bien voir que tout cela ne peut pas se faire sans dégâts au niveau de la population. Juste un exemple : la baisse du PIB a un impact sur les budgets hospitaliers. Ce qui se passe en Italie en est l'exemple flagrant : c'est bien plus dramatique encore qu'en France...Je ne détaillerai pas tous les effets d'une baisse de la croissance dans les pays occidentaux mais il faut bien comprendre que nos vies actuelles seraient considérablement bouleversées. Une crise sanitaire donne une crise économique et celle-ci génère une crise sociale. Dans l'Histoire, c'est déjà arrivé...Sauf qu'aujourd'hui, la "mondialisation" amplifie considérablement les effets.Un autre paramètre est venu s'ajouter au coronavirus : la guerre du pétrole entre l'Opep, la Russie et les USA. la baisse de 30% du prix du brent a un effet dévastateur sur les exploitants de pétrole de schiste. Tous ces exploitants sont endettés de plusieurs milliards et ne survivent que grâce aux prêts des banques. Cette baisse du prix du brent rend le pétrole de schiste quasiment "inutile" et les ventes chuteront inévitablement. Le défaut de paiement de ces entreprises auprès des banques placerait ces banques dans une situation très, très critique. Pour ceux qui s'en souviennent, la faillite de la banque Lehman Brothers a été un choc considérable dont les effets ont été très longs.
Si le ralentissement de l'économie mondiale en raison du coronavirus vient s'ajouter à une crise du pétrole, à une crise bancaire, à une crise financière majeure, là, vraiment on pourra envisager un bouleversement énorme...Dès lors, j'ai beaucoup, beaucoup de mal à comprendre l'attitude des gouvernements face à ce virus. La gestion politique de cette crise sanitaire pourrait bien avoir un effet bien plus dramatique que le virus lui-même.
Coronavirus: des dizaines de milliards injectés contre la "pandémie"
AFP•11/03/2020 à 18:12
Un employé d'un bateau de croisière sur le Nil, à Louxor, en bordure de la rive, le 9 mars 2020 ( AFP / - )
Le Covid-19, désormais qualifié de "pandémie" par l'Organisation mondiale de la santé, fait aussi trembler les grands acteurs économiques de la planète, qui injectent des dizaines de milliards de dollars pour éviter un désastre.
La vie quotidienne des populations est chaque jour plus perturbée, de la limitation des déplacements aux fermetures en cascade de lieux publics.
Situation unique, les 60 millions d'Italiens étaient appelés à rester chez eux mercredi pour la deuxième journée consécutive. L'Italie, qui compte désormais plus de 10.100 cas, dont 631 morts, est en outre de plus en plus isolée avec la multiplication par certains de ses voisins des mesures de précaution, Autriche et Slovénie en tête, tandis que de grandes compagnies aériennes l'évitent et que les touristes la fuient massivement.
Fini les foules sur la place Saint-Pierre à Rome, le long des canaux à Venise ou sur le site archéologique de Pompéi près de Naples. Bars et restaurants sont ouverts de 06h00 à 18h00, mais il faut y respecter une distance d'au moins un mètre entre clients. Et l'audience hebdomadaire du pape devait s'effectuer mercredi par vidéo.
Pour Stefano Ruggiero, qui gère une parfumerie près du Ponte Vecchio à Florence, "jamais la rue n'a été aussi calme" depuis l'ouverture de son établissement en 1911. "Même après la terrible inondation de 1966, quand la boue (déposée par les eaux débordant du fleuve, l'Arno) avait tout dévasté, il y avait plus de gens".
Aggravation aussi en Espagne, où les cas ont presque quadruplé depuis dimanche pour dépasser les 2.000.
Conséquence, les écoles de la région de Madrid ont été fermées. Une décision similaire a été prise mercredi à l'échelle de toute la Pologne, de l'Ukraine et du Qatar qui ont ainsi emboîté le pas à une quinzaine d'autres pays.
Au Koweït, les autorités ont non seulement interdit de se rendre dans "les restaurants, les cafés et les centres commerciaux", mais ont suspendu tous les vols commerciaux à destination et en provenance de l'aéroport international de la capitale.
