Blog
-
La philosophie et Mme Sotirakis
- Par Thierry LEDRU
- Le 01/03/2019
A l'époque, la philosophie et Mme Sotirakis, ma professeure, ont été d'un secours indispensable, vital, considérablement plus important que tout ce qui est imaginable. Il ne s'agissait pas d'une philosophie "scolaire" mais de la prise de conscience qu'une vie entière ne peut ignorer ou rester indifférente à ce que Socrate et d'autres ont dit et écrit. Il ne s'agissait pas de travailler en vue du BAC mais pour réaliser que le sens de ma vie dépendait de moi, que j'étais libre dès lors que j'étais conscient de mes limites et qu'il ne dépendait ensuite plus que de moi, grâce à ce travail sur moi-même, que ses limites soient repoussées, sans cesse, avec obstination, comme le fait l'alpiniste qui vise un sommet.
Deux ans auparavant, mon grand frère avait eu un accident de la route. Déclaré "cliniquement mort", deux mois de coma. J'ai vécu dans sa chambre, alors que je le veillais, des nuits et des jours de pensées, de réflexions, d'interrogations. C'était comme un vacarme inépuisable, une alternance constante entre les moments "d'absence", assis au bord de son lit, des moments de paix intérieure, un silence qui ne pouvait exister qu'en contrepoint du chaos qui m'habitait lorsque je cherchais à comprendre la raison de la souffrance, de la mort, de l'existence de Dieu, du Bien et du Mal, de la futilité du monde adulte. J'ai lu et relu "Citadelle" de Saint-Exupéry et Krishnamurti, encore et encore, j'ai lu "La nausée" de Sartre, " L'homme révolté" de Camus, des milliers de pages puis des milliers d'heures à réfléchir, encore et encore. Ou à ne rien faire, dans un silence intérieur absolu. Je ne savais pas encore à l'époque que je méditais...
C'est lorsque j'ai eu le privilège d'entrer dans la classe de Mme Sotirakis que j'ai compris que moi aussi, je pouvais trouver dans la philosophie la paix intérieure dont j'avais absolument besoin, non pas l'absence de pensées mais la maîtrise du flot. Penser avec raison, penser sans émotions, penser comme on respire. Calmement.
LES ÉVEILLLÉS
Extrait :
Il a tellement lu depuis ces jours sans fin. Passer de livre en livre comme un nageur dans l'océan sauverait sa vie en quittant une bouée pour en rejoindre une autre. Et se rapprocher peu à peu de la terre ferme.
Il repense à tous ces ouvrages posés sur les étagères de sa chambre d’adolescent. Il s’endormait parfois le livre ouvert posé sur la poitrine, les mots résonnant dans ses rêves, des flux d’idées parcourant son inconscient, irradié de phrases, assailli de mots désordonnés, il entendait des murmures lui parler d’éveil, d’accomplissement, de quête. La tête ronde de Gurdjieff, sa grosse moustache, ses yeux sombres, une voix caverneuse, « suis ton chemin, tu l’as choisi même si tu ne le sais pas, ne crains rien, » la photo de Saint-Exupéry dans son cockpit, lui aussi était engagé dans un vol de nuit, la nuit de ces jours sombres dont il n'était jamais vraiment sorti, Sartre et ses lunettes rondes dans un café parisien, « l'existence précède l'essence », oui, il n'était rien de vivant tant qu'il ne vivrait pas vraiment, dans l'intégralité de la vie et non des enceintes limitantes, cette photo en noir et blanc de Jack London avec son blouson d’aviateur, celui qui avait peut-être trouvé la mort plus douce que l'existence à moins que la mort se soit trompé de cible, tous ces livres, tous ces mots, ces phrases qu’il apprenait par cœur, qu'il tournait en boucle, qu’il se répétait, la nuit, en vélo, sur la plage, dans les forêts, n'importe où, dès qu'il pouvait se libérer du vacarme envahissant des humains.
Il n’était jamais seul. Cette impression lointaine d’être observé, accompagné.
Ce rêve récurrent d’une lumière qui lui parle, une aura bleutée. Aucune explication.
Ce réveil au milieu de la nuit. Christian dormait.
Silence dans les couloirs.
Il avait subitement aimé cette chambre, cet instant suspendu, l’impression d’être à sa place. C’était son chemin, il devait passer par là. Il s’était levé du fauteuil, il s'était approché, il avait pris la main inerte.
Il avait serré les longs doigts fins. Il avait pleuré. Toute cette force en lui, cette énergie qui enflammait son ventre.
Un instant de bonheur.
Il en avait été gêné.
Ce chemin qu’il aurait choisi.
Comment était-ce possible ?
Christian s'était réveillé. Vraiment réveillé. Pas sous la forme de délires ou de crises de folies mais un réveil conscient. Quelques minutes.
Il lisait dans le fauteuil inclinable quand il avait réalisé soudainement que son frère avait les yeux ouverts. Il s'était approché du lit.
Regards croisés. Il avait su immédiatement que Christian était là. Vraiment là.
La joie et la panique. La délivrance et aussitôt la peur de tout ce qu'il allait devoir expliquer.
Comment dire ce qui ne peut être accepté ? Il n'avait jamais imaginé qu'il serait responsable des premiers mots, que c'est sur lui que tomberait la tâche redoutable d'expliquer le désastre.
Christian s'était très vite assoupi, comme épuisé par l'ouverture des yeux et plus encore par cet effort de conscience.
Il était retourné s'asseoir, le cœur battant, immensément soulagé."
-
Des retrouvailles inattendues.
- Par Thierry LEDRU
- Le 28/02/2019
J'ai parfois fortement critiqué Facebook pour ses dérives mais il y a un intérêt que je lui reconnais : celui de permettre de retrouver des personnes.
Il y a quelques semaines, j'ai tapé le nom de ma professeur de philosophie, en Terminale.
Il y a eu quatre propositions. J'ai regardé les photographies de "profil" et je n'ai eu guère d'hésitation.
Après avoir parcouru les quelques informations disponibles, j'étais quasiment certain.
J'ai envoyé un MP.
Et hier, cette Dame m'a répondu.
Nous avons discuté de nouveau ce soir, pendant un bon moment, et c'est vraiment magique pour moi.
J'ai un profond respect pour cette Dame.
Je l'ai évoquée sur la page d'accueil du blog. Un hommage.
Je sais tout ce qu'elle m'a apporté.
Elle se souvient bien de moi et elle s'est parfois demandé ce que j'étais devenu.
Je n'ai jamais oublié cette "ambiance" particulière de ses cours.
J'entrais dans cette classe comme dans un temple.
Elle m'impressionnait beaucoup par son calme, sa sérénité. Une énergie très forte pourtant, une voix qui me captivait.
Parfois, je restais discuter avec elle après les cours.
Elle se souvenait que j'étais passionné par la montagne et l'alpinisme et nous avions eu des échanges sur la passion. Vaste sujet dans la dimension philosophique. J'adorais écrire aussi et j'étais ému de ce qu'elle disait de mes textes.
"Elève intéressant et intéressé. Des qualités. Année très satisfaisante.".
Je ne regrette rien de mes passions et je continue à penser que les philosophes occidentaux ont une vue étriquée de la chose.
Je veux bien concevoir qu'il existe des passions destructrices mais elles ne le sont pas toutes. Et celles qui ne le sont pas appartiennent à ces individus qui savent en extraire le meilleur et ne se laissent pas entraîner dans des flots néfastes.
