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L'énergie de la musique.
- Par Thierry LEDRU
- Le 12/11/2011
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Il y a des musiques qui ont pour moi une force incroyable. Celle-là en fait partie. Dix jours que je l'écoute en boucle quand j'écris.
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La Vie qui écrit en moi.
- Par Thierry LEDRU
- Le 11/11/2011
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Voilà les idées que je cherche à transcrire dans le tome 3 de Jarwal...
Ca me prend un certain temps pour l'adapter à des enfants mais je ne lâche rien... Je laisse les choses s'installer, doucement. "Laisse la vie te vivre, elle sait où elle va. "
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La souffrance comme une issue. La dernière clé.
Le moi est une intuition, une connaissance directe, immédiate, sans le passage par le raisonnement. Il se construit bien entendu, du premier jour au dernier. Il n’est pas figé, fixe, constant. Il évolue, en bien ou en mal. Cette intuition est fondamentalement « expérimentale. » Toutes les situations, tous les évènements, des plus anodins aux plus traumatisants concourent à cette intuition et à sa progression dans le temps. Mais je vois une distinction profonde entre cette « existence » perçue par ce moi et la « vie » perçue par bien autre chose. L’existence est constituée par tout ce que le moi accumule. La vie n’a pas besoin d’accumuler quoique ce soit. Elle est. Constante et immuable.
Est-ce que le moi peut réellement la saisir, est-ce que le moi, dans le chaos de ses pensées, dans le fatras incommensurable de son existence peut réellement percevoir cette conscience du soi et de la vie. Le Soi. Qu’en est-il ? Le moi est une entité individuelle modelée par d’autres entités individuelles, par d’innombrables imbrications dans lequel le moi s’identifie. On peut clairement se demander si la notion de Soi et la conscience de la vie lui sont accessibles. Que peut-il saisir dans son fonctionnement, sinon, une idée mentalisée ? La vision d’un Tout et l’appartenance du Soi à ce Tout sont-ils de pures hallucinations d’un mental qui se gargarise d’un cheminement spirituel, comme un piédestal à sa magnificence ? Il serait bien plus profitable et honnête que ce soit le Soi qui conçoive le moi, que ce soit lui qui observe les agitations frénétiques de ce petit individu mais dans cette soumission de l’individu à son identification, c’est le moi qui part à la recherche d’un Soi dont il a entendu parler et qui comblerait son désir de séduction. Car celui-là qui est au cœur de son Soi est beau et sage…Vaste mystification. Que peut saisir une entité centrée sur elle-même quand elle se dit être en quête du Tout. La fourmi a t-elle conscience de la forêt dans laquelle elle travaille, de la planète sur laquelle elle existe, de l’Univers ? Possédons-nous une conscience plus élaborée que celle de la fourmi ? Oui, bien évidemment ou alors c’est que la fourmi cache bien son jeu… Bien, et alors ? Dès lors que le moi part à la recherche d’un Graal qui dépasse son entendement, que peut-il trouver d’autre qu’une entité à sa dimension, c'est-à-dire bien autre chose que le Soi ?
Alors, il nous faut chercher sur le chemin des religions…Mais les religions sont issues du mental. Aucune religion ne peut être un tremplin. Elles ne sont qu’une boucle qui ramène le moi vers lui-même. Puisqu’il en est l’instigateur. De toute façon, tant que le raisonnement, la linguistique, la dialectique, la logique, la rhétorique entrent en action, c’est le moi qui cherche ce qui ne lui est pas accessible. Dès lors qu’il y a un observateur et une quête, l’objet observé, l’individu reste dans un cheminement mentalisé et par conséquent le moi…
Il a conscience de sa recherche et s’en glorifie et imagine dès lors être sur la voie. C’est juste celle qui le ramène à lui-même. Mais par des chemins enluminés de métaphysique, ce qui donne un aspect valorisant à la quête…Vaste mystification. La métaphysique est lucide quand elle est capable de juger de son insuffisance. C’est le moi qui se regarde par des fenêtres plus larges. Mais il n’y a pas de nouvel horizon. Pas celui du Soi.
Faut-il donc passer par un autre canal que le moi pour saisir le Soi ? Mais s’il n’y a plus de moi, il n’y a plus de conscience, de vigilance, il n’y a plus rien qui puisse saisir puisque tout a disparu… Ca serait considérer que seul le mental a la capacité de saisir… Je ne pense pas que ça soit le cas. Là, il s’agit juste d’un formatage. On a appris à penser pour saisir.
« Je pense donc je suis. » Sacrée catastrophe que cette affirmation. « Je pense donc je fuis. » Je fuis la possibilité d’entrer dans une dimension qui m’échappe dès lors que je pense. Ca ne nous donne pas de piste quant à la quête de ce Soi. Pour l’instant, il reste insaisissable.
Mais n’est-ce pas justement la solution à l’énigme ? Puisque le moi ne peut pas saisir un Soi, autre qu’une enveloppe grossie de son propre moi, puisque le Soi ne peut pas être conscience de lui-même puisque cela reviendrait à concevoir un Soi détaché du Tout, c'est-à-dire immanquablement une individualité, ce qui serait antinomique dans l’idée du Tout, il n’est dès lors pas possible de saisir le Soi par le moi. Tout simplement. Le Soi aperçu par le moi est nécessairement une entité séparée du Tout et par conséquent autre chose que le Soi.
Le Soi est Conscience et non conscience. Il ne peut pas être conscientisé car il faudrait qu’il s’individualise et qu’il s’identifie à l’observateur. Le ciel ne peut pas voir le ciel. Il faudrait qu’il prenne de la hauteur !! L’Univers ne peut pas s’observer. Le Soi ne peut pas se connaître. Ni par lui-même puisqu’il ne serait plus le Soi mais une entité séparée du Soi, ni par le moi qui ne peut pas connaître ce qui le contient. Bon, ça semble à peu près se tenir tout ce charabia.
Mais alors qu’en est-il des expériences mystiques ? Des révélations qui font basculer parfois en quelques instants, des individus « basiques » à des êtres éveillés ? Qu’ont-ils aperçu, ressenti, perçu, « compris » (pas de façon rationnelle bien entendu…), que leur est-il arrivé ? Est-ce que le moi peut basculer dans une dimension qui ne serait pas le Soi mais un « simple » état de conscience modifiée ? Comment considérer que ces gens puissent évoluer dans un monde mentalisé en ayant eu accès à une vision unifiée de la vie ? Comment gérer ce genre d’antagonismes ? Comment passer du haut en bas, de l’intériorité mentalisée à l’universalité dés-identifiée ? Les voyageurs des NDE ? Les guérisons « spontanées » et inexpliquées ? Que s’est-il passé ? Le moi, dans ces expériences extrêmes, n’a rien à voir. Il est bien trop futile et insignifiant pour s’engager dans des voies aussi radicales. Ecoutons les paroles des « expérimentateurs »…C’est stupéfiant. Tellement éloigné de notre vision mécaniste et rigoriste de la vie. Le Tout s’est-il laissé découvrir, le Soi s’est-il révélé ?
Mais alors, tout ce que j’ai écrit au-dessus ne tient pas. Tout ça ne serait donc bel et bien que du charabia métaphysique. C’est sans doute qu’il faut chercher ailleurs. Et se passer même du langage.
La souffrance devient-elle la clé pour ouvrir l’enceinte ? Lorsque plus rien ne permet au geôlier de prendre conscience qu’il fabrique lui-même la prison qu’il s’obstine à ignorer, la souffrance réelle, physique, psychologique, existentielle, ne devient-elle pas l’ultime accès à la liberté ? Cette rupture, totale, incompréhensible, imprévisible, comme si parvenu à une altitude inconnue, le mental n’avait plus d’oxygène, que les pensées et les résistances ne pouvaient plus prendre forme, n’avaient plus de nourriture, une perte d’identification. La douleur a tout rongé, jusqu’à la dernière image, les rôles les plus essentiels, ni mari, ni père, rien, il ne reste rien que cette douleur insoutenable jusqu’à ce qu’elle disparaisse à son tour parce que le receveur abandonne la lutte.
Cette rupture, ce vide. Cette absence de tout, plus rien, aucune sensation, plus de corps, plus de peur, aucune pensée, le néant sans rien pour le voir, rien…
Comment expliquer qu’il n’y a rien. Ni même rien pour s’en rendre compte. Toute la difficulté pour l’exprimer vient du fait qu’il n’en reste rien. Puisqu’il n’y a plus rien pour s’en souvenir, pour que ça se grave. Rien ne s’est gravé dans ce rien.
Et puis cette phrase, soudaine, au milieu d’auras bleutées. « Tu n’es pas au fil des âges un amalgame agité de verbes d’actions conjugués à tous les temps humains mais simplement le verbe être nourri par la vie divine de l’instant présent. »
Ca n’était pas moi. Ca venait d’ailleurs. C’était trop long pour que je l’élabore moi-même dans cet état d’hébétude. Qu’est-ce que c’était ? « Qui » était-ce ? Des nuits entières à me poser cette question, des mois, des années, des heures à y penser en marchant, sur mon vélo, assis dehors, sous les étoiles, à tenter de retrouver dans ce vide environnant une source, un point de départ, un noyau de clarté, un point lumineux d’où aurait jailli cette fulgurance. Dans ce vide intersidéral que la douleur avait engendré, dans cette incapacité à être moi, à penser même, comment une telle complexité pouvait-elle se concevoir ?