- Une propagation "alarmante" -
Corollaire de ces "niveaux alarmants de propagation" du coronavirus, l'OMS, par la voix de son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a estimé mercredi à Genève que le Covid-19 pouvait être considéré comme "une pandémie".
Confrontés aux craintes d'une crise économique majeure, les grands argentiers de la planète ont annoncé des aides souvent massives, l'Allemagne se disant par exemple pour la première fois prête à renoncer à la sacro-sainte règle du zéro déficit budgétaire, souvent critiquée à l'étranger.
Un policier portant un masque de protection surveille la place Saint-Pierre fermée aux touristes en raison de l'épidémie de nouveau coronavirus, le 11 mars 2020 au Vatican ( AFP / ANDREAS SOLARO )
Fonds d'investissement de 25 milliards d'euros évoqué par la Commission européenne, enveloppe du même montant annoncée mercredi en Italie, plan de 30 milliards de livres rendu public au Royaume-Uni -où la banque centrale a par ailleurs fortement abaissé ses taux-, prochaine présentation aux Etats-Unis d'un programme de soutien -sur lequel le gouvernement travaille "à temps plein"-, milliard de dollars canadiens promis par Ottawa, la liste est impressionnante.
Ce qui n'a pas empêché les Bourses européennes comme Wall Street de perdre du terrain mercredi.
Il faut dire que 75% des firmes américaines constatent des difficultés dans les chaînes d'approvisionnement, tandis que l'Opep a fortement revu à la baisse ses prévisions de croissance de la demande mondiale de pétrole en 2020.
Un membre du personnel médical désinfecte le sol d'un hôpital temporaire destiné à soigner les personnes contaminées par le covid-19 après le départ de tous les patients, le 11 mars 2020 à Wuhan, en Chine ( AFP / STR )
Et ce au moment même où, en Chine, des entreprises de Wuhan, la ville de 11 millions d'habitants confinés depuis le 23 janvier où est apparu en décembre le nouveau coronavirus, ont été autorisées mercredi à reprendre leurs activités.
L'heure y est à l'assouplissement avec la chute spectaculaire du nombre des nouveaux cas quotidiens de contamination -24 et 22 décès supplémentaires.
- Principe de précaution -
Bilan et expansion de l'épidémie de Covid-19 dans le monde, au 11 mars à 9h GMT ( AFP / )
Dans le reste du monde, la plus extrême prudence reste cependant de mise.
La Colombie et l'Argentine vont ainsi placer en quarantaine les personnes arrivant des pays les plus touchés, dont la Chine et l'Italie, cependant que Malte a suspendu ses liaisons aériennes avec la Suisse, l'Allemagne, la France et l'Espagne
L'exercice Cold Response 2020, qui devait impliquer plus de 15.000 soldats de l'Otan dans le nord de la Norvège a été annulé, à l'instar, au Japon, des principales cérémonies publiques pour commémorer le tsunami du 11 mars 2011.
Et la réunion ministérielle du G7 de Pittsburgh, aux Etats-Unis, se fera par téléconférence.
Bilan de l'épidémie du nouveau coronavirus au 11 mars à 9h00 GMT ( AFP / )
Sans parler des reports en cascade des grands rendez-vous sportifs et des matches de football joués à huis clos.
Le Covid-19 a tué dans le monde 4.281 personnes pour 118.554 cas de contamination, selon des chiffres officiels compilés par l'AFP mercredi à 09H00 GMT. La Chine (hors Hong Kong et Macao) a à elle seule recensé 80.778 personnes atteintes dont 3.158 sont mortes. L'Iran compte désormais 8.042 cas et 291 décès, la Corée du Sud 7.755 cas et 54 morts, le Qatar 238 nouveaux cas.
La Belgique, l'Indonésie, la Suède, l'Albanie, l'Irlande et la Bulgarie ont annoncé de premiers morts.
Des personnes portant des masques de protection dans une rue de Jakarta, le 11 mars 2020 en Indonésie ( AFP / BAY ISMOYO )
Aux Etats-Unis, qui comptent 1.001 cas et 28 décès, selon l'université Johns Hopkins, la Garde nationale va être déployée à New Rochelle, en banlieue nord de New York, dans une "zone de confinement", le principal foyer du coronavirus de la région.