"Une passion dévorante".
L'expression ne laisse aucun doute sur le jugement qui en est fait et je n'aime pas cet amalgame si fréquent qui consiste à dire que ce qui est néfaste dans un domaine précis contamine l'ensemble de ce domaine.
C'est parce qu'il y a des camping caristes irrespectueux des lieux où ils passent qu'il y a maintenant autant de barrières limitant la hauteur à l'entrée des parkings. Ca ne fait pas de moi un camping cariste irrespectueux. Je subis le comportement de certains, c'est tout. Mais je suis placé dans le même moule par le législateur et même une partie du grand public.
Il en est de même avec la passion chez les philosophes. Que certains individus soient dévorés par leur passion a conduit tous les passionnés à être "condamnés" par la philosophie.
Alex Honnold est passionné par l'escalade de très haut niveau et parfois en solo. Est-ce qu'il est fou de risquer ainsi sa vie ? Non, aucunement parce que tout ce qu'il fait est minutieusement préparé, chaque geste, chaque déplacement. Sa préparation mentale est sans faille. Ce qu'il apprend de lui est au-delà de notre vécu.
Bien entendu que lorsqu'un de ces "conquérants de l'inutile" se tue en montagne, il en est toujours pour dire qu'il l'avait cherché...Et qu'en plus, "ça coûte cher d'aller le chercher"...
Bon, là, je n'essaie même plus d''expliquer quoi que ce soit. Il y a un moment où il faut savoir se protéger de la bêtise du monde.
La passion est un véhicule et tout se passe bien tant qu'il y a un conducteur. Elle est donc l'opportunité d'apprendre à se connaître et à diriger son existence, mû par l'énergie aimante de la passion et non par sa déraison enivrante.
J'en parlerai certainement encore avec ma professeur. :)
-
Sagesse amérindienne
- Par Thierry LEDRU
- Le 25/02/2019
Une salutation des sioux Lakota est "Mitakuye Oyasin" c'est à dire au nom de toute ma parenté, ce qui sous entend que tout est relié et que tout ce qui est dans la nature et nous même sommes interdépendants...
”Depuis des centaines d’années, la terre souffre d’une destruction rapide de son équilibre et de sa beauté. Sa souffrance provient des civilisations dominées par les hommes qui ont complètement perdu leur équilibre spirituel. L’homme continue de regarder du côté de la politique, de l’économie et de la guerre pour résoudre les problèmes causés par la politique, l’économie et la guerre. Notre Mère, la Terre continuera de souffrir de notre façon de vivre déséquilibrée seulement jusqu’au moment où elle devra frapper, éliminer la vie humaine si nécessaire, se guérir, revenir à un état d’équilibre et recommencer.
Certaines personnes croient que nous détruisons la planète. Cette croyance est un symptôme de l’orgueil démesuré de l’homme, de son “complexe de Dieu”. Nous avons abusé de notre pouvoir en nous détruisant nous même. Même si nous choisissons d’abuser de notre pouvoir en nous détruisant nous même, ma Mère la Terre survivra. Elle se guérira même si cela lui prend plusieurs milliers d’années pour se débarrasser de la saleté et des ravages de l’histoire humaine, ce n’est finalement qu’un temps très court à l’échelle de la vie de la planète Terre. Depuis les temps anciens, les Lakotas se sont toujours vus comme les gardiens de la Terre. Nous ne croyons pas que la Terre nous appartient, nous savons que nous appartenons à la Terre. Nous savons, et cela a toujours été une part de nos enseignements, que toute chose et que tout être dans leur nature sont duels, positif et négatif, masculin et féminin. Cette dualité est présente dans chaque forme d’existence, du plus simple atome à la plus grosse masse de matière de l’univers. Cette dualité existe aussi dans le Créateur.
Nous connaissons le Créateur comme masculin et féminin mais nous avons pris l’habitude d’oublier la partie féminine du “Grand-Mystère”. Nous avons été si profondément influencés par la société en place que nous avons permis à nos tendances négatives d’aller de plus en plus loin dans le déséquilibre. Dans toutes les histoires des civilisations qui se sont engagées dans ces tendances et croyances de la société dominante, il y a des mythes, légendes et écritures religieuses qui décrivent Dieu comme purement masculin. Ils disent que Dieu a fait l’homme à son image et qu’ensuite il a fait la femme pour la donner à l’homme. Beaucoup de gens croient que se sont les femmes qui ont apporté le mal, la douleur et la souffrance de ce monde. Ils utilisent ceci comme une excuse non seulement pour dominer et contrôler la femme, mais aussi pour rabaisser tout ce qui est féminin en incluant bien sûr ma mère la Terre. Ceci a conduit la vie à un monde dirigé par le cerveau gauche. La société vénère les fonctions les plus masculines : mathématique, science, stratégie militaire. Elle accorde beaucoup moins d’importance aux aspects féminins tels que l’intuition, une éducation plaçant les enfants au dessus de toutes les autres priorités ainsi qu’un comportement harmonieux.
Il y a quelque vérités spirituelles de base que tous les peuples doivent suivre pour pouvoir diriger leur vie dans leur propre religion, leur propre chemin spirituel.
Ce qui est créé par la Source est sacré. Tout ce qui est créé par l’homme ne l’est pas. La Terre a été créée par la Source aussi elle est sacrée. Les frontières et les gouvernements ont été créés pour servir les intérêts des hommes, aussi ne sont-ils pas sacrés. Le plus haut et le plus noble peut être corrompu.
Le plus puissant et le plus fort peut devenir faible et tomber. L’homme peut les changer, les corrompre, les détruire et les reconstruire. La Terre continue avec ou sans eux.
Faces of the world
Les ressources et les richesses de cette Terre ont été créées par la Source, elles sont sacrées. Les animaux, les plantes, les arbres, l’air, l'eau, aussi, ils sont sacrés. Les grands groupes, les systèmes économiques, la bourse, la complexité moderne et les structures politiques ont été faites par l’homme pour servir ses intérêts, ils ne sont pas sacrés. Une poignée de gens peut ainsi amasser des biens matériels pendant que beaucoup de gens souffrent. De grandes quantités de formes de vie disparaissent aussi à cause de ces mêmes personnes. Ils peuvent continuer sur les chemins de la destruction pour le pouvoir et le profit jusqu’à ce qu’eux-mêmes ne puissent plus survivre sur leur propre tas d’ordures laissant par la même occasion derrière eux une planète inhabitable pour les générations futures. La Terre se purifiera et se guérira d’elle-même.Ce n’est pas à nous de décider qu’une forme de vie est plus sacrée qu’une autre. Nous devons apprendre à vivre sans dépenser plus que ce dont nous avons besoin. Prendre la vie d’un animal n’est pas pire ou meilleur que de prendre la vie d’un arbre ou de n’importe qu’elle autre plante.
Chaque jour et chaque nuit, les gardiens de la tradition Lakota prient pour l’humanité, les animaux, les plantes, ceux qui sont dans le monde des esprits, la Terre, l’Eau, le Feu et l’Air. Nous prions pour les animaux quand nous les tuons pour la nourriture et pour manger leur viande. Nous prions pour les plantes quand nous les cueillons pour les cérémonies et les guérisons.
