Voilà une autre information désespérante. Au-delà du constat, que pouvons-nous faire ? Voilà ce qui est essentiel. Les actes qui suivent la connaissance. Sinon, ça ne sert à rien. Personnellement, nous agissons à notre mesure, autant que possible, tout en sachant que malheureusement nous ne parviendrons pas à éliminer tout le plastique de la maison. Mais il a considérablement diminué en tout cas. Pour l'alimentaire, par exemple, nous achetons dans une recyclerie tous les bocaux en verre à fermeture hermétique avec le caoutchouc rouge que nous trouvons, les mêmes que ceux que ma grand-mère et ma mère utilisaient...
En Arctique et dans les Alpes, il neige des particules de plastique
Le plastique que nous achetons et consommons se retrouve même aux lieux les plus reculés de la Terre. Une étude germano-suisse révèle la présence de micro-particules de plastique dans la glace de l'océan Arctique, et interroge leur effet sur la santé humaine et animale.
10 tonnes de plastique sont mises en circulation chaque seconde. Au bout de la chaîne, nous savions que ce plastique se retrouvait dans le ventre des oiseaux et des poissons, ou au fond de la fosse des Mariannes. Une étude parue le 14 août dans la revue ScienceAdvances vient compléter ce constat : des micro-particules de plastique voyagent jusqu'aux endroits reculés des Alpes et aux confins du pôle Nord.
Entre 2015 et 2017, les chercheurs de l'institut allemand Alfred Wegener et de l'institut suisse pour l'étude sur la neige et des avalanches se sont ainsi rendus en Arctique, entre le Groenland et l'archipel du Svalbard. Ils ont recueilli des échantillons de glace de cinq floes, ces fragments de glace de mer constitutifs de la banquise.
L'analyse par imagerieinfrarouge de ces échantillons a été révélateur : en dépit de leur fort éloignement des activités humaines, ces morceaux de glace comprenaient de nombreuses micro-particules de plastique (caoutchouc, polyethylene, polyamide...) de 11 à 1000 microns (0,011 à 1 mm), parfois inférieures à l'épaisseur d'un cheveu.
Pour mettre en perspective leurs résultats, les scientifiques ont aussi ponctionné de la neige dans les Alpes Suisses et en Bavière, à des endroits choisis pour leur isolement, ou au contraire très denses en population humaine (fragments de neige récupérés près des maisons, ou sur les voitures). Conclusion : la présence de microparticules y est encore plus forte.
Broyés par les éléments, déplacés par le vent, déposés par la neige ou la pluie
Comment nos plastiques peuvent-ils être transportés sur de si grandes distances ? L'étude reconnait que des zones d'ombre persistent à ce sujet, mais le schéma général pourrait être le suivant : l'eau, l'humidité, les ultra-violets ou les vagues de l'océan décomposent progressivement les plastiques qui ne sont pas recyclés, enterrés ou brûlés. Ils se fragmentent alors en particules de plus en plus fines, assez légères pour être emportés par les courants atmosphériques, où les précipitations les font retomber sur Terre. Quand il pleut ou neige dans nos montagnes, ce sont des millions de particules de plastique qui nous reviennent, issus des quatre coins du monde.
L'étude parue dans ScienceAdvances recoupe au passage les découvertes de chercheurs dans les Pyrénées, parues en avril 2019 dans la revue Nature Geoscience : au sein d'un lieu reculé des montagnes ariégeoises, à 5 km du dernier village, s'accumulent chaque jour 365 particules de micro-plastique par mètre carré. Là encore, les scientifiques pointent le rôle joué par le vent et les précipitations dans leur transport.
En ce moment même, des chercheurs de l'Université Paris-Est Créteil prélèvent des échantillons pour connaître la quantité de micro-plastique dans nos lacs alpins, dans le cadre de l'opération Plastillac. L'eau des lacs de la Muzelle, dans les Ecrins, et du lac d'Anterne, dans la réserve naturelle de Sixt Passy seront ainsi passés au crible. Les résultats seront publiés fin 2019.
Une fois le constat d'une pollution mondiale par le plastique établi, l'axe de recherche est tout trouvé : "Dès lors que nous avons déterminé que de grandes quantités de micro-plastiques peuvent également être transportées par voie aérienne, la question se pose naturellement de savoir si et dans quelle mesure nous les inhalons", explique Mélanie Bergmann, co-auteure de l'étude sur l'étude sur les micro-plastiques de l'océan Arctique. La scientifique demande de mener d'urgence des recherches pour déterminer leurs effets sur la santé humaine et animale.
Ces deux articles représentent à mes yeux ce que devrait être une "information". Tout ce que je vois défiler, par exemple, sur la forêt amazonienne ces jours-ci s'arrêtent au constat des incendies. Pour trouver une réelle analyse, il faut chercher par soi-même.
Les incendies au Portugal ont une cause majeure : l'exploitation des forêts par l'industrie du papier et donc la plantation d'eucalyptus...
Les incendies au Brésil ont également des raisons. C'est cela qu'il faut chercher à connaître.
Quant à savoir si le végétarisme permettrait d'arrêter ce massacre ou pas, si le végétarisme génère lui aussi des pollutions, si c'est aux états de prendre leurs responsabilités et pas aux consommateurs, si tout ça nous dépasse et qu'on a bien d'autres soucis à gérer, si Greta Thunberg est manipulée par des sectes, si Borsolano est aussi taré que Trump, si le prix de l'essence va baisser ou si le PSG sera de nouveau champion de France, c'est sans intérêt et tout va dans le même compost à ordures.
On peut toujours trouver des raisons de ne pas s'engager, de contredire, de défendre ses convictions ou de ne rien faire, de ne pas se sentir concerné et de se contenter de partager des infos alarmistes, de prendre parti ou de se sentir mieux en participant à un mouvement de pensées, de discuter encore et encore et encore. C'est juste le meilleur moyen pour que ça continue.
L'information et la connaissance n'ont strictement aucun intérêt si elles ne sont pas suivies dans les faits.
Dans deux ou trois semaines, les medias parleront d'autre chose et rien n'aura été compris, analysé, disséqué et personne ne se sentira plus touché, ni encore moins concerné.
L'audimat reprendra ses droits et les "journalistes" chercheront une autre information catastrophiste à donner en pâture à un public de comptoir.
Oui, j'en ai ras le bol...
Le Portugal a déployé 18 500 chèvres pour lutter contre les feux de forêt
Cette opération expérimentale va mobiliser une quarantaine de bergers pendant 5 ans. Payés 25 euros pour chaque hectare nettoyé, le retour des bergers dans les collines portugaises permet de repeupler des régions fortement touchées par l’exode rural. Le phénomène est tel qu’il est à l’heure actuelle plus difficile pour le gouvernement de trouver des bergers que des subventions pour financer le projet.
22 août 2019 - Laurie Debove
Face à la recrudescence d’incendies dévastateurs, le Portugal a déployé 18 500 chèvres pour lutter contre les feux de maquis et de forêt. Ce projet expérimental veut pallier l’échec de l’utilisation de drones et satellites, et améliorer la gestion de l’environnement du pays.
Alors que les canicules et sécheresses frappent de plus en plus sévèrement le continent européen, le Portugal figure parmi les pays les plus touchés par le phénomène. En dix ans, le Portugal a perdu plus de la moitié de ses forêts à cause des incendies. L’un des plus mortels est celui de Pedrógão Grande, au centre du Portugal. En 2017, il a détruit plus de 20 000 hectares et tué 65 personnes, brûlées vives dans leurs véhicules immobilisés par les flammes.
Crédit photo : Peter Lloyd
Après avoir tenté d’étouffer les foyers de feux grâce à l’utilisation de drones et satellites, le Portugal se tourne maintenant vers une solution beaucoup plus low-tech : les chèvres. Depuis mars 2018, 18 500 chèvres ont été envoyées dans les maquis pour manger bruyères, genêts et arbustes. Elles laissent dans leur sillage des sites défrichés, même les plus escarpés et rocheux, ce qui permet de limiter la propagation des feux en cas d’incendie.
Cette opération expérimentale va mobiliser une quarantaine de bergers pendant 5 ans. Payés 25 euros pour chaque hectare nettoyé, le retour des bergers dans les collines portugaises permet de repeupler des régions fortement touchées par l’exode rural. Le phénomène est tel qu’il est à l’heure actuelle plus difficile pour le gouvernement de trouver des bergers que des subventions pour financer le projet.
« Quand les gens abandonnent les campagnes, ils laissent aussi le territoire extrêmement vulnérable aux incendies. Nous avons perdu un mode de vie dans lequel la forêt était précieuse. » a confié au NY Times João Cassinello, l’un des représentants du Ministère de l’Agriculture du Portugal
L’exode rural est loin d’être le seul facteur déterminant dans la propagation des incendies dans le pays. La crise climatique, avec des vagues de chaleur de plus en plus fortes, combinée à l’industrie de la cellulose crée une équation incendiaire pour le pays. Lancée à grande échelle dans les années 80, cette industrialisation s’est traduite par la plantation d’eucalyptus, une essence extrêmement inflammable et très demandée par l’industrie du papier. Aujourd’hui, au moins 9% du territoire(plus de 800.000 hectares) serait recouvert d’eucalyptus.
Cette année, le Portugal a consacré près de la moitié de son budget de lutte contre les incendies en zones rurales aux mesures de prévention, contre 20 % seulement en 2017. Le succès de l’utilisation des chèvres dépendra également des financements alloués aux bergers, qui doivent s’occuper des animaux 24h/24, pour inspirer de nouvelles vocations.
Après les incendies de 2017, les plus meurtriers de son histoire pourtant riche en événements de ce genre[1], et le grand incendie de 2018 qui a ravagé pendant neuf jours la Serra de Monchique dans le Sud du pays, le feu à grande ampleur vient de récidiver au Portugal en 2019 dans le paysage meurtri des incendies de 2017 qui avaient fait rage dans le centre du pays. Par Cristina Semblano*.
Devant l’ampleur de ces tragédies qui tous les ans se traduisent par des milliers d’hectares de forêt brûlée, de pompiers ou de civils morts ou blessés, d’animaux brûlés vifs, de maisons et d’outils de travail détruits, il n’est pas rare d’entendre soutenir la thèse de l’inévitabilité pointant « la faute de la nature », celle de la criminalité et son corollaire, l’absence d’une répression suffisamment dissuasive, ou, enfin, celle de l’insuffisance des moyens de prévention et/ou combat des incendies. Or, si l’insuffisance de ces moyens est un fait, que les politiques d’austérité sont venues renforcer, sans que le nouveau gouvernement, en place depuis fin 2015, se soit empressé d’y remédier[2], le Portugal ne brûle pas plus que les autres pays qui lui sont climatiquement comparables parce qu’il y sévit plus d’incendiaires, se plaçant, de ce point de vue, dans la moyenne européenne[3].
