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  • L'amour philosophique

    Sur Facebook, je lis régulièrement les articles de cette page. Vraiment passionnant.

     

    Philoso'Filles Ateliers Philo pour tout le monde

     

    1 h · 

    L’amour selon Platon et Spinoza

    « Qu’est-ce que l’amour ?

    La tradition philosophique propose essentiellement deux réponses à cette question. Je passe rapidement sur la première, car elle me paraît la moins éclairante, mais il faut la mentionner parce qu’elle est partiellement vraie et historiquement importante.
    C’est la réponse de Platon, dans Le Banquet. L’amour est désir, explique Socrate, et le désir est manque : « Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour. » 
    J’ajouterais volontiers : et voilà pourquoi il n’y a pas d’amour heureux. Si l’amour est manque, et dans la mesure où il est manque, nous n’avons guère le choix qu’entre deux positions amoureuses, ou deux positions quant à l’amour. Soit nous aimons celui ou celle que nous n’avons pas, et nous souffrons de ce manque : c’est ce qu’on appelle un chagrin d’amour. Soit nous avons celui ou celle qui ne nous manque plus, puisque nous l’avons, que nous n’aimons donc plus, puisque l’amour est manque, et c’est ce qu’on appelle un couple. Si bien que la seule réfutation vraie du platonisme, ce sont les couples heureux. C’est pour ça que Platon est un si grand philosophe, la plupart des couples lui donnent raison. Mais il suffit, en bonne logique, d’un seul contre-exemple pour lui donner tort dans sa prétention à l’universel. Or les couples heureux, malgré tout, cela existe aussi…

    Il faut donc une autre définition, pour rendre compte des couples heureux, ou, pour dire la chose de façon plus réaliste, pour rendre du compte du fait que des couples, parfois, sont heureux. 
    Cette deuxième définition, c’est celle que donne Aristote. Dans une phrase pure comme l’aube, Aristote écrit : « Aimer, c’est se réjouir », idée que reprendra Spinoza, quelque vingt siècles plus tard, en disant – et c’est la définition de l’amour que je préfère : « L’amour est une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure ». Autrement dit, aimer c’est se réjouir de.

    Si quelqu’un vous dit : « Je suis joyeux à l’idée que tu existes », vous prendrez cela pour une déclaration d’amour, et vous aurez évidemment raison. Vous aurez aussi beaucoup de chance, parce que c’est une déclaration spinoziste d’amour, ça n’arrive pas tous les jours, beaucoup de gens sont morts sans avoir entendu ça ; et puis, surtout, c’est une déclaration d’amour qui ne vous demande rien. Et ça, c’est tout à fait exceptionnel. Profitez-en bien ! Parce que si quelqu’un vous dit : « Je t’aime », mais s’avère être platonicien, son « je t’aime » signifie en vérité « Tu me manques, je te veux ». Donc il demande tout, puisqu’il vous demande vous-même. Alors que si quelqu’un vous dit : « Je t’aime » en un sens spinoziste, cela veut dire : « Tu es la cause de ma joie, je me réjouis à l’idée que tu existes ». Il ne demande rien puisque votre existence suffit à le convaincre et à le satisfaire.

    Pour Spinoza, l’amour n’est pas manque. Pour lui comme pour Platon l’amour est désir ; mais si pour Platon le désir est manque, pour Spinoza le désir est puissance (par exemple au sens où l’on parle de la puissance sexuelle, mais pas seulement) : puissance de jouir et jouissance en puissance. L’amour est désir, oui, dirait Spinoza, mais non pas manque : l’amour est puissance et joie.

    Qu’est-ce qui indique que Spinoza a raison contre Platon ? D’abord qu’il existe malgré tout, parfois, des couples heureux, qui s’aiment d’autant plus, pourrait-on dire, qu’ils se manquent moins.

    Ensuite qu’il n’est pas besoin de manquer de nourriture, ni même d’avoir faim, pour aimer manger : il suffit de manger de bon appétit, comme on dit, et d’aimer ce qu’on mange. La faim est un manque et une faiblesse ; l’appétit, une puissance et une joie.

    Aussi qu’il n’est pas besoin d’être frustré pour aimer faire l’amour, et même qu’on le fait d’autant mieux qu’on n’est pas frustré ou « en manque ».

    Enfin qu’il n’est pas besoin de manquer de ses amis pour les aimer : la passion donne raison à Platon, presque toujours ; l’amitié, à Aristote et Spinoza, presque toujours. Or toute passion qui dure se transforme en amitié ou devient mortifère. La passion est du côté de la mort, montre Denis de Rougemont. L’amitié, du côté de la vie. Tant pis pour Platon. Tant mieux pour nous. On peut aimer ce qui manque, et souffrir. On peut aussi aimer ce qui ne nous manque pas, c’est-à-dire jouir ou se réjouir de ce qui est.

