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  • Marcher là-haut

    J'ai déjà raconté ici combien ma dernière année scolaire a été éprouvante. Comme si j'étais arrivé au bout de mon "capital enseignant" comme on peut l'être avec son capital soleil. J'ai tout fait pour tenir jusqu'au bout et donner à mes derniers élèves toute l'énergie qui me restait.


    J'ai passé le mois de juillet à me reconstruire. Dormir, me reposer, ne rien faire, me soigner...Jeûner aussi.

    Six jours de jeûne

    Puis j'ai recommencé à marcher, doucement, malgré les difficultés physiques et les douleurs. Des sorties en partant de la maison, des itinéraires que je connaissais et où je pouvais doser les efforts sans risquer de tomber sur un passage trop éprouvant au regard de mes capacités.

    J'ai déjà connu ces périodes de "reconstruction". Deux opérations à la colonne vertébrale. On ne s'en remet pas en une semaine. Encore moins lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur des espoirs et que les dégâts collatéraux sont bien plus lourds qu'escomptés.

    Je sais qu'il faut être patient et bienveillant avec soi. Le corps n'y est pour rien. Il serait absurde de le maudire. C'est d'amour dont il a besoin. 

    Depuis deux semaines, j'ai commencé des sorties plus conséquentes.

    Avec un immense bonheur. On a pris le camion et on est parti en Maurienne puis en Chartreuse. Dormir en altitude, dans le silence des montagnes, se lever au petit jour, préparer le sac et monter... Monter là-haut. Marcher pendant des heures, éprouver le bonheur de son corps en action, le silence des pensées, la contemplation des montagnes, les regards qui s'étendent sur les immensités.

    Ressentir enfin ce bonheur de la force en soi, de l'énergie retrouvée. Aussi fragile soit-elle encore, elle est là. Et je la bénis.

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    J'ai même recommencé à trottiner dans les descentes et ça, c'était vraiment des retrouvailles avec un plaisir immense...

     

  • Nourrir la population mondiale

    Le rapport spécial du groupe d'experts de l'ONU sur le climat (Giec), réunis jusqu'à mardi à Genève, sera l'analyse scientifique la plus complète à ce jour sur la capacité de l'homme à subvenir à ses besoins à l'avenir.

    Un champ de maïs brûlé par la chaleur, à Longue-Jumelles (Maine-et-Loire), le 23 juillet 2019. 
    Un champ de maïs brûlé par la chaleur, à Longue-Jumelles (Maine-et-Loire), le 23 juillet 2019.  (GUILLAUME SOUVANT / AFP)

    Comment nourrir une population toujours plus importante sans détruire la nature ? Cette question cruciale pour la survie de l'humanité est au cœur de discussions du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) qui démarrent, vendredi 2 août, à Genève. A l'issue de ces rencontres, mardi 6 août, un rapport consacré au "changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres" doit être rendu public.  

    Ce texte de plus de 1 000 pages, qui doit être approuvé par les délégations d'environ 195 Etats, devrait mettre en avant la façon dont l'alimentation industrielle, du producteur au consommateur, l'exploitation généralisée des ressources, voire certains efforts pour contrer les effets du réchauffement climatique, compromettent notre capacité à nous nourrir à l'avenir. Il devrait aussi dresser le tableau d'une société où deux milliards d'adultes sont en surpoids ou obèses et où des quantités importantes de nourriture sont jetées. 

    L'importance d'un usage optimal des terres

    Ces discussions seront l'occasion de mettre en lumière l'importance d'un usage optimal des terres. Un aspect longtemps négligé, selon les experts."Quand on regarde à la fois les conséquences du changement climatique et les contributions à ce changement, le secteur des terres est incroyablement important", souligne Lynn Scarlett, de l'ONG The Nature Conservancy. 

    L'agriculture et la déforestation représentent ainsi environ un quart des émissions des gaz à effet de serre. L'agriculture utilise également un tiers de toutes les terres émergées et les trois quarts de l'eau douce sur la planète. 

  • Consommation locale et sécurité nationale

    Stéphane Linou : « Consommer local, c’est agir en faveur de la sécurité nationale »

    Le locavore de Castelnaudary, Stéphane Linou, a publié un livre associant résilience alimentaire et sécurité nationale. Les thèses qu'il y développe suscitent l'intérêt du Sénat.

     

    Stéphane Linou avec son livre , publié en juin dernier.
    Stéphane Linou présente son livre liant les thèmes de la résilience alimentaire et de la sécurité nationale, publié en juin dernier. (Crédit photo : Paul Halbedel – VDML)

    Conseiller municipal à Castelnaudary et ancien conseiller général de l’Audede 2011 à 2015,  Stéphane Linou est considéré par beaucoup comme le premier locavore de France. En 2008, le Chaurien s’était uniquement nourri d’aliments produits à moins de 150 kilomètres de chez lui pendant toute une année.

    Référence en termes de consommation locale, il prône l’importance de disposer des ressources alimentaires sur les territoires pour une question de sécurité publique notamment. Un combat qu’il mène depuis des décennies et qui semble en train de porter ses fruits. Stéphane Linou ironise :

    Je tiens les mêmes propos depuis 20 ans. À l’époque, on me prenait pour un fou et aujourd’hui certaines de ces mêmes personnes me flattent. Ce sont des hypocrites.

    « Nos territoires sont perfusés par la grande distribution »

    Stéphane Linou a décidé il y a plusieurs mois de monter jusqu’à la capitale pour reprendre ses études, en parallèle de son travail.

    À l’issue de son Mastère spécialisé en gestion de prise de risque sur les territoires, le conseiller municipal a élaboré un mémoire alliant résilience alimentaire – c’est-à-dire la capacité à faire face à une pénurie alimentaire – et la sécurité nationale. Dans celui-ci, il tire la sonnette d’alarme :

    Ni les habitants, ni l’État, ni les magasins ne stockent. Et il n’y a plus beaucoup de paysans. On n’est pas autonome. Même nos territoires ruraux sont perfusés par la grande distribution. Par exemple, la métropole toulousaine a une autonomie de 2 %. Ce n’est rien du tout.

    Agir sur sa sécurité en consommant local

    Stéphane Linou pose ainsi le problème de la sécurité nationale en cas de problème de réapprovisionnement de nourriture sur le territoire :

    Si un trouble à l’ordre public survenait, la chaîne alimentaire pourrait être rompue. Il y a un réel trou dans la raquette. Il n’y a pas d’aménagement à l’aide alimentaire.

    Lire aussi : Stéphane Linou milite pour « une exception alimentaire à la française »

    Et selon le locavore de Castelnaudary, la situation est d’autant plus préoccupante qu’il n’y a pas de plan de secours :

    Il faut donc passer à l’étape de la production qui relève des responsabilités politique et citoyenne. Mettre des produits locaux, stopper le bétonnage, installer plus de paysans… Ce sont des actes de sécurité. Lorsqu’on consomme local, on agit sur la sécurité. Conduire les paysans au plus près de soi, c’est agir sur sa sécurité. Les paysans et les consommateurs ont une grande responsabilité.

    « Nous sommes fragiles »

    Pionnier du mouvement locavore, Stéphane Linou loue le rôle majeur des circuits courts, donc une limitation des intermédiaires entre le producteur et le consommateur :

    Il faut que la production alimentaire soit territorialisée. L’analyse de la résilience alimentaire n’est jamais dans les plats. Je suis le premier à lier ce sujet avec la sécurité nationale.

