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  • Forum des édités solidaires

     

    Parce que le Net est aussi un espace de promotion...

     

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  • Jarwal le lutin (tome 2)

     

     

    « Izel est venu te parler, Jarwal. »

     

    Kalén se tenait à ses côtés. Il ne l’avait pas entendu arriver. Toujours ce glissement furtif sur la terre, comme une délicatesse respectueuse.

     

    « La chauve-souris de ton rêve, Jarwal. C’est Izel.

    -Comment sais-tu que j’ai rêvé d’une chauve-souris Kalén ?

    -Parce que j’ai rêvé de ton rêve. Je sais qu’il s’agit d’Izel. Ce sont ses yeux.

    -Et que cherche-t-il à me dire ?

    -Tu n’as pas besoin de ma réponse. Elle est déjà en toi. »

     

    Cette incroyable plénitude intérieure de Kalén. Comme s’il avait déjà vécu des milliers d’années et usait d’une expérience incommensurable. Il n’en avait pas saisi la portée lorsque le jeune homme s’était présenté à lui dans sa forêt, lorsqu’il était venu réclamer son aide. Tout était là, toutes les images, toutes les paroles échangées, il s’en souvenait parfaitement. Jackmor l’avait reconnu, il avait été jeté dans une geôle, il y avait eu le combat, ce soldat qui l’avait frappé et puis ce vide en lui. Tout était là.

    « Izel m’a expliqué, Jarwal, que la violence dont tu as été la victime est à l’image des dégâts que cette violence provoque chez tous les êtres humains. La violence les prive d’eux-mêmes en jetant sur leur conscience un voile sombre, comme si l’individu se retrouvait enfermé dans un espace clos dans lequel il n’existe plus réellement mais où il devient la victime de la violence, un être perdu, inquiet, tourmenté, torturé. Des désirs de vengeance, des douleurs insondables pour ce qui est perdu, des terreurs incontrôlables pour un avenir incertain, des remords, des regrets, des souffrances qui tournent en boucle et privent les individus de la plénitude de la Création. Celui qui est victime de la violence et ne parvient pas à s’en extraire, spirituellement, celui-là devient sa propre victime. La violence passée n’y est pour rien, c’est l’individu qui entretient le Mal. L’existence, elle-même, devient une épreuve quotidienne. Et la Vie est ignorée.  

    -Oui Izel, c’était exactement ça. J’étais égaré et en souffrance. Cette certitude que je n’étais plus moi parce que j’étais privé de mes connaissances alors que ça n’était que mon ego qui souffrait et non la Vie en moi. Comme si mon existence était primordiale au point d’en ignorer cette Vie. »

     

    Un regard lointain sur les paysages offerts, le silence du Monde et la Paix immense. Les larmes encore qui coulent comme des résistances rompues.

     

    « Et maintenant Kalén ? Que puis-je faire pour ton Peuple ?

    -Rien Jarwal. Tu ne dois rien à mon Peuple. Tu ne dois rien à personne parce qu’il ne s’agit pas d’un devoir. C’est comme si tu avais une dette dont tu devais t’acquitter. Et dans ce cas-là, tes actes ne seraient pas désintéressés mais devraient contribuer à te libérer d’un poids que tu t’infliges toi-même. Si tu décides d’agir, fais-le pour la Vie que tu portes et non pour des raisons qui sont attachées à ton ego. Fais-le en honorant cette Création. »

     

    Il n’était qu’un enfant au regard des paroles de Kalén. Et il remercia intérieurement la Vie de l’avoir plongé dans l’errance. Cette certitude désormais d’être ouvert comme un ciel infini, qu’il suffisait de rester impassible pendant les tempêtes ou les canicules interminables. Rien ne pouvait porter atteinte au ciel lui-même. Il serait toujours là. Les évènements ponctuels ne seraient jamais que des évènements et pas la Vie elle-même.

    Il observa respectueusement les nuages gris qui glissaient sur l’océan céleste. Ils n’étaient que des pensées éphémères. Il appartenait à l’individu de ne pas maintenir leurs présences par des attachements temporels. Les laisser passer comme des situations momentanées. La leçon à saisir n’était pas contenue essentiellement dans la compréhension des actes menés ou des réactions provoquées mais dans l’effacement systématique des circonstances jusqu’au rétablissement de la plénitude. Le ciel ne disparaîtrait jamais. Mais l’ego pouvait l’assombrir par des nuages inventés.

     

     

    Jarwal aperçut Gwendoline qui sortait de la Nuhé et s’approchait. Il l’observa avec un amour ineffable en lui. Elle était son soleil dans le ciel de son existence.    

  • La raison et le couple.