    Je dis « Jouir ou se réjouir », parce que le mot amour – que je prends depuis le début, parce que c’est notre sujet, dans son sens intersubjectif : l’amour d’un individu pour un autre, et spécialement d’un homme pour une femme, d’une femme pour un homme – vaut également pour des objets. On peut aimer un bon vin. On peut aimer un mets, on peut aimer une musique, etc. 
    Aimer, ce n’est pas seulement se réjouir, comme disait Aristote ; aimer c’est jouir ou se réjouir, pouvoir jouir ou pouvoir se réjouir. Puissance de jouir et de se réjouir : jouissance et réjouissance en puissance. Celui qui ne sait pas aimer ce qu’il mange, ce n’est pas celui qui manque de nourriture, c’est celui qui manque d’appétit. Il a perdu la puissance de jouir de ce qu’il mange, il n’aime pas manger. Si bien que cet amour qui est puissance de jouir et jouissance en puissance, c’est ce que l’on pourrait appeler, pour être plus clair, l’appétit ou le désir. Et si l’on veut garder un terme propre pour désigner l’amour en tant qu’il se distingue du désir, on va alors dire que l’amour est puissance de se réjouir et joie en puissance. Se réjouir de l’existence de l’autre, ce n’est pas la même chose que jouir de son corps. Dans les deux cas, il y a puissance. Il y a des gens qui n’ont pas la puissance de jouir du corps de l’autre, c’est ce qu’on appelle l’impuissance ou la frigidité ; et il y a des gens qui sont incapables de se réjouir de l’existence de l’autre, ce que Freud appelait la perte de la capacité d’aimer. Les deux troubles peuvent aller de pair (par exemple dans la dépression), mais peuvent aussi exister séparément. Certains peuvent jouir qui ne peuvent pas se réjouir ; d’autres peuvent se réjouir qui ne peuvent pas jouir. Cela confirme que le désir et l’amour sont deux choses différentes, quoique liées, ou deux aspects différents d’une même chose, qui est la pulsion de vie. 
    Fort heureusement, que ces deux puissances soient différentes, cela n’empêche pas qu’elles puissent exister ensemble et souvent de façon simultanée… 
    Si l’amour rendait toujours impuissant ou frigide, quelle tristesse ! Mais cela n’est pas : on peut jouir et se réjouir à la fois, et au fond ce sont les plus beaux moments que nous connaissons… Heureux les amants pour qui la chair n’est pas triste ! »

    André Comte-Sponville, "Qu’est-ce que l’amour ?"

     

    Cette vidéo avec André Comte-Sponville est très intéressante également :

  • La servitude animale.

    Voilà, c'est exactement ça. Si les humains ne prennent en considération que les bienfaits que la nature leur apporte, ça n'est pas de l'amour mais de la servitude, un "utilitarisme" tout aussi pervers que l'indifférence. Que deviennent ces espèces "intéressantes" si un jour, pour x raisons, elles ne le sont plus ? 
    Il s'agit de reconnaître un droit à exister et c'est tout, sans prédominance, sans hiérarchisation. Et on en est très loin...

    Faut sauver les hérissons pour protéger les jardins potagers, faut sauver les abeilles pour la pollinisation, faut sauver les éléphants pour le tourisme, faut sauver les vers de terre pour les cultures, etc etc etc

    "« C’est pour sa valeur intrinsèque qu’il faut préserver la nature, pas au nom d'une vision utilitariste ou anthropocentrée qui ne repose sur rien d’un point de vue conceptuel »" 

     

    « La survie du monde vivant doit passer avant le développement économique »

     

    Vincent Lucchese

    Un loup solitaire au crépuscule en Espagne.

    Les chercheurs en biologie de conservation alertent depuis 40 ans sur l’effondrement de la biodiversité, nous sommes entrés dans la 6e extinction massive de l’histoire de la Terre, et pourtant, les choses ne font qu’empirer. Est-ce à cause d’un manque de connaissances ? D’un manque de solutions ? Deux chercheurs du CNRS se sont penchés sur la question en analysant plus de 13 000 articles, soit l’ensemble des publications de la discipline parues dans les 9 plus grandes revues de biologie de conservation entre 2000 et 2015. L’analyse du travail de ces plus de 100 000 chercheurs à travers le monde entier est sans appel : la lacune ne vient pas d’une méconnaissance du phénomène mais d’un manque d’ambition politique. Des solutions existent, sont connues et ont déjà prouvé leur efficacité, mais pour les mettre en place, il faut reconnaître qu’entre préservation de la vie et développement économique, il n'y a parfois pas de conciliation possible. C’est ce que nous explique Laurent Godet, chercheur au CNRS et l’un des deux auteurs de l’étude publiée le 10 septembre dans Trends in Ecology and Evolution.


    Usbek & Rica : Que vous a appris la compilation des travaux de recherches de ces quinze dernières années ?

    Laurent Godet : Le premier résultat fort, c’est qu’on ne s’attendait pas à ce que le constat de la crise de biodiversité soit si net. La crise est documentée de façon incontestable : elle est planétaire, très rapide et touche tous les groupes taxonomiques : mammifères, invertébrés marins, insectes…

    On confirme de manière très robuste les 4 causes de cet effondrement. La fragmentation de l’habitat est vraiment la première cause. Puis viennent les espèces invasives, la surexploitation des ressources et les extinctions en chaîne. [Plus d’explication sur ces « 4 cavaliers de l’apocalypse » dans notre interview de Philippe Bouchet, du Muséum national d’histoire naturelle, ndlr].

    « On prédit que la situation ne fasse qu’empirer »

    À ces causes historiques s’ajoutent deux choses : le changement climatique et les changements d’occupation et d’usage des sols à très grande échelle. On ne parle plus seulement aujourd’hui que des forêts tropicales ou des léopards, toute la biodiversité est affectée. Des espèces communes, autrefois abondantes, ne disparaissent pas forcément mais s’effondrent en nombre d’individus. Et on prédit que la situation ne fasse qu’empirer.

    Laurent Godet
    Laurent Godet, chercheur en 
    biologie de conservation au CNRS.


    Vous dites pourtant aussi que des solutions existent…

    Oui, on relève deux types de bonnes nouvelles : des retours spontanés de la nature et l’efficacité des mesures de protection.

    Il y a d’abord un retour spontané de certaines espèces, de grands prédateurs en Europe par exemple. En France, le loup est revenu depuis le début des années 1990 via l’Italie, par le parc du Mercantour. Ce « réensauvagement » de milieux opère là où il y a disparition de l’activité agro-pastorale, où l’étau humain se desserre. En France, il y a notamment un retour de friches dans le Massif central ou en moyenne montage alpine ou pyrénéenne. On a un retour progressif de couverts forestiers, ce qui est le milieu naturel à l’échelle de l’holocène [la période interglaciaire actuelle comprenant les 10 000 dernières années, ndlr]. C’est encourageant pour la biodiversité.