    Lire aussi : Castelnaudary. Pour Stéphane Linou, manger local est « une question de sécurité nationale »

    Il se positionne en faveur d’une préoccupation qui existait il y a quelques siècles de cela :

    L’alimentation faisait déjà partie intégrante de la sécurité à l’époque. Il y avait même une police des grains et de la viande. Il y avait une sécurité collective additionnée à la sécurité individuelle. Aujourd’hui, on vit dans l’illusion de la sécurité alimentaire. Avec l’exploitation des énergies fossiles, devenues des énergies faciles, on en a complètement artificialisé nos meilleures terres : on fait désormais venir de loin nos aliments grâce au charbon et au pétrole. Avant nous allions vers la nourriture avec la chasse puis l’agriculture. Aujourd’hui elle vient à nous. Nous sommes fragiles.

    . Le Chaurien s’interroge : « Que se passera-t-il quand l’effondrement de la biodiversité se fera sentir ? »

    Une mobilisation importante

    « Jamais ces deux sujets n’ont été liés ensemble, affirme Stéphane Linou. C’est l’une des raisons pour lesquelles il mobilise autant de personnes ».

    Effectivement, dans le cadre de son mémoire, le Chaurien avait adressé un questionnaire à plus d’une centaine de personnes : « J’ai envoyé mes questions à des spécialistes, des professeurs ou des membres de l’école… J’ai obtenu un taux de réponse de 50 %, ce qui est très rare », assure-t-il. Stéphane Linou continue :

    Beaucoup de personnes se sont montrées très intéressées comme la Préfecture de Paris, la gendarmerie nationale, diverses institutions telles que la zone de défense de Paris…

    Ce questionnaire, portant sur l’état actuel de la production alimentaire territorialisée et sur son effondrement, était encadré par l’ancien colonel de l’armée de Terre, François Laplace et le géographe, Franck Brachet.

    Il a été encouragé à publier son mémoire

    Le 26 janvier dernier, Stéphane Linou a présenté ses recherches devant le jury de l’École internationale des sciences du traitement de l’information (EISTI) à Cergy-Pontoise. La présentation a été encadrée par l’ancien colonel François Laplace et des membres du jury militaire, qui l’ont fortement incité à publier son mémoire.

    Lire aussi : Tribune de Stéphane Linou et Andréa Caro Gomez : « Mais que peut-on faire de ce pognon ? »

    Une tâche à laquelle il s’est attelé puisque son livre, intitulé Résilience alimentaire et sécurité nationale, est paru officiellement au mois de juin. « Le livre a été présenté et promu. J’ai fait une autoédition sur The book edition mais le livre n’est pas encore disponible en librairie. J’ai aussi donné beaucoup de conférences », explique-t-il.

    Avant cela, le Chaurien avait déjà créé un module de formation sur l’effondrement du système qui est désormais éligible pour le Compte personnel de formation (CPF).

    De l’école au Sénat

    À la suite de la publication des recherches de Stéphane Linou dans son livre, Françoise Laborde, sénatrice de Haute-Garonne, a déposé le 20 juin une proposition de résolution signée par plusieurs de ses collègues. Celle-ci reprend le titre du mémoire du Chaurien. Stéphane Linou souligne :

    Ce projet est basé sur mes analyses et mes propositions. La démarche de la sénatrice Françoise Laborde, qui s’intéresse depuis longtemps à mes travaux, l’a rendu officiel au sénat. Cela permet au public de se rendre compte du sérieux de ce sujet.

    Lire aussi : Le Lauragais Stéphane Linou a conçu une formation pour se préparer à l’effondrement du système

    Stéphane Linou aimerait que son thème soit décliné dans toutes les régions, en passant par le législatif notamment :

    C’est la première fois au Parlement que ce sujet d’envergure va être abordé. Ce document est officiel et public, donc n’importe quel citoyen peut en avoir connaissance.

    M. Joël Labbé, co signataire, Sénateur du Morbihan, membre du groupe RDSE et de M. Stéphane Linou auteur de l'ouvrage Résilience alimentaire et sécurité nationale.
    Stéphane Linou au Sénat, entouré de la sénatrice Françoise Laborde qui a déposé la proposition de résolution « Résilience alimentaire et sécurité nationale » et du sénateur Joël Labbé, co-signataire du texte.

    Stéphane Linou témoigne ainsi de l’importance de ses recherches :

    C’est un lancement d’alerte argumenté, avec des pistes d’action. Des gens s’engagent à visage découvert, dont des militaires. Ce sujet devrait être retranscrit à l’ordre du jour de la sécurité du territoire donc relever du régalien. Cela permettrait de sortir avec des arguments en béton au niveau de la sécurité nationale.

    Stéphane Linou devra toutefois patienter encore quelques mois. La proposition de résolution devrait en effet être débattue au mois de novembre.

    Lisa Hervé

  • Arthur Keller : sur l'effondrement

    Clair, simple, pédagogique.

    Et sérieusement catastrophique.

    Oui, je sais. Je ne parle plus que de ça.

    Et parler de quoi d'autre ? 

    Quand je pense qu'il y a des gens qui critiquent Greta Thunberg...

    Elle n'a aucune importance, en elle-même. Il faut juste entendre, comprendre, réaliser, analyser, sortir du déni, puis agir, enfin agir...Vite, là, maintenant.

     

    Comment ? 

    Si personne n'a idée de ce qu'il faut faire, alors c'est qu'il est déjà trop tard...

     

    Et ce gars-là, qu'est-ce qu'on va trouver à dire pour le critiquer ? C'est quoi sa faille, sur quoi est-il possible de l'attaquer, qui le manipule, pour qui travaille-t-il ? Sûrement un adepte du greenwashing qui cherche à gagner plein d'argent avec des discours catastrophistes...Sûrement qu'il est manipulé par les collapsologues. Tout ça, c'est juste du commerce...

    Je n'en sais rien si tout ce qu'il dit est juste, prouvé, indéniable, structuré, réfléchi. 
    J'écoute, j'essaie de comprendre, je compare avec d'autres lectures, d 'autres documents, d'autres études. 
    J'essaie aussi parfois de penser à autre chose.
    Parfois. 
    Demain, par exemple, je vais en montagne.

     

     

     

     

    Arthur Keller est ingénieur en aérospatiale de formation.

    Il est aujourd’hui consultant et conférencier sur les questions d’énergie, de climat et de transition écologique. Il a notamment été le coordinateur de la commission environnement au parti Nouvelle Donne, et référent du programme de Charlotte Marchandise, candidate citoyenne à l’élection présidentielle. Il est membre du conseil d’administration de l’association Adrastia, qui travaille sur l’anticipation du déclin de la civilisation thermo-industrielle.

    Arthur Keller est également auteur et scénariste, et explore comment le storytelling peut être un outil de pédagogie et de mobilisation autour du sujet de la vulnérabilité de nos sociétés, ainsi que des stratégies de résilience.

  • Montagnes : état des lieux.

    Jamais, lorsque j'avais 20 ans, je n'aurais imaginé un tel constat. 

    Certaines voies mentionnées dans cet article, je les ai parcourues. 

    Certaines ont déjà disparu;  effondrées.

    D'autres sont devenues impraticables. Trop fragilisées.

    Que restera-t-il dans vingt ans ?

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    Avec la fonte des glaciers, les célèbres ascensions que propose le massif du Mont-Blanc deviennent de plus en plus dangereuses et impraticables. Des spécialistes du secteur tirent un triste bilan.

    En 2005, une partie du Petit Dru, dans le massif du Mont Blanc, s'était effondrée à cause du réchauffement.

    En 2005, une partie du Petit Dru, dans le massif du Mont Blanc, s'était effondrée à cause du réchauffement. Image: AFP

    AFP/LE MATIN

    https://www.lematin.ch/monde/europe/mont-blanc-montagne-tombe-alpinistes-pleurent/story/14208063?fbclid=IwAR30UMwQH29b1n3jsFxT9n77QpnNS21uEt0Fqtd5ThJiGiJY88E1Dquc7jM

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    LES PRINCIPAUX ÉCROULEMENTS DANS LE MASSIF

    Le plus impressionnant reste l'effondrement en 2005 d'une partie du Petit Dru, visible depuis la ville de Chamonix. L'été caniculaire de 2003, deux ans plus tôt, a favorisé le réchauffement du permafrost qui cimente les blocs rocheux par une glace multimillénaire: la chaleur met longtemps à pénétrer dans la montagne, mais elle continue à se propager à l'intérieur même quand il refait froid dehors. 