    La Raison n'est pas à rechercher dans le couple mais en soi à postériori. Le couple n'a pas pour mission de permettre aux individus de trouver la Raison en eux mais d'exploiter cette Raison qu'ils possèdent déjà. Il n'est de couple possible qu'au regard du travail intérieur que chacun aura mené au préalable et de l'osmose de ce travail individuel au sein du couple. Rien ne sera possible et encore moins durable si les deux individus ou même un seul considère que le couple a un objectif salutaire envers la maîtrise de ce Soi et l'usage de la Raison associée à la passion. Le risque est de voir sinon les individus prendre en otage la relation amoureuse en considérant que c'est au couple de les porter vers le haut. Comme si le couple représentait une troisième entité correspondant à un Maître. le Maître est en chacun et le couple est le calice qui reçoit ces deux entités éveillées. La passion dévorante s'installera si un des partenaires attend du couple l'enthousiasme et l'euphorie que l'individu n'a pas trouvé en lui dans son existence intime. De la même façon, la Raison deviendra une autorité asphyxiante si l'individu octroie à cette raison un pouvoir destiné à limiter les excès qu'il n'aura pas su apprivoiser au préalable. Le couple n'est pas un assemblage formateur mais un assemblage d'individus formés. C'est en tout cas ainsi que je le vis depuis longtemps, sans que la succession des jours ne soit jamais venue interférer sur la beauté du parcours.

     

    L'équilibre doit exister au préalable. Le couple ne doit pas être pris en otage pour évoluer. La Raison et la Passion sont deux entités qui se nourrissent l'une l'autre. Elles ne sont nullement ennemies. Deux plateaux d'une même balance. Parfois, le plateau penche d'un côté, parfois de l'autre. Ce qui importe, c'est de rester dans un état d'observation lucide et de ne jamais être dépendant de ce déséquilibre provisoire. Ca n'est qu'un aléa de l'existence. Je ne suis ni la Raison, ni la passion mais celui qui les observe en toute conscience. Elles ne sont que les deux faces du même Esprit.

     

  • Jarwal le lutin (tome 2)

     

    Le travail avait cessé à la tombée du jour. Les Kogis avaient réintégré leurs huttes. Les palissades cernaient désormais le village. Un malaise immense dans le cœur de chacun, une séparation douloureuse, un cordon sectionné. Les horizons fermés cloisonnaient les âmes.

    Jarwal et Gwendoline avaient été invités dans la hutte centrale, la Nuhé qui accueillait les sages et tous les individus chargés d’assurer la cohésion du peuple, celles et ceux qui participaient aux discussions les plus essentielles avant d’en référer au reste de la tribu.

    Nasta avait demandé à Jarwal de s’asseoir près de lui. D’autres Mamus avaient pris place à leurs côtés. Kalén s’était assis en face de Jarwal et traduisait les paroles de Nasta. A l’écart du groupe, deux femmes âgées expliquaient par gestes à Gwendoline comment tresser une mochilla. Elles souriaient constamment pour accompagner ses efforts.

    Des flammes savamment entretenues diffusaient des parfums dansants de clarté, des arabesques joueuses qui dessinaient sur les visages des reliefs apaisés.

    Malgré le poids des menaces, il flottait dans l’air une étrange plénitude.

    « Vous n’avez pas l’air inquiets, annonça Jarwal. J’en suis étonné.

    -Pour quelles raisons nous devrions être inquiets en cet instant ? Nous avons œuvré à la protection de notre peuple, la nuit est tombée, nous sommes réunis pour parler. La peur ne nous apporterait rien. Elle ne serait qu’une projection dans un avenir qui n’existe pas mais que nous imaginerions. Et cela ne changerait rien à la réalité. »

    Kalén expliqua cet échange à Nasta et écouta sa réponse.

    « Nasta dit que cette peur ou cette colère que tu fais naître en toi est la même que celle qui te tourmente pour ta mémoire. Les hommes pensent qu’il y a plein de peurs, la peur du noir, la peur des ennemis, la peur d’un animal sauvage, la peur d’un orage mais ce sont toutes les mêmes peurs. La peur n’existe pas en elle-même. Elle n’est que le résultat de l’incapacité des hommes à observer leurs émotions et ensuite à comprendre que cette  peur est irréelle. Cette peur n’est réelle pour eux que parce que ces hommes ne sont pas dans la réalité. Celui qui n'est pas réel ne peut pas engendrer quelque chose de réel. Ces hommes sont perdus en eux. Toi, tu es perdu en toi parce que tu as peur de t’être perdu. Et cette peur t’empêche de retrouver ta réalité alors qu’elle est toujours là. »

     

    Jarwal regarda Nasta. Un visage impassible et pourtant une lueur particulière dans les yeux, deux filaments étroits, une vibration qui le touchait, comme une intrusion intérieure, un lien indéfinissable, l’impression que Nasta voyageait en lui.