Il existerait donc un autre émetteur ?...Et je pourrais recevoir ces émissions inconnues ?...Le Soi ? Ce vide était-ce cela « la vacuité ? »S'éveiller à la vacuité est-ce voir que personne ne souffre ici, qu’il y a une sensation mais personne pour en prendre livraison. La douleur porte-t-elle un enseignement salvateur ? Pointe-t-elle vers ce qui est au-delà de la douleur ?
« Les quatre nobles vérités qui sont à l'origine du bouddhisme sont: la vérité de la souffrance ou de l'insatisfaction inhérente, la vérité de l'origine de la souffrance engendrée par le désir et l'attachement, la vérité de la possibilité de la cessation de la souffrance par le détachement, entre autres, et finalement la vérité du chemin menant à la cessation de la souffrance, qui est la voie médiane du noble sentier octuple. »
Je ne sais pas ce qu’est ce sentier octuple. Je comprends par contre cet attachement à la douleur, comme à tout le reste. Toutes les identifications qui s’opposent au Soi, qui le couvrent comme autant de salissures. La douleur est un purificateur forcené. Elle brise la coquille et libère le noyau. Mais ce noyau n’est pas une entité individuelle. Il est le flux vital. L’énergie créatrice. Et dans l’amour inconditionnel, ineffable, incommensurable de l’énergie, il n’y a pas de mal, pas de douleur, pas de traumatisme puisqu’il n’y a plus de moi et que le moi entretient tout ce à quoi il est identifié. N’être plus rien efface jusqu’au mal tout comme il efface le bien. Il n’y a que ce qui est. Et ce qui est ne porte pas les fardeaux mentalisés du moi. Bien et Mal ne sont que des rumeurs. La douleur comme la libération du Tout en moi. Comment pourrais-je y voir du Mal ? Ce Bien dans lequel je m’imaginais exister et qui m’avait brisé. Bien et Mal, juste deux termes qui n’ont aucune réalité dans le flux vital. Cette absence de lucidité qui entretenait ces rumeurs. Et en venir à honorer la douleur lorsque le moi est éteint. Il y a autre chose. Une autre réalité, sans doute la seule. Lorsque le rêve éveillé est brisé et que toutes les rumeurs s’éteignent dans la lumière de la Conscience. Pas « ma » conscience mais l’Autre. Celle qui libère et unifie.
JARWAL.
TOME 3
Le travail avait cessé dans le village à la tombée du jour. Les Kogis avaient réintégré leurs huttes. Les palissades cernaient désormais le village. Un malaise immense dans le cœur de chacun, une séparation douloureuse, un cordon sectionné. Les horizons fermés cloisonnaient les âmes.
Jarwal et Gwendoline avaient été invités dans la hutte centrale, la Nuhé qui accueillait les sages et tous les individus chargés d’assurer la cohésion du peuple, celles et ceux qui participaient aux discussions les plus essentielles avant d’en référer au reste de la tribu.
Nasta avait demandé à Jarwal de s’asseoir près de lui. D’autres mamus avaient pris place à leurs côtés. Kalén s’était assis en face de Jarwal et traduisait les paroles de Nasta. A l’écart du groupe, deux femmes âgées expliquaient par gestes à Gwendoline comment tresser une mochilla. Elles souriaient constamment pour accompagner ses efforts.
Des flammes savamment entretenues diffusaient des parfums dansants de clarté, des arabesques joueuses qui dessinaient sur les visages des reliefs apaisés.
Malgré le poids des menaces, il flottait dans l’air une étrange plénitude.
« Vous n’avez pas l’air inquiets, annonça Jarwal. J’en suis étonné.
-Pour quelles raisons nous devrions être inquiets en cet instant ? Nous avons œuvré à la protection de notre peuple, la nuit est tombée, nous sommes réunis pour parler. La peur ne nous apporterait rien. Elle ne serait qu’une projection dans un avenir qui n’existe pas mais que nous imaginerions. Et cela ne changerait rien à la réalité. »
Kalén expliqua cet échange à Nasta et écouta sa réponse.
« Nasta dit que cette peur ou cette colère que tu fais naître en toi est la même que celle qui te tourmente pour ta mémoire. Les hommes pensent qu’il y a plein de peurs, la peur du noir, la peur des ennemis, la peur d’un animal sauvage, la peur d’un orage mais ce sont toutes les mêmes peurs. La peur n’existe pas en elle-même. Elle n’est que le résultat de l’incapacité des hommes à observer leurs émotions et ensuite à croire que cette peur est réelle. Elle n’est réelle que parce que ces hommes ne sont pas dans la réalité. Ils sont perdus en eux. Toi, tu es perdu en toi parce que tu as peur de t’être perdu. Et cette peur t’empêche de retrouver ta réalité alors qu’elle est toujours là. »
Jarwal regarda Nasta. Un visage impassible et pourtant une lueur particulière dans les yeux, deux filaments étroits, une vibration qui le touchait, comme une intrusion intérieure, un lien indéfinissable, l’impression que Nasta voyageait en lui.
Le sage parla de nouveau.
Kalén expliqua.
« Nasta dit qu’il est temps que tu deviennes ce que tu es et que tu cesses d’être attaché à ce que tu crois être. Il veut que tu t’assois face à lui et que tu poses tes mains sur ses genoux. »
Jarwal se leva et vint se placer devant le vieil homme. Celui-ci prit délicatement une longue pipe en bois et la garnit d’Aruaca. Il embrasa les feuilles et souffla lentement la fumée sur le visage du lutin.
Jarwal ferma les yeux, intrigué par cette pratique qui lui paraissait peu respectueuse. Il abandonna aussitôt ses réticences sachant qu’il n’en était rien.
Lorsqu’il ouvrit les yeux, Nasta s’était approché de son visage, presqu’à le toucher. Il fut surpris de se trouver ainsi nez à nez avec le visage ridé mais l’intensité des yeux le figèrent aussitôt et il se sentit aspiré. Ou envahi. Il ne savait pas dans quel sens les choses se passaient. Comme une vague d’océan qui montait et se retirait, comme un balancement d’arbre dans la houle du vent, un aller-retour qui l’étourdissait, un mouvement lancinant qui finit par ressembler à une alternance respiratoire…
Inspiration, expiration, inspiration, expiration…
Une nouvelle bouffée de fumée sur le visage. Les yeux fermés.
Nasta entretenait ce balancement hypnotique pour instaurer un rituel bien précis. Il devait se laisser porter, abandonner ses craintes. Il se concentra sur la pression de ses mains sur les genoux du sage. Il sentait à travers le tissu la musculature sèche du vieil homme assis en tailleur. Une chaleur qui le surprit dans la paume de ses mains comme si le vieil homme dégageait un rayonnement solaire.
Le balancement s’accentua encore et il eut l’impression que même son corps bougeait. Il s’aperçut qu’il n’entendait plus les discussions discrètes des femmes et de Gwendoline, qu’il n’entendait plus le crépitement du bois, qu’il n’entendait plus rien d’ailleurs. Il voulut ouvrir les yeux pour se relier à l’environnement disparu et n’y parvint pas. Une lourdeur de montagnes sur ses paupières.
Il sentit pourtant les mains de Nasta se poser sur sa tête, délicatement d’abord puis enserrer progressivement son crâne dans un étau.
C'est là que tout accéléra...
Une vitesse stupéfiante, comme un plongeon en lui-même, une chute infinie au coeur d'un halo flamboyant.
Suite lorsque la Vie viendra écrire en moi.
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Krishnamurti et la Réalité.
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/11/2011
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Revue 3ème Millénaire
http://www.revue3emillenaire.com/blog/?p=3476
Cet article, préparé et traduit de l’anglais par Robert Linssen, constitue une synthèse de conférences de Krishnamurti entre 1928 et 1935. A cette époque, on pouvait encore entendre Krishnamurti dire des choses comme « il y a une Réalité éternelle et vivante, appelez-la Dieu, immortalité, éternité… » ; par la suite il continua à affiner son langage pour le restant de sa longue vie, s’éloignant de plus en plus des affirmations qui pour nombreux de ses auditeurs n’étaient que croyances…
(Revue Être Libre. No 1. Janvier 1936)
Je ne désire pas ajouter aux nombreux systèmes existants de nouvelles théories, de nouvelles formules, ou de savantes explications.
Toutes les formules « toutes faites », les « explications », les « théories » ne sont que des moyens habiles pour vous évader de vos propres conflits.
La plupart des esprits désirent imiter, suivre, copier parce qu’ils ne savent plus penser fondamentalement par eux-mêmes.
Pour la plupart la douleur, le conflit est si intense, qu’ils préfèrent plutôt s’évader dans les religions, les systèmes, les théories, ces cristallisations de la pensée humaine.
Pour moi, la solution réelle de vos problèmes, se trouve dans la profondeur de votre Intelligence, qui doit fonctionner simplement, librement, spontanément.