Reste la nature, une autre explication avancée par ceux qui préfèrent ne voir que des phénomènes exogènes[4] là où l’analyse ne peut faire l’économie de facteurs structurels qui sont à l’œuvre et empêchent de contrer l’action destructrice de la nature, voire lui fournissent des armes pour qu’elle se débride. Sur fond d’un climat en mutation, de plus en plus chaud et sec, la première de ces armes est l’eucalyptus, ce dernier pouvant compter sur un puissant allié, la désertification rurale, phénomène qui l’a précédé, mais dont il amplifie le mouvement qui frappe aujourd’hui 1/5 du territoire national.
Espèce non autochtone de la Péninsule ibérique, l’eucalyptus n’est pas adapté au climat du Portugal, méditerranéen avec une influence atlantique. Pourtant c’est dans cette zone favorable à la survenance d’incendies et figurant parmi les plus vulnérables du globe aux changements climatiques, que l’eucalyptus occupe de vastes et croissantes extensions de territoire, faisant du Portugal le cinquième pays au monde en termes de nombre d’hectares de plantation et le premier en termes de rapport des plantations à la superficie du pays, très loin derrière l’Inde, la Chine, ou l’Australie. Cette situation n’a pas toujours existé, puisqu’on est passé de moins de 99 mille ha en 1963-1966 ou 214 mille en 1966-1980, à plus de 900 mille aujourd’hui, ce qui représente 10 % du territoire national.
Cette introduction à large échelle de l’eucalyptus au Portugal est grave à cause des incendies. Bowman, référé par João Camargo et Paulo Pimenta de Castro dans leur récent ouvrage consacré à la problématique des incendies au Portugal[5], est péremptoire sur la propension de l’eucalyptus à brûler. Espèce exotique, originaire de l’Australie, l’eucalyptus est hautement inflammable, vorace en eau et destructeur de la biodiversité. Par des journées chaudes, ses feuilles et son écorce brûlent comme des torches et font pleuvoir des morceaux incandescents de feuilles et d’écorce pouvant parvenir à des distances de plusieurs kilomètres. Plus grave encore, après un incendie, l’eucalyptus associe à sa plus grande capacité de régénération, une phase de diffusion naturelle pendant laquelle il va en se développant dans les territoires où les autres espèces ont une moindre capacité de survie et de diffusion.
Cela étant et si « pour la plupart des eucalyptus, le feu n’a pas été un destructeur, mais un libérateur », comme l’a écrit Stephen Pyne, dans son livre sur l’histoire du feu en Australie[6], il est à se demander pourquoi il existe un discours officiel au Portugal selon lequel il n’y aurait pas d’études scientifiques sur le caractère inflammable des eucalyptus. Au-delà du mensonge qu’il renferme, ce discours officiel contredit ce que raconte l’histoire du feu au Portugal qui établit une relation entre les plantations massives d’eucalyptus et le nombre d’incendies. Si l’on se réfère aux grands incendies de juin 2017 (Pedrógão Grande et Góis) l’aire de la forêt brûlée était constituée à 60 % d’eucalyptus et il en est de même dans le grand incendie de 2018 à la Serra de Monchique, constituée à 76 % d’eucalyptus. C’est aussi l’eucalyptus qui domine les aires où viennent de survenir les incendies d’il y a une semaine.
La réponse à cette interrogation réside dans la volonté de protéger les intérêts de cette industrie de la cellulose que l’on a voulu développer au Portugal dans la décennie 80 à grande échelle – malgré une forte résistance populaire, matérialisée dans les affrontements entre les populations rurales et la police[7] – et qui représente aujourd’hui, une part importante des exportations du pays (4.7 % du total en 2017). Une industrie rentable et proportionnant d’importantes marges bénéficiaires (liées au cycle de croissance rapide des eucalyptus), mais dont la rentabilité pourrait ne pas être aussi élevée qu’en apparence si elle ne bénéficiait pas des soutiens dont elle bénéficie de la part de l’Etat, d’une part, et si elle devait répercuter les coûts sociaux, économiques et environnementaux qui lui sont associés, d’autre part.
En effet, même si l’Etat portugais n’est propriétaire que d’une infime parcelle de la forêt nationale (2 %)[8], et que les zones de grands incendies du Nord, Centre et Sud du pays, sont dominées par la petite propriété rurale (le minifundium) rien ne l’empêcherait de réglementer le secteur, en lui imputant les coûts externes qu’il engendre, en mettant fin aux bénéfices qu’il lui octroie et, en stimulant, le repeuplement des territoires avec d’autres espèces. Au lieu de cela, l’Etat a même libéralisé la plantation d’eucalyptus, en 2013[9], sous le gouvernement de la Troïka[10] et il a fallu attendre les incendies meurtriers de 2017, pour qu’enfin, le nouveau gouvernement se décide à revenir ou plutôt à feindre de revenir en arrière[11].
Cependant, d’une façon générale, la situation est restée pratiquement inchangée : par son absence ou parti pris au niveau de la réglementation et d’autres faveurs, l’Etat protège ce lobby, constitué en duopole, et imposant sa loi par le biais notamment du chantage à la délocalisation et à l’investissement à l’étranger, et où le pantouflage est de règle : depuis Álvaro Barreto, grand promoteur de l’introduction à large échelle de l’eucalyptus au Portugal dans les années 80, passé trois fois de ministre à administrateur de sociétés de cellulose, on a assisté depuis les dernières décennies à un jeu éhonté de chaises musicales entre la haute administration des forêts et les sociétés de cellulose, sans parler du personnel politique (ministres et secrétaires d’Etat).
Au lieu de continuer d’octroyer des pans entiers du territoire à cette espèce – qui vole l’eau, sème le feu et empêche d’autres espèces de se développer –et des faveurs aux industriels planteurs, l’Etat devrait œuvrer dans le sens de la deseucalyptisation du pays, tout en adoptant un autre modèle de développement, moins soucieux de la demande et des déficits extérieurs et plus soucieux du territoire, du climat et des populations. Un modèle basé sur l’économie agraire, reposant sur les espèces autochtones et les cultures vivrières, le commerce local et le tourisme écologiquement soutenable… capable de créer des emplois[12] et d’assurer à la population des revenus décents[13] tout en contrariant l’abandon rural et en favorisant le retour des anciennes populations ou la fixation de nouvelles[14].
Une telle politique, qui exigerait également la réouverture des services publics fermés ou l’extension de ceux ayant été réduits, n’est toutefois pas compatible avec les déficits proches de 0 %[15], dont s’enorgueillit le gouvernement portugais et dont l’un des prix à payer – et non des moindres – est l’abandon de la forêt à la prédation de l’industrie de la cellulose. Le choix est donc entre deux alternatives : changer de modèle de développement ; ou laisser ce lobby, aidé par l’Etat brûler inexorablement et chaque fois davantage, le Portugal, sa forêt, ses terres, ses animaux, ses maisons, ses usines, ses machines et jusqu’à sa population.
[1] Les deux méga-incendies de juin et octobre 2017 ont fait 116 morts, des centaines de blessés, près de 150 000 ha de terre brûlée.
[2] En effet, il a fallu attendre les incendies meurtriers de 2017, pour que le nouveau gouvernement prenne des mesures en matière de renforcement de moyens de combat et de prévention du feu.
[3] Avec pour la période 1996-2000, 20 % à 30 % des incendies provoqués contre 25 % à 29 % en Grèce et 24.69 % en Catalogne (1995-2016).
[4] C’est-à-dire sur lesquels il n’y a pas de prise.
[5] Camargo, J., Pimenta de Castro, P., Portugal em chamas, Como resgatar as florestas, Bertrand Editora, Lisboa, 2018
[6] Cité par J. Camargo e P. Pimenta de Castro, op.cit
[7] Dont celui, emblématique, de Valpaços, où les villageois de sept bourgades, hommes, femmes et enfants, organisés, ont résisté à la police et arraché les 200 hectares d’eucalyptus, fraîchement plantés par une entreprise de cellulose, dans la plus grande quinta (propriété agricole) de la région, là où avant il y avait des oliviers.
[8] Ce qui, Le Portugal est le pays d’Europe ayant la plus petite surface de forêt publique, ce qui contraste avec la moyenne de l’UE où la forêt publique représente 40 % en moyenne.
[9] Par le décret-loi n° 93/2013 du 19 juillet 2013, plus connu sous le nom de Loi de l’eucalyptus, qui donne un accord tacite à la plantation d’eucalyptus dans les propriétés de moins de 2 hectares, ce qui correspond à 80 % des propriétés forestières du pays.
[10] Soit le gouvernement de droite ayant appliqué le programme dit d’assistance financière au Portugal, sous l’égide de l’UE, du FMI et de BCE et qui a été au pouvoir dans le pays entre 2011 et 2015.
[11] En effet, la législation d’août 2017 (décret-loi n° 77/2017 du 17 août), présentée dans la foulée des incendies de juin, tout en suspendant l’expansion des aires arborisées avec des eucalyptus, permet l’échange de plantations d’eucalyptus non productives, par des plantations dans des aires équivalentes, non encore eucalyptisées, plus productives.
[12] Il est à noter, de ce point de vue (emploi) que l’industrie de la cellulose, qui contribue pour environ 1 % au PIB (0.7 % en 2017 en monnaie courante), n’emploie que 3 000 personnes.
[13] Dissuadant la population de cultiver des eucalyptus pour en faire une source de revenus (par le biais de leur vente aux industriels de la cellulose).
[14] Pour le sociologue portugais Renato do Carmo, s’ « il paraît difficile d’envisager la récupération démographique d’une partie significative des espaces ruraux portugais », il est erroné de concevoir les zones rurales uniquement comme des territoires de fixation, des recherches récentes ayant démontré qu’elles sont de plus en plus des zones de circulation et de mobilité », autrement dit, ces zones « ne vivent pas seulement des personnes qui y habitent, mais aussi des personnes qui y circulent et qui peuvent s’y fixer momentanément » (Cf Carmo, R. População, serviços públicos e propriedade, in Revista Crítica de economia social, Julho, Agosto, Setembro 2017).
[15] Le solde budgétaire devrait être de -0.2 % du PIB en 2019, +0.3 % en 2020 et + 0.7 % en 2023, selon le Plan de Stabilité 2019-2023 présenté par le gouvernement portugais au Parlement en avril dernier.
*Docteur ès Sciences de Gestion par l’Université de Paris I–Sorbonne, a enseigné l’Economie portugaise à l’Université de Paris IV – Sorbonne, est conseillère municipale à Gentilly et membre du Bureau National du Bloco de Esquerda (Gauche radicale portugaise).
La concentration en monoxyde de carbone pendant que 500 000 hectares de l'Amazonie sont déjà partis en fumée en l'espace de quelques semaines.
Tous les médias en parlent.
Oui mais qui explique les raisons ?
Si Bolsonaro organise cette déforestation, c'est pour augmenter les surfaces cultivables et exploitables pour l'élevage bovin. Pourquoi ?