    L’autre bonne nouvelle, c’est que des mesures de protection fonctionnent très bien. Toujours en France, la loi sur la protection de la nature de 1976 et ses décrets d’application ultérieurs ont permis des retours spectaculaires. Les rapaces et les hérons étaient devenus très rares dans les années 1970 et sont plutôt communs aujourd’hui. La protection des espaces est aussi efficace : la mise en place de réserves ou de parcs naturels marins permet des retours et la redynamisation de populations.

    Tortue verte Chelonia mydas
    Tortue verte Chelonia mydas, Tortue verte Chelonia mydas, exemple de grand succès de mesure de conservation : après sa protection et l'arrêt de son commerce ayant décimé la population, le nombre de pontes sur l'île de l'Ascension (plus grand site de ponte de l'espèce de l'Atlantique Sud) a été multiplié par six de 1977 à 2013. (Photo prise à Moorea)
    © Thomas VIGNAUD/Te mana O Te Moana/Centre de recherche insulaire et observatoire de l'environnement (Perpignan)/CNRS Photothèque

    Les chercheurs sont-ils coupables de ne pas assez valoriser ou plaider pour ces solutions ?

    Dans la communauté scientifique, on est en général très prudent quand on produit des résultats et encore plus quand il s’agit de faire des recommandations. On a tendance à proposer des choses très consensuelles, à faire des compromis en oubliant que nos propositions seront ensuite à nouveau discutées, débattues et amoindries.

    Donc la biodiversité s’effondre parce qu’une certaine culture du compromis empêche de mettre en place les solutions ?

    Il faut sortir de cette idée que tout est toujours conciliable, que l’économique et l’environnemental sont toujours compatibles. Il faut arrêter avec cette utopie infantilisante du développement durable. Oui : protéger la biodiversité implique parfois de stopper des projets de développement économique.

    La conciliation privilégie toujours l’économie aux intérêts environnementaux. La protection des espèces et des espaces souffre de ces compromis : les zones protégées ne le sont pas vraiment lorsque le tourisme et les activités agro-pastorales y sont présentes. Les sols vraiment protégés dans des réserves biologiques intégrales ne concernent que 0,02 % du territoire métropolitain français.

    « Il faut simplement admettre qu’on ne peut pas faire du “en même temps” partout »

    Le même esprit de conciliation nuit aux espèces protégées. Des espèces menacées sont juridiquement protégées mais on autorise pourtant leur chasse sur le territoire national, c’est complètement paradoxal. Le loup, par exemple, bénéficie d’un statut de protection fort au niveau national et par la convention de Berne. Mais sur une population de 430 individus, on autorise d’en tuer 40, soit 10 % de la population. Ça ne s’appelle pas de la régulation mais une politique d’extermination. Il y a plein d’exemples : sur la soixantaine d’espèces d’oiseaux autorisés à la chasse, 20 sont sur la liste des espèces menacées de l’UICN.

    En outre, le compromis ne satisfait personne. Prenons l’exemple du râle des genêts. Cette espèce d’oiseaux niche dans les prairies humides. Il faudrait que les agriculteurs ne fauchent les prairies qu’à la mi-juin pour ne pas écraser les femelles et leurs oeufs avec. Mais la négociation a imposé un compromis de fauchage début juin. Résultat, les râles sont écrasés et l’agriculteur n’est pas non plus satisfait parce qu’il perd en rendement. Il faut simplement admettre qu’on ne peut pas faire du « en même temps » partout.

    Vous semblez rejoindre la sentence de Nicolas Hulot, qui affirmait en démissionnant de son poste de ministre de la Transition écologique et solidaire que notre modèle économique était incompatible avec la lutte contre les périls écologiques.

    Complètement. La biodiversité est au bord du gouffre. L’enjeu est la survie de la communauté du vivant, à laquelle nous appartenons. Ça doit passer avant le développement économique. Un autre message fort de Nicolas Hulot était le refus de se contenter des « petits pas ». Ces petits progrès sont toujours bons à prendre, mais cette politique des petits pas n’est pas suffisante étant donnée l’urgence de la situation.

    « C’est pour sa valeur intrinsèque qu’il faut préserver la nature, pas au nom d'une vision utilitariste ou anthropocentrée qui ne repose sur rien d’un point de vue conceptuel »

    Un tel changement de cap impliquerait un changement radical des mentalités. Notre vision du monde ne constitue-t-elle pas un blocage profond au sauvetage de la biodiversité ?

    La biodiversité n’est pas qu’un catalogue d’espèce, c’est un ensemble d’écosystèmes remplissant un certain nombre de fonctions. On a tendance à regarder ces écosystèmes en fonction de ce qu’ils nous rapportent : une espèce fournit tant de dollars par an de services écosystèmiques, une forêt est un espace récréatif, une rivière rend tel ou tel service. C’est une vision prédatrice qui nous donne l’illusion qu’on peut quantifier la nature par rapport à ce qu’elle nous apporte.

    Mais c’est pour sa valeur intrinsèque qu’il faut préserver la nature, pas au nom d'une vision utilitariste ou anthropocentrée qui ne repose sur rien d’un point de vue conceptuel. Protéger la nature pour ce qu’elle nous apporte implique que le vivant soit là pour nous, c’est au fond une vision créationniste du monde.

    Cette vision du monde désanthropocentrée ressemble à celle que portent les anti-spécistes.

    Je suis moins familier des idées de Peter Singer et des antispécistes. Je suis biogéographe et écologue, nous réfléchissons rarement à l’échelon de l’individu. Mais à l’échelle de l’espèce et des interactions entre espèces, le débat sur l’antispécisme trouve écho dans celui sur le « scalisme », qui consiste à faire une échelle dans le vivant. Nous grandissons inconsciemment tous avec l’idée qu’un poisson ou un reptile est moins évolué qu’un homme, qu’il est plus bas sur l’échelle de l’évolution. Mais ça n’a aucun sens biologiquement. On a tous une histoire évolutive aussi riche et longue.