Par cette Intelligence, je n’entends pas la capacité de spéculations ni de ruses intellectuelles.
L’Intelligence Véritable n’est pas non plus la connaissance livresque.
Vous pouvez avoir beaucoup étudié, et encore restes stupide.
Vous pouvez lire de nombreuses philosophies, et ne pas connaître encore l’Extase, la béatitude de la pensée créatrice, qui ne peuvent exister seulement que lorsque l’esprit et le cœur, se libèrent eux-mêmes à travers le conflit, par une constante lucidité, de toutes les stupidités du passé.
L’expression de l’Intelligence véritable dans l’Action est l’Immortalité, c’est l’apothéose du bonheur, la béatitude de vivre complètement dans l’Éternel Présent.
Vous avez d’innombrables idées concernant la plénitude de la Vie, et l’immortalité.
Mais pour moi, cette Immortalité, cette grande richesse de la Vie, ne peut être comprise et vécue, que lorsque l’esprit est pleinement libéré de toutes ses limitations, des stupidités du passé, du milieu actuel, des anomalies acquises ou héritées. Dans cette flamme d’intense lucidité, surgira l’extase de la Vie, dans cette conscience suprême est la Vérité.
Je vous en prie, tout ceci n’est pas une nouvelle théorie, je ne suis pas un théoricien. Je ne m’impose à personne, je n’essaye de convaincre personne de mon message, mais parce que les hommes sont enfermés dans la prison de la misère, dans les cages de la souffrance, je voudrais éveiller en eux, le désir de détruire eux-mêmes ces cages.
Je veux créer en chaque être, une attitude nouvelle d’esprit. Je ne désire pas de disciples, parce que la signification totale de ce que je dis est contraire à toutes ces choses.
Ce n’est que lorsque l’esprit est dépouillé de toutes les illusions de l’ignorance, et de toutes disciplines intérieures ou extérieures, qu’il est capable de discerner le Présent Infini.
La Plénitude de la Vie est en toutes choses, il ne faut rien acquérir, tout est là, ELLE EST.
Mais si vous voulez comprendre ce que j’ai à dire, ne me traduisez pas je vous en prie en termes de parti, de secte, de groupe, de disciple, de partisan de religion.
L’Éternel Présent est une chose que l’on ne peut pas expliquer. Vous ne pouvez pas raisonner un tel sujet. Cela doit être expérimenté, Cela doit être vécu. Cela requiert une grande persistance et un éveil constant.
Mais nos vies sont si superficielles, avec les inanités de la « civilisation » moderne, nos vies sont si chaotiques, déraisonnables, pleines de souffrances, et les hommes ne sont plus que des machines à imiter.
Je dis que lorsqu’il y a discernement véritable, point n’est besoin de disciplines intérieures ou extérieures. Vous êtes la plupart emprisonnés dans l’habitude de la discipline.
Tout d’abord vous conservez une image mentale de ce qui est bien, de ce qui est vrai, et de ce que votre caractère devrait être. Vous essayez de faire concorder vos actions avec cette image mentale.
Vous agissez simplement en vous conformant à une image mentale que vous possédez. Tant que vous avez une idée préconçue de ce qui est vrai vous agirez conformément à cette idée. La plupart d’entre vous êtes inconscients du fait que vous agissez conformément à un modèle.
Mais lorsque vous devenez conscients du fait que vous agissez d’une telle façon, vous n’essayez plus de copier ou d’imiter, mais c’est votre propre action qui vous révèle ce qui est vrai.
Notre entraînement physique, notre éducation morale et religieuse tendent à nous mouler conformément à un modèle.
Être libéré de la discipline est extrêmement difficile, du fait que dès l’enfance nous avons été l’esclave de la discipline et de la domination.
Depuis l’enfance, la plupart d’entre nous, avons été entraînés à nous adapter à un modèle social, religieux ou économique, et la plupart de nous sommes inconscients de ce fait.
La discipline est devenue une habitude, et vous êtes inconscients de cette habitude.
Lorsque vous verrez que vous êtes en train de vous discipliner conformément à un modèle, votre action sera engendrée par le discernement.
Si en agissant ainsi vous êtes conscients de l’imitation, votre action sera spontanée.
J’aimerais donc vous expliquer que la Vérité, la plénitude et la richesse de la Vie, ne peut être réalisée par personne au moyen de l’imitation, ou d’une forme quelconque de l’autorité.
La plupart d’entre nous sentons occasionnellement qu’il existe une vraie vie, un Éternel quelque chose, mais les moments où nous sentons cela sont si rares, que cet Éternel quelque chose recule de plus en plus vers l’arrière-plan, et nous apparaît de moins en moins réel.
Or pour moi, il y a une Réalité éternelle et vivante, appelez-la Dieu, immortalité, éternité ou autrement si vous le voulez.
Je tiens qu’il y a une Vie éternelle qui est la Source et le But, le commencement et la fin, encore qu’elle n’ait ni commencement ni fin, ni But, ni Apogée.
Cette Vie éternelle ne cherche pas dans son expression un résultat, un accomplissement. Elle n’a ni apogée ni but, car Elle est éternellement en Mouvement.
La Vérité réside dans le processus, et non dans la réalisation.
Il y a quelque chose d’intensément vivant, de créateur qui ne peut être décrit, parce que la Réalité échappe à toutes descriptions.
Vous ne pouvez pas connaître l’Amour Véritable par la description d’un autre, pour connaître l’Amour Réel, il faut que vous l’ayez éprouvé vous-même.
L’Amour a perdu son extase créatrice.
Il ne devient plus qu’une série de conflits qui visent la possession.
La grande tendresse de l’Amour, sa grande profondeur, sa qualité d’Éternité, sa sublimité, son extase immense et profonde sont détruites par le désir de posséder, d’obtenir.
Sans cet Amour, l’homme ressemble à un désert de sable sec, à une rivière en été, lorsqu’elle n’a plus d’eau pour abreuver ses rives.
Et pourtant peu savent aimer véritablement, car pour aimer réellement, vous devez être au-dessus de la corruption de l’Amour.
Mais nul ne peut vous décrire la Plénitude, méfiez-vous de l’homme qui essaye de décrire cette Réalité vivante.
Cette réalisation de la Vérité, de l’Éternel, n’est pas dans le mouvement du temps, lequel n’est qu’une habitude de l’esprit.
Mais si l’esprit comprend cette Plénitude de la Vie, et s’il est libre de la division du temps en passé, présent et futur, alors survient la réalisation de cette Réalité Vivante, Éternellement Présente.
Et encore, parce que nous avons divisé l’action en passé, présent et futur, parce que pour nous l’Action n’est pas complète en elle-même, mais est plutôt quelque chose qui est mis en mouvement par des mobiles, par la peur, par des guides, par la récompense et la punition, nos esprits sont incapables de comprendre la totalité dans sa continuité.
Ainsi on s’évade continuellement de l’Éternel Présent.
Ce n’est que lorsque l’esprit et le cœur sont libres de la division du Temps que l’Action véritable peut surgir.
Quand l’Action est engendrée par la Plénitude et non par la division du temps, elle est harmonieuse et est libérée des entraves de la société, des classes, des races, des religions et du désir d’acquérir.
Pour exposer la chose différemment, l’Action doit devenir vraiment individuelle.
Par action individuelle, j’entends l’action qui est engendrée par la compréhension complète, par la compréhension de l’individu, et non pas celle qui est imposée par d’autres.
L’Immortalité ne peut être comprise que dans la plénitude de notre Action individuelle, et non comme fragment d’une structure, non comme partie d’une machine sociale, politique et religieuse.
Vous devez donc éprouver l’individualité véritable avant de pouvoir comprendre Ce qui est vrai.
Tant que vous n’agissez pas de cette Source Éternelle, il doit y avoir conflit, il doit y avoir divisions et des luttes continuelles.
Chacun de nous connaît la lutte, la douleur, le conflit et le manque d’harmonie.
Ce sont là des éléments qui en grande partie constituent notre vie, et consciemment ou inconsciemment, nous essayons de leur échapper.
Peu de personnes sont conscientes de la cause profonde de leur souffrance, alors elles éprouvent le désir de fuir cette souffrance, et ce désir de fuite a créé et vitalisé nos systèmes moraux, sociaux et religieux.
Parce que nous ne sommes pas « véritablement » responsables de nos propres actes, nous créons des systèmes et des autorités pour qu’ils nous donnent des réconforts et des abris.
Cette incapacité d’affronter l’expérience dans sa plénitude crée le conflit et le désir que l’on a de s’évader.
DE LA SÉCURITÉ
Si vous considérez intelligemment vos pensées et les actes qui en découlent, vous verrez que là où se trouve le désir de fuite, il doit y avoir la recherche de la sécurité; et toutes vos actions soft basées sur le désir de sécurité.
Graduellement, cette demande de la sécurité détruit l’Intelligence véritable.
L’esprit à travers l’expérience accumule diverses sortes de systèmes d’autoprotections du « Je », de sécurités de « Je », et ces choses sont de nature à empêcher totalement l’esprit dans son processus de réajustement constant à l’Éternel Mouvement de la Vie.