    Le sage parla de nouveau.

    Kalén expliqua.

    « Nasta dit qu’il est temps que tu deviennes ce que tu es et que tu cesses d’être attaché à ce que tu crois être. Il veut que tu t’assois face à lui et que tu poses tes mains sur ses genoux. »

     

    Jarwal se leva et vint se placer devant le vieil homme. Celui-ci prit délicatement une longue pipe en bois et la garnit d’Aruaca. Il embrasa les feuilles et souffla lentement la fumée sur le visage du lutin.

    Jarwal ferma les yeux, intrigué par cette pratique qui lui paraissait peu respectueuse. Il abandonna aussitôt ses réticences sachant qu’il n’en était rien.

    Lorsqu’il ouvrit les yeux, Nasta s’était approché de son visage, presqu’à le toucher. Il fut surpris de se trouver ainsi nez à nez avec le visage ridé mais l’intensité des yeux le figèrent aussitôt et il se sentit aspiré. Ou envahi. Il ne savait pas dans quel sens les choses se passaient. Comme une vague d’océan qui montait et se retirait, comme un balancement d’arbre dans la houle du vent, un aller-retour qui l’étourdissait, un mouvement lancinant qui finit par ressembler à une alternance respiratoire…

    Inspiration, expiration, inspiration, expiration…

    Une nouvelle bouffée de fumée sur le visage. Les yeux fermés.

    Nasta entretenait ce balancement hypnotique pour instaurer un rituel bien précis. Il devait se laisser porter, abandonner ses craintes. Il se concentra sur la pression de ses mains sur les genoux du sage. Il sentait à travers le tissu la musculature sèche du vieil homme assis en tailleur. Une chaleur qui le surprit dans la paume de ses mains comme si de ce corps âgé émanait un rayonnement solaire.

    Le balancement s’accentua encore et il eut l’impression que même son corps bougeait. Il s’aperçut qu’il n’entendait plus les discussions discrètes des femmes et de Gwendoline, qu’il n’entendait plus le crépitement du bois, qu’il n’entendait plus rien d’ailleurs. Il voulut ouvrir les yeux pour se relier à l’environnement disparu et n’y parvint pas. Une lourdeur de montagnes sur ses paupières.

    Il sentit pourtant les mains de Nasta se poser sur sa tête, délicatement d’abord puis enserrer progressivement son crâne dans un étau.     

     

    C’est là que tout accéléra. Une plongée verticale en lui-même, une chute infinie au cœur d’un halo flamboyant.

     

    Un courant de particules agitées l’entraînait vers l’abîme, il se surprit à sourire et sut que son visage ne bougeait pas, qu’il n’y avait aucun mouvement apparent mais que cette joie coulait en lui comme un ferment vital, il entendit des paroles à l’intérieur de son crâne, elles ne lui parvenaient pas par le canal habituel, ses oreilles ne fonctionnaient pas, les mots étaient en lui, à l’intérieur de son sang, dans les fibres de ses muscles, les mots couraient librement dans un espace immense, il tenta de les saisir au vol mais sans succès, comme si les paroles ne lui appartenaient pas, qu’il devait se contenter de les recevoir mais sans chercher à se les approprier, qu’il devait les vivre au lieu de vouloir les enfermer, que cette connaissance ne s’emprisonnait pas, elle s’honorait, elle se bénissait mais elle n’appartenait à personne, et personne ne pouvait se l’attribuer, personne n’en était propriétaire, je ne suis pas celui qui sait, c’est la connaissance qui sait où me trouver et la connaissance ne me sert pas à me constituer, je vis sans elle, la vie est en moi, la connaissance n’est qu’un habillage mais quand je suis nu, je ne suis pas mort, les mots qui parlaient à sa place, des paroles qui résonnaient en lui sans même qu’il y pense, il devinait étrangement, dans les méandres de son esprit, un observateur appliqué et respectueux, un être plein de compassion et de douceur, pas lui, pas l’individu qu’il avait connu et qu’il recherchait, c’était autre chose, quelqu’un d’autre, une autre forme de vie, toujours cette descente interminable dans un espace circulaire, des zébrures comme des éclairs d’orage, des crépitements d’étoiles, des flammèches comme des braises de résineux dans un brasier, des parois souples et colorées, défilant dans une vitesse indescriptible, des distances infinies parcourues sans aucun effort, sans aucun geste, sans aucune volonté, un courant puissant qui l’emportait, une joie ineffable dans ce voyage, un bonheur inconnu, comme une venue au monde dont on se souviendrait, il n’était pas celui qui sait ou qui ne sait plus, il était la vie en lui et elle ne se remplissait pas d’éléments extérieurs, elle ne dépendait pas de choses rapportées, il s’était identifié à son savoir jusqu’à en oublier qu’il était la vie en lui, il volait maintenant dans un espace translucide, comme au cœur d’un Océan de lumière, aucune peur, aucun désir, aucune volonté de se projeter plus loin, il était là, non pas ce Jarwal qu’il souffrait d’avoir perdu, qu’il étouffait sous des inquiétudes inutiles mais l’être sans nom, sans rôle, sans statut, l’être qui n’a pas brisé en lui le lien avec la Vie, il sentit qu’il tombait mais sans aucun désir de se rattraper, un envol vers les profondeurs, une légèreté infinie qui accentuait la chute, comme s’il n’avait plus de corps, plus d’attaches, plus de masse, plus d’enveloppe, même pas un parfum, même pas un regard, même pas un rayon de lumière, rien de connu, rien de visible, rien de saisissable et cette disparition des choses révélait enfin l’essentiel.