    L’homme n’est pas une super-espèce. Notre originalité est d’être cosmopolite et de faire des ravages à l’échelle planétaire. Mais biologiquement, nous ne sommes pas plus évolués et tout ce qu’on a mis en avant pour nous distinguer, le langage, le jeu, la culture, etc., on découvre que des espèces proches de nous sur l’arbre phylogénétique l’ont aussi ou même certains oiseaux. Ça appelle à plus de modestie.

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  • "Dites-leur"

    Les temps sont sombres pour les auteurs et créateurs : rémunération, droits d’auteurs, protection sociale, tout concours à la fragilisation de la profession. Le combat est âpre, d’autant qu’il se double souvent d’un mépris affiché pour certains, en particulier pour les « auteurs jeunesse ». Antoine Dôle fait état des « petites cases » dans laquelle la profession est souvent cantonnée, entre dédain violent et désinvolture. Pour poursuivre, malgré tout et tous, une œuvre en devenir. Pour les lecteurs, et pour soi-même.
     

      Photo : Page Facebook d'Antoine Dole 



    Le mépris des uns... 

     
    Je suis dans le bureau d'une éditrice de littérature générale. Elle me parle de mon roman qu'elle souhaite publier. Elle me parle comme si je n'avais pas de notion du travail éditorial : « On va faire comme ceci et comme cela, vous verrez je vous guiderai ». Je lui rappelle en souriant que je connais un peu, que j'ai publié 8 romans jeunesse avant de la rencontrer. Elle se raidit sur sa chaise : « Ah oui mais non, ça ça n'existe pas pour nous. D'ailleurs sur votre livre on mettra un bandeau Premier Roman. Considérez que vous n'avez pas de lecteurs. ». 
     
    J'arrive à 600km de chez moi, pour un salon du livre. J'ai pris le train avec une vingtaine d'auteurs. Nous arrivons à la gare. Nous rejoignons les organisateurs dans le hall. Plusieurs auteurs de littérature générale sont invités à les suivre vers de belles voitures stationnées sur la place, puis aux auteurs jeunesse on dit : « Il y a un bar dans la gare, si vous voulez attendre. Il n'y a pas assez de voitures pour emmener tout le monde ». On accédera à nos chambres une bonne heure plus tard, véhiculés dans un mini bus, dans un autre hôtel à part, en périphérie de la ville. 
     
    J'interviens dans une classe, dans le cadre d'un Festival. Il y a de nombreux auteurs invités : littérature générale, littérature jeunesse, bandes dessinées. La professeure me présente à sa trentaine d'élèves : « Aujourd'hui vous rencontrez Monsieur Dole, auteur jeunesse, mais si vous voulez rencontrer de vrais auteurs, vous pouvez les retrouver sur le salon tout le week-end ». 
     
    Je participe à un gros salon du livre. Un type parcourt un de mes romans et s'étonne : « C'est bien écrit pour un roman jeunesse ! ». Je soupire en racontant cela à une amie autrice de littérature générale qui me propose de déjeuner ensemble. À notre arrivée, l'accueil auteurs nous a remis une enveloppe à chacun avec nos tickets repas. Nous allons dans un restaurant de la liste que mon amie a parcourue. Le restaurant ne veut pas m'accueillir : mes tickets repas (auteur jeunesse) ne me donnent pas accès aux mêmes établissements que ma pote (auteur littérature générale). Notre hôtel n'est pas le même non plus. Notre rémunération non plus d'ailleurs (le % en édition jeunesse est plus faible, pour le même travail).
     
    Un journaliste publie la liste des 20 auteurs qui ont vendu le plus de livres en France en 2018, avec les chiffres, et les félicite chaudement. J'ai vendu plus de livres que certains. Je m'étonne alors que mon nom ne figure pas dans son classement. Il me répond : « Ah oui mais vous vous publiez en jeunesse, on ne prend pas ces chiffres en compte ». Pourquoi ? Pas de réponse. 
     
    Je sors d'un festival à Nancy, après 9h de dédicaces ininterrompues. Je me retrouve dans le train avec d'autres auteurs. J'en reconnais certains, que j'ai vus à la télévision. Une dame notamment, passée à La Grande Librairie pour parler de ses romans. Deux personnes arrivent en courant dans le train, tout le monde se retourne sur elles. Une mère et sa fille, elles s'avancent vers moi, elles m'ont loupé au festival et espèrent une dédicace avant le départ du train. Les auteurs présents éclatent de rire en voyant l'enthousiasme de ces deux lectrices à me rencontrer, la dame connue me regarde et en parlant très fort pour que tout le monde l'entende : « ça alors, voilà un auteur connu que personne ne connaît ! ». Tous se mettent à rire, je suis tétanisé.
     
    Je croise une amie autrice sur un salon. Elle me félicite pour le succès que rencontre ma série. Puis son visage devient un peu grave quand elle me dit « ça doit être chaud de ne pas être reconnu par la profession, non ? ». Je lui demande pourquoi elle dit cela, elle précise : « Bah, beaucoup de professionnels ne s'intéressent même pas à tes bouquins... Ils disent que c'est de la merde alors qu'ils ne les ont pas lus. C'est en jeunesse, quoi. T'as jamais pensé à faire une bd adulte ? ». 
     
    Je termine un salon. Une voiture m'attend à l'accueil pour me ramener à la gare. Je partage la voiture avec trois autres auteurs. Nous faisons les présentations en attendant le chauffeur. L'une explique qu'elle fait de la fantasy, une autre de l'essai politique. À mon tour, j'explique : « Moi j'écris de la littérature jeunesse ». La quatrième autrice pianote sur son téléphone comme si nous n'étions pas là. Je lui demande ce qu'elle écrit, elle me dit « De la littérature » sans décoller les yeux de son écran. Je lui demande « quel genre ? », elle me répond « De la vraie ». Elle ne nous adresse plus la parole pendant tout le trajet. 
     