Nous, Lakotas, croyons que toute chose crée par la Source est sacrée et en tant que partie de la Création nous sommes aussi “connectés". A chaque fois que nous prions, nous finissons nos prières par les mots “MITAKUYE OYASIN” (Nous sommes tous reliés). Avec cette petite phrase, nous prions pour toutes les choses.“
Archie Fire Lame Deer
Chief Archie Fire Lame Deer -
Jacques Gamblin au parlement des écrivains
- Par Thierry LEDRU
- Le 24/02/2019
C’est l’histoire d’une vidéo qui connaît actuellement un beau succès sur le web. Pendant 23 minutes, l’acteur Jacques Gamblin captive l’attention dans un discours donné à Nantes, au Lieu Unique, le 28 novembre 2015 lors d’une journée consacrée au rôle de la poésie pour livrer « autrement le monde ». Un véritable bijou d’éloquence où il s’attarde sur notre peur de changement et interroge notre désir d’être surpris et de surprendre.
Ressentis en partage
Le parlement sensible des écrivains devait initialement avoir lieu le 14 novembre dernier à l’Assemblée nationale afin de souligner le rôle de la littérature et des écrivains pour parler autrement du climat. Annulé en raison des attentats qui ont frappé la capitale la veille, cette initiative – accompagnée de la publication d’un ouvrage (Du souffle dans les mots, Ed. Arthaud) – est plutôt passée inaperçue. Certains des 30+1 auteurs et poètes regroupés à cette occasion ont pourtant été réunis le 28 novembre 2015 lors de l’événement « Autrement le monde » organisé par la maison de la poésie de Nantes pour aborder les liens entre écologie et poésie.
C’est à cette occasion que l’acteur et poète Jacques Gamblin s’est exprimé dans un texte intitulé « Mon Climat ». Partant de la notion de température ressentie inventée il y a quelques années pour parler de la température extérieure (« La science en ce domaine (la météorologie, ndrl) a donc fait un grand pas dans son désir d’être toujours plus précise au point de ne plus l’être du tout », lance-t-il), l’acteur en profite pour introduire son propos et livrer son ressenti (« Le ressenti individuel ayant supplanté la réalité générale, je me permets donc de donner le mien en toute humilité »).
S’il ne reproche à personne de lui faire « manger de la merde », il n’en ressent pas moins un profond malaise d’imaginer que nos enfants et nos petits enfants devront payer notre irréalisme. « Je pense que notre plus profond désir à tous pourrait être de laisser l’endroit plus propre que nous l’avons trouvé en entrant. Rien n’est réellement à moi, ni ma petite ou grande maison, mon petit ou grand jardin, je vis sur un morceau de terre et sous un morceau de ciel qu’on me prête : je ne suis pas le premier à le dire, quelqu’un me prête ce que je possède, quelqu’un d’avant, avant avant, c’est à dire… personne » rappelle-t-il avant d’évoquer la seule chose en laquelle il croit : le rôle du vivant qui nous entoure… « tout ceci m’est offert et je dois être prêt à le rendre à personne qu’à lui-même ».
Se qualifiant de « militant de peu qui ne se retrouve pas dans la logique consumériste« , il rappelle à quel point il aime la modernité et ses inventions tant qu’elles soulagent la vie des gens sans créer des désirs inutiles. « La liste est longue d’une simple logique qui part en vrille, parce qu’avec le temps le simple bon sens s’est fait la malle. Que voulons nous comme vie ?« , interroge-t-il aussi.
Que tout le monde s’active maintenant, maintenant !
Pour lui, il est temps de lutter contre nos « bonnes vieilles peurs du changement » et ces hésitations stériles qui tuent le désir, qui tuent la fraîcheur et « engendrent la résignation et la morosité ». « Cette peur ancestrale de ce qui est nouveau ou différent, qui dit non avant de dire oui, nous fragilise et nous abîme. Lorsque cette peur se fissure et se calme, ne sommes-nous pas les premiers à être heureux et fiers d’avoir essayé ? La peur n’est pas le bon moteur : quand une décision est prise, alors on se retrousse les manches, on solidarise, on transpire ensemble, on se sent intelligents ensemble, on bouge, on essaye, on tente et la tristesse se dilue », plaide-t-il avant de le dire tout net : « C‘est cette joie là, moi, que j’ai envie de suivre: dire oui, on y va, on fonce, on est courageux, on a du cran. Ne serait-ce pas au fond de nous de cela dont nous avons envie. D’être surpris et de se surprendre ? »
Vient ensuite un hommage au monde associatif, « qui est joyeux parce qu’il agit ». Avec notamment ce passage très fort (minute 10:47 dans la vidéo suivante) où il invite à passer à l’acte : « Nous sentir responsables de nous même et de ceux qui vont nous suivre est une chance. C’est ce qui nous rend vivants. L’irresponsabilité rend bête, s’abstenir rend bête, la faute aux autres rend bête, la faute à pas de chance rend inactif, la résignation rend amorphe, la victimisation rend triste. Alors faisons le boulot nous même, individuellement, 1+1+1+1 car il n’est plus l’heure d’accuser, la liste est en effet trop longue et l’efficacité, nulle. Il est juste l’heure de mettre les mains dedans, de faire des toutes petites choses multipliées par des milliards de toutes petites qui montrent le chemin de nos désirs aux politiques peureux, de montrer l’exemple à nos décideurs qui décident si peu parce qu’ils pissent dans la culotte de leur impopularité. Rassurons les, ils en ont besoin. Montrons leur qu’ils ne craignent rien, que nous sommes prêts, que nous sommes conscients et fiers de l’être, que nous avons envie de bouger pour nous, pour nos gamins et les gamins de nos gamins, parce que c’est le plus bel héritage que nous leur devons, et qu’ils soient fiers de nous. Invitons les au grand banquet des éléments ».
Et le poète de continuer : « Je vous en prie, bougez-vous maintenant les gars ! (…) Intéressez vous aux hommes, à leur chair, à leur peau, à leur coeur, plutôt qu’à leur retraite anticipée et leur porte monnaie », lance-t-il aux politiques. Il incite également les médias à déployer « les gorges de ces inconnus qui inventent de l’alternatif positif tous les jours au réveil (…) Il y a des milliers de conquérants dans l’ombre qui ont arrêté la glose et creusent des solutions à main nue, à main propre. Nous voulons les connaître, nous, vos chers auditeurs. Entendre leur souffle, leur geste, leurs idées qui transpirent, la sueur perlée de leur conscience. Ils s’en foutent, eux, du ressenti du climat, de la langue de bois déracinée de certains nos élus, et de l’info des kilomètres de bouchon au petit matin. Eux ils avancent dans le réel et le pragmatique avec des initiatives qui imposent le respect et soulève les casquettes. Ces hommes là, qui ont décidé le bonheur de faire et de créer, de prouver que le pire n’est jamais sûr, n’attendent plus rien de quiconque. Ils cultivent, ils cherchent jour et nuit, prennent de l’avance sur les vieilles habitudes, inventent un autre confort, une autre cohérence, une autre philosophie, un autre art de vivre moderne et sans frontière. Oui, ce sont ceux là que j’ai envie d’écouter avec mes oreilles bien ouvertes et disponibles. C’est avec ceux-là qu’il faut faire des Unes et qu’il faut faire du bruit« .
-
Les chiens, la vie, la mort
- Par Thierry LEDRU
- Le 24/02/2019
Pourquoi les chiens vivent moins longtemps que les gens ?
Voici la réponse (selon un enfant de 6 ans) :
En tant que vétérinaire, on m'a appelé pour examiner un chien irlandais de 13 ans appelé Belker.
