La forêt cathédrale
- Par Thierry LEDRU
- Le 03/11/2021
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: "l’idée d’une forêt-cathédrale incite de nouveau les humains à adopter une attitude religieuse vis-à-vis de la nature. Elle fait jouer l’idée de la forêt comme un sanctuaire, c’est-à-dire un lieu inviolable, qu’il faudrait traiter avec déférence, vénération même."
C'est l'usage du mot "cathédrale" qui renvoie à l'idée de religion mais ce que l'expression suppose m'enchante absolument. Il est clair que le poids de la religion est inutile. Il suffirait d'associer ce comportement à une attitude spirituelle pour que les choses soient justes. Car il s'agit bien désormais de s'engager dans une voie de spiritualité au regard de l'impact humain. C'est même la seule solution. C'est là que se trouve la puissance nécessaire pour agir.
" La religion est pour ceux qui ont peur d'aller en enfer, la spiritualité pour ceux qui y sont allés. "
- Proverbe Sioux -
"Dans la perspective de Marx, pour sauver la forêt, il est inutile d’essayer d’en faire un nouveau dieu ; il faut se pencher sur les conditions matérielles de la déforestation, là où sont les intérêts économiques de ceux qui l’organisent et des industries qui en jouissent."
Le concept de Dieu n'a jamais rapproché les humains dans leur entièreté parce que LES religions ont servi les dissenssions. Elles ont surtout servi la soif de puissnace et de pouvoir. Du pouvoir sur les esprits et la puissance qui en émane.
Il ne faut pas déifier la forêt car cela aboutirait encore aux mêmes oppositions.
"Mon Dieu est meilleur que le tien et donc nos forêts nous appartiennent car elles appartiennent à notre Dieu."
On n'en sortira jamais de cette façon. C'est à chacun de se relier à la forêt, à la nature, à la création et il n'est nul besoin d'associer ce cheminement de cœur à une idéologie religieuse. Le cœur et non le mental. La religion est un cheminement mentalisé dès lors qu'il s'appuie sur des textes écrits par des hommes.
"Sauver les forêts, oui – mais sans les idéaliser ?"
Je ne sais pas si on peut se passer, désormais, de l'idéalisation.
N'a-t-on pas trop attendu pour pouvoir se passer d'une forme de sacralisation ? Nos sociétés modernes ont sacralisé le business, la quête de l'avoir, la puissance matérielle et cela jusqu'à puiser inconsidérément dans les ressources de la planète. Est-il possible de freiner cette dévastation de façon cartésienne, dans une logique matérialiste ou devons-nous entrer désormais dans une démarche spirituelle, une forme de dévotion similaire à celle des peuples premiers. Il ne s'agirait pas pour autant de basculer dans le panthéisme puisque cela reviendrait à exacerber les égos et à alimenter les anciens fonctionnements. Le panthéisme est une référence à un Dieu. Qu'il s'agisse de la nature, "Deus sive natura" disait Spinoza, ne change pas le fait que cela reste une référence déique.
Il n'est pas nécessaire de se mettre à genoux au pied d'un arbre et de prier. Il s'agit de le protéger et de l'aimer en tant que forme vivante, indispensable à la survie de Tout. Et de nous. Rien de plus.
Il m'arrive parfois d'imaginer une "intelligence créatrice" devant la complexité du vivant. Je ne l'associe jamais pour autant à une quelconque religion. J'ai lu suffisamment d'ouvrages pour avoir conscience des dérives, souvent épouvantables, que les humains ont perpétré au nom de leur religion.
"Considérons l'importance du retour du spirituel dans nos sociétés : il faut remarquer qu'il n'est plus rattaché nécessairement à des églises, à des croyances religieuses. Il s'est laïcisé. En ce sens, on parle d'une différence entre religion et spiritualité. Pour bien des gens, la religion est identifiée à un ensemble de normes, d'obligations morales et à une appartenance à des institutions ecclésiales, plutôt qu'à une vie spirituelle plus personnelle et incarnée. Aujourd'hui on cherche une spiritualité plus respectueuse du corps et qui valorise les réalités matérielles. On se distancie d'une religion à tendance dualiste et manichéenne ; celle-ci présentait la matière et la sexualité comme mauvaises, et prêchait une moralité stérile et qui générait des sentiments de culpabilités maladives, comme la psychanalyse l'a mis en évidence. Une religion qui n'est pas en mesure de favoriser une spiritualité, c'est à dire une rencontre existentielle, n'est qu'idolâtrie ou même une idéologie."