     

    ... L'amour des autres

     
    Je suis à la maison. Je reçois un mail. Un parent qui m'écrit. Une mère, avec mille précautions, qui s'excuse de me contacter mais explique qu'elle devait le faire. Pour me dire que sa fille lit. Sa fille qui n'a jamais voulu ouvrir un livre avant. Elle écrit : « Ma fille lit grâce à vous. Je voulais que vous le sachiez ». Le MERCI à la fin de son message est écrit en grosses lettres. 
     
    J'interviens dans un collège, à Bordeaux. Après la rencontre, une ado traîne au fond de la classe. Elle met du temps à rassembler ses affaires, laisse les autres sortir de la salle. Elle se rapproche de moi, timide, n'ose pas lever les yeux : « Je voulais vous dire, Monsieur, votre livre... Votre livre il m'a sauvé la vie ». Quand elle quitte la salle, je me retrouve seul et je pleure sur un coin de table. C'est la chose la plus importante qu'on m'ait jamais dite. 
     
    Je suis devant une quarantaine de libraires, pour parler de la sortie d'un livre. Après avoir répondu à leurs questions, mon éditrice a organisé une surprise. Un trophée, avec une plaque gravée. Dessus il est écrit « 1.000.000 exemplaires ». Toute la salle applaudit. Je me dis que j'ai peut-être accompli quelque chose. 
     
    Un matin, je reçois une photo. Un libraire passionné et passionnant a fait tatouer le titre de mon second roman sur son bras. C'est de la chair et de l'encre. Pour toujours.

    Je suis sur un salon. La libraire qui s'occupe du stand s'approche de moi en souriant. Elle me dit que c'est elle qui voulait ma venue. Elle me parle pendant un long moment de ce que mon premier roman a provoqué dans sa vie. Son envie de devenir libraire jeunesse et de guider de jeunes lecteurs vers des textes qui bousculent. Elle ne sait pas comme j'avais besoin d'entendre ça. 
     
    Je croise ce journaliste d'un grand quotidien national. Aussi loin que je me souvienne, il a toujours parlé de mes livres dans son journal. Il a bataillé plus d'une fois pour que ces lignes existent. Pour que j'existe. Parce que la littérature jeunesse a peu de place. Chaque fois que l'envie d'abandonner me prend je repense a ce qu'il m'a dit il y a des années à la sortie de mon second roman : «N'arrête jamais d'écrire ». A chaque fois qu'il me voit il me demande quand sortira le prochain. Et à chaque fois que le prochain sort, il me redit l'importance que ça a, écrire à travers tout le reste et pour des gens qui y croient plus que nous, parfois. 
     
    J'ouvre ma boîte aux lettres, la maison d'édition m'a fait suivre une lettre. Je n'écris plus depuis des semaines. Quand j'ouvre, l'écriture que je découvre est maladroite mais les mots écrits au feutre orange sont puissants. Un enfant de sept ans me dit qu'il est mon plus grand fan et qu'il attend mon prochain livre, que je dois me mettre au travail. J'allume mon ordinateur, il ne faut pas le faire attendre. 
     
    Je dîne avec mon éditeur. Je suis noyé dans les doutes. Je lui parle de mon projet de roman. Il dit qu'il sera là. Si j'ai besoin, si je veux lui faire lire quelque chose, même juste pour me rassurer. Et je sais que ce n'est pas juste une mondanité. J'ai quelques-uns de ces trésors dans ma vie : des gens qui sont là, près de moi, pour que j'apprenne à briller même dans le noir. 
     
    J'ai une invitation. On m'invite à venir parler de mes livres en Nouvelle Calédonie. On me dit que là-bas, à l'autre bout du monde, des enfants se sont mis à lire grâce à ma série. Des enfants qui plus tard sauront qu'ils sont capables de grandes choses, grâce à tous les héros et héroïnes de livres qu'ils auront accueillis dans leur tête et qui les inspireront. 
     
    Alors dans le mépris, des lumières s'allument. Des sourires. Des cœurs s'ouvrent en grand. Quand j'ouvre une de ces lettres de lecteurs, quand je vois des journalistes porter nos mots aux côtés de ceux des autres, quand je rentre dans ces bibliothèques chaleureuses qui partagent nos univers, chaque fois qu'un éditeur monte au créneau pour défendre cette littérature exigeante que peut être la littérature jeunesse, chaque fois que je repars d'un salon du livre qui m'a baigné d'amour, ou qu'une librairie m'accueille parce que mes livres y ont trouvé leur place.
     
    Chaque mot compte et peut faire la différence. Chacun de vos sourires, chaque dessin. Chaque message.

    Chaque fois, chaque jour, chaque instant. 

    Vraiment, croyez-moi. Dites à vos auteurs jeunesse que vous les aimez. 

    Dites-leur ce que leurs livres ont provoqué dans votre vie. 

    Prenez votre clavier, là, maintenant. Et écrivez à l'un d'eux. 

    Dites-leur. 
    Dites-leur. 
    Dites-leur. 

    Parce que ce monde ne cesse de leur expliquer, en long en large et en travers qu'ils ne sont pas grand-chose. 
    Perdu dans le mépris des uns, il leur restera toujours quelque chose de l'amour des autres pour les éclairer doucement.

     

    Antoine Dole

     
     
    (PS : Je précise : il y a beaucoup de gens formidables, en littérature jeunesse comme en littérature générale. Des auteurs ouverts j'en ai rencontré plein, des éditeurs attentifs, des journalistes curieux, des salons et festivals respectueux et soucieux de ne pas faire de distinction. Je ne généralise pas. Je partage ces anecdotes, des moments parmi d'autres, sur le mépris et sur l'amour qui composent mon métier. Il y a bien évidemment plein de sensibilités différentes et d'autres expériences).  