    En juin 2005, ce sont 292 000 m3 et un pan de l'histoire de l'alpinisme qui s'effondrent. Le pilier Bonatti - redoutable paroi ouverte en solitaire, après six jours d'efforts, par l'Italien Walter Bonatti en août 1955 entré ainsi de plain pied dans la légende - est tout simplement tombé dans le vide, dans un fracas monstrueux et un énorme nuage de poussière. 

    Depuis, la cicatrice reste visible: dans la face sud-ouest du Petit Dru se dessine clairement une large marque grise à l'endroit de la chute, qui contraste avec le rocher plus roux (oxydé) de cette paroi à la verticalité impressionnante. A l'automne 2011, plusieurs écroulements moins importants emportent encore plus de 70 000 m3 de granit dans le même secteur. 

    2015: des écroulements - terme utilisé pour les chutes de plus de 100 m3, sinon on parle d'éboulements - dans les secteurs de la Tour Ronde et de l'Aguille du Tacul. 
    2018 

    Comme à l'été 2015 déjà, des éboulements réguliers dans le couloir du Goûter empêchent des centaines d'alpinistes de gravir le Mont-Blanc par la voie dite «normale», la plus fréquentée. 

    Et en août, un petit bout de l'arête des Cosmiques s'effondre. Cette paroi, facile à escalader, est très fréquentée aussi en raison de sa proximité avec le téléphérique de l'Aiguille du midi. C'est une course classique pour de nombreux alpinistes, y compris des quasi-débutants qui s'y acclimatent avant de «faire» le Mont-Blanc.

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    Les glaciers fondent. La montagne s'effondre. Dans le massif du Mont Blanc, de plus en plus d'ascensions mythiques deviennent périlleuses voire impossibles, victimes du réchauffement. Un crève-coeur pour les alpinistes et les amoureux des sommets.

    «Ca va très vite. Jamais, il y a dix ans, je n'aurais imaginé une telle accélération», note le géomorphologue Ludovic Ravanel, qui scrute chaque mouvement d'altitude dans le berceau historique de l'alpinisme. «Si l'on tient compte des annonces de mes collègues climatologues pour dans dix ou vingt ans, ça va être pire.»

    En 2005, dans la foulée de la canicule de l'été 2003, l'emblématique pilier Bonatti, redoutable paroi surplombant Chamonix de sa verticalité insolente, s'était effondré dans un fracas terrible: 292 000 m3 de rochers et un pan d'histoire au tapis. Rêve d'ascension perdu pour les jeunes guides et perte irréparable bien au-delà de la vallée. Ces écroulements se poursuivent et se multiplient. Ravanel, un patronyme bien connu à Chamonix, leur a consacré sa thèse et les recense inlassablement.

    Le permafrost est atteint. Cet état thermique permet de garder dans les fissures une glace multi-millénaire qui cimente entre eux les blocs de pierre et maintient les montagnes debout. Et les glaciers, qui tiennent aussi les montagnes à leur pied avec une poussée horizontale, se retirent, fragilisant encore l'édifice.

    L'été dernier, une partie de l'arête des Cosmiques, très fréquentée, s'est effondrée. «On n'en a plus pour très longtemps dans certaines parois», met en garde le chercheur rattaché au CNRS, le Centre national de la recherche scientifique.

    Renoncer à des faces mythiques

    Il n'y a plus de saison: cette banalité, répétée en ville, a ici d'autres conséquences. A 3 000 ou 4 000 mètres d'altitude, le brouillage climatique complique l'évaluation du danger. Peut-on, dans des conditions de sécurité raisonnables, tenter tel sommet ou la traversée de tel glacier?

    En ce début d'été au refuge du Couvercle (2 687 m), au-dessus de la Mer de Glace - le plus grand glacier français qui perd chaque année plusieurs mètres d'épaisseur - une cinquantaine de montagnards passe à table. Il est 18h30.

    Y aura-t-il un «regel» cette nuit, pour progresser sur une neige plus ferme, plus stable? Rien de moins sûr. Ces hommes, pour la plupart - Français, Italiens, Tchèques ou Allemands - vont partir à minuit, 3 h ou 5 h, une lampe frontale éclairant leurs pas, en fonction de leurs destinations. Smartphones et cartes en main, ils scrutent le ciel, testent le vent, étudient les variantes possibles d'itinéraires. Ils questionnent aussi le gardien du refuge et ceux qui en reviennent.

    Autour d'une grande table, plusieurs couples guide-client. Et une bande de quatre «aspis», des aspirants-guides de moins de 30 ans. Larges d'épaules et secs, barbe de hipster ou rasés de frais, ces sportifs déterminés abordent franchement leurs doutes. Mais aucun de ces futurs guides ne veut être cité: pas question d'être l'annonciateur de mauvaises nouvelles. Ce qu'ils racontent est familier de tous ici et eux n'ont rien connu d'autre que le réchauffement ravageur qui déglingue tout à son passage.

    «Les courses de neige sont aléatoires. Avant, en juin ça passait forcément. Aujourd'hui, c'est pas toujours possible et en juillet, c'est mort», commence Rémi. «Les clients sont plus flexibles. On ne peut plus dire: rendez-vous telle semaine pour faire telle course.» De fait, au printemps «il y a plus de boulot qu'avant. C'est mieux que juillet-août pour les gens qui veulent faire des vrais trucs d'alpinisme», renchérit son voisin. Mais déjà il faut renoncer à certaines faces de légende, ajoute-t-il devant la tablée soudain silencieuse. «Le beau granit, celui des faces mythiques, tu sais qu'il va tomber.»

    Perte de repères

    Les guides actuels «ne pratiquent déjà plus le même métier que mon père», souligne Ludovic Ravanel, qui a seulement 37 ans. Son équipe a repris la liste des «100 plus belles courses» dans le massif du Mont Blanc, publiée en 1973 par le guide Gaston Rébuffat et devenue la bible de plusieurs générations d'alpinistes. En moins d'un demi-siècle, la grande majorité d'entre elles sont affectées par le réchauffement, dont 26 «très affectées» et trois n'existent plus du tout.

    Les périodes «pendant lesquelles ces itinéraires peuvent être escaladés dans de bonnes conditions l'été tendent à devenir moins prévisibles», souligne cette étude publiée en juin. Les fenêtres «optimales se sont déplacées vers le printemps ou l'automne», quand il reste assez de neige ou s'il en est déjà tombé en haute montagne, pour ces courses devenues «plus dangereuses et techniquement difficiles».

    Grimper a toujours été un sport dangereux, avec une part de risque irréductible. Notamment les chutes de pierres ou de séracs, ces gros buildings de glace qui, avec le mouvement naturel du glacier, se fracassent régulièrement et engloutissent tout sur leur passage. Mais ces phénomènes, désormais, se multiplient.

    Les vieux guides s'inquiétaient encore récemment de trouver au printemps des conditions «de fin août»: crevasses visibles, moins de neige sur le glacier ou dans les faces nord privées de soleil. La toute dernière génération de guides ne sait même plus quelles conditions attendre à tel endroit, telle période.

    Grise mine

    «J'ai commencé à faire le deuil de pas mal de choses», reconnaît Yann Grava, 33 ans, qui termine sa formation dans un an. «En moyenne, un guide exerce une quinzaine d'années. Moi je crois que ce sera plutôt dix. Parce que les montagnes, elles tombent», dit-il sur le ton de l'évidence. Il sait déjà qu'il renoncera à certaines courses, s'il n'est pas «sûr de pouvoir y emmener des gens de façon sécu». Voire même de les explorer «en amateur», à savoir tout seul ou avec les copains.