     

    Absence.

     

    Il reconnaissait très bien le grand hêtre de la mare. C’est là qu’il venait souvent s’asseoir avec Gwendoline. Il était seul cette fois. Il s’était allongé sous la ramure et observait le lent voyage des navires de pluie à travers la verdure. Il se laissait porter par la rumeur du vent dans les altitudes. Une douce somnolence. Il ne sut pas quand il ferma les yeux. Et puis elle apparut. Sans qu’il sache si elle était dans sa tête, si c’était un rêve ou s’il était réveillé. Il avait été surpris par ses arabesques autour du tronc et puis elle s’était accrochée à une branche basse, la tête en bas. Il n’avais jamais vu de chauve-souris aussi grosse. Il aurait encore moins imaginé un tel regard. Il s’était senti transpercé, visité, envahi. Aucune violence pourtant, l’impression même que l’animal lui souriait.

    « Tu vois bien qu’il était inutile d’avoir peur. Tu n’es pas ce que tu crois, tu es ce que la vie est en toi. Laisse la vie te vivre, elle sait où elle va. Elle ne réclame pas de toi la perfection mais la plénitude. »

     

    Il ouvrit les yeux. Il eut du mal à s’habituer à l’obscurité. Des résidus de feu psalmodiaient des murmures, quelques brises de lumières à demi éteintes. Il reconnut la hutte et tourna doucement la tête. Gwendoline dormait à ses côtés. Ils étaient tous les deux allongés sur une natte. Une toile de lin les couvrait. Il sentait la main de Gwendoline posée sur son avant-bras.

    Une boule de larmes roula dans sa gorge et l’étouffa, comme un sanglot de nouveau-né, une première bouffée d’air.

    Il était là.

    Pas le Jarwal qu’il avait tant espéré retrouver mais la Vie en lui. Pas un personnage chargé de connaissances séculaires mais un être porteur de la Création, une de ses innombrables créations. Il était ce qu’il devait être et non ce qu’il avait cherché à devenir jusqu’à se perdre dans les méandres de sa prétention. Un nouveau-né vide de tout ce que l’existence apporte comme fardeaux, juste un nouveau-né.

    Seule la Vie créait. Lui n’avait fait que se servir des matériaux créés par la Vie. Il n’avait rien inventé, rien découvert. Il avait usé de tout ce que la Vie offrait, il avait décelé une infime partie de tout ce qu’elle proposait, des échanges, des assemblages, des expérimentations mais rien de nouveau, juste des opportunités qu’il avait su saisir.  

    Il se leva difficilement, tituba jusqu’à la porte et sortit, aussi silencieusement que possible.

    Il laissa couler les larmes en observant les étoiles.

    La lune, cachée derrière les sommets, étendait des marées laiteuses sur les montagnes, des risées de paillettes cristallines.

    Tout était là, en lui, toutes ses connaissances, toute son histoire, tous ses compagnons, ses aventures à travers les âges, toute sa mémoire était là, disponible, intacte mais il ne pleurait pas pour cette intégrité retrouvée.

    Rien ne pouvait être plus beau que ce bonheur de la vie révélée.

    Les paroles de la chauve-souris ne le quittaient plus. Pas un rêve mais une rencontre. Il en était persuadé sans savoir de qui il s’agissait. Pourquoi une chauve-souris ? Un animal nocturne. Il devait y avoir une explication, ça n’était pas un hasard. De l’obscurité jaillissait la lumière, l’ombre contenait la clarté. Il avait perdu la mémoire pour réaliser qu’il s’était perdu bien avant. Il avait fallu qu’il se retrouve nu comme au premier jour, vide de tout, jusqu’à son nom, jusqu’à la mémoire la plus profonde, qu’il soit privé de tout ce qui fabriquait en lui une image illusoire de la vie, pour saisir enfin que cette accumulation cachait l’essentiel. C’était là, sous ses yeux et en lui.