La famille du chien, Ron, sa femme Lisa et leur fils Shane, étaient très proches de Belker et attendaient un miracle.
J'ai examiné Belker et j'ai découvert qu'il mourait d'un cancer. J'ai dit à la famille que je ne pouvais rien faire pour Belker, et j'ai proposé de faire la procédure d'euthanasie chez elle.
Le lendemain, j'ai ressenti leurs sentiments de plein fouet quand Belker a été entouré par sa famille. Shane semblait si calme, caressant le chien pour la dernière fois, et je me demandais s’il comprenait ce qui se passait. Au bout de quelques minutes, Belker tomba paisiblement en dormant pour ne jamais se réveiller.L'enfant semblait accepter la transition de Belker sans difficulté. Nous nous sommes assis un moment pour nous demander pourquoi le malheur fait que la vie des chiens est plus courte que celle des êtres humains.
Shane, qui avait écouté attentivement, a dit : " je sais pourquoi ''Ce qu'il a dit ensuite m'a surpris : je n'ai jamais entendu une explication plus réconfortante que celle-ci. Ce moment a changé ma façon de voir la vie.
Il a dit : " les gens viennent au monde pour apprendre à vivre une belle vie, comme aimer les autres tout le temps et être quelqu'un de bien, hein ? ''" Et bien, comme les chiens sont déjà nés en sachant comment faire tout ça, ils n'ont pas à rester aussi longtemps que nous. ''
La morale de l'histoire est :
Si un chien était ton professeur, il t’apprendrait des choses comme :
* Quand vos proches arrivent à la maison, il faut toujours aller dire bonjour ;
* Ne laissez jamais passer une occasion d'aller se promener ;
* Faites l'expérience de l'air frais et du vent ;
* Courez, sautez et jouez tous les jours ;
* Améliorez votre attention et laissez les gens vous toucher ;
* Évitez de " mordre " lorsque seul un " grognement " serait suffisant ;
* Dans les jours chauds, allongez-vous sur l'herbe.
Et N'oubliez jamais : " quand quelqu'un aura eu une mauvaise journée, restez silencieux, asseyez-vous près de lui et doucement faites-lui sentir que vous êtes là...
C'est le secret du bonheur que les chiens nous apprennent tous les jours.
-
JUSQU'AU BOUT : Birgitt et Yolanda
- Par Thierry LEDRU
- Le 24/02/2019
Pierre a rencontré deux jeunes Hollandaises sur une plage naturiste.
Elles l'ont invité au bungalow qu'elles occupent dans un centre naturiste.
EXTRAIT
Il vit un gros livre au bout du banc. Sri Aurobindo. Il ne déchiffra pas le titre.
« C’est ça on lit depuis un moment, expliqua Birgitt. C’est difficile mais c’est bien.
- C’est quoi le titre ?
- Ça veut dire, la vie…comme Dieu. »
Elle disparut dans le salon et revint avec un dictionnaire. Elle tourna les pages rapidement.
« Ça veut dire la vie divine.
- Et ça parle de quoi ?
- Oh ! c’est très difficile de raconter. Avec le hollandais, c’est déjà difficile de comprendre la première fois. On lit encore et encore pour savoir quoi il explique. Mais tout à l’heure à la plage, c’est quelque chose comme dans le livre tu as raconté. »
Il fut étonné de connaître lui-même un phénomène qui semblait si difficile à comprendre. Il se corrigea en pensant qu’il avait simplement senti des choses étranges mais qu’il ne les connaissait pas.
Yolanda revint avec des fruits.
« Vous pouvez me parler un peu de ce que vous savez ? »
Elles échangèrent un regard sceptique puis Birgitt joignit les mains devant son visage dans une attitude d’intense réflexion.
« C’est un risque de pas comprendre tout quand on explique mal, commença-t-elle. Les mots sont inconnus pour nous en français mais on peut essayer. Pas de dire ce livre mais les choses on connaît un peu avec tous les livres. C’est le plus difficile de commencer, c’est beaucoup tout mélangé.
- C’est pas grave, ça sera quand même intéressant, j’en suis sûr. »
Elle vida son verre et réfléchit. Elle ouvrit le dictionnaire et commença à chercher. Elle nota les traductions sur un papier.
« A Utrecht, on a fait du yoga dans un centre, avec un professeur, expliqua Yolanda. On a beaucoup appris avec lui. C’est très bon pour toi si tu fais et c’est bon aussi pour rester calme et mieux vivre avec toi. Aussi, on connaît un professeur de Tao, mais ça c’est encore plus compliqué. Avec le yoga, on a appris à trouver le calme mais c’est pas le calme juste pas de bruit. C’est le calme dans ta tête et dans ton corps. Quand tu es dans le vrai calme, tu oublies le monde, tu as plus de souvenirs, plus de pensées. C’est très difficile à faire. Tu crois que c’est facile de pas penser mais si je te dis de penser pendant trois minutes à une seule chose comme…la balle des raquettes, juste la balle, tu vas croire tu as pensé à elle pendant trois minutes mais en vrai tu as pensé à beaucoup des autres choses. Tu as vu la plage, la raquette dans ta main, le soleil, la balle qui roule, un nuage devant le soleil, c’est plein des images qui vont avec la balle et ça c’est pour penser à une seule chose alors si c’est pour penser à rien, c’est beaucoup plus difficile. Avec le yoga, on fait ça. Mais c’est très long pour faire ça une fois. Dans la tête, c’est plein de gens qui te parlent, s’exclama-t-elle en riant. Tu connais les choses tu penses mais tu sais pas où tu es toi. »
Elle regarda les notes prises par Birgitt et continua.
« Dans le calme, si tu as pas de pensées, tu es dans la…conscience, articula-t-elle lentement. Tu sais où est ton esprit et qui tu es. »
Birgitt ferma le dictionnaire et relut ses notes. Elle regarda Yolanda qui lui fit un petit signe de tête.
« Dans la philosophie éternelle, commença-t-elle, tu cherches le moi pur. C’est comme la partie de toi dans toutes les choses vivantes de l’univers mais tu as l’habitude de voir toi, comme toi tout seul. Tu peux pas voir tu appartiens à quelque chose de plus grand et c’est déjà en toi, mais c’est très caché. Il faut chercher cette lumière, c’est beaucoup de travail. Les sportifs, ils connaissent un peu ça quand ils sont très fatigués comme les coureurs ou les gens sur les vélos, ils arrivent à plus penser à rien et ils voient eux très fort. Mais ça, c’est pas eux tout seul, c’est eux avec l’univers. C’est l’unité. C’est ça la vraie réalité. A côté, c’est le monde des hommes et c’est tout un mensonge. Beaucoup de choses cachées avec l’agitation. Alors comme on sait pas chercher le moi pur, on pense beaucoup à plein des choses qui sont pas importantes mais on dit c’est important. C’est le mauvais modèle du moi. Si tu es…illuminé, tu sais tu es un individu mais tu sais aussi tu es uni avec l’univers. Alors tu laisses ton… ego et tu penses pas pareil. »
Elle s’arrêta et regarda Yolanda qui l’encouragea d’un sourire. Elle observa son petit papier et continua.