    Au Couvercle, chacun y va de son histoire d'horreur sur le «réchauffement». Comme celle d'une cordée escaladant le Peigne, dans les aiguilles de Chamonix: «Le rocher s'est mis à vibrer... Je n'ai pas tellement envie d'y retourner», lâche dans un sourire triste un guide de 40 ans, qui vit du côté de Thonon et ne veut pas donner son nom. Comme beaucoup de ses collègues, il a un deuxième métier. Électricien. «Je me pose la question d'exercer de nouveau les deux».

    La Mer de Glace, en contrebas, a grise mine. La neige en surface ne tient pas, c'est beaucoup de glace vive, parsemée de petits cailloux et de traces grises de pollution. L'eau ruisselle en surface comme en profondeur, entre bédières et moulins, ces puits, cavités et torrents où la glace fondue tourbillonne furieusement.

    En trois jours de marche, une équipe de l'AFP a repéré une multitude de déchets vomis par le glacier, boîtes de conserve rouillées au graphisme années 1950 ou un vieux ski des années 1990. «Tout ressort. Le niveau du glacier baisse, il se tasse», constate le guide de Thonon, évoquant des boîtes de rations militaires américaines retrouvées récemment près du refuge de Leschaux, au pied des Grandes Jorasses.

    Créé: 26.07.2019, 14h48

     

  • Les arbres meurent.

    Que ça soit Greta Thunberg qui le dise ou que ça soit des scientifiques, est-ce que ça change la situation des forêts ? 

    Non. 

    Peu importe le messager. 

    Mais quand les critiques sur le messager viennent occulter le message, on tombe dans le déni et le détournement le plus grave qui soit.

    Là, il s'agit des paroles de scientifiques.

    Est-ce que ça sera entendu ou le fait que Greta Thunberg s'en fasse un des porte-paroles condamnera-t-il le message ?

     

    Ces pins rouges de la forêt de Masevaux, dans le Haut-Rhin, sont morts des multiples sécheresses provoquées par le réchauffement climatique.
    Ces pins rouges de la forêt de Masevaux, dans le Haut-Rhin, sont morts des multiples sécheresses provoquées par le réchauffement climatique. VINCENT KESSLER / REUTERS

    Dans la forêt vosgienne de Masevaux (Haut-Rhin), les sapins ont viré au rouge. Environ 10 % d’entre eux sont déjà morts, épuisés par les sécheresses et les vagues de canicule à répétition. Une quantité similaire de hêtres a dépéri chez nos voisins suisses, au point que le gouvernement jurassien s’est déclaré en situation de « catastrophe forestière » début juillet.

    « On a des dégâts importants, notamment dans l’est de la France, à cause des sécheresses répétées de l’année dernière », déplore Brigitte Musch, responsable du Conservatoire génétique des arbres forestiers à l’Office national des forêts (ONF). Le réchauffement climatique met en effet les plantes à rude épreuve.

    « Dès qu’on est dans des situations de sécheresses intenses, la plante est en état critique », explique Nicolas Viovy, spécialiste en modélisation des écosystèmes terrestres au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE). A Beaune-d’Allier, au-dessus de Clermont-Ferrand, ce sont près de 80 % des arbres qui ont ainsi dépéri dans une parcelle surveillée par l’ONF, d’après La Lettre du Département de la santé des forêts (DSF) de juillet portant sur l’année 2018.

    Avec 73 départements soumis à des restrictions d’eau à la date du 24 juillet, la France est particulièrement touchée, cette année encore, par la sécheresse. Celle-ci va « accentuer l’assèchement des sols superficiels », avertit Météo-France, alors que de nombreuses régions connaissent déjà un « déficit de pluviométrie marqué »depuis un an. Le manque d’eau et la chaleur écrasante devraient par conséquent fragiliser le parc forestier français.

    Lire aussi  Ces différentes sécheresses qui font que la France est à sec

     

    Surchauffe ou embolie

    Normalement, « l’arbre transpire, ce qui lui permet de maintenir ses feuilles cinq à dix degrés en dessous de la température ambiante »,explique M. Viovy. En cas de sécheresse et de forte chaleur, l’arbre se retrouve en « stress hydrique » et réagit de deux manières différentes. Soit il ferme ses « pores » pour éviter de se déshydrater, mais risque alors la surchauffe, soit il sollicite beaucoup d’eau mais court d’autres risques. « L’eau transite par de petits canaux et s’il y a une demande trop forte en eau, on a une embolie. Des bulles d’air s’insèrent dans les canaux, ce qui coupe la circulation et c’est irrémédiable », détaille le spécialiste.

    Or les situations de stress hydrique se multiplient. Les canicules, autrefois espacées, sont désormais quasi annuelles. Sans compter que les effets de ces températures extrêmes sur les forêts françaises en juin et juillet 2019 pourront encore se faire sentir dans dix ans.« On place les plantes dans des positions qu’elles n’ont jamais connues. Un hêtre habitué à un maximum de trente, voire trente-cinq degrés, n’est pas constitué pour survivre à des pics à quarante », fait remarquer Hervé Cochard, directeur de recherche à l’INRA de Clermont-Ferrand. D’après le chercheur, les plantes sont déjà « sur le fil du rasoir »

    En 2012, il avait coécrit une étude qui montrait que 70 % des espèces étaient déjà au bord de l’embolie.

    Des résineux desséchés, dans une forêt de Menden, à l’ouest de l’Allemagne, le 22 juillet . Des résineux desséchés, dans une forêt de Menden, à l’ouest de l’Allemagne, le 22 juillet . INA FASSBENDER / AFP

    Un rythme de migration trop lent

    Alors les espèces végétales s’organisent et migrent vers des contrées moins chaudes. Gabrielle Martin, chercheuse au Muséum d’histoire naturelle, a participé à une étude publiée (en anglais) le 10 juillet dans Biology Letters, qui fait la démonstration que la flore change rapidement sous l’effet du réchauffement climatique en France métropolitaine. « En France, depuis 2009, il y a de plus en plus d’espèces à température préférentielle élevée [adaptées à la chaleur] comme le brome de Madrid », explique-t-elle.

    Lire aussi  Le réchauffement accélère la migration des plantes vers les cimes

     

    L’étude montre aussi que les espèces qui se renouvellent en un an s’adaptent plus vite que les espèces pérennes. Mais les arbres, dont certaines essences peuvent vivre des centaines d’années, ont une mobilité trop lente pour s’adapter au réchauffement actuel. « Sur une échelle très longue, les espèces vont progressivement migrer. Mais là, le changement climatique est extrêmement rapide ! Il va s’installer sur un siècle, c’est le temps de vie de certains arbres », alerte Nicolas Viovy, du LSCE.

    Pour protéger les forêts qui couvrent un tiers de son territoire, la France s’organise. L’ONF a notamment lancé le « projet Giono » depuis 2011. Les correspondants-observateurs de l’organisme récupèrent par exemple des graines de la forêt de la Saint-Baume, près de Marseille, pour les planter à Verdun, dans la Meuse.

    « Les arbres du Sud ont développé des allèles [de mêmes gènes] qui permettent de mieux résister aux sécheresses. On les fait donc migrer pour qu’ils enrichissent les autres. Cela permet d’améliorer leur résistance future en créant des hybrides, même si cela risque de ne pas suffire », explique Brigitte Musch, responsable du Conservatoire génétique des arbres forestiers à l’ONF.

    A Sewen, à une demi-heure de la forêt de Masevaux (Haut-Rhin), de nombreux pins sont morts sur pied. A Sewen, à une demi-heure de la forêt de Masevaux (Haut-Rhin), de nombreux pins sont morts sur pied. Odile Mougeot

    « Il faut changer drastiquement de mode de vie »

    Beaucoup d’incertitudes demeurent sur les capacités d’adaptation des arbres. Des expérimentations sont mises en œuvre pour trouver la solution la plus adéquate. « On propose à des gestionnaires forestiers d’implanter des chênes sur un demi-hectare dans des zones plus chaudes, par exemple, et on observe la manière dont ils survivent », explique la généticienne de l’ONF.