    La Création.

  • Au-delà de la grammaire

    Une leçon aujourd'hui sur l'analyse de la phrase et du groupe verbal.

     

    Je propose une phrase simple et les enfants doivent chercher le COD en utilisant une question précise. 

    "L'enfant range ses crayons.

    -L'enfant range quoi ? Ses crayons.

    -L'enfant caresse son chien.

    -L'enfant caresse quoi ? Son chien.

    -Non, je ne suis pas d'accord. L'enfant caresse QUI ? Pourquoi Qui ?

    Silence...

    -Le jardinier entretient ses plantations.

    -Le jardinier entretient quoi ? Ses plantations.

    -Non, je ne suis pas d'accord. Le jardinier entretient QUI ? Ses plantations. Pourquoi Qui ?

    Silence...

    -Papa range la vaisselle.

    -Papa range quoi ? la vaisselle.

    -Oui, là je suis d'accord. Pourquoi ?

    -Ah, oui, je sais ! parce que c'est un objet ! Et les autres, c'était vivant.

    -Oui, voilà, c'est exactement ça. Développe s'il te plaît.

    -Et bien, il faut dire QUI quand c'est quelque chose de vivant.

    -Ah, mais alors, ça n'est pas une chose justement.

    -Oui, je voulais dire quand c'est...

    -Oui, alors, comment le définir ?

    Silence...

    -Quel est le point commun entre le chien, les plantes, un animal, un homme, un enfant, une fleur ?

    -C'est quelque chose de vivant !

    -Mais alors, on ne doit pas dire quelque chose ! Comment les définir ?

    -Ce sont des êtres vivants ? C'est ça ? Mais une plante, c'est pas vivant comme nous !

    -Ah bon, et pourquoi ? Comment définir ce qui est vivant ? Si tu penses qu'une plante n'est pas un être vivant, elle est donc dans le même état que ce crayon. C'est ça ?

    -Ah, ben non, c'est pas comme un crayon.

    -Alors quelles sont les différences ?

    -Ben, le crayon, il n'est pas vivant.

    -Oui, d'accord, mais comment définir ce qui est vivant ?

    -Ça parle.

    -Mais une fleur, ça ne parle pas comme nous. Mais est-ce que ça communique ? Les oiseaux, par exemple, ils chantent. Est-ce que c'est une communication ? Est-ce que les plantes communiquent à leur façon ? 

    -On ne peut pas le savoir.

    -Pourquoi ?

    -On ne les comprend pas.

    -Alors, on ne peut pas limiter ce qui est vivant à ce qui communique. Il faut trouver une définition plus juste.

    -Ça change. Ça meurt.

    -Est-ce qu'une plante change, est-ce qu'elle meurt ?

    -Ben, oui.

    -Est-ce que tout ce que vous connaissez et que vous jugez comme étant vivant va changer et mourir un jour ?

    -Ben, oui.

    -Bon, alors cette définition-là, on peut la garder. Tout ce qui est vivant se transforme et finit par mourir. Mais si tout finit par mourir, comment expliquer que ça existe encore ? Tout ce qui est vivant aurait dû disparaître depuis le temps que ça existe.

    -C'est la reproduction !

    -Tout ce qui est vivant se reproduit ? Même les plantes ?

    -Ben oui, elles ont des graines et les fleurs, elles ont du pollen. Et les animaux, ils font des petits.

    -Et les humains aussi ?

    -Ben oui, sinon, on ne serait pas là.

    -Bon, alors, tout ce qui est vivant se reproduit avant de mourir. Il reste encore un élément. Vous avez parlé de transformation. Qu'est-ce qui permet aux éléments vivants de se transformer ?

    -La nourriture !!

    -Bien, mais est-ce que les plantes se nourrissent ?

    -Ben oui, elles ont des racines.

    -C'est plus compliqué que ça mais c'est vrai que les plantes se nourrissent. Donc, tout ce qui est vivant se transforme en se nourrissant, se reproduit et finit par mourir. Est-ce que les plantes, les animaux et les êtres humains répondent à ces critères ?

    -Ben, oui.

    -Alors, vous comprenez pourquoi j'insiste pour dire QUI et non QUOI quand on pose la question ? Est-ce que vous allez utiliser QUI pour parler d'un crayon ou de la vaisselle ?

    -Ben, non, c'est pas vivant.