L’ardent désir de sécurité, se manifeste entre autres, par la volonté d’avoir un compte substantiel en banque, une bonne position, par le désir d’être considéré comme « quelqu’un » dans la ville que l’on habite, par la lutte que l’on affronte pour obtenir des titres, des grades, et tant d’autres stupidités qui n’ont aucun sens Réel.
Ensuite, quelques-uns d’entre vous, ne sont plus satisfaits par la sécurité physique, et cherchent une sécurité d’une forme plus subtile.
C’est encore de la sécurité, mais simplement un peu moins évidente, et vous l’appelez spiritualité.
Mais je ne vois pas de différence entre les deux.
Lorsque vous êtes rassasiés de sécurité physique, ou lorsque vous ne pouvez pas l’obtenir, vous vous tournez vers la sécurité spirituelle.
Et lorsque vous vous tournez vers cette sécurité, vous vitalisez ces choses que vous appelez « religions » et « croyances spirituelles » organisées.
Parce que vous cherchez la sécurité, née de votre propre insuffisance, de votre propre vide, vous établissez une forme de religion, un système de pensée philosophique dans lequel vous êtes pris, et dont vous devenez l’esclave.
Notre inertie, notre manque de compréhension nous remettent désarmés dans les mains de « spécialistes » et de « profiteurs ».
Notre désir de sécurité, notre désir de perpétuation, d’immortalité personnelle, nous incite à rechercher des autorités qui puissent nous « promettre » cette « immortalité », et ainsi ont surgi les structures religieuse, les croyances organisées, les dogmes, le sacerdoce.
Ainsi les prêtres à travers le monde, se sont transformés peu à peu en exploiteurs.
Je dis que lorsqu’un homme est « emprisonné » dans une croyance quelconque, il ne peut connaître la Plénitude de la Vie.
Un homme qui vit pleinement, agit de cette Source dans laquelle il n’y a pas de réactions, mais seulement l’Action ; mais l’homme qui est à la recherche de la sécurité, de l’évasion, doit s’accrocher à une croyance parce que c’est d’elle, qu’il tirera son support continuel et l’encouragement à son manque de compréhension.
Mais vous n’aborderez jamais la Vie, tant que vous serez retenus dans un moule.
La Vie passera à côté de vous parce que vous avez déjà limité votre esprit par votre propre choix.
Ce n’est que lorsque vous aborderez les expériences sans barrières, que vous trouverez une joie continuelle.
Si vous avez l’Intelligence véritable, et l’intensité qu’il faut pour détruire les barrières qui vous enchaînent, vous connaîtrez par vous-même l’accomplissement de la Vie.
Mais la plupart des individus essayent de s’enfuir, ils se sont transformés en machines à habitudes.
Afin d’éviter le conflit vous créez des croyances religieuses, vous adorez une image d’une imitation que vous appelez Dieu, ou vous essayez d’oublier votre inaptitude à affronter la lutte en vous perdant vous-mêmes dans le travail, ou dans les marais d’une activité superficielle.
De cette pauvreté intérieure surgit le désir de sécurité, et pour avoir la sécurité, il doit exister une personne, une idée, une croyance, une tradition pour vous donner l’assurance de la sécurité.
Ainsi dans notre tentative de trouver la sécurité, nous érigeons une autorité…
DE L’AUTORITÉ…
Nous sommes esclaves de l’autorité que nous avons nous-mêmes créés.
Nous cherchons la sécurité au moyen de guides spirituels ou de prêtres, ou encore, nous cherchons l’autorité dans la puissance de la tradition sociale, économique ou politique.
C’est nous-mêmes, individuellement, qui avons établi ces autorités, elles n’ont pas surgi à la Vie spontanément.
Pendant des siècles, nous n’avons cessé de les établir, et nos esprits ont été mutilés, pervertis par leur influence.
Ce culte de l’autorité est pour moi la racine suprême de l’exploitation.
L’esprit est tenu en esclavage par le milieu qu’il a lui-même créé par son insatiable désir, il en résulte une peur incessante.
Partout où existe cette peur, on trouve la discipline, la contrainte exercée par des hommes sur d’autres hommes, la domination et la recherche du pouvoir que l’esprit glorifie comme une vertu divine.
Si vous réfléchissez réellement à tout cela, vous verrez que là où il y a Intelligence Véritable, il ne peut y avoir poursuite du pouvoir.
Toute vie est modelée par une peur incessante, inconsciente et par des conflits, donc par la coercition, par l’imposition de décrets et de liens que certains considèrent comme vertueux et précieux, et d’autres nocifs et funestes.
Ce sont là les freins que vous avez institués dans votre désir de vous perpétuer ; vous avez créé des autorités, et votre vie est modelée, par des obligations, de formes et de degrés divers.
L’individu qui est perpétuellement conditionné par le milieu, modelé par des règles, des lois, des principes de morale, devient de moins en moins intelligent au plus on l’écrase.
Ces freins imposés à l’individu, et qu’il appelle son milieu environnant ont pour promoteurs les charlatans et les exploiteurs de la religion, de la morale publique, de la vie politique et économique.
L’exploiteur est l’individu qui, consciemment ou inconsciemment, se sert de vous, et vous lui cédez, consciemment ou non, parce que vous ne comprenez pas vous devenez l’exploité économiquement, socialement, politiquement, religieusement — et il devient votre exploiteur.
De cette manière la vie devient une école, un cadre, un moule en acier dans lequel l’individu est battu jusqu’à en épouser la forme.
L’individu devient une simple machine, un rouage sans pensée, rigidement limité.
La vie devient une lutte, une série .de combats continuels.
Aussi a-t-on inventé cette idée fausse que la Vie est une série de leçons à apprendre, d’expériences à acquérir pour se prémunir, à l’effet de mieux pouvoir aborder la vie du lendemain — mais, avec des idées préconçues.
La vie devient une simple école, et non quelque chose dont on doit jouir, et que l’on doit vivre extatiquement, pleinement, sans peur.
Le milieu extérieur étreint l’individu, le broie dans un cadre d’objets en série, d’idées religieuses, et comme il se sent écrasé par l’extérieur il cherche à s’échapper dans un monde qu’il appelle le monde intérieur.
Naturellement quand l’esprit est dévié, perverti, moulé par le milieu extérieur, et qu’il se livre au dehors à des luttes incessantes, il espère en une tranquillité, en un bonheur, en un monde différent, et il se construit alors un romantique havre d’évasion dans lequel il cherche une compensation aux échecs et aux souffrances de l’extérieur.
Si vous devenez réellement conscient de tout ce qui précède, vous commencerez à comprendre la vraie signification du monde extérieur et du monde intérieur.
A ce moment-là existe une perception immédiate, spontanée, la Vie se trouve libérée, et l’esprit devient Intelligence véritable, il peut fonctionner d’une façon créatrice, naturelle, sans cette constante bataille.
Ainsi, l’Intelligence reconnaît les obstacles, il n’y a pas d’adaptation, seule surgit la compréhension spontanée, qui est un mode de vie naturel, simple, extatique.
L’Intelligence Véritable ne dépend ni de l’extérieur, ni de l’intérieur.
Dans cette lucidité, il n’y a pas de désir, mais la perception claire, simple, spontanée de Ce qui est vrai.
Alors surgit la Plénitude, cette richesse infinie, cette réalisation de l’Éternité qui est Dieu.
C’est une réalité, une Vérité immense et vivante, et pour la comprendre il faut une complète simplicité, une grande clarté de pensée.
Ce qui est simple est infiniment subtil. Ce qui est simple est extrêmement délicat.
Il y a une grande subtilité, une délicatesse infinie, un équilibre délicat qui n’est ni le contentement de soi, ni cet incessant effort engendré par le désir de réussir, d’accomplir.
Dans cet équilibre délicat réside la simplicité, qui n’est pas une simplicité qui consiste à n’avoir que peu de vêtements ou de possessions.
Ce n’est pas de cette simplicité là que je parle — qui n’est qu’un aspect grossier de la Vraie Simplicité — mais de celle qui est engendrée par cette délicatesse de pensée dans laquelle n’existe ni satisfaction, ni stagnation, mais simplement l’extase suprême de vivre pleinement le Présent Infini.
Dans cette extase se trouve le mouvement vivant de la vérité, qui est une Vie sans cesse créatrice. -
Cette force indescriptible
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/11/2011
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UNE ETRANGE LUMIERE.
Extrait.
Il décida d’aller courir. Il devait entretenir son corps désormais. Avec attention et rigueur. Se muscler, gagner en endurance, en puissance, en résistance, supporter la douleur, le froid, la faim, la soif. Le bonheur absolu des samouraïs. Il deviendrait comme eux. L’esprit et le corps unis dans une même lutte. La joie qui montait en lui, comme un magma brûlant, dense, vigoureux, une fièvre élévatrice. Il se sentit presque grandir. C’était fabuleux. Il fallait courir pour libérer cette puissance.
Il sortit et reçut la lumière du soleil comme un don.
Il quitta son sous-pull. Son torse devait se nourrir des ondes divines. Il aurait aimé courir nu mais les esprits faibles n’auraient pas compris.
Il partit sur la route.