     

    Commentaires

    prune, le 01/06/2019 à 08:05:09 Répondre

    malheureusement je ne suis pas vraiment étonnée par votre récit il y a le même mépris pour ce qui est de la transmission par exemple du théâtre ... ou des spectacles pour enfants ( je suis comédienne j'ai beaucoup joué pour les enfants et je transmets le théâtre à des adultes et des enfants ... c'est donc du vécu ) Ça semble étrange pourtant et je me suis toujours dit qu'il aurait fallu que ces gens tentent cette écriture où cette démarche pédagogique pour avoir voix au chapitre ...Au vu de l'exigence que peuvent avoir les enfants et au fait que ce soit si difficile de les nourrir et de les contenter. Sans oublier que nous nous adressons alors aux générations à venir encore capable de changer ce monde et de le faire évoluer vers plus d'humanité... quelle responsabilité : continuez à écrire pour les enfants,pour les adultes et moi je vais commencer à vous lire ça m'a donné envie

    Karine, le 01/06/2019 à 12:19:32 Répondre

    Je suis moi-même une écrivaine en devenir (mon premier roman sortira à la fin du mois) et déjà je peux affirmer que je ne comprends que trop bien ce que vous décrivez.



    Des lettres de refus d'éditeurs, par exemple, qui commencent leur courrier par "Monsieur" alors que je suis une femme. Il y a aussi les "Madame, Monsieur", comme ça, on utilise une seule et même lettre pour tout le monde, tellement plus simple! Ça n'est pourtant pas grand chose comparé à ce que vous témoignez, mais il faut admettre que ça vous laisse perplexe, c'est le cas de le dire.



    Merci pour ce témoignage touchant.

    Nathy, le 01/06/2019 à 12:34:53 Répondre

    Hélas, les auteurs de l'imaginaire rencontrent eux aussi ce mépris, nous ne sommes pas de vrais auteurs et j'en passe et de temps en temps on reçoit le message d'un lecteur ou d'une lectrice qui nous remonte le moral.

    NinaChan, le 01/06/2019 à 12:45:32 Répondre

    Waouh, quelle prise de risque ! Quel courage, Monsieur Dole ! Sur le fond de ce qui est dit, personne ne trouvera rien à redire. Ce désaveu de la littérature jeunesse par la "vraie" littérature ne date pas d'aujourd'hui et gagne toujours à être dénoncé. En revanche, quant au porteur du message... Connaissant bien l'homme (ou le personnage, on ne sait plus), on se dit quand même que la littérature jeunesse mériterait ambassadeur plus convainquant. À se demander dans le fond à quoi sert vraiment cette tribune : dénoncer dans le mélo un scandale réel bien que déjà connu, ou de faire une pub demi-habile à son auteur ? En somme, pas dupe, on referme surtout l'ordinateur en se disant : "Oh, le pauvre petit chat malade au million d'exemplaires vendus..."

    Sardine, le 01/06/2019 à 13:10:17 Répondre

    Nous aussi on vous adore ! on aime votre travail, bon bien sûr on est spécialisés Jeunesse, alors on fait partie de ceux qui ont gagné leur journée ( leur vie ??) quand un enfant se met à lire... A tous les grincheux et surtout les irrespectueux, rappelez-leur que la littérature jeunesse ( et la BD en tête !) tire le marché du livre !!! Pour info... smile smile smile Et sinon, on eur envoi Ajax et sa dose de mignonitude... winkBonne continuation ! car oui, il faut continuer...La vie de libraire aussi est compliquée, mais on est passionnés, n'est-ce pas? Sandrine. La librairie Mots et Merveilles, à Saint-Omer, où vous êtes le Bienvenu.

  • Pourquoi pas eux ?

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    L'amour chez les animaux. Qui pourrait rester insensible devant ces gestes tendres ? 

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    Mais alors pourquoi les espèces suivantes n'engendrent-elles pas les mêmes émotions  ?

    Pourquoi ne leur accorde-t-on pas la même tendresse dans ces gestes d'amour ?

    Parce qu'ils sont bons à manger ?

    Ils n'existent donc que pour cela ?

    Ils ne peuvent pas recevoir de notre part les mêmes émotions qu'une lionne, une louve, une girafe, une femelle chimpanzé ou n'importe quel autre animal qui ne se mange pas ?

    Ils ne peuvent pas éprouver de sentiments aimants parce qu'il sont bons à manger ?

    Parce qu'ils sont bons à manger, il est justifiable de ne pas leur accorder de possibilités d'aimer ? 

    Est-ce que tout le monde voit bien l'absurdité du raisonnement ?

    Cela signifierait qu'un animal comestible n'a pas le droit de recevoir des humains la même émotion ? Il n'est qu'un morceau de viande dans une assiette et non une mère et son enfant ? 

    Oui, je n'en peux plus de savoir que deux millions de poulets ont été abattus aujourd'hui.

    Chaque seconde 35 animaux"comestibles" sont tués dans nos 263 abattoirs français.

    Il n'est même pas question de parler de souffrance animale pendant ces exécutions, pendant leur élevage, pendant leur transport. 

    Je parle juste de l'émotion aimante que ces animaux éprouvent. 

    Je parle de la conscience animale.

    Je parle de la conscience des humains. 

    Il est des jours où je rêve que les animaux se rebellent à l'échelle planétaire. 

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  • La croissance à tous prix

    Aucune visée à long terme des effets de la "croissance".
    On récolte, on exporte par cargos dans le monde, on contribue à la disparition des petites exploitations et de leurs diversités, on assassine toute la faune et la flore et puis un jour, on se rend compte que les besoins vitaux de la population loacle ne sont plus accessibles...

    Ça aura pris trente ans. Il en faudrait le double certainement pour rétablir l'équilibre perdu.

    Une solution ? Acheter ce qui pousse chez soi ou mieux encore quand c'est possible, cultiver soi-même. Pas de transport par cargos épouvantablement polluant, pas de surexploitation dans les pays producteurs. Chacun mange ce qu'il a.

    "Ah, ben, oui, mais les avocats, c'est comme la viande, c'est bon. Alors, tant pis, on va continuer".