« Si tu es illuminé, tu connais l’amour pour toutes les choses vivantes. C’est pas l’amour avec les corps mais c’est l’amour avec ton esprit et c’est possible aussi de faire ça avec le sexe. Avec une autre personne qui est comme toi, c’est très fort de faire l’amour. C’est pas pareil. C’est les énergies très profondes tu fais venir, pas le plaisir mais plus fort, c’est difficile de dire. »
Yolanda qui lisait le papier sur la table continua.
« C’est l’orgasme cosmique. C’est pas ton corps qui est là, c’est pas celui de l’autre avec toi, c’est un seul qui est dans la lumière, c’est les moi purs ensemble. C’est ça l’unité…originelle. Et si tu es comme ça, c’est pas l’excitation du corps, c’est l’excitation de l’esprit le mieux, ça peut rester très longtemps.
- C’est ça que j’ai senti à la plage. C’était pas de l’excitation physique, jamais, mais je sentais mon esprit qui brûlait. »
Il réalisa soudainement ce qu’il venait de dire et s’en étonna.
« C’est pour ça, je te dis tu peux faire du yoga ou d’autres choses pour chercher. Tu connais déjà des choses importantes.
- Oh ! je ne les connais pas, je les ai juste senties, reprit-il déçu.
- Mais c’est très bien ! Tu sais c’est beaucoup des gens qui ne trouvent rien avant des années !
- Pourquoi ?
- C’est la vie qui est pas bonne, c’est difficile de garder la philosophie tous les jours. Maintenant, nous on veut ça, on veut pas être dérangées par des choses…extérieures. »
Il se sentit concerné un court instant mais refusa d’y penser davantage.
« C’est bien si tu restes avec les idées tous les jours et tu penses mais si tu travailles pas agréable c’est des pensées pas bonnes et tu peux pas être avec toi. Tu es dans tout le reste dehors de toi et pas avec l’univers. Si tu es avec les hommes, tu peux pas être bien. C’est sûr pour nous deux.
- C’est les hommes comme toi tu peux parler pour pas te perdre, c’est tout. La peinture, c’est bien pour nous aussi pour penser et faire le calme. Et ici aussi, avec la nature.
- Et les gens dehors, ils ne vous gênent pas ? J’en ai vu tout à l’heure qui avaient oublié leurs corps. Ils étaient gros, une horreur !
- Oui, on sait ça mais on va pas voir, c’est tout.
- Et c’est pas toujours la faute à eux, c’est peut-être une maladie mais dedans, c’est des gens ils cherchent.
- Oui, tu as raison Birgitt. Je condamne toujours trop vite.
- C’est toi tu es pressé et tu vois peut-être le mal partout mais c’est des choses belles aussi avec les autres pas comme toi. Il faut écouter.
- Et tu perds ton énergie si tu es toujours contre les autres. Il faut être avec eux ou pas penser, c’est mieux pour toi, c’est comme ça tu avances dans ton moi pur. Et aussi tu fais aller mieux le monde, c’est moins de violences et de méchancetés. Si beaucoup de gens pensent dans le calme, c’est possible les autres sentent aussi le calme et ils font pareil. C’est comme une chaîne plus grande et encore plus grande. Il faut pas penser mal sinon c’est tout cassé et c’est le mal encore plus fort. Si tu fais méditer c’est bon pour toi mais c’est bon pour le monde autour de toi. C’est …drôle.
- Etrange, reprit Pierre.
- Ah ! oui, étrange, continua Yolanda. C’est ça aussi, il dit le Dalaï-Lama.
- C’est une histoire très …étrange je connais avec des singes. C’est un singe, sur une île, il lavait des fruits ou des patates, je sais plus, avant de manger mais pas les autres. Et un autre a fait, et puis un autre encore mais ça allait pas vite pour tout le groupe lave les patates. Mais un jour, c’est un nombre assez grand pour donner envie à tous les singes de faire comme ça. D’un coup c’est toute la tribu. Et après, c’est même des singes dans une autre île, ils ont fait pareil. C’est l’idée, elle est arrivée là-bas ! C’est étrange !
- Avec un peu des hommes, ils méditent bien, c’est pareil, un jour, ils font méditer le monde entier. Et c’est bien pour le monde entier. Il faut passer dans le bon nombre de gens et c’est possible.
- Avec les enfants dans l’école, c’est possible de faire ça. Si tu es calme et gentil, si tu écoutes bien les enfants et tu fais attention à eux, ils sont heureux et alors ils travaillent bien, et comme ils travaillent bien ils sont fiers et encore plus heureux. Ils ont pas peur de venir à l’école et même avec le travail c’est bien si tu es gentil et tu les aides. Tu peux aussi leur apprendre le calme. Alors ils parlent de l’école à la maison et le papa et la maman, ils sont heureux aussi ensemble et tout est mieux pour tout le monde. C’est pas difficile pour le bonheur. Il faut pas des choses tristes et difficiles pour la vie et alors c’est le bonheur. Les hommes, ils veulent le bonheur pas le malheur. La télévision, elle fait du mal si elle parle beaucoup des choses violentes, tristes et c’est les gens ils font ça aussi après. Alors, il faut pas dire ça avec les enfants. C’est mieux les mettre dans la nature et le calme. C’est mieux pour eux et pour le monde entier.
- Comment est-ce que je peux apprendre le calme aux enfants ?
- Tu dis la différence entre écouter et entendre, répondit Birgitt. Tu dis d’écouter toutes les discussions dans leur tête et d’essayer de les faire diminuer une à une pour plus rien avoir à entendre. C’est passer de l’esprit actif, avec plein de choses dans la tête qui se parlent et se répondent ou parlent les unes par-dessus les autres pour arriver à l’esprit passif qui écoute mais n’entend plus rien. Avec la respiration, tu peux les aider. Ils respirent bien normalement, un peu doucement et ils comptent les respirations. Ils soufflent, ça fait un, une autre fois, ça fait deux, une autre fois, ça fait trois et encore pour faire quatre. Il faut juste compter, pas penser à rien d’autre, juste la respiration et compter. Avec ça, ils vont réussir à entendre et pas à écouter. Tu peux faire tout à l’heure si tu veux avec nous.
- Ah oui, j’aimerais beaucoup commencer avec vous !
- Mais attention, c’est un travail long. Il faut pas être énervé si tu arrives pas. C’est pas tout de suite la réussite. Et pour les enfants aussi. C’est plus facile si c’est déjà calme dans eux.
- Mais toi, c’est pas calme dedans !
- C’est beaucoup plus calme qu’avant pourtant », dit-il.
Et ce temps lui sembla très lointain, comme une autre vie. L’impression d’avoir eu à franchir une chaîne de montagnes gigantesques, avec des efforts douloureux, la peur de l’échec, des décisions extrêmes à prendre, sans le temps nécessaire à la réflexion, toujours dans l’urgence et la menace permanente de la chute dans les vallées sombres et que maintenant, de l’autre côté, il redescendait dans une vallée de calme, de connaissance et de plénitude. Il sentit combien le cheminement pour parvenir jusqu’ici ne devait pas être dévoilé…Ce serait à tout jamais sa part d’ombres.
« Vous croyez que je peux trouver des professeurs de yoga en Bretagne ?
- On ne connaît pas là-bas mais c’est possible, je pense. C’est avec les livres aussi tu peux trouver beaucoup de choses. Mais c’est mieux les vivre. Avec la nature, c’est déjà beaucoup de découvertes.