    Les chercheurs sont, pour l’heure, assez pessimistes. « Si on continue sur la lancée des émissions actuelles de CO2, le système forestier français ne va pas résister. Il faut changer drastiquement de mode de vie sinon les écosystèmes ne s’en sortiront pas. Mais ce qui est désolant, c’est qu’on le dit depuis les années 2000, et ça ne change rien », s’inquiète Hervé Cochard, de l’INRA.

    Même si Brigitte Musch estime que la situation n’est « pas encore irréversible », elle met en garde : si les arbres déclinent, « ils n’absorbent plus de gaz carbonique », ce qui « amplifie le réchauffement climatique ».

     

     

     

    Situé sur les berges du Rhône, en plein cœur de Lyon, ses 117 hectares, font du Parc de la Tête d'Or, le plus grand parc urbain de France. / © PHOTOPQR/LE PROGRES/MAXPPP
    Situé sur les berges du Rhône, en plein cœur de Lyon, ses 117 hectares, font du Parc de la Tête d'Or, le plus grand parc urbain de France. / © PHOTOPQR/LE PROGRES/MAXPPP

    PARTAGES

    Le réchauffement climatique oblige les jardiniers de Lyon à complètement repenser leur choix quant aux variétés d'arbres à planter. Certaines espèces ont beaucoup de mal à survivre à Lyon où il fera en 2100 au mieux le climat de Madrid, au pire celui d'Alger si rien n'est fait.

    Par N.MB avec AFP

    Le réchauffement climatique met à rude épreuve les jardiniers de Lyon qui doivent repenser totalement leur palette végétale.
    L'an dernier, une mini-forêt d'épicéas a disparu au Parc de la Tête d'Or, un jardin à l'anglaise du milieu du XIXe siècle classé monument historique. Les jardiniers ont en abattu près de 200. Fragilisés par les vagues de chaleur, ils ont été victimes d'une attaque fulgurante de scolytes, coléoptères qui creusent des galeries sous l'écorce et empêchent la sève de circuler.

    Aujourd'hui, il n'en reste qu'une plaine vide où les herbes folles ont repris leurs droits. D'autres espèces nordiques comme les hêtres ou les bouleaux ont aussi de plus en plus de mal à survivre à Lyon, où il fera en 2100 au mieux le climat de Madrid, au pire celui d'Alger si rien n'est fait.


    Les jardiniers lyonnais testent de nouvelles espèces

    Au Parc Blandan dans le 7è arrondissement de Lyon, qui a ouvert en 2014 sur un ancien fort militaire, les jardiniers ont cherché une végétation capable de s'adapter au climat des décennies à venir.
    les jardiniers de la ville sont donc allés chercher des essences du Sud comme des genêts, des chênes verts, de petits érables de Montpellier. Et tout cela 
    se mêle aux peupliers d'origine. 
     Mais il y a aussi des chênes de Turquie et du Caucase, où les hivers sont froids, les sols calcaires et les étés caniculaires et très secs. "Finalement c'est un peu le climat de Lyon dans quelques années", remarque Frédéric Ségur, responsable du service arbres et paysages de la métropole de Lyon. Des expérimentations capitales car "on ne peut pas transposer intégralement la palette végétale méditerranéenne" ici, prévient Jean-Marie Rogel, chef du service de gestion du paysage à la ville de Lyon.
    Le laurier rose par exemple est sensible au gel. Planter des oliviers est trop risqué avec la bactérie xylella fastidiosa qui a décimé des milliers d'arbres en Italie et qui a été détectée en France.  Et qui dit pin d'Alep, dit chenilles processionnaires incompatibles avec la présence du public.

    Le cèdre du Liban en revanche a la cote. Mais les majestueux spécimens centenaires du parc de la Tête d'or perdent des branches quand il fait chaud l'été. "Un phénomène inexpliqué, peut-être lié au réchauffement mais difficile à appréhender car l'arbre ne présente aucun signe avant-coureur de rupture", témoigne Jean-Marie Rogel. 
        
    Il n'y a donc pas de réponse toute faite, l'adaptation au réchauffement "c'est du cas par cas" et la meilleure stratégie aujourd'hui est "de diversifier au maximum et d'expérimenter", martèle-t-il.

    12 degrés de moins sous un arbre 

    La prise de conscience date de 1994 quand le chancre coloré a décimé un millier de platanes à Lyon. Donc à l'avenir on évitera les allées de platanes où une maladie se propage comme une traînée de poudre. Et dans la métropole, on est passé de 150 à 300 espèces différentes.
    Avec quelques ratés comme le tulipier de Virginie ou des adaptations insoupçonnées comme le melia des Indes. Le micocoulier de Provence est aussi une valeur sûre et on voit arriver à Lyon l'albizia, un arbre d'Inde avec des pompons roses.

    Car l'enjeu avec les arbres c'est aussi de rafraîchir la ville. Avec l'évapotranspiration, on peut ressentir 12 degrés de moins sous un arbre, qu'à quelques mètres à côté. Même si pour créer de l'évapotranspiration, il faut arroser. Une autre équation à régler.
        
    Dans ces conditions, la métropole de Lyon veut encourager la plantation de 300.000 arbres en plus d'ici 2030 et appelle au sursaut de tous. Si chaque copropriété plante trois arbres, ce sera déjà beaucoup, souligne M. Ségur. "On doit pouvoir traverser la ville de Lyon à l'ombre de nombreux arbres. L'espace public doit s'adapter à la catastrophe climatique", implorait justement EELV Lyon dans un communiqué jeudi 25 juillet où la température a dépassé 39 degrés. 

  • Greta Thunberg / Michel Onfray

    Autant, j'ai pu m'intéresser à ce qu'écrivait Onfray, autant, désormais, il n'y a plus aucune trace de lui sur mon blog.

    Parce que là, vraiment, c'est puant.

    Le lien vers son écrit ou son vomi se trouve dans cet article. Je ne le pubblie pas.

    La réponse ci-dessous me convient parfaitement.

    Encore une fois, les paroles de Greta Thunberg m'intéressent. Le reste, je le laisse à ceux et celles qui préfèrent chercher les "manipulations" ou qui cautionnent les propos nauséabonds d'Onfray.

    Association Francophone de Femmes Autistes - AFFA

     

    Accueil » 

     

    Gare à Greta ! Réaction de l’AFFA à l’article de Michel Onfray   Mise à jour récente !

    Par Alice Afanasenko, docteure en littérature, enseignante et chercheuse autiste, membre de l’AFFA,

    25 juillet 2019

    Que l’on soit militant de la cause écologiste, climatosceptique ou encore indifférent à tout cela, en vacances, au travail, sous la canicule ou non (mais il est difficile de lui échapper cette année), nul n’ignore plus aujourd’hui ni le nom ni le visage de Greta Thunberg. À elle aussi, il est difficile d’échapper tant le battage médiatique autour de sa personne est intense.

    Greta ne dit rien que de connu, pourtant Greta dérange. Les réactions qu’elle suscite sont même de plus en plus violentes : son discours à l’Assemblée, mardi 23 juillet, a encore été l’occasion de déchaînements virulents.

    Le summum de la haine misogyne et handiphobe a été atteint mardi 23 juillet par Michel Onfray, auto-proclamé philosophe, à qui revient donc la palme du sordide tant sa plume trempe dans la boue de ses fantasmes libidinaux, poursuit le vieux sillon de la haine des femmes et témoigne du mépris des personnes autistes en général – avec, en prime, une touche de dédain généralisé pour la jeunesse (à lire ici mais on peut aussi fortement s’abstenir).