Parce que la consommation de viande dans le monde ne cesse de croître, que ça soit la Chine ou les Etats-Unis, par exemple.
Donc...La solution ?...
C'est bien joli de s'alarmer mais encore faudrait-il prendre conscience des raisons du désastre et réaliser que tout cela ne fait que répondre aux désirs des consommateurs...S'en prendre uniquement à Borsolano, n'est-ce pas quelque peu hypocrite ?...
L'impact de la viande sur les humains, les animaux et l'environnement
L’élevage accentue l’effet de serre et la déforestation
L'élevage est responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre
Et de 63 % de la déforestation en Amazonie.
Le 5e rapport du GIEC recommande une diminution importante de la consommation de viande : suivre les recommandations de la Harvard Medical School serait aussi efficace que de diviser par deux le parc automobile mondial.
Les trois plus gros producteurs mondiaux de viande réunis ont à eux seuls une empreinte carbone supérieure à celle de la France.
Un végétalien émet 2,5 fois moins de GES par son alimentation qu'un omnivore occidental.
Un changement de régime alimentaire peut permettre des bénéfices écologiques à une échelle qu’il ne serait pas possible d’atteindre uniquement par changements de pratiques de production agricole.
L’élevage émet plus de gaz à effet de serre que les transports
En 2006, un rapport de la FAO, Livestock's Long Shadow, a révélé que l’élevage produisait une quantité importante de gaz à effet de serre (GES), environ 18 % des émissions d'origine humaine. Dans un rapport postérieur, Tackling Climate Change Through Livestock (FAO, 2013), des calculs fondés sur des données plus précises établissent à 14,5 % la contribution de l'élevage dans les émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique, dont 8,8 % pour les seuls bovins. C'est légèrement plus que les émissions directes du secteur des transports (IPCC, 2014).
Un rapport de l’IATP (Institut des politiques agricoles et commerciales) et de l’association GRAIN (association internationale de soutien aux agriculteurs) a révélé que la plupart des 35 entreprises produisant le plus de viande et de lait au monde ne rendent aucun compte de leurs émissions de gaz à effet de serre (GRAIN, 2018). À l’aide de données publiques, les auteurs de ce rapport ont pu estimer que les trois plus gros producteurs réunis (JBS-Friboi, Tyson Foods et Cargill) émettent à eux seuls plus de gaz à effet de serre que la France.
Le secteur de l’élevage a émis un total estimé entre 7,1 et 8,1 milliards de tonnes équivalent CO2 en 2010 (FAO, 2014 et 2018). Cela représente de 14,5 % à 16,5 % des 49 milliards de tonnes équivalent CO2 émises par l’ensemble des activités humaines cette année-là (IPCC, 2014). L’Accord de Paris, le premier accord universel sur le climat, prévoit que ces émissions globales doivent être réduites de 38 milliards de tonnes équivalent CO2 d’ici 2050 pour limiter la hausse de la température à 1,5 °C.
Cependant, le secteur de la viande et des produits laitiers poursuit aujourd’hui ses objectifs de croissance et de rentabilité : produire toujours plus pour répondre à une demande mondiale croissante. Si cette tendance se poursuit, en 2050 l’élevage représentera à lui seul plus de 80 % des émissions globales maximales pour ne pas dépasser 1,5 °C. En d’autres termes, cela signifierait que l’ensemble des autres activités humaines (transport, logement, industrie…) devrait émettre quatre fois moins de gaz à effet de serre que l’élevage seul. Il est donc primordial d’agir sur ce secteur en modifiant notre modèle agricole et alimentaire.
Le secteur de l'élevage a produit de 7,1 à 8,1 milliards de tonnes d'équivalent CO2, soit environ 1/7 de l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre.
Ces émissions de GES se répartissent comme suit. 45 % sont attribuables à la production et au transport des aliments (dont 9 % imputables à la déforestation liée à l'extension des cultures et des pâturages). 39 % proviennent de la fermentation gastrique des ruminants. 10 % résultent du stockage et de l'utilisation du lisier. 6 % sont causés par le transport, l'abattage des animaux et le stockage des produits animaux.
Les émissions sont dues majoritairement à l'élevage des ruminants. Produire 1 kg de protéines sous forme de viande de bœuf émet en moyenne 290 kg d'éq. C02, contre moins de 50 sous forme de viande de porc, de poulet ou d'œufs.
Source : GIEC.
NB : les « bovins laitiers » sont exploités pour leur lait, mais aussi pour leur chair.
Un rapport de 2011 prévoit que, entre 2005 et 2050, la demande de viande augmentera de 73 % et celle de lait de 58 % (FAO, 2011).
L'élevage ne se fait pas en forêt
L’élevage extensif et le soja exporté comme aliment du bétail sont la première cause de la déforestation au Brésil (Margulis, 2004). Greenpeace affirme que l’élevage bovin est responsable à 63 % de la destruction de la forêt amazonienne (Greenpeace, 2016).
Avec une superficie de 5,5 millions de km², la forêt amazonienne est la plus grande zone de forêt primaire tropicale de la planète. Durant les quarante dernières années, près de 800 000 km2 de forêt amazonienne ont été détruits. Grâce aux efforts du gouvernement brésilien, le rythme de la déforestation s'est ralenti depuis le milieu des années 2000 et tourne aujourd'hui autour de 6 000 km² par an au Brésil, ce qui reste très élevé.
La déforestation a causé 12 % des émissions mondiales de GES entre 2000 et 2005 (Congressional Budget Office, 2012), chiffre qui a légèrement diminué depuis. Elle perturbe le cycle de l’eau (la végétation et l’humus stockent et diffusent l’humidité) et réduit la biodiversité par la destruction de l’habitat de millions d’espèces végétales et animales. En outre, le compactage des sols, piétinés par le bétail, empêche les infiltrations d’eau et provoque des ruissellements qui érodent les sols et privent d’eau les derniers végétaux, rendant les terres inutilisables.
Les pâturages et les puits de carbone en France
La question du stockage de carbone par les prairies destinées à l’élevage est complexe et ne peut pas être tranchée en un simple paragraphe. Ce stockage dépend de nombreux facteurs : conditions climatiques, composition des sols, ancienneté des prairies, intensité du pâturage… Selon les cas, les prairies peuvent stocker moins, autant, ou plus de carbone que les forêts. Ce stockage de carbone peut compenser en partie les émissions de l’élevage dues à la fermentation entérique et aux déjections des animaux. Par ailleurs, l’utilisation des prairies ne concerne que l’élevage des ruminants, souvent nourris avec des céréales et tourteaux en complément de l’herbe.
L’élevage peut avoir un impact environnemental moindre grâce aux prairies, mais il ne faut pas oublier que son rendement par hectare est très faible : on élève en moyenne 1,5 grand bovin de 600 kg par hectare… (Agreste, 2006) Sachant que la viande consommable représente environ 37 % du poids d’une vache, on aurait une productivité de 333 kg par hectare. (Interbev, la-viande.fr) À titre de comparaison, un hectare de culture en France produit 3 tonnes de soja (FAOstat, 2017), qui contient 50 % de protéines de plus que la viande de bœuf (Anses Table Ciqual, 2016). Si l’utilisation des terres non arables en pâturage peut s’avérer avantageuse, il apparaît clairement que ce n’est pas une solution pour nourrir une population croissante.
Lutter contre le réchauffement climatique par l'alimentation
Le 5e rapport du GIEC (IPCC 2014, chapitre 11), reprenant les calculs de Stehfest et al. (2009), estime que la simple application des recommandations nutritionnelles de la Harvard Medical School, qui conseillent de limiter la consommation moyenne de viande de ruminants à 10 g par jour et la consommation des autres viandes, du poisson et des œufs à 80 g par jour, permettrait de réduire de 36 % les émissions de GES d’origine agricole, et de plus de 8,5 % les émissions totales. Cette mesure serait aussi efficace que de diviser par deux l’ensemble du trafic routier mondial.
Ne pas dépasser au XXIe siècle le taux atmosphérique de 450 ppm d’équivalent carbone demandera une réduction importante des émissions de GES, ce qui aura un coût, estimé à 2,5 % du PIB mondial en 2050. Par rapport au scénario basé sur les tendances actuelles, réduire la consommation de viande selon les recommandations de la Harvard Medical School réduirait ce coût de 50 %.
Une étude britannique (Scarborough et al., 2014) a évalué que les végétaliens émettaient 2,5 fois moins de GES pour leur alimentation que les omnivores (consommant 100 g de viande par jour ou plus).
Le poids des choix de consommation a été confirmé dans une étude publiée en mai 2018 dans la revue Science (Poore et al., 2018). En s’appuyant sur des données en provenance de 38 000 exploitations agricoles réparties dans 119 pays à travers le monde, l’étude a établi l’impact environnemental moyen de la production de 40 des principaux aliments consommés, selon 5 indicateurs, dont l’émission de GES et la surface annuelle occupée.
Un scénario remplaçant l’alimentation actuelle par une alimentation 100 % végétale permettrait de diminuer les émissions de GES liés à l’alimentation de 49 % et nécessiterait 76 % de surfaces en moins. Cela représente 3,3 milliards d’hectares, soit une surface équivalente à la somme des USA, de la Chine, de l’Australie et de l’Union européenne.
Les auteurs ont également étudié un second scénario, dans lequel on remplacerait la moitié des produits animaux par des équivalents végétaux. Ce scénario permettrait de réduire les émissions de GES de 36 % et nécessiterait 51 % de surfaces en moins.
Ces résultats confirment que pour répondre à l'urgence de baisser nos émissions de GES, la végétalisation de l'alimentation est une réponse efficace.
Quatre jours Là-Haut, au-dessus de Bramans, en haute Maurienne. Quatre sorties avec des paysages magnifiques, la nuit dans le camion, au bord d'un torrent. Que du bonheur. Rencontre avec des bouquetins acrobates qui nous ont offert un spectacle inoubliable, un champ d’edelweiss comme on n'aurait même pas su l'imaginer, des lacs d'altitude où on se baignait, des sommets dans tous les coins comme autant de prochaines sorties, l'Histoire de la région aussi avec le passage supposé d'Hannibal au col du Clapier où les combats sanglants au fort De Montfroid en 39-45, des heures à marcher sur des sentiers ou à vue, en cherchant les meilleurs passages, une trace, un cairn, une brèche, le silence, les couleurs, l'immensité, l'isolement, la suspension de pensées, le silence intérieur, la mécanique des pas... Le bonheur de sentir que le corps répond, que l'énergie est disponible. Jusqu'à huit heures aller-retour et repartir le lendemain avec la même envie. Environ 6000 mètres de dénivelée en quatre jours...Je sais combien la montagne est pour moi la meilleure thérapie.
J'ai toujours des crampes la nuit, dans les mollets et je me suis aperçu que le gros orteil de mon pied gauche ne réagit plus. Impossible de le plier. Aucune douleur dans le dos sinon quelques courbatures le matin. Il suffit que je marche quelques minutes pour que tout disparaisse. Je trottine dans toutes les descentes dans les pas de Nathalie. C'est un bonheur immense pour moi de ressentir la force de mon corps, l'énergie, la concentration.