- Tu sais, reprit Birgitt, au début c’est toujours difficile mais si tu penses beaucoup un jour tu comprends. Et tu penses plus pareil. C’est comme avec les singes, il faut beaucoup de nombres de pensées pour l’esprit passe de l’autre côté. Tu cherches, tu cherches, c’est difficile et pourtant un jour, ça y est tout arrive et tout devient clair. Et si tu comprends bien, les gens avec toi ils vont comprendre mieux aussi. Des choses différentes mais ça sera mieux pour eux. Tu vas leur faire du bien.
- C’est ce que vous faites avec moi. Vous ne pouvez pas imaginer tout ce que je comprends depuis que je vous ai rencontrées. Et parfois ce sont des choses dont on n’a pas parlé mais qui se sont quand même révélées. Ca aussi c’est étrange. C’est comme si tout mon esprit s’ouvrait parce que vous avez poussé une porte. »
Elles se regardèrent en souriant.
« Ça nous fait très plaisir ça, tu sais, c’est très important pour nous. On veut essayer aussi d’aider le monde. C’est notre participation à cet univers qui est en nous, à cette lumière de tout le monde.
- Mais qu’est-ce que c’est que cette lumière ? Qu’est-ce que c’est exactement ?
- Impossible de répondre. Il y a beaucoup trop de réponses. Chaque peuple a sa réponse. C’est Dieu peut-être. Pour moi Dieu, c’est une sensation pour tous les êtres vivants, une espèce… de complicité ! Tu as dit ça aussi. Le dauphin il saute, l’oiseau il chante, l’enfant il rit, c’est Dieu aussi en eux, tu vois une sorte de bonheur, c’est tout le monde vivant il sent ça parfois. Nous, c’est devant un beau paysage, une jolie personne, une belle musique. C’est la lumière de Dieu, elle brille en nous et elle nous réunit avec toutes les espèces vivantes. Mais les hommes, ils appellent ça Dieu, c’est dommage, ça fait trop penser à une personne humaine. C’est pas une personne bien sûr, c’est pas une forme, c’est juste une sensation, un bonheur sans nom, c’est trop important pour lui donner un nom, il faut laisser la liberté à chacun. C’est le nom tu veux lui donner le bon. C’est tout. Mais Dieu, c’est la rencontre dans toi de toutes les lumières qui sont dehors, alors c’est le grand bonheur. Ta lumière brille plus fort et tu es heureux. Très fort. Ta lumière, elle rencontre les autres lumières de l’océan, du vent, du soleil, des étoiles, de la pluie, de la neige, d’un animal, d’une plante, d’un être humain, d’une musique, d’un paysage, d’un grain de sable. La main d’un enfant dans la tienne, c’est les deux lumières ensemble, alors elles brillent plus fortes. Elles s’ajoutent l’une à l’autre et pourtant elles restent à l’intérieur des deux. C’est formidable. Mais c’est la joie pour faire briller les lumières, pas le malheur. C’est pour ça, on dit toujours le malheur c’est noir. C’est les gens sans la lumière intérieure. C’est pas juste une image, c’est la réalité. Et c’est la vie elle cache la lumière aux gens. Alors, il faut faire un effort pour la retrouver. C’est grave pour les enfants s’ils entendent jamais ça. Nos parents avec le naturisme, c’était aussi pour nous aider à trouver. Souvent, ils nous ont parlé de ça. C’est pour ça les parents, c’est important. C’est pour envoyer les enfants sur le chemin de la lumière. Si tu passes du temps à lutter contre le mal, tu t’occupes du mal et tu lui sacrifies ton énergie. Mais ça ne fait pas remonter la quantité de bien. Il restera pareil. Tu peux même finir par tomber du côté du mal. Mais si tu t’occupes du bien, tu le développes, tu élèves un mur de plus en plus important devant le mal. Et un jour c’est le mal qui se retrouve en position inférieure. Avec les enfants, c’est pareil. Il faut les mettre toujours sur le chemin de la lumière. C’est ça ils cherchent dans leurs vies. Ici beaucoup d’hommes cherchent à obtenir tout le contraire de la lumière. La honte d’avoir gâché la vie les envoie vers le mal. Il faudra beaucoup de gens illuminés pour renverser cette direction. »
Il comprit enfin le dégoût qu’il avait si souvent éprouvé. Lutter contre le mal et devenir le mal…Il s’était laissé piéger. Sa mission avec les enfants était essentielle mais il s’était trompé de méthode. Il reprendrait tout à zéro. Ce n’était pas juste pour eux mais pour le monde entier. Comme une goutte tombée dans la mer et dont les effets, apparemment infimes, feraient le tour de la planète. »
-
JUSQU'AU BOUT : les enseignants
- Par Thierry LEDRU
- Le 24/02/2019
"JUSQUAU BOUT "
EXTRAIT
« Ça vous dirait de marcher un peu avec nous, c’est toujours très bon avant d’aller dormir.
- Oui, volontiers, » répondit-il en se levant vivement.
Daniel prit la main de Laure. Connexion cellulaire. Il détourna les yeux. C’était trop pénible. Il regarda devant lui et sentit combien sa main était vide.
« Qu’est-ce qui vous montre que je peux avancer dans la connaissance dont vous parlez ?
- Il y a une chose dont nous sommes certains en vous regardant, c’est que vous n’êtes plus un observateur de la nature mais un participant, expliqua Daniel. Et ça, c’est essentiel. Pensez que quand vous observez quelque chose, vous vous mettez en retrait, vous cherchez à dominer votre sujet, vous gardez une distance qui vous permet, croyez-vous, d’analyser clairement chaque instant de votre observation. Par cette attitude, en fait, vous restez en dehors de votre sujet d’expérience. Pour comprendre la nature, il est impossible de se placer comme un observateur car il ne s’agit pas de la comprendre mais de s’y fondre. Il faut être un participant, comme une fourmi ou une fleur. Sinon, on ne sait rien. On croit savoir. Mais c’est une connaissance humaine, extérieure à la nature. C’est parce que l’homme s’est enfermé dans cette attitude qu’il se permet de détruire cette terre. Il ne se sent pas comme participant mais juste comme observateur et donc comme dominant. Vous n’êtes plus dans ce cas-là. Vous avez découvert la complicité. C’est la preuve aussi que vous commencez à distinguer votre essence de votre personnalité. Votre essence représente la part naturelle de votre individu, la part originelle, ce que vous ressentez par exemple quand vous contemplez la nature et qui vous bouleverse. Votre personnalité, c’est le résultat des pressions qui ont été exercées sur vous à travers les confrontations avec la morale, les autres individus et tout ce qu’ils transportent avec eux, qui ne leur appartient pas mais qu’ils considèrent pourtant comme personnel et qu’ils vont chercher à vous imposer, parfois inconsciemment comme dans la relation amoureuse, et souvent tout à fait consciemment, comme par exemple à l’école. C’est ce qui fait qu’un enfant est un être en voie d’extinction, non qu’il va mourir physiquement mais son essence va s’effacer devant la personnalité jusqu’à ce qu’il soit pleinement un adulte. C’est à dire un non-être.
- C’est terrifiant ce que vous dites. Je suis instituteur et je participe chaque jour à cette atteinte de l’intégrité des enfants. Même si j’essaie de faire en sorte qu’ils rentrent en classe avec le sourire et qu’ils en sortent heureux d’être venus, je ne peux m’empêcher de penser que mes repères d’adultes, mon éducation et mon intégration dans le monde vont leur servir d’exemple et les éloigner de l’essence dont vous parlez. Qu’est-ce que je peux faire dans une classe pour ne pas être un tueur d’enfants ?