Dès les premières minutes, il chercha à se concentrer sur le rythme de ses foulées, la musique de son souffle et de ses pas, le tempo de son cœur, se coupant du monde extérieur, n’acceptant que les rayons solaires et la brise fraîche, sans objectif précis, il s’enfonça dans les forêts, traversa le plateau granitique de la pierre levée, suivit un temps le ruisseau du Ninian, rejoignit une route qu’il ne chercha pas à reconnaître, refusant de construire un parcours, limitant le travail de son esprit à la précision de ses gestes et quand il sentit que les muscles des jambes durcissaient, que le ventre et le dos supportaient de plus en plus difficilement les chocs répétés, il s’interdit de penser à un probable retour et, peu à peu, il sentit s’installer en lui la mécanique hypnotique de la course, s’engloutissant à l’intérieur de lui-même, insensible à toutes les sensations extérieures, ne vivant que dans l’infini profondeur de son propre abîme, il ne distingua de son corps que le passage rapide devant ses yeux d’un pied puis d’un autre, le premier disparaissant, immédiatement remplacé par le second et cela sans fin, et il trouva magnifique la mélodie répétitive de ses pas sur le corps de la Terre, cette alternance rapide et saccadée et cette absence de volonté, le corps agissant indépendamment de tout contrôle, sans conscience, et donc sans fatigue, le cerveau, submergé de douleurs ayant abandonné l’habitacle, s’évaporant dans un ailleurs sans nom, il la trouva délicieuse cette musique en lui, chaque foulée se répercutant dans l’inextricable fouillis de ses fibres musculaires, dans les souffles puissants jaillissant de ses poumons vivants, et il comprit pleinement, par-delà les mots réducteurs, que les poumons, le cœur, le sang et les cellules n’existaient que dans ces instants d’extrême exploitation, que les jours calmes étaient des jours morts, des jours sans éveil, des jours d’abandon et de faiblesse, des heures disparues dans le néant de la mort, c’était inacceptable et il ne l’accepterait plus, sa vie devait désormais être comme cette course, sans cassure, sans déchet, sans seconde évaporée, une absolue mise en valeur, il sentit les larmes couler, c’était si beau ce moment de vie, enfin la vie.
Il courut si longtemps qu’il ne sut pas quand il rentra.
Se vider pour se remplir. Extraire l'énergie pour autoriser la plénitude, user des émotions chocs et des exigences de l'effort pour favoriser la béatitude du vide, cet envol indescriptible dans les horizons sans fin de la conscience, la Réalité de l'espace intérieur, cette dimension inexplorée où se révèle l'essentiel, le Soi épuré, l'osmose, l'effacement du moi qui n'en peut plus et se retire dans les limbes étoilées des univers dévoilés.
Là, où il n'y a plus d'attachement, plus de contraintes, plus de soumissions, plus de concessions, là où l'aveuglement cesse et que la Lumière du Réel flamboie dans les noirceurs de l'abandon, lâcher prise, tomber dans un puits sans fond et voler librement au coeur des particules.
Le corps est un outil fabuleux et n'a d'autre raison d'être que de permettre à l'Etre d'exister, un tremplin à utiliser, un convoyeur éphémère qui rêve de laisser sa place à l'Esprit qu'il transporte.
Je ne cours pas en usant de mes forces, je ne pédale pas en usant de mes muscles, ce ne sont que des outils et je ne suis que l'ouvrier. La force vient d'ailleurs. L'Energie n'a pas de forme mais elle les anime.
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Les carnets de l'aventure.
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/11/2011
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Dans le post sur "l'accoutumance", l'auteur démontrait les rouages de la consommation et ses raisons profondes.
Il existe des individus qui ne sont pas inscrits dans cette dérive et qui, bien souvent à travers une passion, ont opté pour une autre voie.
Ce sont des explorateurs, non pas dans le sens où ils parcourent la planète à la recherche de terres inconnues, mais bien avant tout parce qu'ils explorent une vie sociale qui peut apparaître comme une terre sans hommes, un no man's land qui leur offre tout ce dont ils ont besoin, intérieurement, pour exister. Le matérialisme n'est pas une voie qui leur convient parce qu'ils sont tournés vers une voie de développement personnel qui les libère de la pression sociale. Il n'est pas question pour eux de s'intégrer à un groupe par rapport à une reconnaissance liée à un quelconque statut social mais uniquement de rencontrer des individus d'univers variés mais vibrant sur la même longueur d'ondes...Le monde d'en haut diffuse les vibrations. Ils en sont les multiples récepteurs.
Ils sont dans l'effort et simultanément dans la contemplation. Ils exploitent un potentiel physique et simultanément, ils progressent dans une voie spirituelle.
Ils utilisent la technologie qui s'avère nécessaire pour l'expression de cette voie. Des skis, des vêtements adaptés, un fourgon, du carburant, mais tout est fait avec parcimonie, sans aucune exagération, sans que cette technologie ne devienne le miroir d'une prétention sociale. Elle n'est qu'un outil, pas un étendard.
Pour ce qui est des émotions, elles ne sont pas que des émotions chocs, inévitablement créatrices de manque comme il en est dans l'accoutumance, parce que ces émotions fortes sont également vectrices d'émotions contemplatives. Il y a une alternance constante entre le défi physique et la plénitude spitiruelle.
La Nature dispense ces deux états. L'effort et la contemplation. Et l'imbrication des deux favorise l'élévation. La raison en est très simple : tous les besoins de l'individu ont été assouvis. L'émotion choc, l'extase physique, la jouissance de ce corps affûté qui exécute des gestes parfaits, la reconnaissance sociale au coeur d'une passion partagée, des échanges et des amitiés fortes, des regards échangés, les yeux brillants qui en disent plus longs que toutes les paroles, la contemplation enfin et ce retour sur Soi, cette exploration des "terra incognita" dans la profondeur des âmes.
Cette voie spirituelle limite les impacts négatifs sur la Terre.
Elle impacte par contre fortement la croissance.
Il est évident qu'elle ne peut qu'être condamnée par les tenants de la cohésion sociale et des lois du marché.
Ces individus sont des marginaux et ne doivent pas être érigés en exemple.
Lorsque j'étais adolescent, il y avait une émission à la télévision : "Les carnets de l'aventure". Ces gens-là étaient bien souvent en marge, en rupture, ils avaient choisi une voie qui se révélait être un véritable ennemi de la croissance.
L'émission a été supprimée alors que les audiences étaient importantes et malgré une mobilisation importante des téléspectateurs. Il ne s'agissait pas non plus d'un potentiel trop limité au regard des films. Ils étaient déjà nombreux et ils le sont encore plus aujourd'hui. Cette émission n'a pourtant jamais été reprise. Même l'émission "Montagne" sur FR3 a fini par disparaître. On y voyait souvent des jeunes impliqués dans une vie pastorale, la rénovation de hameaux perdus au fin fond des vallées. Nullement des consommateurs effrénés.
On me dira que je suis parano. Alors qu'on m'explique pourquoi, tous ces films sont disponibles sur le Net. Des centaines de films. La réponse est si évidente.
La voie spirituelle n'a aucune valeur marchande. La croissance a besoin de consommateurs accoutumés et manipulables. Si les individus grandissent intérieurement, au coeur d'une passion qui ne créé qu'un nombre de besoins limités, cette élévation va à l'encontre de la mondialisation mercantile.
Je me réjouis infiniment de savoir qu'ils existent, ces jeunes ou ces anciens, qui vivent en dehors de ce vide et qui remplissent leurs existences de valeurs réelles.
Ceux-là sont si vivants.
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L'accoutumance
- Par Thierry LEDRU
- Le 06/11/2011
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Avec l’autorisation de Gérard WEIL
UNE DES CAUSES DU CONSUMERISME: L' ACCOUTUMANCE,
Introduction: Notre société occidentale est en crise. Les partisans du libéralisme sans frein sont convaincus qu’elle n’est que passagère. Je n'en suis pas si sûr, car la crise a des causes bien plus profondes que les abus du système financier, comme je me propose d'essayer de le montrer ci-dessous.
Bien des auteurs ont analysé la naissance du capitalisme, Max Weber, qui l’attribue à l’éthique protestante. Très succinctement, l'enrichissement est pour les protestants, une bénédiction divine. Marx, bien sûr, l'attribue à la transformation des moyens de production, ce sont la naissance de la mécanisation et la rationalisation des moyens de production qui ont favorisé le développement du capitalisme.
Freud voit dans l'avarice un symptôme de l'attachement au stade anal, il fait un parallèle entre le fait de « retenir » ses sous avec le fait de retenir ses selles chez le petit enfant.
Mélanie Klein voit dans l'avidité, une relation au stade oral.
Pour ce qui est de la dimension religieuse de la naissance du capitalisme, Max Weber en fait une analyse très poussée et très documentée et on ne saurait la nier. Mais à mon avis, la religion en l'occurrence n'est qu'une façon de se donner bonne conscience, les raisons de s'enrichir étant plus profondes.
La transformation des moyens de production est certes aussi un terrain favorable au développement du capitalisme, mais là encore, on peut se demander pourquoi les capitaines d'industrie, les banquiers ont profité de ces moyens pour accumuler les richesses au lieu de les partager.