Voir lien : Spiritualité laïque
La déforestation sur les pentes du mont Rainier, dans l’État de Washington (États-Unis). © Maksim Shutov/Unsplash
L’arbre qui cache la forêt
La nature, nouvel opium du peuple ?
Nicolas Gastineau publié le 02 novembre 2021 4 min
« Ces formidables écosystèmes fourmillants – ces cathédrales de la nature – sont les poumons de notre planète. » Voici un extrait des propos que doit tenir Boris Johnson à la tribune de la COP26, qui se déroule actuellement à Glasgow. Si le Premier ministre britannique fait preuve d’un tel lyrisme, c’est qu’est prévue la signature par plus de cent pays (parmi lesquels la Chine, le Brésil et les États-Unis) d’un engagement à enrayer la déforestation à l’horizon 2030.
Que signifie au juste ce recours à la métaphore religieuse ? Pourquoi avoir besoin de faire de la forêt « une cathédrale » pour encourager à sa protection ? Explications (critiques) avec Karl Marx.
Boris Johnson renoue avec une vieille analogie qui a eu beaucoup de succès dans la poésie romantique au XIXe siècle, celle des forêts comme « premiers temples de la Divinité » chez Chateaubriand, ou si l’on préfère le dire avec Baudelaire, comme d’« un temple » avec ses « vivants piliers ». Le Premier ministre britannique se joint indirectement à cette tradition en pleine COP26 : l’idée d’une forêt-cathédrale incite de nouveau les humains à adopter une attitude religieuse vis-à-vis de la nature. Elle fait jouer l’idée de la forêt comme un sanctuaire, c’est-à-dire un lieu inviolable, qu’il faudrait traiter avec déférence, vénération même. Autrement dit, Boris Johnson entend ici traiter le problème matériel de la déforestation, qui engage des intérêts économiques, par le passage au plan spirituel, en colorant les arbres et la forêt d’une aura de sacré.
Passer par le Ciel pour rendre raison de la terre, c’est bien le reproche que fait Karl Marx à la tradition idéaliste qui l’a précédé. Dans L’Idéologie allemande (1845), il n’a pas de mots assez durs pour les « sornettes idéalistes » de ses prédécesseurs, qui veulent lire l’histoire comme la marche d’une idée ou d’un esprit. « À l’encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, c’est de la terre au ciel que l’on monte ici. » Pour Marx, c’est le monde matériel dans lequel l’individu est immanquablement immergé qui le détermine et forme ses pensées. Aussi, ce plan supérieur des idées, ce « ciel » dont la religion est la plus populaire expression, n’est pas un espace autonome ou privilégié, il n’est que le jouet et le reflet des conditions matérielles d’ici-bas : « On ne part pas de ce que les hommes disent, s’imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu’ils sont dans les paroles, la pensée, l’imagination et la représentation d’autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en os; non, on part des hommes dans leur activité réelle ». Bref, dans la perspective de Marx, pour sauver la forêt, il est inutile d’essayer d’en faire un nouveau dieu ; il faut se pencher sur les conditions matérielles de la déforestation, là où sont les intérêts économiques de ceux qui l’organisent et des industries qui en jouissent.
D’ailleurs, ce recours au religieux n’est selon lui pas qu’une simple erreur ; plutôt une grave tromperie. Dans la célèbre introduction qu’il écrit pour sa Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel (1843), il estime que « la religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple ». Autrement dit, la religion est une illusion opportunément entretenue pour dissimuler les causes matérielles, économiques et non naturelles, de la misère du peuple. Ce nuage de fumée, qui dissimule les souffrances derrière des « cancans littéraires », doit être dissipé pour que les souffrances cessent d’être justifiées et apparaissent dans leur insupportable cruauté. « Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. »
Dans le cas des forêts, discourir de la forêt-cathédrale, c’est produire de l’illusion à l’endroit d’une nature fantasmée, faute de mettre en œuvre les moyens matériels de la sauver. Pour l’anecdote, Marx écrit d’ailleurs, afin de tourner en ridicule des philosophes romantiques de son époque qui voyaient l’âme allemande dans les forêts : « Le proverbe ne dit-il pas : la forêt ne renvoie jamais en écho que ce qu’on lui a crié ? »
Sauver les forêts, oui – mais sans les idéaliser ?
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