- Un tueur d’enfants, c’est exagéré mais un étouffeur certainement. Le système est remarquablement bien construit dans sa perversité. Si vous voulez respecter le bonheur des enfants, leur joie de vivre et d’apprendre, leur essence même, qui en font des êtres aussi absorbants que des éponges, si vous voulez respecter cela vous n’êtes plus enseignant mais avant tout éducateur. Et c’est justement ce que les enseignants refusent dans leur grande majorité. Ils se considèrent avant tout comme des techniciens de l’enseignement.
- Moi je les appelle des techniciens de surface.
- Ah oui, c’est très bien trouvé ! L’individu et le moi réel ne les intéressent pas. Il leur fait même peur car eux-mêmes souvent ne sont rien, n’existent pas. Ils ne possèdent que leur savoir théorique et n’ont rien d’autre à donner et surtout pas de l’amour ou de la vie. Le seul bon enseignant, c’est celui qui parvient à faire travailler les enfants dans la joie. C’est le seul critère de réussite qui a une valeur réelle. Le reste n’a aucune importance.
-C’est ce que j’essaie de faire, coupa Pierre, mais la pression des programmes est redoutable.
-Nous le savons bien mais si nous nous y soumettons, nous perdons les enfants. Juste parce que nous avons peur de ne pas être reconnus. Un enseignant doit avant tout respecter l’essence de l’enfant. Lui révéler ce qu‘il est et ce qu’il aimerait devenir. L’extrême difficulté vient du fait que les adultes fonctionnent sur un critère que l’on nomme considération. Si vous prenez le cas d’un enseignant, il va s’identifier, bien souvent inconsciemment, à ce que les parents d’élèves, les autres enseignants, ses supérieurs hiérarchiques et la société en général, attendent de lui.
-Il continue en fait à reproduire indéfiniment ce que l’école lui a imposé quand il était enfant, intervint Laure. Il va donc gaspiller une énorme énergie pour s’identifier à ce groupe d’adultes qui l’entoure.
-Ce ne sont donc pas ses idées qu’il va développer, reprit Daniel mais des préceptes généraux, déjà reconnus par la masse. Même s’il y ajoute une touche personnelle, tout son travail restera axé sur cette quête de considération. Étant donné que ce concept est établi par un système généralisé et hiérarchisé, il n’existe aucune possibilité pour qu’un paradigme nouveau s’éveille. L’enseignement entre dans une standardisation rassurante pour l’ensemble des individus concernés. Sauf pour les enfants. Mais ce problème-là pour les adultes est secondaire puisqu’il s’agit pour eux de réussir à adapter les enfants à leur fonctionnement et jamais le contraire. Aujourd’hui dans les classes, on travaille à l’envers. On essaie d’affiner des techniques et on ignore l’amour. »
J'ai refusé d'obéir pendant trois ans. Trois ans de luttes administratives. Ils me l'ont fait payer cher. Ce qui a mes yeux justifiait la justesse de ma position.
CAHIER DE NUIT
495 pages de réflexions... Lorsque j'ai écrit à la Ministre de l'époque, sans passer par la voie hiérarchique, j'ai été convoqué quelques jours après par le premier adjoint de l'inspecteur d'académie. J'y suis allé avec ce "CAHIER DE NUIT".
"Vous n'êtes pas d'accord avec ce que je dis, vous pensez que je suis "malade". Non, c'est l'éducation nationale qui est malade."
387) DÉSERTION (février 2015)
Il y a environ trois cent mille enseignants du premier degré en France.
Depuis la mise en place de la réforme Peillon, ils sont confrontés à un nombre invraisemblable de problèmes très lourds à régler.
On ne compte plus les réunions. Enseignants, élus, parents d'élèves, associations...
Tout le monde œuvre à l'élaboration de planning, de bouclement de budgets, d'entretiens d'embauche, d'état des lieux des bâtiments susceptibles d'accueillir les enfants.
Branle-bas de combat.
En sachant pertinemment que tout cela n'évitera pas le désastre à venir.
J'ai entendu le président de la FCPE dire que cette réforme était ambitieuse et complexe et qu'il faudrait sûrement de nombreux ajustements et que ça prendrait du temps, un an, deux, trois peut-être...
Trois ans dans la vie d'un enfant de dix ans, est-ce qu'il s'est posé la question de savoir ce que ça représente ? Non. Il ne voit que son positionnement et sa propre analyse, (et surtout les subventions qu'il touche) totalement décorrélée de la réalité des enfants.
Un an dans la vie d'un enfant de dix ans, c'est donc un dixième.
J'ai 52 ans, cela représenterait donc plus de 5 ans.
C'est ainsi qu'il faut regarder cette période d'ajustements, la comparer à la vie d'un enfant...
Un an de troubles cognitifs, émotionnels, existentiels. Deux ans, peut-être trois...Un traumatisme irrémédiable.
Mais j'ai vraiment l'impression de parler dans le vide.
Tout le monde travaille à ordonner ce chaos.
Et je m'interroge. Pourquoi cette obéissance ?
Les raisons sont nombreuses : un attachement à un système qui a permis à ces enseignants d'obtenir un travail, une sécurité de l'emploi, un cadre de vie qui reste bien plus supportable que celui de l'ouvrier en usine...
Une certaine forme de respect pour cette "grande maison"...
La peur de l'avenir également.
Un enfermement professionnel étant donné que les gens de ma génération, nous n'avons que le BAC et notre diplôme d'instit. C'est à dire rien du tout...
J'ai eu mon 2ème RDV aujourd'hui avec le personnel de l'EN chargé de la reconversion des enseignants. Il n'y a rien, aucune solution...Un désastre.
Plus de budget, aucune prise en charge.
Prisonnier. Trente ans à enseigner, plus de mille élèves. Aucune valeur, rien, le néant. C'est comme du vide dans l'Univers. Inexistant.
Alors, tout le monde travaille.
Et c'est là que ça me pose un problème.
300 000 enseignants qui annonceraient au gouvernement qu'ils refusent catégoriquement d'appliquer cette réforme. Aucune menace de grève, aucun refus d'accueillir les élèves mais un blocus complet envers toutes les directives ; refus des inspections, aucun formulaire d'enquête, aucun document administratif, aucun retour. Tout à la poubelle. Aucune conférence pédagogique, ni en présentiel ni en virtuel (oui, c'est ainsi que ça va se passer désormais, conférences sur le net...). Aucun effectif communiqué. Un blocus.
Les enfants seraient accueillis, le travail serait fait, les parents soutiendraient l'action commune des enseignants.
Nous serions tous en faute professionnelle. Trois cent mille fonctionnaires.
Une désobéissance civile, une "désertion" administrative.
Que pourraient-ils les politiciens ? Sanctionner 300 000 fonctionnaires ? 300 000 électeurs ?...
M Peillon agiterait la responsabilité, il jouerait sur la culpabilisation et sur la peur.
Mais les parents verraient que le travail avec les enfants est fait. Aucune sanction morale ne serait appliquée par la population.
De quoi ont-ils peur les enseignants ?
De perdre leurs prérogatives, leur sécurité, peur de s'opposer à la hiérarchie ? Peur de trahir Dieu le Père ?
Et les enfants ?
Qui pensent aux enfants ?
Finalement, le corps enseignant est un corps d'armée. Pas question de se pencher sur les victimes du conflit.