La psychologie me semble donner des réponses bien plus profondes, mais on remarquera que les humains ne sont pas tous restés attachés au stade oral ou au stade anal. Or, dans notre société productiviste, ils continuent à consommer plus qu'il n'en faut pour vivre, à accumuler des biens. Pourquoi ?
Je pense qu'il existe une raison encore plus profonde, qui est d'ordre physiologique, c'est " l'accoutumance" ou habituation.
Développement.
Tout être vivant est doté d'un instinct d'exploration. C'est grâce à lui qu'il se procure nourriture, abri et sexe.
Mais ses besoins vitaux satisfaits, il reste chez l’homme et chez nombre d’êtres vivants, un besoin d’exploration qu'on nomme aussi curiosité ceci pour une raison très simple: comme je le rappelle ci-dessus la vie est, entre autres choses, un ensemble de sensations. Pas de sensations, pas de vie ! C'est avéré dans le cas des nourrissons que l'on se contente de nourrir et de soigner mais qu'on ne stimule pas autrement, ils finissent par dépérir. (Ce que Spitz nomme « la dépression des nourrissons » ).
L'homme a besoin de se sentir vivre et pour se sentir vivre, il a besoin de variété dans les sensations, étant entendu qu'elles peuvent varier tant en nombre qu'en intensité. Pourquoi ce besoin de la variété ?
L'homme n'a pas seulement besoin de pain, mais de sensations, d’émotions, de sentiments et de pensées, des besoins tels que celui de reconnaissance sociale, besoin très puissant, par exemple.
Or, des sensations ou des émotions ou même des pensées, se répètent inévitablement et elles finissent par perdre les effets stimulants qu'elles avaient lors de leur découverte. C'est ce que je nomme l'accoutumance.
Par facilité, l'homme cherche à augmenter l'intensité de ces phénomènes et leur fréquence. Or, grâce aux technologies, il le peut. C'est à mon avis, une des raisons profondes du consumérisme.
Exemples:
Vous changez de logement, donc sensations nouvelles qui vous tiennent éveillé jusqu’à accoutumance à votre nouvel environnement sonore.
Une ambulance passe, la sirène retentit, variant en intensité et en fréquence, vous prenez conscience de son passage mais si cela persistait du matin au soir et du soir au matin vous finiriez par ne plus y prêter attention, vous vous habitueriez.
Vous entrez dans une pièce odorante; l’odeur peut vous séduire ou vous incommoder, mais au bout d’un certain temps vous ne sentez plus rien, c’est l’accoutumance. Pour maintenir la sensation odorante, il faut augmenter les doses de gaz odorant dans la pièce.
Vous prenez l’autoroute, vous accélérez, vous éprouvez une sensation de vitesse, mais ne pouvant dépasser le 130, vous vous accoutumez à cette vitesse constante et bientôt, vous ne la ressentez plus d’où la tendance à accélérer et à dépasser les vitesses autorisées.
Le tic-tac de votre pendule s’arrête, vous vous réveillez et en prenez conscience. Notez bien cette remarque car dans les exemples précédents, c’est par l’apport de sensations que vous restez vigilant, alors que dans cet exemple, c’est la disparition d’une sensation qui vous maintient éveillé.
Les exemples précédents relatent un changement dans votre environnement, changement dépendant ou non de votre volonté. Le passage d’une ambulance ne dépend pas de votre volonté, mais le changement de logement peut en dépendre. Dans ce cas, ce changement est lié à une activité d’exploration.
Certaines sensations sont liées aux mouvements de notre physiologie, sensations dont nous ne sommes habituellement pas conscients car nous y sommes accoutumés, comme la respiration, la digestion ou les battements du cœur. Mais des variations de ces sensations peuvent provoquer des états de conscience, par exemple, on peut prendre conscience des battements du cœur lorsqu’il accélère. Il est intéressant de noter que moyennant un peu d’entraînement, on peut prendre conscience des battements cardiaques même lorsque le cœur est au repos, mais ce n’est possible que parce qu’il s’agit de battements, c'est-à-dire de variations.
En résumé, on constate que lorsqu’une variation se répète régulièrement, il y a accoutumance et l’état de conscience qu’elle suscite tend à disparaître, autrement dit, l’homme ne se sent plus vivre.
Les sensations sont provoquées par des stimuli tels que l’impact de photons sur la rétine pour les sensations visuelles, des molécules sur la peau pour le toucher, la chaleur, des molécules d’air sur le tympan pour l’ouïe, etc. En ce qui concerne les émotions, les sentiments, les pensées, ce sont des ensembles de stimuli qui les provoquent, par exemple la vue d’un animal agressif provoque la peur, celle d’un ami la sympathie, la lecture d’un livre stimule les émotions ou la pensée, etc.
Pour continuer à se sentir vivre, l’homme a alors le choix entre plusieurs possibilités:
1- il peut augmenter le nombre et l’intensité des stimuli,
2- il peut affiner ses sens, de sorte qu’à stimuli égaux, les sensations soient plus intenses.
3- il peut se couper des stimuli obtenant de la sorte une variation importante dans l’ensemble de ses sensations, ce qui est aussi une façon de se sentir vivre (Cf. l’exemple du tic-tac qui cesse )
Partant de là, quatre modes de vie sont possibles:
1- Le consumérisme qui vise à augmenter le nombre et l’intensité des stimuli. Ce choix s’est fait par facilité car il va dans le sens de l’entropie croissante, ou, si vous préférez, dans le sens de la plus grande pente, tendance amplifiée au maximum par le marketing et la publicité.
On mange plus, des mets plus variés, dans les discothèques, le son est toujours plus fort, assorti de flash éblouissants, les tenues de plus en plus tapageuses, mèches de cheveux vertes, rouge vif, la télé nous assomme de clips étourdissants et de films de violence, d’horreur, les véhicules de sport ou de transport vont toujours plus vite, dans les grandes surfaces les marchands mettent à notre disposition une variété infinie de produits de même nature dont on fait varier l'emballage et le nom ( Lessives, par exemple ) etc...
Mais ce choix mène à une impasse à cause de l’accoutumance . Cette remarque est valable pour tout: la boisson, le tabac, les drogues, la danse, la musique. Quand le haschisch ne suffit plus on passe à des drogues plus fortes, dans les discothèques on augmente le niveau sonore et le rythme jusqu’aux limites du supportable et au delà même puisqu’on sait maintenant que les habitués des boîtes de nuit deviennent sourds. A la télé on nous abrutit de clips, maelström de bruits et d’images. Cela est valable aussi pour la fringale d’achat. Ce mode de vie conduit à la mort, mort individuelle, non seulement car on atteint des limites biologiques (embonpoint, maladies cardio-vasculaires, overdoses, cirrhoses, accidents de la route) mais aussi mort sociale, comme nous l'explique fort bien Juan Roy de Menditte en conduisant à l'individualisme forcené, destruction du lien social et enfin mort planétaire, parce que pour produire toutes ces excitations à une population toujours plus nombreuse, on a besoin d’énergie et qu’on épuise les ressources naturelles de la planète, sans parler de la pollution. Le pire c’est qu’il conduit à la mort sans même qu’on soit passé par le bonheur, car chez ceux qui le pratiquent, le sentiment de vide subsiste et les pousse parfois au suicide.
Les conséquences de ce consumérisme ont été fort bien expliquées par les co-auteurs de ce livre et je n'y reviendrai pas. J'insiste toutefois sur l'infantilisation des individus qui mène aux difficultés que rencontrent les enfants à dépasser le complexe d'œdipe.
Comment échapper à ce destin funeste ?
Pour augmenter le nombre et l'intensité des sensations et des émotions, on peut choisir la vie à haut risque: pour cela, nous avons la guerre, les sports de l’extrême, l’exploration de terres vierges et la spéculation financière. Je pense à un jeu de rôle relaté par l'économiste Bernard Marris: si chacun joue la solidarité dans ce jeu, il est assuré de gagner un” salaire” à la fin du jeu, mais si un joueur décide de jouer perso, il peut rafler toutes les mises et se retrouver riche, les autres joueurs étant alors dépouillés, mais bien sûr il peut aussi tout perdre. Le choix est sans doute producteur d’adrénaline, quel exultation quand on gagne ! Mais à l’échelle de la finance internationale, c’est un jeu mortel pour la société, c’est bien ce que nous expérimentons en ce moment. C’est ce jeu qui conduit à aller toujours plus vite, autant dans les transports que dans la communication; il faut être le premier arrivé pour arracher un marché, les traders sont soumis à un stress permanent. Mais ils aiment cela, c’est une source d’adrénaline. On peut parler d'addiction, car comme nous le dit Susan George, « pour les Riches et les Puissants, rien ne sera jamais trop », ils sont fermés à toute argumentation rationnelle, comme le sont les tabagistes ou les alcooliques. Contrairement au consumérisme passif, télévision, achat, induit par notre société marchande et ses serviteurs médiatiques, le choix d'une vie à haut risque implique une très grande activité, mais il apporte des stimuli puissants et comme le consumérisme passif, il sert le capitalisme financier.
La guerre, apporte des stimuli puissants, tant à ceux qui la font qu'à ceux qui suivent l'actualité et on sait maintenant à quel point elle sert les intérêts financiers.