A la descente du col d'Ambin, on a trottiné pendant deux heures, non stop, jusqu'au camion. Je me suis vu sourire intérieurement, une joie profonde, comme un bonheur d'enfant...
En trente ans de montagne, je n'avais jamais vu autant d'edelweiss regroupées au même endroit...Des dizaines, toutes plus belles les unes que les autres. On descendait hors sentier, à vue, dans une pente raide, exposée au sud-est et puis, tout à coup, on en a vu une, puis une autre, puis cinq, dix, vingt...On n'osait plus marcher... Magique...On croirait que des flocons de neige se sont posés sur les feuilles...
Et bien évidemment, nous avons profité des lacs d'altitude pour nous "rafraîchir" :) Dix degrés, ça met en activité le phénomène de l'hormèse.
"Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort".
Au col d'Ambin, trois bouquetins, à vingt mètres de nous, de l'autre côté d'une brèche, nous ont offert un spectacle inoubliable...Cette dextérité est fascinante...
Voilà comment on aime descendre. C'était en Chartreuse, au début du mois, la première fois que je retrouvais le bonheur de la "trottinette" :)
"Bonjour Mr Ledru. Je vais faire ce que je n'ai jamais fait auparavant, contacter l'auteur d'un livre que je viens de lire pour le remercier de son oeuvre.
Merci Mr Ledru pour ce magnifique livre Kundalini, L'étreinte des Ames. Je l'ai lu d'une traite sans savoir à quoi m'attendre. Je l'ai acheté car ma femme, dans sa pratique du yoga, a souvent évoqué la kundalini. Je ne savais pas ce que c'était. J'ai été ensevelit par une avalanche d'émotions à la lecture de votre livre. Je garde à l'esprit que c'est un roman et des personnages de fiction. Mais corrigez moi si je me trompe, il y a tout Vous dans ce texte. J'en ressort boulversé car vous avez donnez des mots à ce que je ressentais en mon for intérieur. Vers la fin, vous donnez également une vision de notre société qui a perdu sons sens. Les fêtes commerciales qui remplacent les fêtes religieuses. La consommation comme nouveau culte. Cela n'a fait que renforcer la sensation d'ancrage de votre histoire dans la réalité.
Donc je vous dit Merci avec un grand M. J'espère être capable de transcrire un petit peu de vos enseignements dans ma vie, en tant que mari, amant et père. A ce sujet je serais intéressé de comprendre comme vous inscrivez les enfants dans un chemin vers la spiritualité et l'Amour sacré.
Cordialement,
Eric
Et voici ma réponse :
"Bonjour Eric
Je suis très touché, ému et honoré par votre message d'autant que c'est une démarche inhabituelle pour vous. Il est clair que ce récit représente une démarche de couple et qu'il était essentiel pour moi d'en développer les étapes dans un roman car cela génère une analyse personnelle qui nous est utile. Si cela peut apporter des éléments aux lecteurs et lectrices, j'en suis particulièrement heureux. A mon sens, le roman se doit d'apporter des pistes de réflexions et non seulement une "expérience littéraire".
Je l'avais quelque peu expliqué dans cet article : http://la-haut.e-monsite.com/blog/divertir-ou-bousculer.html
Pour ce qui est de l'invitation faite aux enfants vers la démarche existentielle et spirituelle, il me semble que la meilleure chose à faire est de se donner en exemple et de les laisser décider de ce qui peut être bénéfique pour eux. Il ne s'agit pas de les inscrire dans une démarche, sinon cela relèverait du prosélytisme et par conséquent d'une limitation, mais de leur montrer simplement combien l'observation interne de soi, dans une attitude lucide et ouverte, contribue à l'émergence du bonheur. C'est la définition même de la liberté.
Nos trois enfants ont vécu par conséquent de multiples expériences en lien avec la nature et maintenant qu'ils sont adultes, nous voyons à quel point cela leur a permis de se construire une existence qui répond à leurs propres convictions. Bien sûr qu'ils ont été influencés, c'est inéluctable. Mais la décision de prendre ou de laisser leur appartient.
Mille mercis pour le temps que vous avez consacré à votre message et à l'émotion qui s'y trouve. Il n'y a rien de plus beau pour un auteur que de sentir qu'un lecteur garde en lui une trace de l'ouvrage."
Je me suis entretenu avec Pierre Madelin, qui a traduit en français plusieurs auteurs écologistes dont Arne Naess, John Baird Callicott, Holmes Rolston et prochainement Val Plumwood, et qui est lui-même l’auteur d’un très bon petit livre intitulé Après le capitalisme.
Nicolas Casaux
Dans ton livre Après le capitalisme, tu affirmes que l’idée de limites externes ou écologiques au capitalisme est erronée. Je voudrais revenir là-dessus. Cela signifierait donc que le capitalisme ne serait pas menacé par la contamination, la dégradation, la consomption, la destruction ou la perturbation croissantes de tous les milieux (biomes, biotopes, etc.) et de tous les organismes qu’il génère inexorablement ?
Ce n’est pas exactement ce que je dis dans mon souvenir. Je remarque que le capitalisme est bel et bien confronté à une limite écologique dans la mesure où il exerce une pression croissante sur nos milieux, dont il détruit la diversité et dont il compromet la fonctionnalité, la résilience et in fine l’habitabilité. En épuisant des ressources limitées, comme les gisements d’énergie fossile, et en exerçant sur les ressources dites « renouvelables », comme les sols, les forêts ou les cycles hydriques, une pression telle qu’elle ne leur permet justement plus de se renouveler, le capitalisme contribue à saper les conditions de sa propre reproduction.
Ce que je souligne en revanche, c’est que ces limites écologiques auxquelles se heurte la reproduction du capital ne sont pas à proprement parler une « bonne nouvelle », car la fin du capitalisme qu’elles laissent entrevoir coïnciderait malheureusement avec une détérioration telle des conditions de la vie sur Terre qu’elle ne permettrait guère d’imaginer l’avènement de sociétés « décentes », plus égalitaires et moins destructrices de la nature. Je ne crois pas trop à l’idée d’un effondrement heureux, au terme duquel, sur les ruines encore fumantes de la civilisation industrielle, nous pourrions construire des organisations collectives conviviales dans les brèches ouvertes par l’amoindrissement ou la disparition des logiques marchandes et de l’État ; les dégâts causés par la dynamique dévastatrice du capital et par la compulsion de croissance complètement délirante qui l’animent seront trop importants…
Donc si je cite l’expression célèbre de W. Benjamin – « le capitalisme ne mourra pas de mort naturelle » – c’est pour insister sur la nécessité de l’action : nous ne pouvons pas attendre que la société industrielle s’effondre en préparant « l’après », car cette société se caractérise précisément par la destruction de tout « après » possible, ou tout au moins de tout après souhaitable. Seules une insurrection mondiale, une résistance violente et non-violente systématiques – notamment face à ces organisations mafieuses et criminelles que l’on appelle des « États » – et une transformation profonde des rapports sociaux peuvent sauver ce qui peut encore l’être. Et il y a malgré tout encore beaucoup à sauver ; de nombreux degrés, des millions d’espèces, la vie de milliards de frères humains et de « cousins à plumes et à fourrure », la beauté du monde loin d’avoir disparu, etc.
Des militants amérindiens qui s’opposent à la construction d’un oléoduc aux Etats-Unis.
Tu ne penses donc pas, à l’instar de Cyril Dion, Isabelle Delannoy, Maxime de Rostolan, etc., qu’il soit possible d’opérer une transition écologique, une sorte de transformation vertueuse de la société industrielle capitaliste qui la rendrait écologique et démocratique (au moyen de « symbioses industrielles », de nouvelles technologies plus efficientes et plus vertes, de procédés de recyclage toujours plus poussés, de l’introduction de quelques « éléments de démocratie directe comme le Référendum d’Initiative Citoyenne ou le tirage au sort dans nos démocraties » qui les rendraient subitement réellement démocratiques, etc.) ?
Il n’est bien évidemment pas possible de transformer la société industrielle et capitaliste en une société durable et « verte » ! Toutes les expériences menées jusqu’à présent pour substituer une ressource à une autre afin de pérenniser une pratique de consommation quelconque se sont avérées désastreuses. Les bio-carburants, censés verdir la mobilité motorisée et la rendre « soutenable », créent de graves problèmes de déforestation et stimulent des monocultures dévastatrices pour les sols et pour la biodiversité. Le bilan de la voiture électrique est de plus en plus calamiteux. Le plastique est un poison pour la planète, mais les bio-plastiques qui prétendent s’y substituer (le magasin Carrefour à côté de chez moi en est d’ores et déjà plein) ne feront sans doute que déplacer le problème, puisqu’il faudra selon toute vraisemblance exploiter et détruire des milieux pour fournir les matières premières nécessaires à leur fabrication.
Mais la supercherie la plus dangereuse consiste évidemment à faire croire qu’il serait possible de conserver un même niveau de consommation énergétique – ce qui revient à dire un même « niveau de vie » tant l’énergie est à la base de notre vie matérielle – en passant des combustibles fossiles aux énergies dites « renouvelables ». N’oublions pas que c’est en partie pour pallier la déforestation provoquée par un système énergétique fondé sur la combustion du bois que les énergies fossiles se sont développées en Europe au XIXe siècle, avec les conséquences que l’on sait désormais. Et l’on voudrait aujourd’hui nous faire croire que les renouvelables vont pallier efficacement le réchauffement climatique provoqué par la combustion de ces énergies fossiles. Or le développement industriel du solaire et de l’éolien risque au contraire d’aggraver lui aussi la crise écologique, car sans décroissance de la consommation, aucune source d’énergie ne saurait être durable. Nous savons d’ores et déjà que le solaire et l’éolien sont très gourmands en métaux, qu’ils impliquent donc des pratiques d’extraction minières très destructrices pour la nature, et qu’ils ont également besoin de surfaces immenses pour s’implanter (souvent, l’appropriation de ces surfaces se fait au détriment des communautés humaines qui y vivent, par exemple au Mexique, dans l’isthme de Tehuantepec, où un conflit violent oppose les paysans à un complexe éolien).