"Ne pense pas, tais-toi et obéis aux ordres. "
Je ne cautionnerai pas ce massacre. Plutôt crever.
-
LES ÉGARÉS : à la source des écrits
- Par Thierry LEDRU
- Le 23/02/2019
C'est une partie de mon histoire.
La raison de mon besoin d'écrire.
Lorsque j'ai décidé d'écrire ce livre, il s'agissait d'une thérapie. De rien d'autre.
Pour autant, je n'ai pas voulu utiliser la première personne du singulier. J'ai créé un personnage masculin. Yoann. Et sa femme, Leslie.
Christian était mon frère.
J'avais besoin de me "détacher" de moi pour aller chercher tout ce qui devait être autopsié. J'avais besoin d'être le maître des mots et il m'était impossible de l'être sans l'usage de cette narration. Il fallait qu'il y ait moi, l'auteur, et Yoann, devant moi. De cette façon, je pouvais l'observer et comprendre son cheminement.
Comment un enquêteur pourrait-il enquêter sur lui-même et le raconter. Qui raconterait ? Est-ce que l'auteur peut parler de lui-même sans que la présence de l'un interfère sur le travail de l'autre ?
Il fallait que je scinde tout ça. Que je fabrique une triade : l'auteur, le personnage, le récit.
Que je sois l'observateur de moi-même par personne interposée.
Il y a bien longtemps déjà que j'ai écrit ce texte.
Je le reprends. Doucement. Par petits morceaux. J'arrive maintenant à ne plus pleurer.
Je m'aperçois que les douleurs ne sont plus là.
Et je comprends bien davantage tout ce qui s'est passé...
EXTRAIT
"Christian.
Dans un fauteuil roulant, sur le perron de l’hôpital.
Les parents avaient trouvé une ancienne paire de lunettes. Il était très myope.
Et borgne désormais.
La première fois qu’il sortait de l’hôpital.
Il avait voulu marcher jusqu’à la voiture.
L’apprentissage des béquilles, la confrontation avec le monde extérieur, le tremblement des bras décharnés, les regards croisés des gens qui l’observent furtivement.
Le statut d’handicapé, l’étiquetage de la société civile.
Un autre combat à mener.
Équilibre précaire. Les parents de chaque côté et lui dans son dos.
Ce grand corps squelettique.
L’impression d’accompagner un rescapé des camps de la mort.
Il ne se souvient pas l’avoir vu sourire. Aucune joie, aucune fierté. Rien. Comme s’il ne réalisait pas qu’il était un survivant, que la Faucheuse l’avait enlacé et qu’il était parvenu à briser son étreinte.
Il l’avait vaincue.
Oui, mais il n’avait aucun souvenir de ce combat.
Aucune raison de s’estimer heureux.
Aucune possibilité de rembobiner le fil des évènements, de magnifier l’inimaginable résistance dont il avait fait preuve.
« Vous revenez de loin, Christian », avait dit le chirurgien.
Ça n’était que des mots.
Les anciens combattants aimeraient parfois effacer les souvenirs.
Christian n’en avait pas, c’était une guerre sans image.
Sa conscience retrouvée lui permettait juste de constater les dégâts.
Les effroyables dégâts.
Un œil perdu, l’odorat supprimé, une cheville bloquée, des broches dans une jambe, des plaques sur les vertèbres, un visage balafré, un crâne trépané, le creux effroyable de son front, ce vide couvert par une peau plissée, un corps efflanqué, une musculature évaporée, des migraines effroyables, des vertiges nauséeux, des médicaments à vie, un risque d’épilepsie, les projets anéantis, un avenir incertain.
Tout ce qu’il avait perdu.
Un espace vide avait englouti son existence, comme un trou noir dans le temps, quatre mois de rien, un néant, une absence, un au-delà.
L’antichambre de la Mort ne connaît pas la durée.
Il y avait avant et après.
Mais entre les deux, il n’y avait rien.
Aucune image dans l’intervalle. Rien. Une guerre d’une violence inimaginable et il n’en avait aucun souvenir.
Le coma lui avait volé la fierté du combat, l’épreuve dépassée, le courage infini.
Rien.
Comme un soldat qui ne sait même pas pourquoi il est encore là.
Il avait humilié la Mort mais, de ne rien retrouver du combat, il en refusait la fierté.
Le cahier de nuit dans la chambre de l'hôpital.
Il avait rempli des pages en veillant son frère absent, égaré dans les tranchées froides d’un combat intérieur. Les évènements, les ressentis, les échanges avec ses parents, l’organisation des premiers jours, les commentaires des chirurgiens, Charlotte, le prêtre, les livres lus.
Il attendrait un peu avant de le lui confier.
Les parents lui avaient laissé leur chambre du rez-de-chaussée. Le grand miroir face au lit, au-dessus de la commode. Fallait-il l’enlever ? Ils en avaient parlé avant le retour. Le retirer pour préserver Christian de son image ?
Mais dès lors laisser entendre qu’il n’avait plus figure humaine, qu’il devait se cacher, à lui-même et aux autres, qu’il n’était plus présentable.
Le miroir était resté.
Sa peur quand il était au lycée, cette difficulté à se concentrer. Il imaginait Christian à la maison. Seul. Son désespoir, son abattement, ce goût immonde d’une injustice, d’une vie brisée.
Le car scolaire le déposait au centre du village. Un kilomètre en courant jusqu’à la maison, le nœud au ventre, l’angoisse de le retrouver baignant dans son sang sur les draps rougis, les veines tailladées. Le suicide comme issue, un dernier geste volontaire, mettre un terme à cette souffrance, fermer le livre, refuser de découvrir la suite de l’histoire, rétablir sa domination. Qu’y avait-il à construire sur de telles ruines ?
Il savait que la dépression rongeait ses désirs, elle se lisait dans ses yeux sombres, la voix atone, les épaules voûtées. De combien d’années avait-il vieilli en quatre mois de luttes ?
Il avait décidé de lui passer son cahier. C’était un mercredi. Ses parents étaient au travail. Il avait juste évoqué le contenu.
Christian l’avait regardé, sans l’ouvrir, et d’un geste rageur, il l’avait déchiré, morceaux par morceaux.
Sans un mot.
Son ventre s’était vrillé, comme déchiré lui-même. Disparition de la dernière mémoire. Effacement du film, une négation totale, un déni absolu.
Il devenait correspondant d’une guerre dont le soldat répudiait toute trace, effaçait chaque empreinte mais dont le corps portait tous les stigmates.
Il ne restait que la colère, intraduisible, incommensurable, définitive.
Il ne comprenait pas son frère. Cette fierté d’avoir survécu, pourquoi la refusait-il ?
Il lisait dans les yeux coléreux un dégoût de son état, une haine de lui-même, un désamour effroyable, gigantesque, une insondable détresse.
Aujourd’hui, ces milliers de pages, ces nuits entières à écrire des romans, mus par une énergie intérieure, comme un magma irréductible, il en connaissait la source. Il savait combien les mots dans le silence des paroles partagées, dans le silence des nuits, la solitude et simultanément la rencontre avec soi, combien tous ces mots agissaient comme des sucs nourriciers, des sèves salvatrices, des élans vers la lumière. Christian n’avait pas voulu le lire et il avait, sans le savoir, initié une quête spirituelle en lui.
Il n’avait jamais cessé d’écrire depuis l’hôpital."