Les sports de l’extrême sont récupérés pour servir de spectacle à la foule ( Cf. les jeux dans l’empire romain ). Mais ils ont de plus un aspect pernicieux qu’un ami montagnard, alpiniste chevronné m’a fait voir; il dit en substance : “ J'en étais là et c'était de plus en plus tendu dans l'engagement...Je n'analysais, rien en fait, c'était une course en avant, sans cesse rehaussée d'un cran. Bien que ça soit passé tout près à quelques reprises ça ne m'arrêtait pas parce que les stimuli avaient une telle puissance que rien d'autre dans ma vie ne pouvait me procurer l'impression d'exister. Il a fallu que je perde mon intégrité physique pour que ça s'arrête. La décision s'est imposée et j'ai dû tout réapprendre. C'est là que la conscience de ces stimuli s'est révélée, que la réalité de ma quête s'est dessinée. J'ai donc appris, non pas à diminuer les stimuli mais à les éprouver différemment, avec un autre regard. La perdition dans laquelle j'étais engagé depuis des années m'a sauté à la gorge. Je n'avais plus besoin de cette surenchère dès lors que je connaissais la source. Je cherchais à "humilier" la mort pour éprouver la vie alors qu'en fait je me séparais de la vie en croyant lutter contre une entité qui n'avait aucune existence. Je n'avais pas besoin de diminuer le nombre ou la puissance des stimuli étant donné que je n'en avais plus besoin. La façon dont j'éprouvais la vie ne se nourrissait plus de combats épiques mais d'une contemplation infinie. Il ne s'agissait pas de stimuli nécessairement réactivés mais d'une captation entière de chaque instant. J'ai continué à aller en montagne mais avec une autre démarche, sans l'objectif du sommet à tous prix, juste l'exploitation de la vie en moi.”
N’est-ce pas aussi cette volonté de puissance qui motive les financiers avides ?
Cette course permanente, dénoncée avec le talent qu’on lui connaît par Raymond Devos dans son sketch “ Mais où courent-ils” est, selon le psychanalyste, ethnologue et neuro-psychiâtre Boris Cyrulnik, à l’origine d’une partie des suicides d’enfants, (Les pays nordiques y auraient mis bon ordre en réduisant la durée des cours, le temps d’école, bref, tout ce qui stresse les enfants ).
L’ épicurisme : Il est un autre moyen de maintenir le sentiment de vivre , voire de l’élever, c’est d’éduquer nos sens ce qui, à stimulus égal, permet de mieux ressentir. C’est ainsi qu’un œnologue, ayant éduqué son nez, éprouve beaucoup plus de plaisir à déguster un grand vin qu’un néophyte. Idem pour un mélomane capable de déceler le 1/16ème de ton à l’écoute de la musique, id° pour un peintre à la vue d’un tableau ou d'un paysage, etc... Quand on observe ce que les multinationales de l'agro-alimentaire proposent dans les grandes surfaces, nous sommes loin du compte. Les clients remplissent leur caddy, mais n'est-ce pas parce que la surconsommation sert d'ersatz à des besoins fondamentaux non satisfaits, comme le lien social, tout simplement ?
Ceci est valable pour le registre des émotions. Dans l’état actuel des choses, on nous abreuve, pour qui veut bien boire, de films d’horreur. Et comme il y a accoutumance, les réalisateurs en rajoutent toujours plus: “ La nuit des morts vivants”, “ Massacre à la tronçonneuse » « The descent », « Saw », etc... N’est-il pas préférable d’éduquer sa sensibilité, d’apprendre à lire un film et d’en tirer un maximum d’émotions en devenant cinéphile ?
Cela implique qu’il faut réapprendre la patience, qu’il faut prendre son temps, ce que nous avons perdu dans notre société chronovore.
Un autre moyen de se procurer des stimuli intenses et nouveaux est le jeu. Il apporte des stimuli puissants car dans le jeu il y a compétition, fut-elle avec soi-même, pour améliorer ses performances. Mais il n'y a pas beaucoup de nouveauté dans les stimuli qu'il procure. Quand par exemple, on maîtrise le poker, seuls les partenaires peuvent changer mais les règles ne changent pas. Il en résulte que le joueur prend de plus en plus de risques et mise de plus en plus pour augmenter l'intensité des sensations. Il est clair que boursicoter est un jeu, le capitalisme joue au Monopoly avec le monde, sans état d'âme.
Mais il existe des limites physiologiques et le vieillissement d’ où un affaiblissement des réponses aux stimuli d’où ennui, déprime et souhait de mort. Comment échapper à l’ennui, et maintenir le bonheur de vivre à niveau constant ?
Qu’est-ce qui est toujours nouveau et permet ainsi de renouveler en permanence les sensations, les émotions, les sentiments, la pensée et donc de maintenir son sentiment de vie constant ou même de l’élever ?
Une source de stimuli toujours nouveaux: la création- Vivre créer, créer par son travail, créer la danse ou la musique, peindre, écrire, faire du théâtre. Il est bien évident que par définition, créer amène toujours du nouveau, créer dans les arts et inventer dans les sciences et la technique augmente le nombre des stimuli. Plus un être sera habile et entraîné, plus il créera dans le même intervalle de temps. Quant à l’accoutumance, il est toujours possible de changer de champ de création si elle s’installe, mais dans le domaine de la création cela arrive rarement , les grands romanciers, peintres, compositeurs, interprètes ont souvent créé jusqu’à leur mort. Les domaines où cela n’est pas possible, du fait du vieillissement, sont le sport, la danse et tout ce qui fait appel aux performances psychomotrices, encore que, dans ces domaines, les pratiquants se font professeurs ou entraîneur et finalement ne cessent pas d’exercer leurs talents, mais sous une autre forme.
Il est clair qu’en créant, non seulement on multiplie les stimuli sensoriels, mais on éprouve des émotions, tantôt positives, quand on mène à bien une œuvre, un spectacle, une expérience scientifique et qu’on les partage, tantôt négatives quand on échoue, mais dans tous les cas, on vit.
Notre société encourage-t-elle la création ? En partie oui, dans la mode, l’ameublement, et même les arts, à condition que ce soit rentable, sujet à spéculation. Mais l’école n’encourage pas la créativité. C’est Albert Jacquard qui dit que l’Ecole Polytechnique fait des imitateurs, pas des créateurs. Le but avoué de l'école est de former des producteurs, il existe certes des enseignants qui tentent de développer les facultés créatrices de nos enfants, mais ils sont souvent sujets à la réprobation de leurs collègues et des inspecteurs d'académie, la plupart sont en fait les courroies de transmission du pouvoir.
Une source d'émotions, le service- Parmi les modes de vie on peut aussi choisir le service, dans le social et la santé par exemple. Il est bien évident que cela permet de multiplier les émotions, en guérissant, en créant du lien, en aidant à trouver des solutions. Hélas, nous constatons que la société marchande tend à réduire pour ne pas dire détruite ce mode de vie, atteinte au service public, réduction des effectifs, etc.
Là encore, nous constatons qu'en matière de santé, par exemple, l'industrie pharmaceutique encourage la prise de médicaments, là encore, nous sommes dans la consommation. Or, j'entendais un grand cancérologue affirmer qu'il n'a jamais pu guérir un malade qui ne voulait pas guérir, quelques soient les méthodes utilisées, et il reconnaissait l'importance du moral, de l'accompagnement, du lien.
Une autre façon de faire varier le nombre et l'intensité des sensations et des émotions, l'ascèse- Quoiqu'on en pense, c'est aussi un choix de vie, qui s'explique par le fait de se maintenir éveillé par la suppression des stimuli; j'y ai fait référence à propos de l'arrêt du tic-tac. Ce mode de vie est peu répandu, mais il existe et conduit certains hommes à se retirer du monde, du moins pendant une période plus ou moins longue. Un tel mode de vie n'est sans doute pas du goût des multinationales.
Sans aller jusqu'à proposer l'ascèse, A. Maslow nous propose une psychologie de l'être qui se résume en fait à une réalisation de soi. Maslow constate que les êtres vivants sont écartelés entre deux tendances, le besoin de sécurité et la besoin de grandir. Si la sécurités, physique et affective sont assurées, les humains continuent à grandir toute leur vie, grandir c'est-à-dire apprendre sur soi et le monde, devenir de plus en plus indépendant des opinions, de plus en plus patient, tolérant, etc. Peut-on dire que la société marchande favorise cette croissance?
En guise de conclusion- Les modes de vie non consuméristes impliquent l'effort, or les seuls efforts auxquels nous invite la société de consommation se font dans le cadre du travail. Pour le reste, du fait des facilités évidentes que la technologie nous apporte, et de l'exploitation qu'en font les multinationales, elle conduit à une perte du goût de l'effort. Pourtant si nous voulons éviter les souffrances, l'effort est indispensable.
Les choses doivent se faire en temps utile, comme un accouchement par exemple.
Si elles ne se font pas, la souffrance apparaît. Tout se passe comme si la somme de souffrances devait être égale à la somme des joies, autrement dit comme si l’univers était un jeu à gain nul. Il en résulte que la vie est une lutte permanente au cours de laquelle il faut faire des efforts. Les efforts sont des mini-souffrances, tout à fait surmontables et surtout des souffrances qui n’abaissent pas, n’humilient pas mais au contraire font grandir.