La France (1.784 cas, 33 décès) accélère de son côté les préparatifs dans la perspective d'un pic de l'épidémie, sur laquelle le président Emmanuel Macron s'exprimera jeudi.
Une ITW intéressante d'Erik Orsena
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Coronavirus : Professeur Gilbert Deray
- Par Thierry LEDRU
- Le 11/03/2020
Ce texte est bien de lui. Vérification faite.
"Coronavirus, attention danger, mais pas celui que vous croyez.
Depuis 30 ans, de mon observatoire hospitalier, j’ai vécu de nombreuses crises sanitaires, HIV, SRAS, MERS, résurgence de la tuberculose, bactéries multi-résistantes, nous les avons gérées dans le calme et très efficacement.
Aucune n’a donné lieu à la panique actuelle.
Je n’ai jamais vécu un tel degré d’inquiétude pour une maladie infectieuse et d’ailleurs pour aucune autre.
Et pourtant, Je ne suis pas inquiet quant aux conséquences médicales du Coronavirus. Rien dans les chiffres actuels sur la mortalité et la diffusion du virus ne justifie la panique mondiale sanitaire et surtout économique.
Les mesures prises sont adaptées et efficaces et elles permettront le contrôle de l’épidémie. C’est déjà le cas en Chine, foyer initial et de loin le plus important de cet agent infectieux, ou l’épidémie est en train de s’éteindre.
L’avenir proche dira si je me suis trompé.
Par contre,
• Je suis inquiet des vols de masques et que ceux nécessaires à la protection des personnels soignants et des personnes à risque, nos anciens et celles déjà malades, en particulier les patients immunodéprimés, soient distribués pour une efficacité nulle dans les aéroports, les cafés et les centres commerciaux.
• Je suis inquiet des vols de gels nettoyants.
• Je suis inquiet de ces rixes pour acheter du papier toilette et des boîtes de riz et de pates.
• Je suis inquiet de cette terreur qui conduit à faire des stocks obscènes de nourriture dans des pays où elle est disponible dans une abondance tout aussi obscène.
• Je suis inquiet pour nos anciens déjà seuls et qu’il ne faut plus ni voir ni toucher de peur de les tuer. Ils mourront plus vite mais « seulement « de solitude. Nous avions l’habitude de ne pas rendre visite à nos parents et grands-parents si nous avions la grippe, pas de les éviter « au cas où » et pour une durée indéterminée, ce n’est en rien différent pour le coronavirus
• Je suis inquiet que la santé ne devienne un objet de communication belliqueuse et de conflit comme un autre, alors qu’elle devrait être une cause ultime de lutte dans le rassemblement.
• Je suis inquiet que notre système de santé, déjà en grandes difficultés, soit prochainement débordé par un afflux de malades au moindre signe de syndrome grippal. Ce sont alors toutes les autres maladies que nous ne pourrons prendre en charge. Un infarctus du myocarde ou une appendicite ce sont toujours des urgences, un virus rarement.
La couverture médiatique sur le coronavirus est très anxiogène et elle participe à l’affolement de chacun.
Cela conduit aux théories du complot les plus folles du genre, « ils nous cachent quelque chose ». Rien n’est obscur, c’est impossible en médecine dans ce monde du numérique ou la connaissance scientifique est immédiate et sans filtre.
Le coronavirus ne tue (presque) que les organismes déjà fragiles.
Je suis inquiet que ce minuscule être vivant ne fasse que dévoiler les immenses fractures et fragilités de nos sociétés. Les morts qui se compteront alors par millions seront ceux de l’affrontement des individus dans l’indifférence totale de l’intérêt collectif."Gilbert DERAY, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris
C'est ce même professeur qui alertait en 2018 sur "l'épidémie de NASH", (maladie du foie gras); maladie alimentaire de la malbouffe et le nombre de morts annuel est bien plus effrayant que pour le virus en cours. Sauf que là, il n'est pas question que le gouvernement fasse le même tapage parce que ça toucherait à la croissance des multinationales de l'empoisonnement.