Dans une interview récente, Jean-Marc Jancovici souligne que d’un strict point de vue écologique (si l’on met de côté le problème des catastrophes nucléaires…), l’énergie nucléaire est beaucoup moins destructrice que les énergies « renouvelables », car à niveau de production égale, elle requiert infiniment moins de métaux et de surface productive (une centrale nucléaire occupe infiniment moins de place qu’un complexe solaire ou éolien). Il en conclut qu’il faut tout miser sur le nucléaire, ce qui n’est évidemment pas mon cas… Mais sa réflexion a au moins le mérite de montrer à quel point il serait naïf que le mouvement écologiste place aujourd’hui tous ses espoirs en une transition énergétique dont le principal mot d’ordre serait l’investissement massif dans les sources d’énergie décarbonées, que cet investissement se fasse dans le cadre d’initiatives privées ou dans le cadre d’une planification écologique étatique. Cette naïveté est dangereuse, car à son insu, en voulant « sauver le climat », le mouvement écologiste contribuerait ainsi en réalité à sauver, au moins temporairement, un capitalisme moribond, en lui permettant d’enclencher une nouvelle phase d’accumulation prétendument « verte ». Les conséquences écologiques de celle-ci seraient d’autant plus dévastatrices qu’elle serait démobilisatrice ; elle donnerait à beaucoup d’entre nous le sentiment que tout est, enfin, en train de changer, pour que finalement rien ne change, et que l’on retrouve au bout du chemin le même capitalisme destructeur et auto-destructeur de toujours.
Maintenant, à la question « que faire ? », je n’ai évidemment pas de réponse toute faite. Décroître évidemment. Mais comment et jusqu’où ? Serge Latouche soutient que le niveau de vie moyen des Français dans les années 1960 serait universalisable dans les limites de la Terre, ce qui implique à l’échelle du monde une désindustrialisation partielle de l’économie et une importante re-ruralisation. D’autres, dont tu fais partie, pensent que seule une désindustrialisation intégrale de la société pourrait nous sauver. Moi, à vrai dire, je n’en sais rien, et je pense que seuls des tâtonnements et des expérimentations sociales et politiques pourront nous dire jusqu’où aller dans la sobriété matérielle… Ce qui est certain, c’est que jusqu’à présent, aucune expérience d’alternative au capitalisme (zapatisme, ZAD, Rojava, etc.) n’est véritablement parvenue à mettre en place des infrastructures énergétiques autonomes et décentralisées.
La décroissance
Oui. Cela dit, je n’encourage pas une désindustrialisation intégrale « pour nous sauver », mais plutôt le démantèlement de la société industrielle, l’arrêt de toutes les activités nuisibles pour la vie sur Terre (pas pour nous sauver nous spécifiquement). Par ailleurs, j’apprécie beaucoup Serge Latouche, ses travaux sont très riches, très intéressants, et ses remarques souvent pertinentes, mais lorsqu’il affirme ça (« le niveau de vie moyen des Français dans les années 1960 serait universalisable dans les limites de la Terre »), franchement, je ne comprends pas. En 1960, en France, on consommait 72 TWh d’électricité, contre 478 en 2018. On consommait donc bien moins (près de 7 fois moins) d’électricité à l’époque, soit. Mais on consommait en revanche 70 Mt de charbon contre 20 Mt aujourd’hui. Et dans l’ensemble, par habitant, on ne consommait qu’un peu plus de deux fois moins d’énergie à l’époque (1 699 kg d’équivalent pétrole contre 3 690 en 2015). L’écart n’est pas colossal. En outre, en 1960, plus de 50 % de la population est urbaine (on dépasse les 50 % d’urbains dès 1931 en France), donc, « une re-ruralisation importante », pas nécessairement. Par ailleurs, comme le formule un dossier de l’INSEE : « au début des années 1960, la main-d’œuvre est très majoritairement masculine, plutôt ouvrière et peu qualifiée. Souvent, seul le chef de ménage exerce une activité hors du domicile. C’est le règne de la grande entreprise industrielle marquée par une organisation du travail de type fordiste ou taylorien. » Exemplaire. Et pourtant Serge Latouche affirme qu’en 1960 le Français moyen est un modèle de soutenabilité. Saurais-tu expliquer pourquoi il affirme ça ? Et puis, si on continue avec ce que préconise Latouche, penses-tu qu’une « désindustrialisation partielle », donc une société partiellement industrielle, pourrait de quelque manière aboutir à une société soutenable et démocratique ?
Autre question : tu affirmes qu’aucune « expérience d’alternative au capitalisme […] n’est véritablement parvenue à mettre en place des infrastructures énergétiques autonomes et décentralisées ». Qu’en est-il des quelques sociétés qui, à travers le globe, vivent encore de manière non-industrielle, hors du capitalisme (quelques communautés au Brésil, ou dans des montagnes en Colombie, d’autres en Afrique, en Asie, en Océanie) ? Et de toutes celles qui à travers l’histoire y parvenaient ? (Ou est-ce que par infrastructures énergétiques autonomes et décentralisées tu entendais hautement technologiques ?)
À vrai dire, je mentionnais cette date avancée par Latouche parce qu’elle fait partie des réponses apportées à la question : « jusqu’où décroître ? » en l’occurrence par l’un des théoriciens les plus importants de l’écologie politique en France. Je pense que c’est une façon un peu grossière utilisée par Latouche pour botter en touche l’idée selon laquelle la décroissance impliquerait un « retour à l’âge de pierre ». Mais il est évident que la trajectoire de la France dans les années 1960, celle d’un développement économique forcené, ne permet guère d’en faire un modèle de soutenabilité…
Lorsque j’affirme qu’aucune expérience d’alternative au capitalisme n’est véritablement parvenue à mettre en place des infrastructures énergétiques autonomes et décentralisées, je parle évidemment d’expériences de résistance conscientes menées par des collectifs dont la vie quotidienne intègre déjà l’usage d’énergies produites par des infrastructures industrielles. Jusqu’à présent, ces collectifs n’ont pas réussi à atteindre un niveau de décroissance énergétique tel qu’ils pourraient se passer de ces dernières (au Chiapas, si je ne me trompe pas, l’électricité est piratée par les communautés zapatistes, et non pas produite par eux de façon autonome) ; disons que la « souveraineté énergétique » semble plus difficile à réaliser que la « souveraineté alimentaire ». Par contre, il existe en effet aujourd’hui encore un certain nombre de groupes humains qui vivent sans électricité (même si ces groupes n’ont pas le vent en poupe…), et telle a évidemment été la règle pendant la majeure partie de l’histoire humaine.
Enfin, concernant la question de la désindustrialisation, je répète que je n’ai pas vraiment de réponse à cette question, qui me semble soulever des problèmes d’une complexité abyssale… D’une part, on n’efface pas des siècles de processus d’étatisation, de marchandisation et de technologisation de la vie quotidienne en un revers de main ; on ne passe pas du niveau d’hétéronomie maximal qui est aujourd’hui le nôtre (une dépendance quasi-totale aux réseaux marchands et à leurs structures technologiques pour la satisfaction de nos besoins, une emprise sans précédent de l’État sur l’organisation de notre vie collective, etc.) à une situation d’autonomie absolue, où des communautés humaines reterritorialisées pourraient satisfaire la quasi-intégralité de leurs besoins de façon indépendante. D’autre part, l’on peut se demander si une société totalement desindustrialisée peut satisfaire les besoins de base de bientôt 10 milliards d’êtres humains. Si l’on répond par la négative à cette interrogation, cela pose en retour l’épineuse question de la décroissance démographique, et comme nous ne sommes évidemment pas favorables aux méthodes violentes (élimination de centaines ou de milliards d’êtres humains par la famine ou la maladie) et coercitives, on ne voit pas trop comment celle-ci pourrait advenir, si ce n’est au terme d’un effondrement qui n’aurait rien de réjouissant non plus…
Mais sans doute faut-il aussi se demander quel sens nous donnons au terme « autonomie ». Si par autonomie nous entendons la suppression de toutes les médiations sociales, technologiques et politiques, la réappropriation par des communautés locales de l’intégralité de leurs conditions d’existence, et si nous considérons que seule la création d’une société autonome en ce sens pourra nous sauver, alors très franchement je pense que nous pouvons dire adieu au salut, car il est rigoureusement impossible qu’une telle société advienne à l’échelle mondiale au cours des prochaines décennies. Comme André Gorz, je pense qu’il ne s’agit pas pour l’instant de « supprimer tout ce par quoi la société est un système dont le fonctionnement n’est pas entièrement contrôlable par les individus ni réductible à leur volonté commune. Il s’agit plutôt de réduire l’empire du système et de le soumettre au service et au contrôle des formes d’activité sociale et individuelle autodéterminées ». Le rapport de force nous est défavorable, nous devons adopter une posture défensive et multiplier les contre-pouvoirs.
Manifestation contre le projet du complexe Europacity, le 21 mai 2017 à Gonesse.
Des populations sont inversement passées d’une indépendance totale vis-à-vis de la civilisation industrielle à une dépendance complète en quelques années ou décennies. Bien sûr, on ne reconstruit pas forcément aussi vite que l’on démolit. Mais est-ce un problème d’impossibilité ou d’improbabilité ? Cela dit, je suis d’accord avec toi, je ne pense pas que cela puisse ou doive constituer un objectif. Cela étant, on pourrait considérer que le mouvement écologiste est sur la défensive depuis déjà des années. L’organisation Deep Green Resistance estime que nous devrions passer à l’offensive, en faisant en sorte de précipiter l’effondrement de la société industrielle (et rappelle au passage que cet effondrement ne sera de toute façon pas immédiat, mais graduel, qu’il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter d’une hécatombe soudaine), notamment en perturbant, bloquant ou sabotant ses points infrastructurels névralgiques. Le rapport de force nous est défavorable, mais la société industrielle est techniquement assez fragile, son fonctionnement pourrait être foncièrement perturbé par des activistes qui n’auraient pas besoin d’être des millions (une limace, à elle seule, a paralysé de nombreuses lignes ferroviaires au Japon, une chouette armée de rien d’autre que de quelques miettes de pain a perturbé le fonctionnement de l’accélérateur de particules du CERN, etc.). L’idée n’étant pas que cela se produise demain matin, mais que cela devienne l’objectif d’un mouvement qui se constituerait au cours des prochaines années, en s’appuyant sur une culture de résistance, et donc sur le développement d’activités de subsistances, d’institutions alternatives. Qu’en penses-tu ?
Tu as raison de souligner qu’il y a une paradoxale fragilité dans la puissance technologique déployée par la société industrielle, car cette puissance dépend intégralement de réseaux d’infrastructures peu résilients et qu’un rien peut gripper, comme le montrent les exemples à la fois comiques et réjouissants que tu cites, celui de la limace et de la chouette. À titre personnel, je pense qu’il faut privilégier la défense des sociétés dont l’organisation sociale et politique demeure encore aujourd’hui au moins partiellement indépendante du capitalisme industriel (les populations indigènes et la paysannerie des pays du Sud), tout en stimulant et en défendant systématiquement, dans les pays du Nord, les mouvements qui cherchent à recréer des espaces autonomes là où ceux-ci ont été intégralement détruits ou presque (on pense évidemment aux ZAD). C’est dans un tel contexte, où une autonomie concrète et nouvelle serait advenue à une échelle significative, que des actions de sabotage d’envergure (qui ne se contenteraient plus simplement de s’en prendre à des grands projets inutiles nouveaux, mais s’attaqueraient également à des infrastructures déjà anciennes) pourraient avoir un sens. Autrement, elles risqueraient, comme tu l’as toi-même remarqué, de plonger d’importantes franges de la population dans une situation de grande précarité et vulnérabilité.