    Il n'est plus possible de se réjouir de son assiette quand la demande alimentaire d'ici contribue à la mort là-bas. Ça n'est plus possible.

     

     

    ENVIRONNEMENT

    Au Chili, les avocats assèchent les cours d'eau

    L'engouement culinaire pour l'avocat dans les pays occidentaux n’est pas sans conséquences sur le plan économique et surtout environnemental. Le Chili en fait les frais depuis presque 30 ans.

     

    De Juliette Heuzebroc

    Récolte d'avocats dans un verger de Valle Hermoso, La Ligua, dans la province de Petorca au Chili le 6 mars 2018.

    PHOTOGRAPHIE DE AFP/ARCHIVES / CLAUDIO REYES

    Les années 1990 ont marqué le début d’un engouement pour la consommation d’avocats, en particulier aux Etats-Unis et en Europe. Réputé pour ses bienfaits alimentaires, ce fruit d’origine guatémaltèque est aujourd’hui principalement exploité au Mexique, au Chili et en Afrique. Si ce phénomène a longtemps été synonyme de dynamisme économique pour les Chiliens, il devient aujourd’hui source de dégâts environnementaux aux conséquences directes sur le quotidien des citoyens.

    Avec une exportation en constante augmentation, le Chili a fourni plus de 159 700 tonnes d’avocats à des pays étrangers en 2016. Lorsque l’on sait que pour irriguer un hectare d’avocats, 100 000 litres d’eau quotidiens sont nécessaires (l'équivalent de la consommation d’eau de 1000 habitants), on saisit l’enjeu écologique relatif. Enjeu auquel s’ajoute les conditions très spécifiques de transport et d’exportation du fruit, très énergivores.

    La province de Petorca, située dans la région centrale du Chili, a vu ses cultures traditionnelles de pommes de terre, de tomates et ses vergers disparaître pour laisser place à l’exploitation écrasante des avocatiers. On y trouve aujourd’hui plus de 16 000 hectares de culture, soit une augmentation de 800 % en moins de 30 ans. Les habitants n’ont plus d’eau pour vivre, s’hydrater ou se laver et doivent faire venir l’eau par camion ; les sols étant complètement asséchés par les exploitants agricoles.

    Déchets dans le lit asséché de la rivière Ligua de la municipalité de Petorca, région de Valparaiso au Chili le 2 mars 2018.

    PHOTOGRAPHIE DE AFP/ARCHIVES / CLAUDIO REYES

    Les lits de plusieurs rivières, comme Ligua et Petorca, sont à sec depuis plus de dix ans. Les poissons et autres agents de la faune et de la flore ont également disparus, déréglant considérablement l’écosystème de la zone. Mais plus grave encore : l’absence de cours d’eau rend impossible toute évaporation et ainsi le processus de formation de nuages et donc de précipitations. Dotée d’un climat subtropical, la province de Petorca connaît depuis des années de longues périodes de sécheresse, amplifiées par le phénomène météorologique El niño.

    Si les habitants accusent ouvertement les exploitants agricoles d’être responsables de la disparition des eaux souterraines, ces derniers s’en défendent. Le gouvernement lui-même peine à trouver des solutions pour alimenter la région correctement puisque l’exploitation de l’eau est un système privatisé au Chili depuis 1981, sous la dictature d’Augusto Pinochet. Si l’État actuel tente de revenir sur cette décision, elle ne peut en attendant pas redistribuer cette richesse comme elle le souhaiterait pour fournir en eau tous les Chiliens.

    Par ailleurs, l’extrême monopole des exploitants d’avocatiers et leur consommation en eau ont fortement contribué à la fermeture des cultures et élevages locaux à échelle familiale, engendrant une migration conséquente de ces travailleurs.

  • Un maire qui en veut.

     A mon sens, l'avenir ne viendra pas des instances dirigeantes mais des gens du terrain, ceux qui vivent dans le réel et non dans celui des sphères politiciennes. L'éducation nationale qui refuse d'ouvrir une classe. Pas rentable certainement à leurs yeux alors qu'une école est nécessaire pour qu'un village survive. C'est ça, l'Etat ? Alors, oui, il faut s'en passer autant que possible. 

     

    En 2008, Saint-Pierre-de-Frugie était encore l’un de ces innombrables villages français victimes de la désertification, de l’exode rural et du vieillissement de sa population. On n’y croisait pas un chat. Pourtant, moins de 10 ans plus tard, les gens s’y pressent par dizaines dans l’espoir d’y trouver une maison à vendre ! Que s’est-il passé entre temps ? Il s’est passé que le nouveau maire a tout misé sur le bio et l’écologie ! Gros plan sur un retour à la vie qui ne doit rien à la magie !

    Gilbert Chabaud a été élu maire de Saint-Pierre-de-Frugie en 2008. Seulement voilà, ce petit village de Dordogne n’avait plus rien à voir avec celui de son enfance. Tous les jeunes étaient partis s’installer en ville pour y trouver du travail et le rectorat avait fermé l’école un an plus tôt, provoquant ainsi la fermeture du dernier commerce du village : le bistro qui préparait les repas de la cantine scolaire…

    Source : Wikipedia
    Source : Wikipedia

    En résumé, à Saint-Pierre-de-Frugie, à de rares exceptions près, on n’y trouvait plus que des anciens. En conséquence, le village était appelé à mourir à plus à moins long terme.

    Mais Gilbert Chabaud ne pouvait pas se résigner à un tel sort. Élu à la tête de sa commune, cet ancien concessionnaire automobile s’est donc creusé la tête et a décidé de tenter le tout pour le tout en misant sur le bio et l’écologie !

    Dans un premier temps, son conseil municipal a voté la fin de l’usage des pesticides et des traitements phytosanitaires. Résultat : on a rapidement vu revenir les papillons et autres insectes pollinisateurs oeuvrer sur le moindre bosquet.