    Selon le vieux philosophe qui, visiblement, ne supporte pas de recevoir de leçons d’un plus petit que lui, Greta, jeune fille autiste Asperger militante écolo, serait donc rien moins qu’un “cyborg” (je passe les allusions à son corps de poupée et les implicites sexuels qui s’y trouvent logés). Et finalement, son visage “qui ignore l’émotion – ni sourire ni rire, ni stupéfaction, ni peine ni joie”, à “l’enveloppe” “neutre”, sur “un corps sans chair”, ne fait rien moins qu’annoncer “l’avènement du posthumain”, “ce vers quoi l’Homme va”.

    Monsieur Onfray, vous qui voulez laisser l’autisme de Greta “de côté”, sachez quand même que, loin de représenter le posthumain, son visage, comme le mien et comme celui de la plupart des autistes, ne fait que traduire la difficulté que nous avons d’exprimer physiquement nos émotions – ce qui ne veut pas dire que nous n’en avons pas, loin de là. Si les autistes représentaient le futur de l’humanité, comme vous le dites, permettez-moi de vous dire que vous, vous en seriez plutôt le passé, obscurantiste et borné.

    Non, nous, autistes, ne sommes pas posthumains. Nous sommes, malheureusement pour nous, bien dans le présent, dans un présent difficile et auquel nous nous accrochons malgré nos spécificités sensorielles et neurologiques qui ne nous rendent pas la tâche facile. Malgré la stigmatisation dont nous sommes victimes. Malgré les préjugés qui pleuvent dès que nous tentons de nous exprimer. Et ce n’est pas parce que nous ne manifestons pas comme vous nos émotions, ce n’est pas parce que nous avons une rationalité et une affectivité différentes de la vôtre que nous ne sommes pas aptes à penser et à peser dans les débats contemporains. Oui, Greta est intelligente et, du haut de ses 16 ans, elle peut au moins vous enseigner l’humilité.

    Monsieur Onfray, on peut apprendre de tout et de quiconque, même des enfants. Encore faut-il savoir interroger. Mais au lieu de chercher, il est parfois plus facile de cracher. Au lieu de tenter de comprendre, il est peut-être plus vendeur de crucifier. Hélas, loin de nous le temps des intellectuels français que le monde nous enviait et celui de la french theory qui rayonnait jusqu’en Amérique (et qui s’y lisait d’ailleurs davantage que chez nous – France, éternel pays des vieux conservateurs !)…

    J’ai lu ailleurs que l’autisme de Greta la rendrait vulnérable à la manipulation ou encore qu’elle souffrirait de “troubles obsessionnels”. On va même jusqu’à critiquer l’éducation de ses parents (interview du docteur Laurent Alexandre pour Le Point, publié le 23 juillet 2019). C’est, encore une fois, méconnaître totalement ce qu’est l’autisme en général. Pourtant ces réflexions viennent, là, non d’un philosophe mais d’un médecin. Si Greta avait grandi en France, elle aurait été enfermée en hôpital psychiatrique et mise sous neuroleptiques dès ses premiers jours de grève et cela, non pas parce que l’autisme est une forme de psychose, mais parce que nous avons 50 ans de retard sur le reste du monde dans la prise en charge de ces troubles de la communication et des interactions sociales. Il faut encore le répéter, chaque jour, des dizaines de fois : l’autisme n’est pas une maladie, ce n’est pas non plus une déficience mentale (bien que parfois cela puisse être associé, comme cela peut être associé à un très haut potentiel intellectuel ou à une intelligence normale), ce n’est pas le futur de l’humanité non plus. C’est un trouble du neurodéveloppement qui entraîne des particularités perceptives, sensorielles, comportementales et de communication. Mais nous sommes humains et nous avons droit à la parole. Encore faut-il qu’on nous la donne. Greta a eu cette chance-là. Et son intérêt spécifique (et non le “trouble obsessionnel”) pour l’écologie n’invalide en rien la pertinence de ses propos, au contraire.

    Mais la petite Greta Thunberg n’a pas seulement le tort d’être autiste, elle est en plus femme et adolescente – autant dire tout le contraire de ce qui fait notre paysage politico-intellectuello-médiatique actuel. Et cela est insupportable pour la plupart des hommes. Qu’elle ait tort ou raison, peu importe au fond. Là n’est pas, là n’est plus, il me semble, aujourd’hui la question. Car ce que le phénomène Greta révèle au fond, c’est l’éternel phallocentrisme de la pensée française que déploraient déjà les féministes des années 1970 (et Derrida avec elles), c’est la phallocratie de nos institutions politiques (allez voir les commentaires des députés qui ont boycotté son discours), une République des héritiers toujours vivace, héritiers qui refusent d’écouter toute pensée de la différence et qui affichent sans complexe leur mépris des plus faibles. Cynisme suprême, le CETAfut voté le jour même où Greta défendait l’écologie à l’Assemblée.

    Cet article peut-être republié sur un autre site/blog, en citant la source et nom de l'auteure

  • Marion Gervais : "Louis dans la vie"

    A mes yeux, les films de Marion Gervais sont d'utilité publique. Le cinéma que j'aime. Celui que j'aurais aimé réaliser si j'en avais eu la capacité. 

    Bouleversant, un cinéma qui remue, celui qui sait joindre l'image à la parole, les paysages aux silences, les regards aimants et les colères, les incompréhensions des autres et la puissance des rêves, la force de l'amour de la vie quand l'individu refuse que sa vie soit une enceinte. 

    Les "écorchés" ont cela de beau qu'ils ont leur coeur à nu. 

    Le film est disponible sur le lien suivant jusqu'au 4 / 08 :

    https://mobile.france.tv/france-3/l-heure-d/1016977-louis-dans-la-vie.html?fbclid=IwAR1KkDjTXZ-qrWcULD_c_GMlO159bH5wZXyLr8MmdD70pX4J5ASTZzCZPFY

    diffusé le jeu. 04.07.19 à 23h22

    disponible jusqu'au 04.08.19

    documentaires société - 75 min - 2019 - tous publics

     

    “Louis dans la vie” de Marion Gervais : le portrait d’un ado qui ne veut pas “courber l'échine”

     
    Seul moyen pour Louis de s’évader d’une vie trop étriquée : ne pas « courber l’échine ».

     

    Marion Gervais a choisi de filmer Louis, jeune “chien fou” qui aime se mettre en danger, parce qu’ils partagent la même “quête d’intensité”. Leur rencontre illumine ce documentaire, à voir jeudi 4 juillet sur France 3.

    La première fois que Marion Gervais a vu débarquer Louis, « avec sa bonne tête et ses grandes oreilles »,c’était au ska­­te­park de Saint-Malo, où elle s’ap­prêtait à tourner La Belle Vie (2016) (on peut toujours en voir la version websérie, La Bande du skatepark). De la bande de gamins que ce joli portrait de groupe saisit à l’entrée de l’a­dolescence, quand pointe la question de savoir ce qu’on risque de per­dre avec l’enfance, il était le plus grand et le plus sauvage. « Un chien fou, qui ne ­tenait pas en place du fait de son hyper­activité, et qui se mettait en danger en grimpant sur les toits, se souvient-elle. Sitôt le documentaire terminé, je n’avais qu’une idée en tête : filmer cet être désarmant d’humanité et de puissance de vie, comme on en croise rarement. »

    C’est que Marion Gervais fonctionne aux coups de cœur. De sa rencontre avec une Bretonne de 24 ans qui déployait une énergie farouche pour vivre envers et contre tout de la culture de plantes aromatiques, elle a tiré Anaïs s’en va-t-en guerre(2013, en replay jusqu’au 12 juillet).