Après, on peut toujours se dire que les gens sont libres de se tuer comme ils veulent...Hier, en revenant d'une longue marche, 3h, environ 20 km, un bon dénivellée, on a croisé un groupe de jeunes adultes, tous en sur-poids, avec à la main des sacs de chez Mc DO...Pas un seul d'entre eux n'arriveraient à nous suivre en montagne...Mais ils sont heureux comme ça...
"
Peut-on échapper à son destin génétique ? N'a-t-on pas coutume, par exemple, de dire que les cancers sont héréditaires ? Doit-on accepter, non sans un certain fatalisme, que certaines personnes seront, tôt ou tard, confrontées aux maladies en raison de leur héritage génétique ? Selon le professeur Gilbert Deray, il faut garder à l'esprit que n'importe qui peut se prémunir du patrimoine légué par ses gênes, quand bien même celui-ci présenterait des risques sur le plan médical.
"Nos gènes sont comme des logiciels, on décide d'activer ou désactiver les mauvais"
Invité ce mercredi du Grand Matin Sud Radio, ce néphrologue de l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière a ainsi tordu le cou aux clichés en expliquant comment, scientifiquement, tout un chacun pouvait s'affranchir de ses tares génétiques en adoptant les bons comportements. "Que l'on soit en bonne santé ou malade, on peut changer son destin médical. On a été élevés pendant 50 ans avec l'idée que l'on héritait d'un code génétique immuable et que la rencontre majestueuse du spermatozoïde de notre papa avec l'ovule de notre maman allait faire notre destin complet. Il est vrai que notre taille, notre poids, la couleur de nos yeux et de nos cheveux sont déterminés mais le reste de ce qui est inscrit sur le code génétique - cancers ou infarctus par exemple - peut être évité. Ce qui compte en réalité, ce n'est pas ce qui est inscrit mais ce que nous allons activer ou désactiver", a-t-il d'abord expliqué.
"Nos gènes, notre code génétique, ce sont comme des logiciels sur un ordinateur. Nous décidons et nous avons le contrôle : nous décidons d'activer ou de désactiver le mauvais gène, ou le bon, par notre comportement", a-t-il encore insisté.
"La Nash (maladie du foie gras) touche et va tuer des millions de personnes"
Et l'intéressé de cibler les comportements à risque en matière de consommation, à commencer par la cigarette. "Le tabac est officiellement le seul produit toxique autorisé, qui rapporte des milliards et des milliards à plusieurs États dans le monde. On sait qu'il a tué 100 millions de personnes au 20e siècle et qu'il en tuera 1 milliard au 21e. C'est le fléau le plus dramatique de l'humanité (...) Le combat contre ce fléau ne passe pas par l'interdiction, il passe par l'éducation, l'information et aussi par le message suivant : 'contrairement à ce que nos jeunes croient, fumer n'est pas une liberté'. Au contraire, fumer revient à s'enfermer dans une dépendance totale pour des sociétés qui vont gagner des milliards et qui n'en ont absolument rien à faire de notre santé", a-t-il déploré.
"Nous sommes tous des grands singes chasseurs-cueilleurs, notre code génétique n'a pas évolué depuis 10 000 ans. Il ne peut pas comprendre la révolution agricole d'il y a 10 000 ans, ni la révolution industrielle d'il y a 200 ans. Donc ce que nous mangeons lui est complètement étranger et en particulier, tous ces produits industriels ultra-transformés. Nous mangeons extrêmement mal", a-t-il par ailleurs ajouté, citant l'exemple de la maladie, encore méconnue, de la Nash (pour "Non Alcoolic Steato Hepatitis" que l'on traduit par la "maladie du foie gras" ou "du soda" en français). "Le foie est l'un des réceptacles principaux de l'alimentation et la Nash est une épidémie qui touche et va tuer des millions de personnes. Or, elle n'est liée qu'à un mauvais comportement. Il aurait suffi par exemple que toutes les personnes qui ont développé une Nash soient mises auparavant au régime méditerranéen et nous aurions évité 9 cas sur 10, en mangeant simplement sainement", a-t-il ainsi précisé, évoquant le modèle du régime crétois qui préconise, entre autres recommandations, "5 fruits et légumes par jour".