    -Alors pourquoi est-ce qu'on n'a pas ce réflexe de considérer une plante comme un être vivant ou même certains animaux ? Lisez ce texte et dites-moi ce que vous en pensez ?

    "Tu as écrasé cette chenille. Bien, c'était facile. Maintenant, refais-la. " Lanza Del Vasto.

     

    -On ne peut pas la refaire !!

    -Alors pourquoi l'avoir écrasée ?

    Silence...

    -Moi, je sais, c'est parce qu'on ne l'entend pas se plaindre.

    -Et oui. Voilà. On en revient à ce fameux langage dont on parlait tout à l'heure. On n'entend pas la chenille nous parler. De la même façon qu'on n'entend pas les arbres se plaindre des feuilles qu'on leur arrache en passant devant la haie. Ils ne disent rien qu'on ne peut comprendre. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne disent rien, c'est juste qu'on n'entend rien. Mais on ne sait pas ce qui se passe en eux. On peut imaginer qu'ils souffrent en tout cas puisqu'ils sont vivants. Si on m'écrase le pied ou qu'on m'arrache les cheveux, j'aurai mal. Pourquoi ?

    -Parce que tu es vivant.

    -Mais on vient bien de dire que les animaux et les plantes sont eux aussi des êtres vivants. Est-ce qu'on a le droit de penser et de croire qu'ils n'ont pas mal ?

    -Ben, non. Ils sont comme nous.

    -Ils ne sont pas comme nous mais ils sont en tout cas des êtres vivants. Ce qui nous rapproche, c'est cette vie en nous. Quelle que soit la forme qu'elle prend. Alors, je tiens à parler d'eux avec les termes qui concernent les êtres vivants. Donc, je dis QUI et pas QUOI. Et que pensez-vous de la Terre en général alors ? Si je dis : Certains hommes abîment la Terre. Est-ce que je dois dire : Certains hommes abîment quoi ? La Terre. Ou bien est-ce que je dois dire : Certains hommes abîment qui ? La Terre ? 

    -Qui !!

  • Kilian Jornet.

    L'hébergeur du blog ne prend pas les vidéos autres que youtube et dailymotion, désolé.

     

    http://www.canalplus.fr/c-sport/pid2708-c-interieur-sport.html?vid=542193

     

    A regarder absolument ! Fascinant ...Et une approche "spirituelle" qui me plaît infiniment.

     

    Pour vous donner une idée du personnage.

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  • L'instinct et l'inconscient.

    En montant au sommet du jour, je repensais à cette expérience, il y a deux hivers déjà. Une coulée de neige qui m'avait embarqué en ski hors piste. Je m'étais retrouvé tête en bas, brassé par le flot, coupé de la vision du ciel, recouvert par la masse, une impression de vitesse et surtout une force immense qui m'emportait.

    Une fulgurance dans mes réactions.

    Aucune pensée visible.

    Juste l'instinct de survie.

    Rester à la surface, se remettre à l'endroit, les pieds dans la pente, brasser avec les bras pour rester à la surface.

    Je n'avais aucune expérience dans le domaine et pourtant j'ai choisi les bonnes options sans, bien entendu, avoir eu le temps d'y réfléchir.

     

    D'où vient cette "présence," cette lucidité alors qu'aucun raisonnement ne peut la soutenir ?

    S'il y a eu des pensées, elles n'ont laissé aucune empreinte. Le laps de temps entre ces éventuelles pensées et les actes nécessaires n'est pas quantifiable. Il n'y a aucune observation de pensées comme cela est possible dans la vie quotidienne. Et pourtant, il est difficilement envisageable que ces actes soient issus de simples réflexes. Il en serait ainsi si j'avais posé ma main sur quelque chose de brûlant par exemple. Mais, là, j'étais embarqué dans une situation dont je n'avais aucune connaissance préalable, ni aucune conscience inscrite.

    Aucune conscience...

    Mais peut-être un inconscient...Un inconscient apte à provoquer les réflexes corporels sans même que l'intellect, le raisonnement, les pensées rationnelles ne soient mis en application.  

    Ou alors, il faudrait concevoir que le corps lui-même dispose d'une auto-capacité à se réguler et à agir.

    Là, je n'en sais rien.

    Mais je sais par contre que notre inconscient occupe une place gigantesque dans notre existence et que nous en ignorons l'essentiel, de part sa structure, son fonctionnement, son identité même. Puisque tout cela relève de l'inconscient. 

    L'inconscient aurait donc, dans ce type de situation, un rôle prépondérant et le corps serait un récepteur extrêmement performant. Bien au-delà de ce que notre conscience et nos connaissances de nous-mêmes laissent envisager.