    Le succès rencontré par le film via les ­réseaux sociaux exposa au grand jour la détermination de la jeune femme, révélant du même coup le talent de cette documentariste douée pour ­capter la fougue de la jeunesse et ses moments de grâce. Entre elle et ses protagonistes, dont elle tire des portraits empathiques, se devine une forme de cousinage qui explique son adresse – on ne saisit bien l’autre que lorsqu’on reconnaît en lui un peu de ce qu’on est et de ce qu’on a vécu.

    “Je me retrouve dans sa quête éperdue d’intensité.”

    La soif de liberté en partage

    Après une enfance « cabossée » et une adolescence « douloureuse », Marion Gervais s’est fait la malle à 18 ans pour « inventer sa vie », seule à travers le monde, risquant sa peau du fleuve  ­Niger à Venice Beach, où la mena une ­insatiable soif de liberté, qu’elle partage avec Louis. « Je me retrouve dans sa quête éperdue d’intensité. »

    Mais si ­Marion est allée jusqu’en Inde et en ­Indonésie pour « prolonger cette expérience du voyage qui vous met à l’é­preuve, vous déconstruit pour mieux vous ­reconstruire », Louis se contente de rêver à des virées lointaines avec un van et le surf qui lui permet de s’é­vader d’une existence trop étriquée.

    A 18 ans, les actes de délinquance qu’il a commis pour de l’argent facile ont failli l’envoyer en prison ; et c’est au nom d’une prétendue sagesse qu’on entend aujourd’hui le convain­cre de se conformer à ce qu’attend de lui l’entreprise Saint Maclou, où il est en apprentissage. « Courbe l’échine », lui serine sa tutrice, des sanglots dans la voix, lui confiant qu’elle aussi a été jeune, pleine d’une vie qui semble bien l’avoir quittée. La vie d’adulte passerait-elle par une forme de renoncement à soi ? Louis ne peut s’y résoudre et Marion capte magnifiquement le ­désarroi de ce jeune homme qui se ­débat pour ne pas sacrifier sa vie.

    “Ses rêves l’ont aidé à tenir et à rester vivant.”

    « Lui et moi avons survécu, résume Marion Gervais. Il a fait ce qu’il fallait pour ne pas mourir et il fait aujourd’hui ce qu’il faut pour se maintenir à flot. S’il veut accéder à la vie à laquelle il aspire, il ne doit pas se contenter du peu qu’il a. Ses rêves l’ont aidé à tenir et à rester vivant. Il doit en faire quelque chose pour ne pas, comme tant d’autres, se retrouver précisément à “courber l’échine”. » Parole d’une aînée qui a aussi tourné Louis dans la vie « pour qu’il s’appuie dessus »« Car mes documentaires, expli­que-t-elle, se situent du côté de ce qui grandit, de cette capacité que nous avons à transformer notre existence. »

    Les livres comme planche de salut

    Le prochain est déjà en route, né lui aussi d’une rencontre avec un être singulier :Sarah Gysler (25 ans), dont le récit (Petite, paru l’année dernière aux Editions des équateurs) est celui d’une jeune fille qui s’est sauvée en se sauvant, en parcourant un monde dont elle a découvert qu’il n’était pas « que monstrueux »« Elle est rentrée changée et elle a publié ce livre magnifique. »

    Les livres, c’est grâce à eux que ­Marion Gervais a su garder le cap et la tête hors de l’eau au cours de ses errances. Ceux de Jack Kerouac, qui l’ont guidée jusqu’à Bixby Bridge et dans la cabane de Ferlinghetti, mais aussi à Big Sur et sur la tombe de l’écrivain, dans le Massachusetts. Les pieds plantés dans ses herbes aromatiques, Anaïs a découvert Walden ou la vie dans les bois, de Henry David Thoreau, et s’y est reconnue. Si Louis n’a pas, comme elles, accès aux livres, la force qui lui a permis d’essuyer des tempêtes où d’autres auraient fait naufrage le sauvera peut-être.

    Cet été, Marion Gervais prend les commandes de son fourgon aménagé et filera à la rencontre de jeunes surfeurs nomades qu’elle prendra en photo, portée par cet appel du large qui, inlassablement, la guide."

     

     

     

    "Anaïs s'en va-t-en guerre"

    Ce film de Marion Gervais m'avait considérablement ému, touché, réjoui, révolté aussi devant toute la bêtise humaine qui la bridait.

    J'avais aimé sa force de vie, la puissance de son rêve, sa détermination. 

    J'avais adoré la façon dont Marion Gervais avait su capter et transmettre tout ce que cette jeune femme portait en elle.

    Anaïs et Marion

    "Anaïs s'en va-t-en guerre" (cinéma)

     

    Aujourd'hui, Anaïs a monté sa petite entreprise et c'est magnifique que le film de Marion ait pu avoir un impact aussi considérable dans la vie de cette jeune femme.

    "Anaïs Kerhoas est productrice de tisanes bios. Elle vient d'acheter sa terre pour cultiver ses plantes médicinales et aromatiques. La jeune femme s'est fait connaître, en 2013, grâce à un documentaire réalisé par Marion Gervais intitulé "Anaïs s'en va-t-en guerre". Elle y racontait ses galères et les difficultés à s'installer quand on est une femme et que l'on n'est pas issue du milieu agricole. Anaïs cultivait alors des terres qu'elle louait. Le film a remporté un vrai succès sur Internet et comptabilisé 800 000 vues. Suite à cet engouement, un financement participatif a été initié sur la plateforme Ulule où plus de 19 000 euros ont été récoltés. L'agricultrice a pu acheter sa terre. Polka est allé lui rendre visite, juste après son emménagement."

     

    LE SITE D'ANAÏS KERHOAS


    anais kerhoas

     


     

    "La belle vie". ("La bande du skate park")

    C'est le deuxième film de Marion Gervais.

    Et ce fut le même bonheur. Toujours cette justesse, cette capacité à saisir des regards, des éléments essentiels dans la vie des personnages qu'elle filme. Et surtout, un immense amour envers ces êtres ballotés par l'existence.

    Ici, c'est l'amitié, le skate comme passion commune. On découvre peu à peu les douleurs existentielles, les rêves qui viennent les apaiser, la puissance des espoirs. Et toujours aussi, ces paysages bretons si amoureusement filmés qu'on y perçoit le parfum de la mer. 

     

    Marion Gervais, caméra témoin des parcours hors norme

    Marion Gervais, caméra témoin des parcours hors norme

    Marion Gervais.

     

    Après s'être attachée au combat d'une jeune cultivatrice dans “Anaïs s'en va-t-en guerre”, la documentariste a filmé le quotidien d'une bande de jeunes skaters dans “La Belle vie”, diffusé sur France 3 le 5 juillet à 23h30. Portrait d'une documentariste atypique, fascinée par les itinéraires en marge.

    Quand d'autres documentaristes parcourent le monde à la recherche de sujets susceptibles de les inspirer, Marion Gervais préfère poser les yeux sur celui, plus petit, qui l'entoure. Non qu'elle soit casanière : le monde, elle s'y est frottée dès l'âge de 18 ans, poussée par une enfance qu'elle qualifie de « cabossée », une adolescence « douloureuse » et une soif de liberté qui lui a fait risquer sa peau, seule en Afrique pour « inventer [sa] vie »« J'ai atterri au Burkina Faso, se souvient-elle. J'ai remonté le fleuve Niger de Bamako à Tombouctou et travaillé de droite à gauche. J'apprenais à lire et à écrire aux enfants des rues. Les petits voyous étaient mes potes et je suis tombée amoureuse d'un des bras droits de Thomas Sankara (président de 1983 à 1987, ndlr) qui s'est révélé violent. Il m'a fallu m'enfuir. »