C’est une question similaire qui se pose à propos du travail salarié, qui est un des piliers de notre société. Dans de nombreuses circonstances, des activités économiques écologiquement destructrices sont défendues, y compris par des populations qui vont en subir les effets, parce qu’elles créent des « emplois », parce qu’elles fournissent du « travail ». Le problème posé par ces situations est plus épineux qu’il n’y paraît, car il révèle dans le fond l’une des contradictions les plus difficiles à résoudre dans la perspective d’une transformation radicale de la société : comment faire en sorte que les activités productives qui nous permettent de survivre à court terme (en nous offrant des moyens de subsistance pour nous nourrir, nous soigner, nous loger, etc.) ne soient plus des activités qui menacent notre survie à moyen et long terme en détruisant les conditions d’habitabilité de la Terre ? Comment recouvrer des moyens de subsistance qui nous libèrent de la dépendance à un « travail » presque toujours ravageur ?
Je voudrais revenir sur un paragraphe de l’introduction de ton livreAprès le capitalisme :
« Bien qu’elle affecte durablement de nombreux écosystèmes, espèces et composantes de la nature, et si nous sommes par ailleurs convaincus qu’il est nécessaire d’accorder à ceux-ci une valeur intrinsèque, indépendante de l’utilité qu’ils présentent pour les êtres humains, cette crise n’est cependant pas une crise de la nature. À l’échelle du temps long de l’histoire, la capacité de la Terre à se régénérer et à se réinventer n’est pas menacée. Ce qui est menacé, c’est la capacité des écosystèmes à s’autorégénérer à un rythme suffisamment rapide pour que la Terre puisse continuer à être habitable pour les êtres humains. Car même la durée de vie des déchets nucléaires, qui s’étend pour certains sur plusieurs centaines de milliers d’années, ce qui est évidemment considérable à l’échelle de l’histoire humaine, n’est rien à l’échelle des temps géologiques. Cette crise est une crise de l’humanité ou, pour le dire autrement, de la civilisation. »
D’un côté tu rappelles que tous les êtres vivants ont une valeur intrinsèque — ce que le mouvement écologiste grand public tend à oublier, ou à ignorer — mais de l’autre tu réduis le vivant à du quantitatif, avec l’idée que « la capacité de la Terre à se régénérer et à se réinventer n’est pas menacée », une manière de dire, « de la vie, il en restera », comme on dirait du beurre ou de l’argent — et tu rejoins ici une perspective assez répandue dans le mouvement écologiste grand public, selon laquelle c’est l’humanité qu’il faut sauver, une perspective très anthropocentrée. Pourtant, ce qui est menacé, c’est aussi la survie, l’existence d’innombrables espèces, des individus spécifiques qui les composent, et des communautés naturelles dans lesquelles ils s’inscrivent (pour employer une expression moins fonctionnaliste qu’écosystème). C’est l’habitabilité de la Terre pour tous les êtres qui la peuplent actuellement (pas seulement les humains). Les courants écologistes dans lesquels je me retrouve le plus s’appuient sur des éthiques biocentristes ou écocentristes. Leurs systèmes de valeurs ne placent pas l’être humain au sommet d’une hiérarchie du vivant, et ils ne sont pas amenés à considérer que le plus important est de préserver et perpétuer l’espèce humaine (ou de « satisfaire les besoins de base de bientôt 10 milliards d’êtres humains »). Tu as traduit des auteurs qui discutent des différentes « éthiques environnementales » (comme Callicott), aussi je voudrais que tu m’expliques ton choix, ta perspective.
Tu es décidément un lecteur attentif de mon livre car tu pointes là une contradiction dans ma réflexion, qui ne m’a pas échappé et qui est un des passages ratés du livre, où je n’ai pas vraiment réussi à dire ce que je voulais dire. Ayant traduit Callicott, Rolston, Naess, prochainement Val Plumwood, je suis proche moi aussi de ces éthiques écocentrées que tu mentionnes, aux yeux desquelles la nature a une valeur intrinsèque, indépendamment des intérêts qu’elle présente pour les êtres humains, qui ne doivent pas être considérés comme les « seigneurs » ou les « sommets » du cosmos. Par ailleurs, tu as parfaitement raison de souligner que la crise écologique menace aujourd’hui les conditions d’habitabilité de la Terre non seulement pour les humains, mais aussi pour des myriades d’espèces et de spécimens de plantes et d’animaux. Ceci étant dit, et c’est un point sur lequel je ne suis pas forcément d’accord avec DGR, je ne pense pas que la planète ou le vivant soient en danger : un certain état du vivant est effectivement menacé, sa puissance est amoindrie et cet amoindrissement crée en retour, pour nombre d’humains et de non-humains, la vulnérabilité extrême que je viens d’évoquer. Mais les dynamiques écologiques et les trajectoires évolutives du vivant sont toujours bel et bien là, plus puissantes et plus résilientes que nous ne le serons jamais en tant qu’espèce. Quand bien même les pires perspectives écologiques adviendraient, la vie sur Terre repartira, sans nous peut-être et sans un nombre incalculable d’espèces emportées par notre voracité, mais elle ne tarderait sans doute guère, du moins à son échelle temporelle, à prospérer à nouveau, sous une forme nouvelle.
Mais pour approfondir la question de l’anthropocentrisme, je pense malgré tout que le schéma classique de l’éthique environnementale anglo-saxonne mérite d’être critiqué, car d’une certaine façon, il reproduit le « grand récit » moderne d’une humanité unifiée triomphant de la nature. Il en inverse simplement le sens : il ne le célèbre pas, il le déplore. Pourtant, le dualisme homme/nature qui caractérise en grande partie la philosophie moderne s’accompagne dès l’origine d’une scission, au sein de l’humanité elle-même, entre les individus et les groupes associés à la nature, ou supposés en être restés proches, et ceux dont on suppose au contraire qu’ils s’en sont émancipés. La nature ayant été ontologiquement constituée comme une sphère inférieure que l’humanité est appelée à dominer et à exploiter, c’est en toute logique que la domination de certains groupes d’êtres humains a systématiquement été légitimée au prétexte que ceux-ci étaient plus « proches » de la nature. En d’autres termes, à l’âge moderne, la nature a constitué à bien des égards ce que l’on pourrait nommer la grammaire de la domination. Elle a été le référent sémantique et la source ultime de légitimation idéologique de l’exploitation des groupes « genrés » et « racisés », soit de façon directe, comme lorsque les populations indigènes de la Nouvelle-Espagne étaient désignées comme des naturales, soit de façon indirecte, lorsqu’un groupe spécifique d’êtres humains – souvent les femmes – a été marginalisé en étant associé à l’une des sous-catégories de la nature (le corps, les émotions, etc.).
Cependant, si le concept d’anthropocentrisme peut être équivoque, ce n’est pas seulement parce qu’il recouvre la scission qui sépare, au sein de l’humanité, les groupes dominants « émancipés » de la nature et les groupes dominés associés à la nature. Quand bien même l’humanité ne serait pas fracturée, divisée et hiérarchisée en classes, en genres et en races, quand bien même l’humanité s’émanciperait de la nature dans le cadre d’une société strictement égalitaire, l’humain qui « triomphe » dans l’anthropocentrisme moderne est un humain unidimensionnel et atrophié. Car en instituant un rapport au monde fondé sur la domination et l’instrumentalisation, il réduit également l’humain à son agir technique et économique, occultant par là-même les autres potentialités de son être, qu’elles soient sociales, poétiques ou spirituelles, que l’on peut à bon droit considérer comme plus fondamentales, ou tout au moins d’une importance égale.
Considérons une forêt. Pour un promeneur ou un pèlerin par une chaude journée d’été, celle-ci et les torrents ou rivières qui la traversent éventuellement sont une source de fraîcheur et d’ombre. Pour un groupe d’enfants, la possibilité d’une immense partie de cache-cache. Pour une botaniste ou un écologue non inféodé à une vision quantitative de la nature, le lieu d’une étude minutieuse du vivant et de son foisonnement. Pour un ermite américain au XIXe siècle ou un poète chinois dans la dynastie des Tang, le lieu d’un recueillement et d’une concentration silencieuse de l’esprit. Pour un cueilleur de champignons ou de plantes sauvages, un espace charnel complexe où ses multiples quêtes composent autant de traces et d’itinéraires qu’il se plaît à répéter d’année en année. Pour un révolutionnaire ou autrefois un esclave, la possibilité d’une guérilla ou d’un quilombo. Pour un certain type de chrétien ou de musulman, la manifestation théophanique de Dieu. Pour un chaman enfin, qu’il vive en Sibérie ou en Amazonie, un univers peuplé d’esprits tantôt bienveillants et tantôt malveillants. Mais pour un certain type d’être humain, la forêt n’est rien d’autre qu’une quantité de bois ou de carbone dont il faut calculer les stocks et la rentabilité à l’exclusion de toute autre considération, de tout autre usage. Érigé en norme, ce rapport purement instrumental se présente qui plus est comme le moteur d’une dynamique civilisationnelle aussi vertueuse que nécessaire, et vis-à-vis de laquelle aucun écart n’est permis. C’est en ce sens qu’il est imprécis, ou tout au moins insuffisant de parler d’anthropocentrisme pour caractériser l’attitude moderne face à la nature.
Point de réduction de la nature à sa valeur instrumentale sans réduction de l’être humain à son agir instrumental. C’est que la domination, quand bien même elle prétend séparer et hiérarchiser, n’en demeure pas moins une relation affectant les deux termes qu’elle implique : « le dualisme est un processus au sein duquel le pouvoir détermine l’identité et déforme l’identité des deux parties de l’entité qu’il sépare », écrit Val Plumwood. Pour résumer tout ça de façon simple, je pense que j’aurais souhaité dire dans le livre qu’un écocentrisme bien compris tient compte de l’humain et de ses intérêts, car l’humain est un vivant parmi d’autres vivants. Et réciproquement, un anthropocentrisme bien compris ne pourrait finalement déboucher que sur un écocentrisme, car les humains ne peuvent survivre et s’épanouir qu’à condition de respecter la communauté des vivants dont ils font partie et sans laquelle ils ne sont rien.
Un des livres que Pierre a traduits.
Très intéressant. Je te rejoins en ce qui concerne l’anthropocentrisme. Cela dit, lorsque DGR parle de « sauver la planète », c’est le plus souvent un abus de langage pour parler des espèces actuellement vivantes, des individus qui les composent et des communautés naturelles qu’elles forment — même si certains parlent d’un scénario Vénus, aussi improbable soit-il, qui pourrait menacer la continuation de la vie sur Terre, et même si on ne sait pas grand-chose des conséquences potentielles de la nucléarisation croissante du monde, et des futures expérimentations de savant fou que la civilisation industrielle pourrait entreprendre à l’avenir. Et puis, le fait que ce ne soit qu’un certain état du vivant qui soit menacé et non pas l’existence même de la vie devrait-il changer quelque chose ?