     

    Maintenant, il reste à comprendre la source de cette performance.

    Etant donné que je n'avais aucune expérience antérieure me permettant d'user de connaissances acquises et que j'ai pourtant opté pour les bonnes solutions, la question est évidente : d'où vient cette "connaissance" ? Comment peut-elle se mettre en action avec une telle fulgurance ?

     

    La seule réponse qui me vient est étrange et me travaille depuis un moment : Une mémoire antérieure. Des acquis à l'échelle de l'humanité. Des expériences vécues par des individus depuis longtemps disparus et dont les résidus inconscients se seraient transmis. On rejoint d'ailleurs l'idée des champs morphogénétiques de Rupert Sheldrake.

    Je sais que notre cerveau reptilien contient des données auxquelles je n'ai pas accès de façon consciente.

    Sauf peut-être là. Parce que la vie est en jeu.

    Peut-être alors devrions-nous vivre alors dans un état de survie provoquée. Je n'envie évidemment pas les êtres humains confrontés à la guerre ou mourrant de faim, d'épidémie et de tous les maux contre lesquels ils n'ont guère de pouvoir de résistance. Je les plains infiniment.

     

    Mais, moi, dans cette vie privilégiée, je dispose peut-être de l'opportunité d'apprendre à user consciemment de mon inconscient. Ou tout du moins de tenter de l'explorer. Je connais déjà, quelque peu, à ma simple mesure, les états de conscience modifiée à travers l'épuisement. J'en connais les horizons infinis. Je ne vais pas pour autant me lancer des défis propices à mettre ma vie en danger.

    Je n'oublierai jamais l'expérience du canyoning avec Léo et Nathalie. Elle me suffit...Ni celle de l'avalanche, ou de l'ascension de la Tête de Lion, ou de la pointe des Nantillons, ni celle du Peigne... Ni tout le reste. Il aurait suffi de pas grand-chose pour que tout s'arrête, définitivement.

    C'est inscrit en moi maintenant.

    Mais j'aimerais par contre trouver le moyen d'explorer paisiblement cet inconscient et d'en extirper les connaissances millénaires.

    Il faut que je relise Carl Gustav Jung... 

  • L'instinct.

     

    Une réflexion qui m’est venue après une séance d’escalade.

    J’étais entre deux mouvements, à l’arrêt sur deux prises de mains, les pieds posés sur des réglettes et je devais anticiper le geste suivant, deviner les positions à venir. Il fallait que j’anticipe, que j’inscrive en moi cette série de mouvements pour atteindre le prochain point de protection. Je sentais les muscles de mes avant-bras qui durcissaient, je n’avais pas beaucoup de temps pour me décider, le point de protection était juste dessous moi, je ne risquais rien, je savais parfaitement ce que je devais faire et puis, là, le doute s’est insinué, l’idée que ça ne passerait pas, l’appréhension a pris le pas sur les gestes que j’avais imaginés, les pensées ont commencé à s’emballer, je me suis lancé avant que ça ne soit trop tard mais avec cette impression très nette que cette appréhension s’était matérialisée, comme un fardeau que je tirais derrière moi, un poids mort que je devais hisser. J’ai vite jugé que c’était impossible.

    Je ne suis pas passé. Je suis redescendu.

     

    Aujourd’hui, je jouais au tennis. Je m’appliquais sur mon revers, j’anticipais la force de la balle, sa trajectoire, le placement…

    Et puis j’ai réussi un revers parfait. Enfin, parfait pour moi…:)

    Sauf que ma princesse m’a renvoyé une balle encore plus forte et alors que je devais anticiper sur cette balle, sa force, son rebond, la préparation de mon geste, je me suis aperçu au moment où je la frappais que mon esprit était toujours attaché à ce revers « parfait » que je venais de réussir.

    J’ai totalement raté mon coup droit.

    Et la balle est restée dans le filet.

     

    En fin d’après-midi, j’ai eu besoin d’aller en ville en voiture. Il était évident que je devais anticiper ma conduite en fonction des autres automobilistes, il n’était pas question de rester inerte, intellectuellement, et de conduire en état de songe, de rêverie, d’absence. Sauf que je repensais à cette séance d’escalade et à ce passage que je n’avais pas franchi, à ce fardeau de pensées que j’avais fabriqué et qui avait ruiné tout mon travail sur l’anticipation des gestes, la préparation mentale des mouvements. J’ai le niveau pour le faire mais je n’ai pas eu la maîtrise. Je conduisais donc sans y penser, uniquement guidé par l’expérience.