    Sur la route des clochards célestes

    Quelques années plus tard, c'est aux Etats-Unis qu'elle poursuit sa quête sur la route de Jack Kerouac, roulant en Cadillac sur Bixby Bridge, allant dans la cabane de Ferlinghetti où Jack est devenu fou, lisant Big Sur à Big Sur, traversant le pays d'ouest en est pour se recueillir sur sa tombe à Lowell, dans le Massachussetts. « Je me retrouvais dans sa façon de vivre intensément, animé par cette flamme créative qui l'amenait à rendre compte du réel en exprimant la poésie de la vie. J'écrivais tout le temps, portée par une sorte d'urgence ; mais je ne savais pas comment me dépatouiller avec ces émotions si fortes qu'elles me submergeaient, et cette lucidité qui m'habitait aussi. A Venice Beach, j'ai rencontré un garçon qui ressemblait à Jim Morrison et je suis tombée amoureuse de lui. Il était sans domicile et je me suis retrouvée à vivre parmi les gangs. »

    Expériences humaines

    Avant de trouver son « eden » dans un village proche de Saint-Malo, où elle vit depuis bientôt quinze ans avec homme et enfants, Marion Gervais a « exploré le monde de fond en comble », poursuivant jusqu'en Inde et en Indonésie cette expérience du voyage qui vous met à l'épreuve, en danger et à nu — qui « vous déconstruit pour mieux vous reconstruire », résume-t-elle. Rentrant régulièrement à Paris pour gagner de quoi repartir en faisant des castings pour des cinéastes comme Chantal Akerman, Claire Denis, Julian Schnabel ou Manuel Pradal, dont le film Marie Baie des Anges, qui lui permet de découvrir Vahina Giocante, l'amène aussi à écumer des mois durant foyers de la DDASS et prisons pour mineurs en Italie. Mettant à profit la richesse de ses expériences humaines dans un rapport à l'autre qui trouvera à s'exprimer dans une pratique documentaire qui lui parut longtemps hors de portée. « A 15 ans, j'ai bien envisagé de réaliser quelque chose avec Claude Lucas (« Petit braqueur et grande plume », comme l'écrivit Libération), dont la lecture de Suerte a été pour moi un choc. Il m'a fallu suivre une formation aux ateliers Varan pour m'autoriser à transformer tout ce vécu et faire des documentaires — ce qui, à 40 ans, est devenu pour moi une question vitale. »

    Le coup de foudre Anaïs

    C'est tout près de chez elle qu'elle a croisé le sujet du documentaire qui l'a fait connaître : Anaïs s'en va-t-en guerre, que l'on pourra (re)voir ici jusqu'au début du mois d'août. « Une copine m'avait parlé d'une jeune fille seule dans son champ, qui cultivait des herbes aromatiques et vivait dans une caravane, sans eau courante ni électricité. J'ai voulu la rencontrer et l'ai trouvée en train de trier sa menthe. Ça a été un coup de foudre, comme dans un casting lorsqu'on est sûr d'être face à la bonne personne. Après une heure de conversation, je lui ai dit que je trouvais beau son combat, sa rage, qu'elle me touchait beaucoup et que j'aimerais faire un film sur elle. Ce à quoi elle a répondu :  “Je ne sais pas ce que tu me trouves d'intéressant, mais si tu veux on y va.” J'ai écrit une lettre enflammée à Juliette Guigon (Quark productions, ndlr), qui m'a appelée le lendemain. »

    On ne filme bien que ce que l'on connaît ou reconnaît de soi dans la personne qu'on filme. Réalisé « avec trois francs six sous »Anaïs s'en va-t-en guerre est tout entier porté par le souffle de la liberté, une volonté farouche de faire sa vie à la mesure de ce qu'on est. Par-delà ses fragilités ce film diffusé sur TV Rennes, puis sur le net où il a rencontré une vaste audience, touche une aspiration commune à beaucoup d'entre nous. Au point que nombre de spectateurs se sont mis à débarquer le dimanche dans son champ. « J'ai eu beau la protéger des journalistes, elle a reçu des colis, des chèques et des déclarations d'amour, des demandes en mariage. Les ministres de l'Agriculture et de la Jeunesse se sont intéressés à elle. Même le président Hollande, s'amuse Marion Gervais. Depuis, Anaïs a déménagé de Saint-Suliac à Dol-de-Bretagne, où elle s'est achetée des terres et une bicoque qu'elle nomme " [son] bidonville heureux" ». Elle se paie mille euros par mois et n'arrive pas à tout dépenser, entretient un rapport très direct à la vie et réfléchit beaucoup. Elle a découvert Walden ou la vie dans les bois de Henry David Thoreau et j'en suis très contente. »

    Anaïs s'en va-t-en guerre.

    “L'idée de privation de liberté ne me quitte jamais”

    A la prison de Rennes, où a été organisée une projection du film, Anaïs a créé un jardin avec des détenues. Elle s'y rend régulièrement. Marion Gervais y est allée aussi, avec l'idée d'un film autour de femmes purgeant de longues peines et recherchant la liberté en entreprenant des études— comme Claude Lucas, auquel Marion Gervais rêvait de consacrer un film et qui a suivi une licence de philo en prison. « L'une a pris vingt-cinq ans. Elle fait de l'histoire et m'a dit : “Je suis née sous X et ne saurai jamais réellement d'où je viens, mais l'universalité de notre histoire commune m'a permis de grandir.” L'idée de privation de liberté ne me quitte jamais, mais ça n'a pas manqué : les femmes auxquelles je me suis attachée sont des insoumises et les portes de la prison de Rennes se sont refermées aussi vite qu'elles s'étaient ouvertes. » 

    La vie comme sur des roulettes

    Entretemps, elle a réalisé La Belle vie, hymne à la liberté à travers le portrait d'un groupe de garçons passionnés de skate, qui vivent près de chez elle et qu'elle connaît pour certains depuis tout petits. « Quand j'ai senti qu'ils arrivaient à l'âge où l'on quitte l'enfance pour entrer dans l'adolescence, il a fallu que je prenne ma caméra pour capter toute la puissance de vie qui jaillit alors. Ce passage est très bref. Il a fallu faire vite. Avec ce film que j'ai fait pour France 3 et le webdoc La bande du skate park , destiné au site des Nouvelles écritures de France Télévisions, je suis devenue leur confidente, leur amie adulte qui ne les juge pas. Je pense avoir eu leur confiance en ne trichant pas, en étant bienveillante et vraie dans mes relations avec eux. Comme avec Anaïs. »

    La Belle vie

    “Comment fait-on quand on a 18 ans, qu'on est fou de liberté et qu'on va devenir apprenti-peintre ?”

    La beauté des paroles échangées par ces gamins encore plein d'innocence et dont l'un d'eux craint de perdre une part d'insouciance et d'amour de la vie en quittant son enfance, nimbe ce documentaire d'une grâce émouvante. Depuis sa réalisation, les protagonistes de La Belle vie continuent de croiser Marion Gervais et d'échanger avec elle, attachés au lien qui s'est tissé entre eux. A commencer par Louis, le plus âgé d'entre eux, « l'indomptable, le sauvage, celui qui fait des trucs de dingue. »« Un personnage éminemment romanesque, d'une droiture exceptionnelle et qui n'utilise pas de filtre avec la vie », ajoute la documentariste qui entend lui consacrer son prochain film, dont le projet s'appuie sur la question : « Comment fait-on quand on a 18 ans, qu'on est fou de liberté et qu'on va devenir apprenti-peintre ? »

    Les bons portraits recèlent une part d'autoportrait. De Louis, Marion Gervais aime à dire qu'elle le comprend pour être « passée par là où il est aujourd'hui. Je le connais, je le comprends, je ressens ce qu'il vit. Il a compris que, moi aussi, j'ai vécu en dehors des clous et que, si je suis aujourd'hui un peu plus dans les clous, ce sont mes clous à moi. D'ailleurs, je lui ai dit : “Ce film, tu vas t'appuyer dessus !” Car mes films se situent du côté de ce qui grandit, de cette capacité qu'on a tous à transformer notre vie. »