Lévi-Strauss estimait qu’un « humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même, mais place le monde avant la vie, la vie avant l’homme ; le respect des autres êtres avant l’amour-propre », et que « l’homme, commençant par respecter toutes les formes de vie en dehors de la sienne, se mettrait à l’abri du risque de ne pas respecter toutes les formes de vie au sein de l’humanité même ». Il me semble que cela rejoint la perspective de DGR. DGR estime donc que l’objectif principal consiste à mettre un terme à la destruction de ces espèces, individus et communautés naturelles par la civilisation industrielle, qui, en outre, est un enfer pour une bonne partie de ses propres membres. Tu formules de brefs aperçus dans tes réponses, mais je voudrais quand même te poser la question pour que tu puisses élaborer : quel devrait-être, selon toi, l’objectif principal du mouvement écologiste ?
Détruire l’intégralité du parc automobile mondial pour commencer (sans oublier les motos). Non, blague à part (même si la disparition des bagnoles doit évidemment être un objectif important !), et en restant à un niveau assez abstrait et général, je pense que le mouvement écologiste doit se fixer pour objectif la création d’une société qui cesse de détruire la biosphère telle que nous la connaissons aujourd’hui, d’annihiler les conditions d’habitabilité de la Terre. Pour cela, il est évidemment indispensable de résister à l’agressivité croissante du capitalisme et des États sur les territoires, aux pratiques extractivistes et aux grands projets inutiles (ils le sont presque tous). Parallèlement, comme nous l’avons déjà souligné, multiplier la construction d’espaces autonomes, libérés de la tyrannie étatique et marchande. C’est une réponse un peu vague, mais je n’ai pas vraiment prétention à être un théoricien « stratège » de l’écologie politique, et à définir avec précision quels devraient être ses objectifs.
Mais je crois aussi qu’il est primordial que le mouvement écologiste approfondisse ses liens avec les autres mouvements en lutte contre des formes de domination – féminisme, anti-racisme, animalisme, etc. Car non seulement l’histoire humaine est l’histoire des rapports de domination, mais la domination des humains sur la nature et la domination de certains groupes humains par d’autres sont profondément liées ;elles font système, comme l’ont souligné chacun à leur façon Murray Bookchin, l’éco-féminisme et le primitivisme. Ce système de domination légitime, à divers degrés, l’appropriation violente des corps-objets de tous les êtres appartenant à l’une des catégories dominées, que ce soit pour les exploiter, pour en jouir ou, dans certaines circonstances, pour les détruire et les éliminer. Appropriation du corps des femmes exploitées, prostituées, violées ou assassinées, tant dans la sphère domestique que dans la sphère publique. Appropriation du corps des travailleurs exploités dans des usines ou des plantations. Appropriation du corps des animaux élevés dans des fermes-usines avant d’être conduits à l’abattoir. Et lorsque certaines populations habitent des territoires convoités pour leur richesse (minière, agricole, touristique, etc.), l’appropriation/expropriation des corps humains se double de l’appropriation des corps-territoires et de leurs populations animales. Il est impensable de créer un lien plus horizontal avec le monde vivant autre qu’humain si l’on ne parvient pas à mettre à mal les hiérarchies qui structurent nos sociétés, et vice versa.
Que penses-tu de la collapsologie ?
Je n’en pense pas grand-chose pour tout dire. J’avais bien aimé le premier livre de Servigne et Stevens, Comment tout peut s’effondrer. Je trouvais qu’il offrait une synthèse et un panorama stimulants et clairs des multiples dysfonctionnements et désastres qui guettent notre société. Par contre, je n’ai pas lu le dernier qui a été très controversé, et visiblement à juste titre… Dans mon livre j’essaie de m’interroger sur les effets politiques de l’effondrement. Tout pronostic historique est évidemment risqué, mais au niveau politique, je pense que cet effondrement systémique généralisé pourrait à son tour donner lieu à deux grands scénarios : 1) L’effondrement économique ne provoque pas d’effondrement politique, mais entraîne au contraire un renforcement de l’État, qui adopte une gestion éco-totalitaire des ressources et des populations 2) L’État s’effondre en même temps que l’économie, il perd toute capacité à encadrer la société et à assurer la sécurité de ses citoyens. Ce deuxième scénario peut lui-même être subdivisé en deux scénarios distincts : 1) L’effondrement de l’État se fait au profit de forces armées paraétatiques de type mafieux ou terroriste, qui imposent leur monopole sur la gestion des ressources et des populations par l’arbitraire et la violence ; 2) Ou, au contraire, les populations livrées à elles-mêmes s’auto-organisent et créent tant bien que mal de nouvelles institutions sociales sur les ruines de l’ancien monde : c’est la voie conviviale dans sa version post-catastrophique.
Remarquons que ces différents scénarios ne sont nullement exclusifs. Dans certains pays, l’État peut se maintenir tandis qu’il s’effrite ou s’effondre dans d’autres ; de même, à l’intérieur d’un même territoire où l’État tend à reculer, la gestion mafieuse et l’auto-organisation des populations peuvent cohabiter et entrer en compétition l’une avec l’autre. Dès aujourd’hui, la situation de certains pays peut nous aider à mieux « visualiser » ces scénarios futurs, même si elle ne s’explique pas nécessairement par des causes écologiques et continue à s’inscrire dans le cadre de crises politiques plus classiques. Ainsi, au Mexique, la souveraineté de l’État est contestée à deux niveaux ; d’un côté par les puissants cartels de la drogue qui contrôlent de facto un nombre croissant de territoires et de ressources, et de l’autre par des mouvements sociaux comme l’EZLN ou les milices citoyennes d’auto-défense qui ont décidé de prendre en main leur destin en luttant, les armes à la main, contre les exactions du crime organisé ou des bras armés de l’État (qui sont en réalité souvent complices).
Ceci nous confronte évidemment à la question de la violence. Cela ne me fait pas plaisir de le dire et je ne suis moi-même pas franchement porté à la violence, mais je n’arrive plus tellement à voir comment il serait possible de sortir de cette société sans en passer par la violence, comme le soutient d’ailleurs DGR. Et cela ne sera pas nécessairement un choix, mais la simple condition de la survie. Au rythme où vont les choses, les personnes « résilientes » ne seront pas seulement celles qui auront une maison à la campagne et un potager en permaculture au fond du jardin, mais aussi celles qui auront des armes et sauront s’en servir. Quand on voit l’ensauvagement actuel de l’État en France et dans de nombreux pays, quand on voit que même les actions non-violentes (on pense aux images fortes de la mobilisation Extinction Rebellion à Paris, gazée et matraquée par des hordes de criminels en uniforme) sont de plus en plus réprimées et criminalisées, et ce alors que la détérioration des conditions de vie sur Terre, et donc le durcissement des rapports de domination qui se tissent autour de l’accès aux ressources et aux richesses, est encore loin d’avoir atteint son acmé, il y a de quoi être inquiets. Disons que la radicalisation de l’État et du capitalisme un peu partout appelle notre propre radicalisation, elle ne laisse guère de choix…
Tu prépares actuellement un livre sur le primitivisme, pourrais-tu rapidement nous en parler ?
Oui bien sûr, je peux en dire brièvement quelques mots. Je viens de finir l’écriture d’un petit livre sur le primitivisme. Je ne suis moi-même clairement pas primitiviste, et ce n’est pas l’écriture de ce livre qui m’aura fait changer d’avis tant il apparaît clairement, notamment à la lecture des ouvrages magistraux d’Alain Testart, que les sociétés de chasseurs-cueilleurs sont et étaient traversées par des rapports de dominations extrêmement durs. Néanmoins, même s’il apporte des réponses fausses et souvent très idéologiques, le primitivisme pose des questions passionnantes et a parfois aussi des intuitions très stimulantes. S’intéresser à lui, c’est s’interroger sur la façon dont historiquement les hiérarchies sociales et la domination du vivant se sont interpénétrées et fécondées mutuellement. C’est donc in fines’interroger sur les fondements théoriques de l’écologie politique."
Julien Wolga, 35 ans, est l’auteur de L’héritage du nudisme depuis Kienné de Mongeot (éd. L’Harmattan). A l’occasion de la sortie de notre podcast “Moi aussi, je suis naturiste”, il revient sur les origines du mouvement, sa philosophie, et ses dérives, appelant à une société qui prendrait soin de ses contemporains par un respect de leur humanité.
NEON, magazine nature : Comment distinguerais-tu le naturisme du nudisme ? Julien Wolga, tout nu heureux : Le naturisme est “une manière de vivre en harmonie avec la nature caractérisée par la pratique de la nudité en commun ayant pour but le respect de soi, des autres et de l’environnement”, d’après la définition officielle de 1974 qui change vraiment par rapport aux définitions précédentes. Sauf que ça ne porte que sur les vertues de la nudité par rapport à nous-mêmes et aux autres. Depuis 2010, il y a eu un petit changement : la pratique de la nudité n’a plus “pour but” mais “pour conséquence” le respect.
Sauf que pour moi, c’est incohérent : cette définition officielle du naturisme pourrait très bien correspondre au nudisme. Car le naturisme, à la base, ne se préoccupe pas nécessairement de nudité. Le naturisme, c’est prendre soin de la nature humaine en satisfaisant ses besoins naturels grâce aux éléments naturels. Ça portait d’abord sur l’alimentation, la plus naturelle et la plus physiologique possible ; ou encore l’activité physique pour développer l’ossature et la musculature, mais aussi parce que le système lymphatique – en gros les égouts du corps – n’a pas de muscle propre, et ce sont les mouvements du corps qui permettent de faire circuler la lymphe et éliminer les toxines. Par extension, il faut donc donc comprendre l’hygiène la plus naturelle possible à mettre en place pour avoir un mode de vie sain. Ça touchait aussi l’habitat, puisque la mouvance naturiste militait pour des logements salubres avec lumière et circulation d’air. Ce mouvement a pris de l’ampleur entre-deux-guerres car il fallait régénérer le peuple en militant pour des politiques hygiénistes. En 1951, on définissait encore le naturisme comme « l’ensemble des règles orientant l’homme vers des conditions de vie plus naturelles ».
Mais en 1926, l’idée nudiste a commencé à naître au sein de cette pensée, la nudité étant comprise comme un des facteurs favorisant la santé humaine. Si aujourd’hui on appelle ça naturisme, c’est qu’il y a un premier mouvement cassé avec la Seconde guerre mondiale, puis un deuxième mouvement avec la Fédération française de naturisme qui avait vocation à réunir tous les mouvements naturistes, nudistes ou non nudistes. Toutes les associations naturistes étaient réunies, mais les non nudistes ne voulant pas être assimilés aux nudistes, ils sont partis. Dans la Fédération française de naturisme ne sont donc restés que… les nudistes, naturistes ou pas d’ailleurs. Il y a eu un oubli progressif des fondements hygiénistes concernant la nudité, pourtant toujours valables. Le mot nudisme ayant mauvaise presse, les nudistes l’ont abandonné pour un terme qui leur paraissait plus noble. Ils ont donc fini par dénigrer le nudisme, ce qui est pour moi se tirer une balle dans le pied. Aujourd’hui, le nudisme est le seul élément commun de ceux qui se disent naturistes.