Si vous ne mettez pas chaque jour de l’ordre dans vos affaire, arrivera un jour où quelque chose vous obligera à le faire, remplir sa déclaration de revenus par exemple, et ce sera très désagréable, non seulement parce qu’une majoration vous sera imposée, mais parce qu’il faudra fouiller, fouailler, trier, jeter dans un laps de temps réduit.
C’est pour avoir refusé de faire des efforts que les humains subissent des souffrances, tout se passe comme s’ils devaient “payer”, en quelque sorte équilibrer le bilan. Par exemple, des enfants auxquels on ne refuse rien, dont on n’exige rien connaîtront plus tard une immense angoisse. Est-ce à dire que des enfants dont on exige trop, et souvent des efforts inadaptés à leur âge connaîtront la joie à l’âge adulte ? Non, car en imposant aux enfants des efforts inadaptés, les adultes se dispensent des efforts qu’ils devraient faire pour bien les éduquer. La balance n’est donc pas équilibrée et il faudra que quelqu’un paie.
On objectera le cas des gens atteints d’une maladie grave. Dans la logique de mon discours, on devrait dire “ Mais quels efforts aurait-il du faire pour l’éviter?” Je ne sais pas, mais il est une chose qu’il ne faut pas oublier, c’est que nous sommes tous solidaires de façon très profonde et cette solidarité est tellement profonde que certains paient pour d’autres. ( « Les parents ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en seront agacées » Jérémie, 31-30)
Les grandes souffrances viennent d'un bilan mal équilibré.
Il faut une société où l'on cesse de produire pour la consommation à outrance et où l'on fasse tout pour développer les facultés créatrices de l’homme et lui redonner le goût de l'effort.
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Une Réalité à saisir.
- Par Thierry LEDRU
- Le 06/11/2011
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Le XX ème siècle et celui en cours ont propulsé les hommes dans une connaissance et une maîtrise des techniques bien au-delà de tout ce qui était envisageable et la vitesse à laquelle tout cela évolue est exponentielle. Il n'en reste pas moins que nous ne sommes que des ignorants encombrés au regard de la Réalité. Nous possédons des données, des concepts, des théories et nous les mettons en pratique. Des scientifiques ont atteint un niveau de connaissances absolument fascinant mais personne n'est en mesure malgré tout, dans ce registre scientifique, d'expliquer le fond des choses. Non pas les "Comment" mais le "Pourquoi" ?
"Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?"
Cette question fondamentale a été posée par Leibniz dans le 7ème article des "Principes de la nature et de la grâce fondés en raison."
Je n'ai évidemment pas la réponse mais je m'interroge au préalable sur ce "quelque chose". Car ce "quelque chose" dont nous pensons être conscient, il me semble que nous sommes très loin d'en avoir saisi l'étendue. Je parlais dans le post précédent de la création artistique. Il n'y a pas de création mais un modelage personnalisé de l'émotion au regard des perceptions de ce que nous jugeons comme étant la Réalité. Mais quelle est-elle cette Réalité, quel est donc ce "quelque chose" ?
Les scientifiques ont parcouru la matière puis ils ont rencontré l'énergie. Ils ont établi les liens qui existent entre ces deux composantes de la Réalité. Le meccano qu'ils ont décrit est d'une complexité sans nom. Innommé parce qu'intraduisible, non pas dans son architecture mais dans la raison même de son existence.
Rien ne l'explique.
Ce fameux Rien est d'ailleurs, lui aussi, tout autant insaisissable que le Tout. Dès lors que je cherche à identifier le Rien, je lui donne une existence, aussi métaphysique qu'elle soit, aussi inconstante et informelle. Parler du Rien, penser au Rien, imaginer le Rien est un non sens. Il n'y a Rien que le Néant et ce Néant n'est pas accessible puisqu'il n'existe pas. Le Néant ne peut éventuellement être perçu qu'en lui opposant la Réalité ou le "quelque chose."
L'autre question insoluble revient à s'interroger sur le point de départ. Comment concevoir l'idée que quelque chose est apparue du Néant ? S'il n'y a Rien, comment pourrait-il en jaillir quelque chose ? Dans toute la réalité que nous percevons, quelque chose existe nécessairement par rapport à autre chose. Jamais par rapport à un Rien qui aurait donné Quelque Chose. C'est inconcevable. Il existe nécessairement une matière ou une énergie initiale.
Alors puisque ces questions resteront, pour ma part, de l'ordre de l'irrésolu, je m'en tiens à la perception de cette Réalité. Elle est tangible, palpable, matérielle, saisissable, à défaut de nous offrir les raisons de sa survenue.
Mais est-ce que pour autant, j'en connais "réellement" l'étendue. Je ne peux pas conceptualiser le Rien de part son inexistence mais la multiplicité phénoménale des formes prises par la Réalité n'a-t-elle pas fini par créer un voile qui couvre la conscience totale de cette Réalité ? Ne suis-je pas au regard de la Réalité dans le même état d'ignorance que pour le Néant ?
D'un côté, nous avons donc le Néant inconnaissable et de l'autre une Réalité encore inconnue. Et nous vivons pourtant dans une illusion de puissance.
Même si je finissais par comprendre le fonctionnement de mon ordinateur et l'étonnante passerelle offerte par la mise en forme des mots et de sa diffusion, je ne comprendrai pas pour autant la Réalité qui sous-tend cette matérialisation. Nous savons en user mais nous n'en comprenons pas la structure, ni encore moins l'apparition. Je ne parle pas de la technologie mise en œuvre mais de la possibilité que cette technologie existe.
Si je me pose la même interrogation concernant mon existence, là, je me place au bord d'un gouffre sans fond... Inexploré et terrifiant. Et c'est bien cette terreur qui nous pousse à rester dans l'illusoire utilisation des choses sans nous interroger sur leur raison d'être.
Une raison d'être.
Une autre question. Car s'il y a une raison, cela signifie qu'il y a une intention. Dès lors que nous mettons en avant notre raison, dès lors que nous en usons, il y a une intention, un objectif, et préalablement il est probable qu'il y ait une cause. Nous n'agissons pas initialement, nous nous efforçons juste de réagir à bon escient. Si je tente de clarifier mes idées, c'est uniquement parce qu'un trouble existe. Je ne fais que réagir à ce trouble en usant de ma raison pour avancer. Et ce trouble lui-même n'est pas venu du Néant. Il existe en moi depuis que ma raison s'est éveillée et m'a permis d’œuvrer à la compréhension de la Réalité. Rien ne vient de Rien. Tout existe à travers une existence déjà réelle et qui se dévoile peu à peu. Il n'y a pas de Création spontanée dans ce qui est déjà créé.
Mais alors s'il y a une intention, il est nécessaire qu'elle soit issue d'une intelligence. Ou alors, si cette intention est totalement incompréhensible, c'est qu'elle est issue d'un pur hasard. J'éprouve une véritable nausée à concevoir la Réalité comme un pur hasard car cela signifierait que ce hasard, qui jusque-là s'est montré particulièrement fabuleux et créatif, pourrait tout aussi bien tomber dans une dégénérescence catastrophique au regard de la Vie. Est-ce que l'enchaînement évolutif pourrait s'inverser et tendre vers une involution dissipatrice qui conduirait à une extinction de tout ? Si tout n'est que hasard, rien n'est établi. Si rien n'est établi, tout peut disparaître.
Je n'ai pas tenté d'éclairer mes inquiétudes existentielles par hasard mais bien parce que je dispose d'un intellect qui me permet de me projeter vers une intention évolutive. En comprenant ce qui me trouble, j'use de mon potentiel. Si tout cela n'était qu'un hasard, il ne pourrait y avoir d'intention, ni encore moins de raisonnement, ni encore moins de trouble puisque rien n'aurait de raison d'être et qu'il n'y aurait par conséquent aucune raison d'expliquer ce Rien. Le Néant ne peut avoir de raison d'être.
Quelle est par conséquent la raison d'être de la Réalité ? A-t-elle une intention ? Et s'il y a une raison et une intention, d'où viennent-elles, qui en est l'instigateur, quelle est l'étendue de cette intelligence ?
Je n'en sais rien.
Je n'ai aucune réponse.
Ça ne m'est pas accessible.
Et les réponses données, établies par des penseurs reconnus ou des entités manipulatrices ne m'intéressent pas. Si je suis arrivé à ce point d'interrogation, ça n'est sûrement pas pour tomber dans des réponses rapportées et admises.
Je préfère rester au bord de mon gouffre et contempler le vide en moi.
Comment pourrais-je comprendre la Réalité en me contentant d'adopter la version de la réalité des autres ? Je n'ai aucune angoisse existentielle et je regarde ce vide en moi avec une infinie délectation.
On peut concevoir cette Réalité comme se trouvant de l'autre côté du mur.
Nous sommes tous et toutes au cœur d'un gigantesque show. Nous ne percevons que la réalité pour laquelle nous avons été conditionnés, éduqués, formatés.
Il faut pousser la Porte.