    Source : Saint-Pierre de Frugie
    Source : Saint-Pierre de Frugie

    Ensuite, la municipalité a décidé la création d’un « jardin partagé ». Une sorte de potager collectif ouvert à tous où chaque habitant est invité à s’initier à la permaculture et à se fournir en fruits et légumes. Résultat : une animation solidaire, écologique et inattendue qui a fini par se faire connaître au delà des frontières de la commune.

    Dans un troisième temps, Gilbert Chabaud a voulu profiter du potentiel touristique de sa commune. À ce sujet, voici ce qu’il a confié à l’AFP :

    « En améliorant l’environnement, en rachetant les zones humides tout autour de la commune, on s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire pour l’écotourisme »

    Aussitôt dit, aussitôt fait : neuf sentiers de randonnée ont été aménagés dans les environs et tout le petit patrimoine du village a été restauré grâce à des matériaux écologiques !

    Résultat ? Eh bien les touristes sont venus ! Il a donc été possible de réaliser la quatrième étape du projet : la construction d’un gîte rural et écologique destiné à accueillir les visiteurs !

    Source : Saint-Pierre de Frugie
    Source : Saint-Pierre de Frugie

    Mais ça ne pouvait pas s’arrêter en si bon chemin. Les touristes, aussi écolos soient-ils, ont besoin de se rafraîchir et de se nourrir. En 2013, le village a donc rouvert les portes de son bistro dont la gestion a été confiée à un gérant venu de l’extérieur.

    Dans la foulée, le village a même eu droit à l’ouverture d’une épicerie bio alimentée par les agriculteurs de la région !

    Retour de l’animation, retour des commerces, arrivée de nouveaux habitants… Il ne restait plus qu’à rouvrir l’école. Et, vu que l’éducation nationale y restait opposée, le maire a soutenu une institutrice qui souhaitait ouvrir une école Montessori. Bonne pioche : non seulement ça  a marché mais, en plus, en une année scolaire seulement, les effectifs ont déjà doublé (l’établissement accueillant désormais 20 élèves) !

    Source : Saint-Pierre de Frugie
    Source : Saint-Pierre de Frugie

    Que de chemin parcouru en à peine 8 ans ! Et ça n’est pas terminé !

    Véronique Friconnet, elle aussi secrétaire de mairie, s’est également confiée à l’AFP :

    « C’est un cercle vertueux. Désormais il ne se passe pas un jour sans que des gens appellent pour nous demander s’il y a des maisons à vendre à Saint-Pierre ».

    Le succès de cette transition écologique est tel que le maire entend désormais ouvrir un musée d’un genre original : un musée à l’envers qui envisagera l’avenir plutôt que de raconter le passé !

    L’avenir, justement, Gilbert Chabaud l’envisage déjà. Son nouvel objectif ? Un village autonome en énergie !

    Cette belle histoire souligne une chose : la transition écologique ne doit pas être vue comme une contrainte à trainer comme un boulet mais bien comme une formidable opportunité d’avenir. La trajectoire étonnante de Saint-Pierre-de-Frugie en est la preuve : les gens sont prêts pour l’écologie. Mieux que ça : ils la plébiscitent !

     

  • KUNDALINI : un commentaire à deux mains

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    "Bonsoir cher Monsieur Ledru.
    Nous écrivons à deux mains pour vous remercier de votre ouvrage. Sa lecture a été un révélateur. Nous savions qu'il manquait quelque chose à notre couple. Nous avons toujours été heureux de notre vie commune mais il manquait quelque chose. Vous nous avez offert sa révélation : le massage. C'est incroyable effectivement, c'est bien ce que vous avez si bien décrit. Et c'est incroyable aussi de penser que nous sommes passés à côté de ça aussi longtemps. Croire que le massage est soit médical, soit érotique, c'est ignorer sa dimension spirituelle. Il était impossible que nous ne saisissions pas ce cadeau. Nous avions entendu votre très court passage chez Brigitte Lahaie. Ma compagne avait noté le titre du livre parce que c'était sur la sexualité sacrée. Nous ne savons pas comment décrire cette histoire. C'est bouleversant, réjouissant, merveilleux. Votre écriture est un miracle. 
    Merci.

     

    "Votre écriture est un miracle."

    Je vais graver cette phrase dans mon âme.

    J'ai toujours eu dans l'idée qu'un roman devait comporter une part "d'utilité". On peut considérer que le plaisir de la lecture en est déjà un mais il me plaît d'en envisager un autre. Celui d'un impact suffisamment important pour que le lecteur en adopte quelque chose dans sa vie....

     

     

  • La citadelle de l'ego

    Aucun acte conscient ne peut se passer d'une pensée. Et un grand nombre de nos pensées sont nourries par notre sensibilité et par conséquent nos émotions. Nous sommes des penseurs émotionnels. 

    Vient ensuite l'engagement. Il peut être spontané ou réfléchi.

    Le problème de la spontanéité, c'est la puissance émotionnelle qui la génère. Elle ne deviendra durable qu'au regard de la réflexion qui la suivra. Sinon, elle s'éteindra et les actes par là-même.

    Il convient donc de saisir l'émotion pour nourrir la pensée puis de la canaliser par la raison. C'est là que les actes seront durables.

    Vient ensuite le choix des actions à mener et elles sont innombrables ...Il reste à savoir si l'indifférence est plus puissante que le désir de changer; si l'empathie est capable de briser la citadelle mentale de l'ego qui repousse obstinément les émotions viscérales.

    Car il y a nécessairement une émotion viscérale à voir et à entendre souffrir les animaux, à voir mourir les forêts, les océans se vider, les abeilles disparaître, les oiseaux ne plus chanter, les éléphants abattus, les dauphins éventrés...

    Et s'il n'y a aucune brûlure dans le ventre, si rien ne se noue, jusqu'à la nausée, si rien ne vient hurler à l'intérieur que ça ne peut plus durer, alors, c'est que l'heure du changement n'est pas venue et que la citadelle de l'ego n'est pas prête de tomber.

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