Quelles sont les principales valeurs portées à l’époque par le mouvement selon toi ?
Il y a des valeurs prônées, comme le respect, mais je ne parlerais pas forcément en terme de valeurs. Je dirais qu’ils ont en point commun le déconditionnement du tabou sexuel concernant la nudité, et d’autre part une prise de position à l’encontre des jugements de valeur et les critiques sur le corps, prise de position contre la dévalorisation d’un individu en raison de ses caractéristiques physiques. Une sorte de body positivisme avant l’heure.
“BEAUCOUP ONT PEUR PAR RAPPORT À LEUR BOULOT OU LEUR RÉPUTATION : NOUS PASSONS POUR DES PERVERS”
Aujourd’hui, ces valeurs sont-elles toujours présentes, ou le nudisme est-il devenu un loisir, voire un commerce ?
Le nudisme s’est reposé sur le tourisme et le commerce pour se développer après-guerre, mais après tout, il n’y a pas besoin de le sortir de ces structures pour que la nudité procure ses bienfaits. Le problème est plutôt que, du coup, les prix montent de plus en plus, et ça peut faire barrage au nudisme car ça rend ces structures moins accessibles. Une réponse apparaît avec de nouveaux mouvements qui militent pour que chacun, sans avoir à payer, puisse bénéficier des bienfaits de la nudité. Ce n’est pas être nu partout, mais pouvoir par exemple se baigner nu partout, aux côtés de ceux qui souhaitent rester habillés.
Dans les années 60-70, les naturistes étaient vus comme des hippies un peu portés sur le sexe. Aujourd’hui, quel regard est porté sur le mouvement ?
Dans les années 60-70, je n’ai pas l’impression que la libération sexuelle pesait lourd sur la réputation du mouvement. Aujourd’hui, il y a le phénomène Cap d’Agde, l’exhibitionnisme et l’échangisme exhibitionniste, sous couvert de nudisme, qui entache notre image. La faute revient aussi au mouvement qui a laissé se développer ça et n’a pas su se défendre. Pendant longtemps, le village libertin du Cap d’Agde était estampillé FFN, et c’est au moment où la presse a commencé à regarder ce qu’il se passait que le mouvement a dit “ça n’a rien à voir”. Mais nous n’avons pas porté de discours alternatif.
La société a aussi évolué, il y a eu les histoires de pédophilie, et nous sommes plus puritains. Aujourd’hui, énormément de gens ont donc peur par rapport à leur boulot ou leur réputation, et nous ne sommes plus en mesure de défendre notre philosophie. Nous passons pour des pervers, mais le regard peut vite changer.
Est-ce qu’on assiste à un retour de la pudeur et de la pudibonderie ?
Oui, il y a un certain retour à la pudeur, mais il n’est pas absolu. Je pense qu’il est dû à une sorte de perte de repères, avec beaucoup de changement dans la société. Pour beaucoup, un retour au traditionalisme peut être sécurisant psychologiquement. Et si on ne fait pas le tri, la tradition a tendance à juger la nudité comme perverse. Et sans discours contraire, on fait vite des amalgames. La situation économique difficile joue aussi : quand on est dans la peur, la survie, on est moins enclins à la réflexion et au progressisme. Mais il suffit que le mouvement se réapproprie les arguments et ça peut évoluer très facilement. Il doit revenir à ce qu’il était au début, actif et participatif à la réflexion sociale, aux questions quotidiennes.
Tu parles des « conséquences désastreuses » que peut avoir l’obligation d’être habillé. Au niveau physiologique, de quoi parle-t-on ?
On parle déjà de la peau : c’est l’organe le plus important en masse de notre corps. Il le protège et a une fonction sensorielle, mais il en a d’autres qui soutiennent d’autres organes : c’est pourquoi certains hygiénistes le surnomment le 3e poumon, 3e rein et 2e coeur. La peau respire de manière très importante, et si ce n’est pas le cas, on peut même mourir d’asphyxie alors qu’on a les voies respiratoires dégagées. La dévêtir, c’est donc lui permettre de respirer. C’est aussi un rein, car la peau permet par la transpiration d’évacuer énormément de toxines, c’est pour ça que le sauna ou le hamam sont bons pour la santé et permettent de soulager les reins. Si une partie est tout le temps couverte, la transpiration ne s’évacue pas, et cela va développer un bouillon de culture de bactéries et de germes. C’est pour ça que le maillot de bain n’est pas hygiénique : il garde de l’humidité sur ta peau. Enfin, la peau est un coeur. Un médecin français s’est rendu compte qu’il y a à la surface des micro-vaisseaux stimulés par le rayonnement solaire et qui pulsent pour attirer le sang vers l’extérieur. Cela permet de soulager le coeur et décongestionner les organes internes. Et ça, c’est juste pour la peau ! Il y a aussi tout le système hormonal stimulé par le soleil. On connaît la vitamine D, mais on sait que le soleil stimule les différentes glandes du corps. Des tests ont été réalisés sur des personnes dénutries : même un vêtement léger ralentit la reprise de poids par rapport à une personne vivant nue. Et parmi les glandes qui réagissent le plus au soleil, ce sont les glandes sexuelles. La courbe de poids remonte moins vite chez les femmes portant ne serait-ce qu’une culotte, par exemple.
On dit que le nudisme aide à l’acceptation de soi-même. Le problème, c’est que pour mieux aimer son corps, il faut d’abord accepter de laisser les autres le juger. C’est ce cap qui est souvent infranchissable pour beaucoup, non ?
Il faut se dire “j’ai suffisamment confiance dans le non-jugement des autres”. Mais ça peut demander de surmonter tout un conditionnement, il faut bouleverser des repères, c’est sûr que c’est compliqué. C’est très difficile à faire mais c’est la raison d’être du nudisme. A nous de porter un discours sur la société qu’on veut, une société non-jugeante, sans forcément parler de nudité, simplement chercher une société où on peut se sentir sereins ensemble.
Le nudisme est souvent associé à la sexualité, et beaucoup de nudistes cherchent désespérément à l’occulter. Pourtant, tu dis qu’il existe bien un lien, mais pas celui auquel on pense…
La philosophie du mouvement, en tout cas au début, observait que plus on réprime la nudité, plus elle est obsédante. Le seul résultat de la pudibonderie est de générer plus d’obsession sexuelle, de fantasmes, etc. Le refoulement provoque souvent du défoulement. Donc le nudisme peut avoir un impact apaisant sur la sexualité : ce n’est plus tabou, ce n’est plus non plus hypertrophié, c’est là, ça fait partie de la vie humaine.
Quand on est dans la nudité, entourés de corps sans attitude érotique, cela coupe le désir basé sur cette obsession. Mais ça laisse plus de place à l’amour et la sensualité, dans le sens du lien humain et emphatique, pas forcément lié à la sexualité. Aujourd’hui, la pub est basée sur l’excitation sexuelle, mais elle ne fonctionne que grâce à la pudibonderie car la corde sensible, c’est la corde frustrée. Depuis que je suis nudiste, mon regard sur la pub a changé, et même mon regard sur le porno ! J’ai du me réapproprier mon corps, ma sensualité, mais l’idée de montrer la sexualité ne me touche pas, je vais être plus sensible à des films qui mettent en place la sensualité et la douceur. Le moteur du porno, c’est que l’image d’un sexe est excitant. Il l’est parce qu’il y a frustration. Mais quand tu as vu des vulves tous les jours, ce n’est pas ça qui va t’exciter. Le porno marcherait moins, ou changerait peut être de visage – un porno plus contemplatif que sexuel – dans une société naturiste. Je pense que ça changerait énormément la donne, peut-être même dans les relations hommes-femmes : il y aurait moins de harcèlement de rue si les hommes étaient habitués au corps humain et aux corps des femmes, et non frustrés dans leur curiosité.
D’après toi, à quoi ressemblera le nudisme dans 10 ans ?
Ça va dépendre de beaucoup de facteurs, mais j’ai l’impression qu’il va devenir moins idéologique. Dans certains camps de vacances, c’est nudité obligatoire, point barre. Il devrait évoluer vers quelque chose de plus libre et plus intégré. On sera moins tout nu tout l’été, mais ce sera plus simple et plus logique de pouvoir aller se baigner nu à l’occasion dans la rivière. Ce sera moins partitionné, on va juste retrouver cette liberté perdue au fil des siècles. Tu as envie d’être nu, c’est cool, d’être en maillot, c’est cool, et on est ensemble. C’est ce que je souhaite, et on a l’air de partir dans cette direction.
J'adhère totalement à ces paroles.
Ici, sur mon blog, l'hébergeur, dans un article précédent parlant de nudité, avait censuré la photo ci-dessous. Je n'ai jamais compris pourquoi...
Est-ce qu'après dix ans d'existence, il en sera de même...?
J'ai déjà raconté ici combien ma dernière année scolaire a été éprouvante. Comme si j'étais arrivé au bout de mon "capital enseignant" comme on peut l'être avec son capital soleil. J'ai tout fait pour tenir jusqu'au bout et donner à mes derniers élèves toute l'énergie qui me restait.
J'ai passé le mois de juillet à me reconstruire. Dormir, me reposer, ne rien faire, me soigner...Jeûner aussi.
Puis j'ai recommencé à marcher, doucement, malgré les difficultés physiques et les douleurs. Des sorties en partant de la maison, des itinéraires que je connaissais et où je pouvais doser les efforts sans risquer de tomber sur un passage trop éprouvant au regard de mes capacités.
J'ai déjà connu ces périodes de "reconstruction". Deux opérations à la colonne vertébrale. On ne s'en remet pas en une semaine. Encore moins lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur des espoirs et que les dégâts collatéraux sont bien plus lourds qu'escomptés.
Je sais qu'il faut être patient et bienveillant avec soi. Le corps n'y est pour rien. Il serait absurde de le maudire. C'est d'amour dont il a besoin.
Depuis deux semaines, j'ai commencé des sorties plus conséquentes.
Avec un immense bonheur. On a pris le camion et on est parti en Maurienne puis en Chartreuse. Dormir en altitude, dans le silence des montagnes, se lever au petit jour, préparer le sac et monter... Monter là-haut. Marcher pendant des heures, éprouver le bonheur de son corps en action, le silence des pensées, la contemplation des montagnes, les regards qui s'étendent sur les immensités.
Ressentir enfin ce bonheur de la force en soi, de l'énergie retrouvée. Aussi fragile soit-elle encore, elle est là. Et je la bénis.
J'ai même recommencé à trottiner dans les descentes et ça, c'était vraiment des retrouvailles avec un plaisir immense...