    C’est là qu’une voiture m’a coupé la priorité, dans un rond point, au centre ville. J’ai immédiatement réagi et je l’ai évitée, je suis sorti de mes pensées en une fraction de secondes, plus vite que la moindre de mes pensées d’ailleurs. J’ai choisi la bonne solution, sans même y réfléchir.

     

    C’est stupéfiant tout ça…

    Cette activité cérébrale est hallucinante et nous entraîne d’ailleurs, parfois, dans un état hallucinatoire. Car finalement, pendant cette séance d’escalade, il n’y avait aucune raison que cette appréhension survienne, c’est moi qui l’ai initiée ; au tennis, il était absurde que je reste ancré sur le coup passé alors que celui à jouer arrivait et que je devais le préparer ; en voiture, il était dangereux que je me laisse absorber par mes pensées alors que je devais rester vigilant.

    Mais j’ai quand même parfaitement réagi… Et c’est ça qui m’intéresse.

    Je sais bien que le capharnaüm des pensées est quasi permanent, que la gestion des émotions est un travail sans fin, que la possession réelle de l’instant présent est une épreuve à mener, que la peur de l’avenir est paralysante, que les souvenirs sont des blocs de ciment qui freinent, je sais bien tout cela, ça fait assez longtemps que j’observe ce chaos…

     

    Mais il reste une autre interrogation. D’où vient cette capacité fulgurante qui m’a permis d’éviter cette voiture ? Pourquoi est-ce que je ne parviens pas à l’utiliser dans d’autres circonstances ? Pourquoi cette lucidité, cette maîtrise absolue, cette gestion de l’émotion, ce saisissement de l’instant, ne restent-ils pas constamment accessibles ?

    Le risque, le danger, l’éventualité de la mort.

    Une évidence.

    L’instinct.

    Il est pourtant impossible de vivre dans cet état de risque permanent. Ceux qui en sont les victimes survivent dans des pays dévorés par les guerres des hommes. Leur sort n’est pas enviable.

    Alors comment s’y prendre ? Comment parvenir à user pleinement de ce potentiel extraordinaire qui sommeille en nous ?

    Je ne vois qu’une solution et elle représente un défi immense : l’observation constante de ce qui vibre en nous, de tous les mouvements de pensées, de toutes les émotions, de toutes les peurs, joies, tristesses, bonheurs, de nos errances dans un temps imaginé, de nos angoisses inexpliquées. Et de se défaire de ce fatras lorsqu’il n’a aucune raison d’être.

    Bien évidemment, il n’est pas question de supprimer les bonheurs. Les recevoir fait partie de l’existence. Mais il convient de ne pas chercher à les faire durer au-delà de l’instant. Les gens qui restent figés dans un amour perdu, comme un ancien bonheur qu’ils entretiennent, jusqu’à se priver de ceux qui leur tendent les bras et qu’ils ne peuvent voir…

    Bien évidemment, il n’est pas question d’espérer éviter les douleurs. Mais il conviendra, là aussi, de ne pas les entretenir, dans une névrose morbide. Les gens qui restent figés dans un amour brisé, comme une explication rabâchée à leur rôle adoré de victime, jusqu’à se priver des bonheurs qui leur tendent les bras et qu’ils ne veulent pas voir.

    Bien évidemment que certains souvenirs garderont une place privilégiée.

    Bien évidemment que certaines inquiétudes finiront toujours par trouver une brèche.

     

    Mais rien ne doit nous empêcher d’observer tout cela afin de se libérer du superflu. Et une fois que la place sera nettoyée, que le vide installé dispensera sa plénitude, peut-être parviendrons-nous à saisir ce que nous sommes et qui est si profondément enfoui sous les gravats de nos ruines mentales.

     

    Je réalise d’ailleurs à quel point la marche en montagne, une marche longue, soutenue, dans un espace immense où nos prétentions humaines se noient et s’effacent, cette marche qui liquéfie tous nos ancrages, qui les fond comme neige au soleil, cette marche contient tout ce qui est propice à cet état d’épuration mentale.

    Le raid à vélo a cet avantage supplémentaire de la distance et de la durée. Partir rouler pendant huit jours, sur 600 ou 700 kilomètres est indéniablement une « rupture. » Tout comme la voiture qui m’a coupé la priorité a produit une rupture dans le flux des pensées. Je préfère éminemment la rupture intentionnelle, une rupture qui se prolonge, dans laquelle on s’enfonce délicieusement.

    C’est là, dans ces profondeurs inexplorées, que se cache l’instinct. Et je suis persuadé que les aventuriers, les alpinistes, les marins, les explorateurs au long cours cherchent avant tout à parcourir ces étendues intérieures et que l’espace offert par la planète n’est qu’un outil et pas une fin. Un merveilleux outil que je vénère chaque jour.